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Le triomphe de la vérité

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Analyse du retrait de trois pays sahéliens de la CEDEAO: « Cette décision est lourde de conséquences pour des pays », selon l’Ambassadeur Jean-Pierre EDON


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L’annonce du retrait du Mali, du Burkina-Faso et du Niger de la CEDEAO défraie la chronique ces derniers jours. L’ancien Ambassadeur, spécialiste des questions internationales, Jean-Pierre EDON fait une analyse des causes, conséquences et défis auxquels veulent faire face les autorités de ses trois pays. De son point de vue, le retrait de l’organisation n’est pas la bonne formule. « Cette décision est lourde de conséquences pour des pays qui, de surcroit, sont enclavés. Le retrait de la communauté entraine des difficultés, voire des souffrances pour les industriels, les paysans [produits de cru], les commerçants et les populations de ces pays, à cause des impositions douanières induites et du rétrécissement du marché pour leurs produits d’exportation par manque de compétitivité », analyse Jean-Pierre EDON. Pour le diplomate, au lieu de se retirer de la communauté, ces pays réunis au sein de l’AES, auraient tout simplement, suspendre pendant un ou deux ans, leur participation à l’organisation au titre de la manifestation de leur mécontentement dû aux sanctions.

L’Ambassadeur Jean-Pierre A EDON

LA SIGNIFICATION REELLE DU RETRAIT DE TROIS PAYS SAHELIENS DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST

L’évènement qui défraie la chronique ces derniers temps, est sans doute l’annonce du retrait de trois pays sahéliens de la CEDEAO. Comment en est-on arrivé à cet extrême en ce moment où la tendance générale est à la constitution de grands ensembles pour relever les défis du siècle ? Quelle appréciation peut-on en faire ?

Cette décision a été une surprise pour certains acteurs régionaux et internationaux. Mais pour les observateurs attentifs de la situation politique ouest-africaine, ce n’est pas surprenant, il fallait s’y attendre. De la même manière que la probable rupture des relations avec l’UEMOA ne sera pas une surprise. Cependant ses conséquences sur la vie socio-économique ne sont pas négligeables.

Quelques implications de cette décision

Un survol non exhaustif des implications de cet acte, se présente comme suit en termes de faveurs et gains communautaires que perdront désormais ces pays. Il s’agit de la perte des :

  •  Dispositions de facilitation de transit entre ces pays et les Etats côtiers
  • Avantages liés à la stabilité des coûts en ce qui concerne les escortes douanières et l’encadrement du transit    pour les marchandises qui leur sont destinées.
  •   Avantages consentis par l’assurance régionale, ce qui posera la question du traitement des camions de ces pays en circulation dans l’espace CEDEAO. L’assurance des véhicules et la carte brune de la communauté ne pourront plus se faire.
  •  Gains attachés à la taxation préférentielle dans l’espace CEDEAO des produits de cru et des produits manufacturés en provenance de ces pays sahéliens.
  • Dispenses de paiement des droits d’entrée de leurs exportations dans les pays de la communauté.
  •   Avantages découlant des projets communautaires tels que la qualité des infrastructures de transport dépendant quelque fois des projets régionaux ainsi que l’état des routes au niveau des corridors régionaux.
  •  Des coûts raisonnables et relativement bas des transferts internationaux de fonds inter-bancaires à l’occasion des commandes des marchandises.
  •  De la libre circulation des personnes, des biens et services. Mieux les ressortissants de ces pays seront privés du bénéfice du passeport qui est un document communautaire.
  • Concours de l’organisation sous différentes formes pour le rétablissement de l’ordre et de la quiétude lorsque la paix et la sécurité sont menacés.

En somme, le retrait de la communauté entraine des difficultés, voire des souffrances pour les industriels, les paysans [produits de cru], les commerçants et les populations de ces pays, à cause des impositions douanières induites et du rétrécissement du marché pour leurs produits d’exportation par manque de compétitivité.

De ce qui précède il ressort que cette décision est lourde de conséquences pour des pays qui, de surcroit, sont enclavés. Heureusement que la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer de 1982, assure le droit de transit international aux pays sans façade maritime.

En dehors de cette convention, ces pays ont désormais intérêt à conclure des accords bilatéraux avec ceux de l’espace CEDEAO dans différents domaines pour amortir l’effet des implications sur leurs économies. Un bon fonctionnement de l’Alliance des Etats du Sahel {AES} pourrait aussi contribuer à juguler un peu les difficultés, sans compenser les pertes.

A notre avis, au lieu de se retirer de la communauté, il vaudrait mieux  tout simplement suspendre pendant 1 ou 2 ans leur participation à l’organisation au titre de la manifestation de leur mécontentement dû aux sanctions. Le retrait de l’organisation n’est pas la bonne formule et il n’est pas tard de la revoir.

En effet il y a lieu de craindre que les populations aient du mal à supporter à court terme le renchérissement du prix des produits de première nécessité. Il se pose alors la question de savoir les mobiles de cette décision.

Le sens et le contexte de cet acte

En fait cette décision est une réaction, une réponse aux sanctions de l’organisation et une manière de les contourner. Cette considération amène à réfléchir sur les textes fondamentaux de l’organisation qui prévoient des sanctions en cas de la remise en cause de l’ordre constitutionnel. Mais la lettre et l’esprit des lois permet d’en faire une application raisonnable et humanitaire, ce qui n’a pas été le cas pour le Niger par exemple.

En effet, comment peut-on justifier qu’à cause d’un coup de force militaire, une organisation prenne des sanctions qui ont pour effet d’affamer des millions de citoyens qui n’ont rien à voir avec le coup d’état, de les priver de l’énergie électrique et de médicaments, de causer la mort de plusieurs personnes du fait des difficultés sociales et économiques subites.

En plus de la désapprobation des sanctions, pourtant conformes aux dispositions des textes de l’organisation, les citoyens et les Autorités desdits pays, semblent apercevoir une main invisible derrière ces mesures punitives. Ils en prennent pour preuves les propos et comportements désobligeants, arrogants, menaçants et dénués du moindre langage diplomatique de la part de certaines Autorités ouest-africaines et étrangères.

Une analyse approfondie des évènements actuels en Afrique en général, dans la région occidentale en particulier permet de se rendre compte qu’au-delà des coups d’Etat militaires, partie visible de l’iceberg, au-delà de la nécessité d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel, il y a le constat que l’Afrique est en mutation.

Telle est aussi la perception de l’ancienne ministre française, Rama Yade qui déclarait tout récemment que << l’Afrique est en transition et au travail. Les Africains sont en train d’expérimenter une nouvelle phase de leur émancipation. L’Afrique a changé >>. L’Afrique est effectivement en plein changement et c’est le sens des évènements en cours dans les trois pays du Sahel.

Leur sortie de l’organisation régionale, est une décision hautement politique qui s’apparente à une révolution sans tapage. Cela s’inscrirait dans le cadre de la remise en cause actuelle des rapports de forces dans le monde et du rejet de l’ordre international ancien. L’une de ses manifestations est l’apparition en force des BRICS, les G7 et G20 n’étant plus à même de gérer convenablement les préoccupations du monde.

Pour bien cerner la situation dans le Sahel, il faut la situer dans son contexte réel caractérisé par la volonté ferme de combattre la pauvreté, de mettre fin au terrorisme qui y sévit depuis plus de dix ans, et exercer la pleine souveraineté sur la gestion des ressources minières et pétrolifères, ainsi que sur les autres richesses du sous-sol. Il s’agit de se donner les moyens pour une véritable indépendance et favoriser la renaissance de la culture en effaçant autant que possible certaines empreintes du passé colonial.

Voilà la raison pour laquelle le changement de paradigme dans les rapports de ces pays avec les partenaires extérieurs devient une nécessité, au même titre que l’adaptation au nouveau courant qui embrasse le monde et dont les manifestations en cours un peu partout, ne sont que des épiphénomènes.

 Le sentiment patriotique qui anime les dirigeants de ces Etats sahéliens est noble, mais il invite à la vigilance car les forces hostiles de l’intérieur comme de l’extérieur opposeront une résistance. Il devient alors necessaire et opportun de prioriser la politique de bon voisinage, d’être réaliste dans les actes gouvernementaux, d’éviter des positions extrémistes, en ayant présent à l’esprit qu’aucun pays ne peut vivre dans l’autarcie et que la philanthropie n’est pas de mise dans les relations internationales. L’espoir est donc permis pour le retour de ces pays à la maison communautaire dans les années à venir.

Jean-Pierre EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales

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