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Le triomphe de la vérité

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Catastrophes climatiques: Les producteurs et les éleveurs abandonnés à leur sort


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Les catastrophes naturelles touchent surtout les producteurs et les éleveurs. Mais aucun mécanisme n’existe pour les soulager, surtout lorsqu’ils ont pris des crédits. Zoom sur un drame silencieux.

Roland Ahouanmènou au milieu des eaux ayant inondé ses étangs à poissons l’année dernière

« Cette inondation qui a eu lieu il y a un an, je continue de rembourser ses dettes jusqu’à présent. » Roland Ahouanmènou n’a pas encore fini de panser les blessures de l’année dernière. En juillet 2022, à Akpadon, village de l’arrondissement d’Avagbodji dans la commune des Aguégués, sa ferme a été victime d’une inondation qui a tout ravagé. « En ce moment, se souvient-il, mes étangs à poisson étaient encore fonctionnels et j’avais voulu vendre les poissons, mais je n’arrivais pas encore à trouver de clients quand de fortes pluies ont tout emporté. C’est dans ces conditions que mon poulailler a été inondé. J’ai dû vendre les poulets à vil prix pour rembourser mes dettes. En fait, j’ai dû brader mes biens à vil prix. » Comme lui, la plupart des producteurs agricoles et des éleveurs d’Avagbodji ont été affectés par ces inondations inattendues. C’est le cas de Koudénoukpo Soumaïla, producteur dans le village de Djèkpé, toujours  dans l’arrondissement d’Avagbodji. Producteur entre autres de piment et de gombo, une bonne partie de ses champs ont été emportés par les eaux. « J’ai aussi perdu cinq bœufs », ajoute-t-il. « Le nombre de poissons que les inondations ont emporté est incomptable, se plaint Roland Ahouanmènou. Il en est de même pour mes porcs, mes moutons et mes bœufs. Ne parlons même pas des poules »   Le maire de la commune, Marc Gandonou, décrivait alors la situation en des termes pathétiques. « Les producteurs des Aguégués, notamment dans l’arrondissement d’Avagbodji ont perdu des centaines d’hectares, à cause des premières pluies qui se sont abattues sur la commune, dit-il. C’est d’énormes pertes et dégâts, des champs de maïs que les populations ont vu partir. C’est des gens qui emblavent de très grandes superficies, non pas avec leurs propres moyens, mais avec des crédits, des crédits que nous les aidons à prendre dans les structures de microfinance. » La commune des Aguégués, située à 52km environ de Cotonou, est une commune partiellement lacustre. Commune riveraine du fleuve Ouémé, elle se situe dans la basse vallée de ce fleuve et constitue ainsi une poche de vulnérabilité, surtout avec les changements climatiques. « Si vous voulez voir les affres des changements climatiques venez aux Aguégués », indique le maire. Mais il n’y a pas que cette commune qui soit touchée par les effets financiers des désastres climatiques sur les producteurs ayant pris des crédits dans les institutions financières.

Le surendettement au rendez-vous

Lors des inondations ayant touché Ourbona dans la commune de Natitingou en Août 2022, plusieurs plantations ont subi des ravages.   Les cultures maraichères ont été ravagées par les eaux, entrainant des impayés pour les producteurs concernés. « Les formes de crédits proposées ne sont souvent pas adaptées aux activités agricoles, analyse Souhaibou Yacoubou Ibrahima, un technicien agricole en fonction dans la commune. Le remboursement mensuel entraîne parfois le bradage des produits, vu la pression que le producteur reçoit. De plus, la limitation de la période à moins d’un an stresse le producteur qui n’arrive plus à mieux se planifier sur le long terme ».   Ici, plusieurs producteurs touchés ont dû faire d’autres crédits pour satisfaire les échéances des institutions financières. « Moi qui avais eu jusqu’à trois millions de crédit l’année dernière, c’est difficilement qu’on m’a prêté 1million 200.000 cette année. C’est insignifiant pour mes activités, mais j’ai dû m’en contenter », rappelle Roland Ahouanmènou avant de souligner qu’il a dû y faire face en bradant ses récoltes et le reste de ses élevages dévastés. « Je n’ai pas encore remboursé un seul franc des 1million 200.000 F que j’ai empruntés pour le compte de cette campagne agricole, dit-il. Parce que je continue de rembourser mes dettes de l’année dernière. Sans vous mentir, cette année, je n’ai plus de porc, ni de poulet ni de mouton. Ce dont je m’occupe aujourd’hui c’est ma palmeraie et des poissons. » Quant à Koudénoukpo Soumaïla, il a réussi à apurer ses dettes s’élevant à près de 2 millions de FCFA, en comptant sur d’autres productions. « C’est grâce à nos produits maraichers que nous avons vendus, que nous avons pu rembourser », avoue-t-il.  « Il me reste actuellement 62.000 à rembourser », me confiait Marcellin Zossou, président de l’Union communale des producteurs des Aguégués, en juillet dernier. « Et quand tu tombes dans les impayés, les intérêts se multiplient ». Il continue à rembourser des crédits qu’il a effectués en 2021, des prêts à remboursement annuel. « Ça fait que nous abandonnons les champs…Ce qui nous cause vraiment de problème, ce sont les pluies abondantes. Déjà en juillet, tous les producteurs des Aguégués sont touchés », dit-il.

Trouver une solution

Pour le maire des Aguégués, « il y a véritablement à venir au secours de cette population », plaide-t-il avant d’ajouter : « C’est une misère, parce que quand ça commence comme ça, cela impacte tous les autres mois de l’année. Dans les écoles, ce sont les contributions scolaires qui ne sont pas payées, dans les ménages, c’est la famine. Parce que c’est ce maïs stocké qui fera la vie de ces familles. Cela annonce une période de disette. » De fait, les institutions financières que nous avons interrogées n’ont aucune stratégie en faveur des producteurs victimes des catastrophes climatiques. Ces aléas limitent d’autant plus leurs interventions dans le secteur agricole, étant donné les vulnérabilités qu’il présente du fait des changements climatiques.  « Il n’y a pas encore un mécanisme de micro-crédit ou d’assurance octroyé aux agriculteurs ou aux éleveurs du fait des catastrophes qu’ils ont subis », affirme Rabiou Assouma chef service des études, de la règlementation et des statistiques à l’Agence nationale de protection civile. « Ce qu’ils reçoivent, c’est ce que tous les autres sinistrés reçoivent lorsque nous faisons des assistances humanitaires au niveau des communes qui sont touchées par les catastrophes», ajoute-il. Le Fonds national de réponse aux catastrophes  mis en place en août 2020 avec le soutien de la Banque mondiale,  n’a pas vocation à appuyer les producteurs sinistrés. Il sert principalement à financer les premières nécessités de survie et de subsistance des sinistrés. Mais selon Dieudonné Konnon, ingénieur agroéconomiste, consultant en entreprenariat agricole et promotion des chaînes de valeurs ajoutées agricoles,  la nécessité d’une éducation financière des producteurs et des éleveurs est urgente,  surtout dans les zones à risque. « Il y a nécessité, dit-il,  de renforcer l’éducation financière des producteurs et éleveurs pour qu’ils sollicitent ou qu’ils acceptent des financements les mieux adaptés à leurs systèmes de production, mais aussi la nécessité de relancer de façon plus efficace l’assurance agricole afin d’aider ces producteurs et éleveurs à mieux faire face aux risques. »

Le financement climatique

L’absence d’un accompagnement financier au profit des producteurs et éleveurs sinistrés, peut être jugulée par une mobilisation des banques de développement car, les banques primaires restent largement dominées par une vision commerciale de leurs engagements. C’est pourquoi, la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) par exemple a prévu environ 1000 milliards de FCFA en vue d’accompagner le renforcement de la résilience des populations aux changements climatiques, sur la période 2021-2025. « Grâce à ce financement, les communautés peuvent également s’adapter aux effets des changements climatiques », expliquait Ibrahim Traoré, le Chef de la Division Finance Climat de la BOAD en mai 2023, lors d’échanges avec les médias. Mais pour accéder à ces fonds au profit des producteurs et des éleveurs victimes des catastrophes naturelles, il faut des institutions financières nationales véritablement engagées pour la cause.   

Encadré

Le cas sénégalais

L’assurance agricole a existé au Bénin, grâce à l’Assurance mutuelle agricole du Bénin (AMAB). Mais cette expérience qui ne couvrait que quelques communes, s’est éteinte il y a trois ans environs. Par contre, depuis 2008, le Sénégal développe une micro-assurance agricole à travers Inclusive Guarantee Sénégal, filiale de Planet Guarantee France, avec des antennes  au Burkina Faso, en  Côte d’Ivoire et au Mali. Elle a été constituée grâce au soutien de certains partenaires financiers comme  la Banque Mondiale à travers la Société financière internationale (SFI), l’IFC/ GIIF, l’AFD, la  Fondation Grameen Crédit Agricole, le PCE / USAID ainsi que le PAM. Ses partenaires techniques sont le CIRAD, ISRA, ANACIM et le SAED.  Inclusive Guarantee Sénégal fait surtout de l’assurance indicielle, une assurance basée sur un indice calculé non pas sur un sinistre mesurable comme dans les systèmes d’assurance par indemnisation, mais sur les rendements agricoles.  Les indices ont été développés pour chaque culture, dans chaque zone avec des primes spécifiques reflétant le niveau de risque de chaque zone. Elle est accompagnée par des institutions de références pour assurer les principales spéculations que sont l’arachide, le maïs, le riz pluvial et  le mil.

Olivier ALLOCHEME

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