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Le triomphe de la vérité

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Dénouement de la crise politique au Sénégal: Les enseignements à retenir selon l’Ambassadeur Jean-Pierre EDON


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Dans son analyse consacrée à la situation au Sénégal, l’Ambassadeur Jean-Pierre EDON dévoile les enseignements à retenir du dénouement heureux de cette crise politique. Même si les péripéties et stratagèmes ayant jalonné cette période ont fait l’objet d’inquiétude de la part du monde entier, il note le courage patriotique des populations et la force des institutions de contre-pouvoir, en particulier le conseil constitutionnel. « Ce conseil s’est démarqué des pratiques des cours constitutionnelles de certains pays africains où le droit est utilisé pour servir les intérêts d’une classe, avec des décisions politiques présentées comme techniques », fait-il savoir. L’autre leçon évoquée est la force des idéaux par rapport aux personnes qui les défendent. Voici l’intégralité de son analyse :

L’HEUREUX DENOUEMENT DE LA CRISE POLITIQUE AU SENEGAL

Ces derniers mois de Février et Mars 2024, une grande crise politique a secoué le Sénégal, pays longtemps considéré comme une réussite démocratique en Afrique. Les péripéties et stratagèmes ayant jalonné cette courte période ont fait l’objet d’inquiétude de la part du monde entier. Mais l’opinion publique s’est apaisée avec l’heureux aboutissement matérialisé par les élections présidentielles du 24 Mars 2024.

Ce qui est important, c’est moins les acrobaties et difficultés de la gestion de la crise, que les enseignements qui en découlent.

Tangué, balancé de toutes parts depuis le report inédit et surprenant des élections, ce pays a tout de même tenu bon sans craquer grâce à la détermination des populations et la force des institutions véritablement éprises de paix et de justice dans le contexte de la défense de l’Etat de droit.

Quelques enseignements parmi tant d’autres

L’un des enseignements frappants demeure le courage des populations et la force des institutions de contre-pouvoir, en particulier le conseil constitutionnel. Depuis 2021, ayant senti le désir du chef de l’Etat de briguer un troisième mandat, ce qui mettrait en péril la démocratie chèrement acquise, le peuple sénégalais en général, sa jeunesse en particulier se sont mobilisés pour manifester leur désaccord.

 Les multiples morts des manifestants, les nombreux citoyens blessés et la horde des gens mis en prison pour des motifs inventés [Qui veut noyer son chien l’accuse de rage] n’ont pas émoussé l’ardeur des Sénégalais, sachant bien que la lutte paie et sans elle, ni sacrifices, on n’a rien.

Ce courage patriotique, cette soif ardente de libertés et de défense de la démocratie, est aussi apparu au niveau du conseil constitutionnel. Cette institution a dit le droit et non la politique. Il a usé de l’indépendance et de l’autonomie d’action que lui confère la constitution. En rejetant et en résistant aux ordres venus d’ailleurs, il s’est conformé au maxime célèbre suivant : << Tu m’as nommé, je t’en remercie, mais je ne te connais point >>

Ce conseil s’est démarqué des pratiques des cours constitutionnelles de certains pays africains où le droit est utilisé pour servir les intérêts d’une classe, avec des décisions politiques présentées comme techniques.

Une autre leçon qui mérite d’être évoquée, est la force des idéaux par rapport aux personnes qui les défendent. Ayant constaté que tout est mis en œuvre pour l’empêcher d’aller aux élections, Monsieur Ousmane SONKO a estimé que sa personne compte peu à côté des idéaux de son parti. Aussi n’a-t-il pas hésité à présenter une candidature de substitution en la personne de son camarade de lutte.

 Par cet acte il a montré qu’il n’est pas seul à épouser l’idéologie du parti et que mille autres militants sont en mesure de le faire ; il n’est donc pas indispensable ni pour le parti, ni pour le peuple. C’est une preuve d’humilité et la démonstration de la priorité qui doit être accordée à l’intérêt général. Et comme l’humilité précède la gloire, le choix de Faye a été glorieux.

Cette analyse permet de confirmer les faits historiques du passé et l’idée que la mise en prison d’un opposant revient à lui faire une publicité gratuite. De la maison d’arrêt, il peut se retrouver au palais présidentiel, la détention l’ayant rendu populaire. C’est le cas de Nelson Mandela hier, celui de Bassirou Diomaye FAYE aujourd’hui.

Cette crise sénégalaise fait état d’un autre enseignement très important : l’armée sénégalaise a confirmé une fois encore son caractère réellement républicain. Ailleurs la tension politique provoquée par le report des élections, était largement suffisante pour que les forces de défense et de sécurité remettent en cause l’ordre constitutionnel.

 Au Sénégal, elles sont restées à la caserne, en laissant la classe politique gérer ses contradictions internes. Toutefois le zèle des forces armées consistant à faire des morts parmi les protestateurs sous prétexte de maintien de l’ordre public, est condamnable et ne doit pas se répéter à l’avenir.

On ne cessera pas d’admirer les forces politiques et le conseil constitutionnel qui ont su éviter à leur pays un chaos, grâce à leur amour du pays, leur patriotisme et la protection de l’intérêt général.

En décidant du report inopiné des élections, le président Macky SALL n’avait certainement pas prévu la réaction énergiquement hostile du peuple sénégalais. Il s’est finalement retrouvé en difficultés, dans l’embarras, et c’est la décision courageuse et hautement technique du conseil constitutionnel qui l’a sorti du bourbier dans lequel il s’est mis. Cette décision était pour lui une bouffée d’oxygène, raison pour laquelle il s’y est docilement soumis, en dépit de son pouvoir qu’il croyait incontestable.

Le pouvoir est à la fois bon et dangereux. Il est bon lorsque ses détenteurs la gèrent sous le parapluie de la crainte de Dieu. Il est dangereux dans le cas contraire. Quand on n’y prend pas garde, le pouvoir peut saouler, aveugler et faire croire à ses détenteurs qu’ils sont comme Dieu sur terre, et peuvent tout se permettre. Ils se comportent alors comme s’ils sont plus forts, plus intelligents, plus malins que tous les autres citoyens.

Or, comme l’a si bien souligné le pasteur Marcello TUNASI << le plus fort, ce n’est pas l’homme qui se venge, ce n’est pas l’homme qui met un autre en prison. C’est l’homme qui a toute la force et toute la capacité de nuire, de détruire, de rendre le mal pour le mal, mais qui dit : je ne le ferai pas >>.

Caractère du pouvoir, la transparence des élections et appréciation

Ceci est d’autant plus vrai que le pouvoir est éphémère, précaire et révocable comme l’est aussi l’homme sur terre. On a beau tout avoir dans cette vie, on n’apporte rien dans l’au-delà. Il faut alors combattre l’orgueil, faire le bien à autrui, éviter l’esprit vindicatif et cultiver plutôt l’esprit du pardon, du partage et l’amour du prochain.

En effet, qui pouvait savoir au moment où le président Macky ordonnait la radiation de Ousmane Sonko de la fonction publique à cause de son activisme politique, que quelques années plus tard, son parti le PASTEF sera au pouvoir et que SALL lui passera les charges de l’Etat. Voilà pourquoi au moment où on se croit fort, il faut penser à l’après-pouvoir, à ce que pourraient vous faire vos successeurs et votre peuple.

Le cas du Sénégal est plein de leçons que nous n’avons pas pu évoquer de façon exhaustive. Mais soulignons tout de même un fait remarquable, à savoir que la ferme détermination à mettre fin à l’ancien régime et la vigilance du peuple sénégalais et de son conseil constitutionnel, ont permis d’assister aux élections libres, transparentes, équitables, ce qui a révélé la vérité des urnes.

 Cette vérité, c’est la victoire éclatante de l’opposant que les brimades, les actes de violence du pouvoir, ont fini par en faire un héros d’où son élection au premier tour avec un grand écart de score entre lui et son second.

L’Afrique doit en tirer profit pour abandonner l’ancienne politique où les forts taux de croissance économique, bien qu’ils soient le signe d’une bonne gestion, n’ont pourtant pas d’impact sur le panier de la ménagère. Or le développement doit servir l’homme et le mettre au centre de tout.

Sur le plan du développement infrastructurel et autres nombreuses réalisations, le président Macky SALL a beaucoup travaillé. Mais les points inscrits à son actif, ont été obscurcis, voire ternis par les actions gouvernementales négatives tels que la violation des droits de l’homme, l’instrumentalisation de la justice, les tueries au cours des manifestations populaires, l’injustice, l’emprisonnement et l’exil des acteurs politiques, la vie chère et le peu d’attention accordée au social.

On peut toutefois se féliciter de son flair politique l’ayant conduit à détendre l’ambiance tendue par une loi d’amnistie en faveur des détenus politiques, ce qui a permis d’avoir depuis le 29 Mars, date de proclamation officielle des résultats des élections, un ancien détenu comme Président de la République. Cet acte de haute portée politique, est une force, non pas une faiblesse et son initiateur l’ancien président en profitera à court ou moyen terme, car un bienfait n’est jamais perdu.

L’Afrique se réveille et bouge, le mouvement qu’elle a enclenché se veut irréversible. L’exemple du Sénégal qui consacre le triomphe de la démocratie, devient un cas d’école depuis qu’à la campagne électorale jusqu’à l’élection du nouveau président, on entend des concepts forts comme l’affirmation de la souveraineté, la lutte contre la corruption, la refondation, pas de rupture, mais un réajustement de tout. Bonne chance à la nouvelle équipe dirigeante, avec le souhait qu’il faille éviter le bicéphalisme au sommet et procéder à une bonne répartition des responsabilités. L’essentiel est, qu’aucun effort ne soit ménagé pour que l’équipe dirigeante essentiellement composée de Jeunes, soit à la hauteur des attentes des électeurs.

Jean-Pierre EDON, Ambassadeur

Spécialiste des questions internationales.

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