Editorial: La mémoire et l’oubli

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A partir des années 1830, les Britanniques et les Français ont imposé à la Chine des guerres violentes. C’étaient les guerres dites de l’opium, un conflit né de la volonté des Occidentaux d’ouvrir coûte que coûte le marché chinois à leurs produits. Et pour le faire, ils n’ont rien trouvé d’autre à faire que de  déverser des tonnes de drogue, notamment de l’opium, dans le pays. Le but avoué était d’abêtir la population chinoise avec la consommation massive d’opium pour conquérir le pays et exploiter ses richesses. L’empereur de Chine s’y oppose et la guerre se déclenche. La Chine perd et est obligée de s’ouvrir aux influences étrangères. Des églises s’ouvrent dans le pays, au grand mécontentement des nationalistes. En 1900, des révoltes populaires ont lieu pour chasser les étrangers de Chine. C’est la guerre des Boxers. Elles débouchent sur le massacre de 30.000 chrétiens chinois. Plus jamais les autorités chinoises n’auront de relations stables avec le Vatican.  Et jusqu’aujourd’hui, le simple fait pour le pape (y compris le pape François) de survoler le ciel chinois lors de ses voyages dans d’autres pays, est considéré comme un événement.

Autre chose. En 1945, le monde entier découvre abasourdi les horreurs de l’Allemagne nazie contre les juifs. Après six ans de guerre, l’Allemagne nazie a éliminé principalement dans ses chambres à gaz, environ six millions de juifs. Depuis lors, les peuples juifs à qui un lopin de terre nommé Israël a été concédé, ont conservé jalousement la mémoire douloureuse de cet épisode traumatique. Il n’arriverait jamais à l’idée de qui que ce soit en Israël de demander l’oubli de l’holocauste.

A partir du XVIème siècle et jusqu’au XIXème siècle, l’Afrique a été victime de la pire tragédie de l’histoire humaine. Des dizaines de millions de Noirs sont déportés de force vers l’Amérique. A la fin de la tragédie, on s’est mis à réécrire l’histoire en jouant sur les mots. A la place des rapts ou des déportations forcées, on a écrit dans tous les livres d’histoire qu’il s’agit de traite, c’est-à-dire de commerce. Et pourtant, on sait par exemple que les navires négriers étaient des navires de guerre. Le premier navire négrier britannique, dénommé le « Liverpool Merchant », était un navire de guerre. Et jusqu’aujourd’hui, si vous allez au fort portugais de Ouidah où les Noirs étaient parqués avant leur départ pour les Amériques, vous verrez que c’est un ouvrage fortifié entouré de canons.  Et pourtant, on disait que nos ancêtres ont vendu leurs enfants, leurs cousins, leurs neveux. Qu’ils étaient tellement méchants qu’ils ont vendu les leurs pour des miroirs ou des perles. Les ancêtres des Africains sont les seuls de toute l’histoire humaine à être des démons. Pendant près de quatre siècles.

Et donc il y a un mois, Patrice Talon est allé inaugurer une œuvre d’art installée au Conseil économique, social et environnemental (CESE) de France. « Pour nous le passé est loin » disait-il devant son auditoire séduit avant d’ajouter que les relations franco-béninoises « ne sont pas polluées par les affres de l’histoire à cause des compétitions entre les communautés humaines. Que ce qui a pu se passer il y a 200 ans, 100 ans ou 60 ans, que tout cela est bien derrière nous parce que nous voulons qu’il soit derrière nous, et qu’il n’est pas utile de se cramponner au passé pour polluer les relations actuelles qui sont indispensables au développement communautaire. » A l’époque, j’avais trouvé qu’il est bien difficile de diriger un pays victime à la fois de l’esclavage et de la colonisation. Parce qu’il prenait là la responsabilité de banaliser un crime contre l’humanité reconnu comme tel même en France à travers la loi Taubira votée en mai 2001. Même les Français n’en demandaient pas tant.

Mais voilà que la semaine passée, il tient presque le même discours, cette fois en Martinique même, devant les victimes directes de ce crime et principalement dans la résidence même de l’un des bourreaux d’hier, à la Fondation Clément. Arguant de sa volonté, en tant que responsable « de construire quelque chose » malgré les douleurs du passé, il a minimisé les cris et pleurs des associations antillaises demandant un peu de respect pour la mémoire de leurs aïeux. Je me demande si Benyamin Netanyahou peut oser un jour tenir de tels propos sur l’un des sites de la Shoah, par exemple à Birkenau où des milliers de juifs ont été gazés. Tout le monde, sauf lui. Et surtout pas là. C’est à lui de veiller à notre identité et à notre histoire. Mais on voit bien qui les galvaude selon les besoins du business.

Par Olivier ALLOCHEME

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