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Le triomphe de la vérité

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Diagnostic d’un mal qui ronge le système démocratique béninois: Un ambassadeur fait des révélations sur le rôle de l’argent dans la présidentielle 2016


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Jean Pierre EDONLes dernières élections présidentielles se sont déroulées dans une ambiance paisible. Aucune contestation des résultats n’a été notée. Le candidat malheureux a été le premier à reconnaitre son échec et a félicité son concurrent dont il reconnait la victoire. Le peuple béninois a confirmé une fois encore son aspiration à la paix, à la concorde, à la tolérance et son désir manifeste de contribuer à l’enracinement de la démocratie.
Toutefois, une fausse note a été enregistrée et mérite d’être analysée et corrigée dans les meilleurs délais si l’on ne veut pas obstruer l’avenir du processus démocratique en cours depuis plus de 20 ans. Il s’agit de l’introduction de l’argent dans la politique.
A travers les lignes qui suivent, nous verrons très brièvement les manifestations de ce mal, le danger qu’il constitue et les recommandations nécessaires pour un avenir meilleur.
L’introduction de l’argent dans la politique et le système électoral remontent à l’avènement du renouveau démocratique marqué par les élections présidentielles de 1991. Avec l’euphorie née de la fin du régime révolutionnaire, il est apparu une nouvelle classe d’hommes politiques désireux de défendre à leur manière la démocratie. Certains d’entre eux n’hésitaient pas à dire qu’ils feront la campagne à l’américaine. Or l’Amérique ne connaît pas l’achat des consciences dans le processus électoral. C’est alors qu’est apparue une nouvelle pratique jamais connue auparavant , consistant à distribuer des cadeaux de toutes sortes aux populations en vue d’avoir leurs voix aux élections. Abusant de l’honnêteté et du sérieux des électeurs qui se croient moralement obligés de voter pour un candidat généreux qui leur a fait des cadeaux en espèces et en natures, les hommes politiques ont progressivement renforcé le système. Ainsi, d’une élection à une autre depuis 1991, cet achat des consciences a beaucoup évolué au point d’atteindre en 2016 un niveau inquiétant jamais connu dans l’histoire politique de notre pays.
En général, le budget de la campagne électorale d’un candidat comprend l’ensemble des dépenses nécessaires pour l’organisation des meetings, les déplacements du candidat vers les électeurs, les dispositions matérielles et logistiques ainsi que celles des communications etc….
En réalité, il y a beaucoup d’autres actions cachées et illégales  à caractère financier auxquelles se livrent les candidats et leurs supporters pendant la campagne. Dénonçant cet état de chose, le feu Président Mathieu KEREKOU déclarait au cours d’une réunion il y a environ 12 ans que pour être candidat aux élections présidentielles au Bénin, il faut disposer d’au moins un (01) milliard de francs cfa. A l’époque ce montant paraissait exorbitant. Aujourd’hui il a augmenté de manière exponentielle au point d’atteindre un chiffre faramineux qui dépasse l’entendement dans un pays pauvre aux moyens limités comme le Bénin.
Le rapport budgétaire que les acteurs concernés envoient à la cour suprême ne reflète pas la vérité des faits. Les non-dits qui n’apparaissent pas dans ces rapports sont en termes monétaires plus importants que les dépenses légalement déclarées.
En effet, la grande générosité subite des candidats consiste à distribuer des billets de banques aux électeurs, des tonnes de sacs de riz et d’huile, des tonnes de ciments et paquets de tôles etc… Les leaders d’opinion des communes, des arrondissements et quartiers des villes et villages, les chefs coutumiers et les têtes couronnées sont particulièrement bien traités. Ils reçoivent non seulement des cadeaux en nature, mais aussi en espèces sonnantes qui s’élèvent à des dizaines de millions de francs CFA. On a même assisté à la distribution des dizaines de véhicules à 2 et 4 roues à certaines personnalités locales. C’est même devenu une concurrence en ce sens qu’un candidat qui passe dans une localité après un autre, essaie de doubler, voire tripler la mise du premier.
Selon certains analystes de la vie politique de notre pays, la masse monétaire qui a circulé pendant les dernières élections présidentielles de mars 2016, toutes tendances confondues, est estimée à une centaine de milliards (100 milliards) de francs CFA. Ce phénomène a particulièrement pris une allure grave au cours de cette année.
Condamnant cette situation préoccupante qui, a moyen terme risque de détruire la démocratie chèrement acquise, le Président de la République, Monsieur Patrice TALON déclarait dans son discours d’investiture le 6 avril 2016 à Porto-Novo ce qui suit : « il n’est pas alors sans intérêt de s’inquiéter du rôle de l’argent dans la compétition politique et le vote des électeurs. Il nous faut de toute urgence prendre la mesure du péril collectif auquel nous sommes exposés. En termes clairs, si l’Etat démocratique que nous aspirons à construire passe par des élections libres et transparentes tenues à bonne échéance, le vote du citoyen en tant que moyen d’expression de son adhésion à l’idée démocratique doit être débarrassé de toute considération financière ou rétributive. Ici et maintenant, j’appelle à votre conscience citoyenne et davantage de civisme pour faire cesser le règne de l’argent en politique ».
Le Chef de l’Etat a bien perçu le péril collectif auquel nous conduit ce phénomène. C’est à juste titre qu’en tant que premier magistrat du pays, il lance un appel à son peuple pour que le règne de l’argent cesse dans la politique. Notre souhait le plus ardent est que cet appel soit entendu et que les comportements changent à l’avenir car les implications et interprétations de cette situation sont graves et nombreuses. A titre d’illustration, nous tenterons d’en énumérer ici quelques unes.

• L’achat des consciences
Cette pratique n’est rien d’autres que l’achat des consciences de nos populations à qui on miroite l’argent pour avoir leur soutien. Par ce faire, on exploite l’analphabétisme des millions de béninois qui ne savent pas étudier les projets de société. A la limite, on se moque des intéressés qu’on prétend attirer par le gain facile. Cela démontre aussi l’incapacité des uns et des autres à convaincre les électeurs du bien fondé du projet de société. Le recours à l’argent devient alors un raccourci pour atteindre sans peine le but visé.

• L’altération de la démocratie
Cet état de chose déplorable change le caractère de la démocratie qui devient prisonnière de la générosité suspecte et passagère des acteurs politiques. On cherche à avoir la majorité des électeurs non pas, par la qualité du projet de société et des idéaux défendus, mais par le jeu de l’argent, sachant que beaucoup de gens sans conviction ni vision, en sont sensibles. Tout se passe comme si l’argent est un pilier important de la démocratie qui n’est plus alors populaire, mais plutôt ploutocrate.
En d’autres termes, la démocratie devient l’affaire des riches, les pauvres, plus nombreux, en sont exclus. Ce n’est plus les idées qui comptent mais plutôt l’espèce sonnante. Au début de la dernière campagne électorale pour les présidentielles, un candidat s’est retiré de la course pour protester contre le fait que dans notre pays la démocratie d’idées n’est plus à l’ordre du jour, mais plutôt la démocratie d’argent. Je soutiens sa position mais il faut faire davantage pour lutter contre le mal.

• L’apologie de la corruption
La manière dont l’argent est utilisé durant les consultations démocratiques est une forme de corruption alors que tous les candidats s’engagent à lutter contre ce mal qui occupe une place privilégiée dans leurs programmes. Il y a là une contradiction incroyable entre les déclarations et les faits. Or une véritable lutte  contre ce mal endémique serait de prêcher par l’exemple.
L’autre a raison alors de prôner la nouvelle conscience qui doit être désormais l’affaire de tous les béninois car la morale a déserté le forum.
Les organisations de lutte contre la corruption sont ici interpelées et doivent réagir en conséquence. Elles doivent aussi s’intéresser à la corruption que constitue le soutien négocié à coup d’argent (des millions, voire des milliards de francs CFA) d’un ou plusieurs partis à un parti demandeur, avant et après le premier tour.

• Exploitation malheureuse de l’analphabétisme
Sachant que la majorité de nos populations, pour être analphabète, ne peut lire et comprendre les projets de société, on achète ainsi leur détermination orientée. Il s’agit d’une exploitation de leur situation de ne savoir ni lire,  ni écrire.

• La qualité des projets de société
Tout se passe comme si les projets de société sont moins importants que la générosité subite des acteurs politiques. Devant l’argent, la qualité de ce document perd son sens. Car en définitive, beaucoup d’électeurs votent pour celui de qui, ils ont reçu des enveloppes, mais pas pour le pauvre sans moyen mais qui a une bonne vision du développement du pays.

• La dévaluation des partis politiques
Ce phénomène que le chef de l’Etat qualifie à juste titre de péril collectif a entraîné la perte de valeurs des partis politiques. L’argent transplante les formations politiques pour la conquête du pouvoir alors que la constitution leur reconnait le rôle d’animateurs de la vie politique.
Aussi, avons-nous assisté impuissant et avec désolation à la chute de vieilles  et grandes formations politiques qui ont été incapables de présenter un candidat aux élections. La force de l’argent les a amenées à poser des actes incompatibles avec leur idéologie et contraires aux idéaux qu’elles ont toujours défendus avec courage et admiration. Face à cet échec des partis politiques du fait de leur incapacité à résister à l’argent, on ne sait plus à quel saint se vouer. A l’avenir, il y a lieu de rétablir les partis dans leur rôle véritable car il est à l’avant-garde des forces politiques et sociales. Le parti est le creuset de détection des leaders et autres dirigeants politiques.
Tout groupe d’hommes qui s’organisent pour défendre ses intérêts est une force sociale. Plus, l’organisation est affinée, mieux, elle devient une réalité. On distingue les forces sociales par leurs objectifs qui peuvent être économiques, sociales ou politiques. De ces forces, seul le politique est universel car il vise tous les objectifs (économique, culturel, social etc…). Il s’en suit que le moyen le plus sûr pour atteindre l’universalité des objectifs, est le pouvoir politique.
Aucune société ne peut évoluer sans les forces politiques ; c’est de leur lutte que se dégagent les orientations voulues dans ladite société.
Voilà pourquoi dans les grandes démocraties, le parti est un passage obligé pour accéder au pouvoir. En France, depuis des lustres, il y a les partis de gauche, du centre et de la droite. Aux Etats-Unis deux partis dominants s’alternent au pouvoir : les Démocrates qui se veulent progressistes et les Républicains qui sont de la droite.
• Le faux message que l’argent peut tout faire
On a tendance à croire avec tout ce qui s’est passé que l’argent peut tout faire. En réalité, il ne fait pas tout et ne peut pas tout faire. Il est un moyen nécessaire mais non suffisant. Si il l’était, depuis le renouveau démocratique, certains hommes politiques très influents et aisés de chez nous auraient déjà exercé une ou deux fois les fonctions présidentielles. Une chose est certaine : l’argent n’est pas une condition sine qua non pour accéder au pouvoir. Si c’en était une, Monsieur da Silva LULA ne serait pas élu en son temps Président du Brésil. En effet, Monsieur LULA et son groupe n’étaient pas des nantis. Il était un pauvre ouvrier, un syndicaliste, le porte parole des ouvriers et des habitants des favelas (bidonvilles). Il doit son élection à la priorité qu’il a accordée, dans son programme de gouvernement, à la lutte contre la pauvreté et l’amélioration des conditions de vie et de travail des millions de Brésiliens.
Je reste convaincu que c’est Dieu qui fait le roi et non l’argent. Tant que cette vérité ne sera pas prise en compte pour nous corriger, on commettrait toujours des erreurs. Et quelle leçon donne-t-on à la jeunesse par cette pratique ? Or l’un des problèmes de notre pays aujourd’hui, c’est la perte des valeurs morales qui font d’un homme, un être intègre et honnête. Si l’on fait miroiter à la jeunesse qui ploie déjà sous le poids du chômage, les chemins courts pour s’enrichir sans effort, quel avenir prépare-t-on alors à notre pays ?
A cause des moyens financiers, on assiste à des changements d’alliances en sacrifiant les idéaux qu’on défendait. Mieux, des citoyens, pour avoir été bénis en gagnant un peu d’argent, se déclarent subitement politiciens, alors qu’ils n’en ont ni la formation, ni l’expérience, ni aucune aptitude. On croit à tort que les moyens financiers suffisent pour faire d’un citoyen un homme politique. Pour enrayer ce fléau, des réflexions et  contributions de tout le monde s’avèrent nécessaires.
Pour ma part, je pense que des dispositions non exhaustives ci-après  peuvent être prises :
1. Moderniser et vulgariser le code électoral en faisant ressortir les dispositions qui dénoncent et interdisent l’achat des consciences
2. Contribuer au renforcement et à la réorganisation des partis politiques qui bénéficieront du financement de l’Etat. Dans cet ordre d’idées, s’inscrit la nécessité de revoir les conditions de création d’un parti en vue d’en limiter le nombre, et leur conférer un caractère national.
Il est peut-être temps de repenser l’architecture et le rôle des partis politiques chez nous. Pourquoi n’encadrerons-nous pas par des dispositions constitutionnelles les partis, leur architecture et leur évolution ? Dans ce cadre on pourrait définir trois (3) courants : Gauche, Droite, Centre. On gagnerait aussi à préciser la manière d’accéder au pouvoir. C’est aussi le moment de définir la société dite civile et la société politique ainsi que leur rôle car chez nous la société civile a montré ses limites. L’émiettement des partis politiques qui dans la plupart des cas sont claniques, familiaux et régionaux favorise la situation que nous déplorons. Aussi, la majorité gouvernementale s’obtient-elle à travers des combines et arrangements inimaginables, ce qui explique plus tard sa fragilité.
3. Procéder à la formation politique des militants des partis pour qu’ils ne se laissent plus influencer par l’argent qui circule pendant la période électorale et qui ne résout aucun de leurs problèmes. Il faudra habituer les militants à cotiser pour le financement des activités du parti.
4. Mettre l’accent sur le programme du parti qui en général prône des solutions durables aux préoccupations des populations.
5. Envisager des mécanismes permettant de suivre sur le terrain les dépenses officieuses des candidats et faire appliquer les sanctions prévues par la loi.
6. Sensibiliser par la cour constitutionnelle et la CENA, les candidats sur l’interdiction de l’achat des consciences.
7. Equiper les départements d’une police discrète chargée du suivi sur le terrain de cette question pendant la période électorale etc….
En réalité, les mesures ci-dessus énumérées, comme tant d’autres qu’on peut encore envisager, ne suffisent pas pour enrayer le mal. La meilleure solution serait une prise de conscience générale du fléau et une décision libre et collective d’y mettre fin. Ne pas le faire, c’est précipiter notre démocratie vers l’abîme.
Fait à Cotonou, le 20 mai 2016
Jean-Pierre EDON
Ambassadeur

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