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Le triomphe de la vérité

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ACCORDS DE PARTENARIAT ÉCONOMIQUE: L’économiste Homégnon Noukpo tire la sonnette d’alarme


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Les Accords de Partenariat Économique entre les pays d’Afrique Caraïbes et Pacifique et l’Union Européenne: quels repères fondamentaux et quelles perspectives économiques pour les pays de la CEDEAO?

« Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple car un peuple sans histoire est un monde sans âme », répète souvent Alain FOKA sur Radio France Internationale (RFI). La signature des Accords de Partenariat Economique (APE) a été discutée lors du 7e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement ACP précédé de la 96e session du Conseil des Ministres à Malabo en Guinée équatoriale. Il est également prévu une autre réunion des Ministres en mai 2013 concernant toujours la même signature. Mais quels sont les soubassements et les implications économiques des APE sur les pays de la CEDEAO ayant un tissu industriel fragile comme le Bénin ?

La référence à l’histoire pourrait permettre de mieux appréhender les origines et les soubassements des Accords de Partenariat Économique (APE) qui sont plutôt de nature à plomber et à déprimer les économies ouest africaines déjà fragiles. En effet, les APE plongent leurs racines dans les accords commerciaux sous l’égide des coopérations ACP-UE. Les ACP-UE sont caractérisés par quatre (4) étapes. Il s’agit des accords de Yaoundé, de Lomé, de Cotonou et enfin les Accords de Partenariat Economiques (APE). Le présent article aborde le sujet d’un point de vue purement technique et objectif. Il s’agit donc d’un dossier qui a valeur d’information économique et peut-être, un outil d’aide de prise de décision. Ce dossier est élaboré par Monsieur Noukpo HOMEGNON, Chercheur Economiste et Enseignant. L’auteur demeure seul responsable des opinions émises dans ce dossier malgré son profil professionnel.

 

Objectifs des accords commerciaux ACP-UE de Yaoundé

Les conventions de Yaoundé sont négociées dans la mouvance de la décolonisation. Les objectifs assignés à ces conventions étaient de privilégier et de sauvegarder les relations commerciales que les puissances occidentales entretenaient avec leurs anciennes colonies qui aspirent à l’indépendance. Avec les Conventions de Yaoundé, les puissances occidentales visaient également à sécuriser les approvisionnements en matières premières des colonies vers l’Europe ainsi qu’à assurer la protection et la sauvegarde des débouchés que constituaient les anciennes colonies (Blein R. (2006)). Toutefois, après plus d’une décennie, de nouvelles donnes apparaissent sur l’échiquier international comme l’infiltration idéologique du   socialisme  sous l’influence de l’URSS. Il a été décidé de renforcer et de sécuriser davantage cet espace par sa redynamisation sous la houlette des Accords de Lomé.

 

Objectifs des accords commerciaux ACP-UE de Lomé

Les conventions de Lomé sont négociées à partir de 1975. Elles organisent et structurent la coopération entre l’Union Européenne (UE) et les soixante dix-sept (77) pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Les Conventions de Lomé ont imprimé la volonté de bâtir un nouvel ordre économique international. Du point de vue commercial, l’accent a été mis sur les concessions commerciales que l’UE entend accorder aux pays ACP.

Cependant, l’application des Accords de Lomé bute sur deux écueils avec la montée en puissance des autres pays concurrents non ACP sur le marché de l’UE. Il s’agit de l’érosion des préférences commerciales qui étaient accordées exclusivement aux produits originaires des ACP et de l’incompatibilité de ces accords avec la « clause de la Nation la plus favorisée » de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Avec cette clause en effet, l’UE s’est vue contrainte de faciliter l’accès sur son marché à tous les autres pays concurrents. Cette facilitation a pour corollaire d’augmenter l’érosion des préférences accordées aux produits originaires des ACP.

Les accords de Lomé ne respectaient donc pas les règles de l’OMC. Il fallait alors demander une dérogation auprès de l’OMC. Or suivant l’article 24  des statuts de l’OMC, la dérogation de concéder des préférences à un pays ou une région sans l’étendre aux autres pays ou régions, ne peut être obtenue que sous deux conditions: (i) le pays bénéficiaire de la concession est un pays moins avancé (PMA); (ii) la concession est réciproque et s’inscrit dans un accord de libre échange. Aucune de ces conditions de dérogation n’était remplie avec certains pays ACP. Il faut alors entreprendre des réformes s’inscrivant dans cette dynamique grâce aux Accords de Cotonou.

 

Objectifs des accords commerciaux ACP-UE de Cotonou

Les accords de Cotonou sont signés le 23 juin 2000 entre 77 pays de l’Afrique, du Caraïbes et du Pacifique (ACP) et 15 Etats membres de l’Union Européenne (UE) d’alors. Ces accords de Cotonou succèdent aux différentes Conventions de Lomé qui avaient établi, durant 25 ans, un régime commercial « non-réciproque» entre l’UE et les pays ACP. L’objectif de l’Accord de Cotonou, conformément à son article 34, est de: « Promouvoir et accélérer le développement économique, culturel et social des États ACP, contribuer à la paix et à la sécurité et promouvoir un environnement politique stable et démocratique; le Partenariat est centré sur l’objectif de réduction et à terme d’éradication de la pauvreté, en cohérence avec les objectifs du développement durable et d’une intégration progressive des pays ACP dans l’économie mondiale » (Blein R. (2006)). La différence entre les Accords de Lomé et ceux de Cotonou réside dans les aspects du commerce. Ainsi, les accords de Cotonou doivent jeter les bases des réformes compatibles avec les règles de l’OMC. En effet, la configuration des ACP commande de les scinder en deux catégories : les PMA (Bénin, Niger, etc.) et les pays en développement qui ne sont pas des PMA comme la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria (Blein R. (2006)).

Ce sont alors ces trois pays qui constituent des obstacles à la mise en œuvre des préférences commerciales, eu égard aux règles de l’OMC. Il fallait trouver une issue. L’option retenue était de négocier des Accords de Partenariat Economique (APE) dont l’objectif est de créer à terme, une zone de libre échange entre chaque sous-région ACP et l’Union Européenne.

 

Objectifs des Accords de Partenariat Économique

L’objectif visé par les Accords de Partenariat Economique (APE) est la création d’une zone de libre échange. Cette zone de libre échange va permettre (i) un accès plus facile des produits agricoles des pays de l’UEMOA sur le marché de l’UE et (ii), la création d’une union douanière pour la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La création de cette ceinture douanière autour des pays de la CEDEAO va, théoriquement, faire progresser la dynamique de l’intégration et de l’harmonisation des politiques des pays membres afin d’éviter des distorsions.

Les pays ACP sont engagés dans la préparation et la négociation de l’Accord de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne. Cet Accord est le volet commercial de l’Accord de Cotonou. Les négociations, par régions, en vue de la concrétisation de cet Accord ont démarré en 2002. La feuille de route de la région Afrique de l’Ouest a été adoptée en août 2004. Les négociations devraient être finalisées en 2007 et le 1er janvier 2008 devrait, en principe, voir son entrée en vigueur jusqu’en 2020, soit pour une période de douze ans.

En effet, la mise en application des APE permettrait à la Côte d’Ivoire, au Ghana et au Nigeria (pays émergeants) de bénéficier des préférences commerciales « Tout sauf les armes (TSA) » à l’instar des autres PMA de l’Afrique de l’Ouest sur le marché de l’UE. Dans ce cadre, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont signé des APE intérimaires pour sauver leurs marchés avec l’UE. Bien évidement, la finalisation des APE présente quelques avantages pour les produits agricoles de l’UEMOA, mais les inconvénients en sont redoutables.

Implications économiques et politiques des Accords de partenariat économique pour les pays de la CEDEAO

La création d’une zone de libre échange entre la CEDEAO et l’UE met directement en compétition les économies des deux zones. Le gagnant de cette compétition est connu à l’avance : l’UE.

En effet, deux (2) goulots d’étranglement constituent des obstacles ou des barrières extrêmement difficiles qui pèsent en défaveur des produits originaires de la CEDEAO: (i) la question des normes des produits alimentaires pour accéder au marché de l’UE et (ii), le dépotoir que va constituer le marché de la CEDEAO. Sur le dernier obstacle, il est extrêmement important de considérer que l’UE constitue l’un des premiers marchés mondiaux. Avec la signature d’un accord de libre échange, il est beaucoup plus facile à un Européen d’importer n’importe quel produit de n’importe  quelle partie du monde et de l’orienter vers l’espace CEDEAO, considérant que ce produit ne peut pas être consommé en Europe à cause de la rigueur des normes alimentaires (codex alimentarius) et que l’espace CEDEAO n’est pas pourvu de détectives d’identification des produits alimentaires suspects, voire nuisibles pour la santé humaine !!

Mais un autre défi, plus redoutable et qui aura des conséquences plus insurmontables est la baisse drastique de recettes douanières. Cette baisse drastique de recettes fiscales aura deux (2) implications:

    i.    La première implication concerne l’impact de la réforme fiscale induite par le nécessaire basculement d’une fiscalité de porte vers une fiscalité intérieure. Cette transition fiscale doit inquiéter les entreprises du secteur formel. En effet, la fiscalité de porte est appliquée à l’ensemble des importateurs qui opèrent aussi bien dans les secteurs formel qu’informel. Mais avec le basculement, la fiscalité intérieure risque de peser lourdement sur les seules entreprises du secteur formel. Cette nouvelle donne va susciter des dérives vers les activités informelles et renforcer, voire exacerber la concurrence déloyale de l’informel vis-à-vis du formel.

  ii.    La deuxième implication de la baisse des recettes fiscales concerne la réduction drastique des ressources publiques destinées à financer les dépenses gouvernementales. Il ne serait pas inutile de souligner que ces ressources publiques des pays de l’espace CEDEAO étaient suffisamment maigres. Il faut donc craindre une déprime des ressources publiques dont les conséquences se feront lourdement ressentir sur le financement des dépenses publiques.

Mais il existe également des implications d’ordre politique. En effet, la création d’une zone de libre échange entre la CEDEAO et l’UE requiert l’harmonisation des positions commerciales à défendre. Cela nécessite la désignation d’un représentant devant défendre la position de la « zone » auprès des instances décisionnelles internationales. A l’étape actuelle des rapports de force, il n’est pas évident que ce représentant soit originaire de la CEDEAO. À terme, les pays se verront dans l’incapacité de pouvoir exprimer et défendre leurs intérêts.

Implications économiques des APE et les objectifs du gouvernement du Bénin

Au Bénin, les implications économiques des APE sont totalement en conflit avec les objectifs du gouvernement. En effet, la Conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990 a opté pour le libéralisme économique. Or dans cette optique, la dynamique des activités économiques n’est plus l’apanage du secteur public, mais plutôt du secteur privé. C’est dans cette perspective qu’il convient de comprendre les efforts du gouvernement en place qui entend multiplier les passerelles entre le secteur public et le secteur privé. Il a, entre autres, orienté le quinquennat 2012-2016 de la politique économique vers le “développement de l’entreprise et de l’initiative privée”. Il a initié une table ronde consacrée au « Dialogue secteur public/secteur privé pour la relance de l’économie au Bénin », tenue au Palais des Congrès de Cotonou du 29 au 31 octobre 2012, qui a enregistré la présence effective du Chef de l’État. C’est toujours dans cette perspective que le Ministère de l’Économie et des Finances, au travers de la Direction Générale des Affaires Économiques, organise des conférences périodiques sur des thèmes répondant aux préoccupations du secteur privé.

Mais ces efforts pourront être sapés sous peu avec la signature des Accords de Partenariat Economique qui vont entraîner des pertes :

  • des opportunités d’exportation vers les pays développés et donc, perte de revenu sur des produits agricoles à cause des agricultures subventionnées et de l’incapacité de remplir les normes de sécurité;
  • des parts de marché dues à l’érosion tributaire des pays bénéficiant des accords préférentiels qui sont annulés par la mise en application des accords de l’Uruguay sur les produits agricoles;
  • des opportunités d’exportation vers d’autres pays sous-développés à cause de l’implantation du tissu commercial subventionné des pays développés que les pays sous-développés ne peuvent nullement concurrencer ;
  •  de son propre marché intérieur à cause des importations des produits subventionnés et de l’incapacité d’ériger des barrières tarifaires et non tarifaires ;
  • drastiques de recettes fiscales destinées à financer les dépenses gouvernementales.

Au total, envisagée depuis plusieurs années, la signature des Accords de Partenariat Economique serait la fin d’un long processus initié par l’Union Européenne. Les objectifs des APE confortent l’Union Européenne dans sa domination économique de certains pays du sud ayant un tissu productif très fragile. Au Bénin, la signature des APE pourrait dangereusement saper et compromettre les objectifs du gouvernement en place. Elle peut réduire, voire hypothéquer les chances de développement des générations à venir. Prises dans l’égrenage, les autorités publiques ont souvent des marges de manœuvre assez limitées malgré leur bonne volonté car la pression et les rapports de force sont redoutables. Alors, que chacun en ce qui le concerne, milite à ce que cette signature soit repoussée le plus loin possible, aux calendes grecques ou pourquoi pas, rejetée sine die.

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