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Le triomphe de la vérité

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Jean-Pierre A. EDON sur les coups d’Etat et la démocratie en Afrique: « Une autocritique et un éveil de conscience s’avèrent nécessaires »


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L’ancien Ambassadeur Jean-Pierre A. EDON, Spécialiste des questions internationales souligne ici que la menace d’intervention militaire au Niger ressemble à l’imposition d’un système politique par la force.   Pour lui, les Africains devront avoir le courage de reconnaitre leur grande part de responsabilité dans la situation de pauvreté et d’insécurité actuelle de leurs pays après plus de 60 ans d’indépendance, au lieu d’en tenir uniquement responsables les anciennes puissances coloniales.  Voici l’intégralité de son opinion.

L’Ambassadeur Jean-Pierre Edon

LES COUPS D’ETAT ET LA DEMOCRATIE EN AFRIQUE

L’évènement qui défraie la chronique ces derniers temps, reste les coups d’Etat militaires. Dans l’espace d’un mois, le monde a assisté à deux coups de force, l’un ayant suscité forte condamnation, menaces militaires et systématiquement rejeté, l’autre par contre, bien que condamné par principe, est finalement accepté, ce qui dénote l’incohérence de la communauté internationale. Il est alors opportun de se pencher brièvement sur les mobiles de ces remises en cause de l’ordre constitutionnel.

A première vue, les motifs communément évoqués sont la mauvaise gouvernance, le tripatouillage de la constitution pour s’éterniser au pouvoir quelquefois au prix du sang, l’enrichissement illicite de la classe dirigeante, la dérive autoritaire, la recherche effrénée des intérêts personnels, la situation sécuritaire préoccupante, la paupérisation continue de la population, les élections frauduleuses, l’instrumentalisation politique de la justice etc…

La concentration des pouvoirs au niveau d’une personne

Au-delà de ces facteurs, il y a un autre auquel on ne fait pas suffisamment attention et qui apparait dans les textes fondamentaux de la République que sont la constitution, le code électoral, la charte des partis politiques et certaines lois qui définissent le cadre de l’exercice du pouvoir d’Etat : il s’agit de la concentration des pouvoirs dans les mains d’une seule personne, le Président de la République, chef de l’Etat, chef du Gouvernement.

La constitution fait de lui, chef de l’exécutif, chef de la carrière des magistrats, de l’administration, des armées. Magistrat suprême de la nation, le Président contrôle par des moyens directs et indirects, l’Assemblée nationale et les autres institutions de l’Etat bien que la loi leur reconnaisse une certaine indépendance.

 Cette avalanche de pouvoirs entre les mains d’une seule personne et le culte de la personnalité subséquente, l’amènent à croire qu’il est indispensable pour le pays et se comporte comme un chef suprême incontestable, l’homme le plus éclairé de la nation qui ne se trompe jamais et peut tout se permettre.

La constitution prévoit toujours des institutions de contre-pouvoirs qui malheureusement ont fait faillite et fonctionnent comme étant sous tutelle du pouvoir exécutif. La séparation des pouvoirs, principe propre et cher à la démocratie n’est qu’un leurre.

Cette situation finit par amener les dirigeants à se comporter comme des rois. Un roi dans le passé, avait droit de vie et de mort sur ses sujets. Il pouvait priver n’importe qui de liberté sans aucune autre forme de procès, parce qu’il détient un pouvoir sans limite. Or à l’ère du processus démocratique en cours, les pouvoirs d’Etat doivent être restreints et partagés avec les organes de contre-pouvoirs.

Quelques raisons de la mal gestion de la démocratie

Ces instruments constitutionnels sont globalement conçus à l’image de ceux des grands pays démocratiques. En Afrique francophone en particulier, la plupart des lois fondamentales sont inspirées de la constitution française qui elle-même est d’inspiration royaliste. Cependant les dérives et dérapages constatés dans leur application au niveau des pays africains, ne se produisent pas en France.

En plus du déficit de la culture démocratique, l’une des raisons en est que la constitution française comme celle des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, du Portugal etc…dont s’inspirent les Etats africains, s’adaptent bien à la mentalité et à la conception de l’organisation de la société de ces communautés. Leurs lois fondamentales sont le résultat de leurs histoires et civilisations, des luttes menées pendant des décennies, des révolutions faites pour l’acquisition des droits, des libertés individuelles et collectives. Elles sont conformes à l’étape actuelle de leur développement.

En Afrique, ces documents fondamentaux importés sont quelquefois plaqués sur un terrain où les réalités et les valeurs sont différentes, un milieu encore à la recherche de solutions aux problèmes déjà résolus depuis des lustres dans les pays avancés. Or, de ces progrès connus ailleurs dans tous les domaines, découle la stabilité politique.

A l’inverse, l’instabilité politique en Afrique résulte de la faiblesse des institutions, favorisée par l’importance des pouvoirs que la constitution accorde au chef de l’exécutif. En cela, le président Obama avait vu juste lorsqu’il déclarait à Accra en 2009 que ce dont l’Afrique a besoin, ce ne sont pas des hommes forts mais des institutions fortes. L’absence des institutions fortes favorise naturellement l’apparition des hommes forts, ce qui contrarie et dénature l’esprit de la démocratie.

L’adoption libre du système démocratique

En outre la démocratie est un système de gouvernement le moins mauvais que chaque peuple peut adopter librement sans contraintes. Or la menace d’intervention militaire au Niger par exemple ainsi que l’embargo économique et social, bien que conformes aux textes de la CEDEAO, ressemble à l’imposition d’un système politique par la force.

Les sanctions intégrales et sévères prises à la hâte en violation du droit humanitaire, donnent au peuple nigérien révolté, l’impression que la démocratie est mauvaise et détestable. On aurait dû les prendre de façon graduelle tout en maintenant le dialogue, et éviter des souffrances aux populations.

Dans un pays où la sécurité est gravement menacée, du fait des actes terroristes quasi quotidiens et où l’on tue les citoyens à longueur de journée, un pays où l’exploitation depuis des décennies des énormes ressources du sous-sol n’améliore pas les conditions de vie des citoyens, comment peut-on empêcher que les populations sortent massivement pour acclamer et soutenir les militaires qui par leurs actes de force, apparaissent comme des sauveurs, malgré l’interdiction formelle de ce mode de prise du pouvoir ?

La nécessité de l’auto-critique africaine

Par ailleurs, les Africains devront avoir le courage de reconnaitre leur grande part de responsabilité dans la situation de pauvreté et d’insécurité actuelle de leurs pays après plus de 60 ans d’indépendance, au lieu d’en tenir uniquement responsables les anciennes puissances coloniales. N’est-ce pas une manière de cacher les lacunes et la faillite des dirigeants ?

Un peuple européen ou américain qui élit son président, attend de lui qu’il défende partout au monde ses intérêts. Il n’est pas élu pour préserver ceux des Africains. Le type de relations déséquilibré existant entre l’Afrique et le monde développé, quoiqu’inégal, voire injuste, est de bonne guerre ; un pays n’ayant pas d’amis, mais des intérêts.

Personne ne refuse aux dirigeants africains la défense des intérêts de leurs pays. Les accords de coopération avec des avantages disproportionnés en faveur des anciennes puissances coloniales et de leurs entreprises, sont librement signés par les représentants de nos Etats qui ne cherchent même pas à les réviser plus tard pour établir un équilibre viable.

Pourquoi certains anciens pays colonisés traitent aujourd’hui d’égal à égal avec leurs anciens maitres, sur la base des rapports mutuellement avantageux, pendant que d’autres sont à la traine en Afrique et se laissent encore exploités ? Une auto-critique et un éveil de conscience s’avèrent nécessaires. Pourquoi ne pas s’inspirer du modèle de démocratie et du développement du Botswana, pays bien dirigé qui fait dans le calme, la discipline et rigueur, des progrès économiques, sociaux louables et parvient à fixer le prix d’achat de ses matières premières, notamment les ressources minières par le système de quotation en bourses ?

Les considérations ci-dessus brièvement évoquées sont également liées aux motifs des coups de force en Afrique dont la résurgence résulte de l’échec de la classe politique dans sa manière inadéquate de gérer la démocratie et de promouvoir le développement.

Aussi peut-on affirmer sans risque de se tromper que lorsqu’il existera de véritables contre-pouvoirs, la justice indépendante et des procédures appropriées pour arrêter à temps le président de la République qui dérape en s’éloignant de la démocratie, les coups d’Etat militaires prendront fin. C’est certainement l’approche du nouvel homme fort du Gabon, le colonel Brice Clotaire Oligui N’GUEMA qui vient de qualifier son coup de force de ‘’ Libération’’ et non coup d’Etat.

Mesures à prendre à l’avenir

Les pratiques sur le terrain prouvent que les mesures prises par les organisations régionales, continentales et internationales pour formellement interdire la prise de pouvoir par la force, ne suffisent pas pour arrêter ce mouvement. Elles ne seront efficaces que lorsque des dispositions pertinentes seront en vigueur dans nos pays pour assurer une bonne gouvernance et une répartition équitable des richesses nationales sans considération des opinions politiques, en vue d’éviter l’exclusion, un mal très dangereux.

Les derniers évènements politiques en Afrique de l’Ouest et du Centre en sont des illustrations éloquentes. Toutefois aucun effort ne doit être ménagé pour éviter les coups de force à l’avenir, ce qui suppose l’élaboration des constitutions adaptées qui réduisent les énormes pouvoirs d’une seule personne en faveur du renforcement de ceux des institutions de contre-pouvoirs et des organes électoraux, dorénavant jaloux de leur autonomie et insensibles à toutes influences extérieures.

Jean-Pierre A. EDON, Ambassadeur

Spécialiste des questions internationales.

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