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Le triomphe de la vérité

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Élection au Bénin: L’Ambassadeur Jean-Pierre Edon parle des méfaits du règne de l’argent en politique 


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l’Ambassadeur Jean-Pierre Edon

A travers une réflexion, l’Ambassadeur Jean-Pierre Edon, Spécialiste des questions internationales s’est exprimé sur le processus électoral en cours pour les législatives du 8 janvier 2023. Dans son développement, il a fait savoir que la prochaine campagne électorale, sera marquée par la persistance par la circulation d’une masse monétaire impressionnante dans le pays. Pour lui, les implications négatives de ce mal, sont préoccupantes et portent atteinte à la réputation de notre démocratie. Il a exposé les manifestations et pratiques de ce mal relatif à l’achat des consciences, l’altération de la démocratie, l’apologie de la corruption, l’exploitation de l’analphabétisme et de la pauvreté des électeurs.  Par contre, il a souligné l’utilité des formations politiques et les limites de l’argent. A l’en croire, les pays en développement ont intérêt à l’éviter par, entre autres, la cessation de l’injection de l’argent de la corruption dans la politique.

LE REIGNE DE L’ARGENT EN POLITIQUE : ACHAT DES CONSCIENCES

Le 27 Octobre 2022 dernier, le processus électoral pour les législatives du 8 janvier 2023, est lancé avec la déclaration du Président de la CENA relative aux dépôts de la déclaration de candidatures des différentes formations politiques. C’est alors que commence, comme par le passé, une période spéciale caractérisée par la circulation d’une masse monétaire impressionnante dans le pays, en violation des dispositions légales. La prochaine campagne électorale, sera une fois encore l’occasion pour apprécier la persistance ou non de ce mal dont les implications négatives sont préoccupantes et portent atteinte à la réputation de notre démocratie.

Les manifestations et pratiques de ce mal relatif à l’achat des consciences

L’introduction de l’argent dans la politique et particulièrement dans le processus électoral, remonte à l’avènement du renouveau démocratique à l’occasion des premières élections présidentielles de 1991. Avec l’euphorie issue de la fin du régime révolutionnaire, il est apparu une nouvelle classe d’hommes politiques désireux de se faire valoir à leur manière. Certains d’entre eux, autrefois exilés politiques n’hésitaient pas à clamer qu’ils feront la campagne à l’américaine. Or  en Amérique  l’achat des consciences dans le processus électoral est prohibé.

C’est alors qu’on a assisté au Benin à une nouvelle pratique jamais connue auparavant, consistant à distribuer des cadeaux de toutes sortes aux populations en vue d’avoir leurs suffrages aux élections. On dirait, à la limite, une démonstration de richesses. Abusant de l’honnêteté des électeurs qui se croient moralement obligés de voter pour un candidat généreux, les hommes politiques ont progressivement renforcé cette mauvaise pratique. Ainsi, d’une élection à  l’autre depuis 1991, l’achat des consciences a pris une ampleur en évolution continue au point d’atteindre en 2016 un niveau inquiétant jamais connu dans l’histoire politique de notre pays.

En général, le budget électoral d’un candidat comprend l’ensemble des dépenses nécessaires pour l’organisation des meetings, les affiches de propagande ainsi que les portraits des candidats, les coûts des déplacements du compétiteur vers les électeurs, les dispositions matérielles et logistiques ainsi que celles des communications etc…

En réalité, il y a beaucoup d’autres actions cachées et illégales à  incidence financière importante auxquelles se livrent les candidats et leurs supporters pendant la campagne. Dénonçant ces actes irréguliers impliquant de grandes dépenses, le feu Président Mathieu KEREKOU déclarait au cours d’une conférence de presse en 1999 que « pour être candidat aux élections présidentielles au Bénin, il faut disposer d’au moins un  milliard de francs CFA ». A l’époque ce montant paraissait exorbitant. Depuis lors il a augmenté de manière exponentielle au point d’atteindre un chiffre faramineux qui dépasse l’entendement dans un pays pauvre comme le Bénin.

En effet, la grande générosité subite des candidats consiste à distribuer des billets de banque aux électeurs, des tonnes de sacs de riz, des bidons et cartons d’huile, d’autres produits alimentaires, des tonnes de ciments, des paquets de tôles, des motos et véhicules à quatre roues etc… Les leaders d’opinion des communes, des arrondissements, des quartiers de villes et villages, les chefs coutumiers et les têtes couronnées sont particulièrement bien traités.  C’est même devenu une concurrence en ce sens qu’un candidat qui passe dans une localité après un autre, essaie de doubler, voire tripler la mise de son prédécesseur.

Le cas des élections de Mars 2016 et l’appel du chef de l’Etat

Selon certains analystes de la vie politique du Benin, la masse monétaire qui a circulé pendant les  élections présidentielles de mars 2016, toutes tendances confondues, est estimée à plusieurs dizaines de milliards  de francs CFA.

Déplorant cette situation préoccupante qui, à moyen terme, risque de détruire la démocratie chèrement acquise, le Président de la République, Monsieur Patrice TALON déclarait dans son discours d’investiture le 6 avril 2016 à Porto-Novo  que :

« Il n’est pas alors sans intérêt de s’inquiéter du rôle de l’argent dans la compétition politique et le vote des électeurs. Il nous faut de toute urgence prendre la mesure du péril collectif auquel nous sommes exposés. En termes clairs, si l’Etat démocratique que nous aspirons à construire passe par des élections libres et transparentes tenues à bonne échéance, le vote du citoyen en tant que moyen d’expression de son adhésion à l’idée démocratique doit être débarrassé de toute considération financière ou rétributive. Ici et maintenant, j’appelle à votre conscience citoyenne et davantage de civisme pour faire cesser le règne de l’argent en politique ».

Le Chef de l’Etat a bien perçu le péril collectif auquel nous conduit ce phénomène. C’est à juste titre qu’en tant que premier magistrat du pays, il lance un appel à son peuple pour que le règne de l’argent cesse dans la politique. Espérons que cet appel sera entendu et que les comportements changeront à l’avenir car les implications et interprétations de cette pratique sont préoccupantes.

Quelques-unes des interprétations de l’argent dans la politique

  • L’achat des consciences

Cette pratique n’est rien d’autres que l’achat des consciences de nos populations à qui on exhibe l’argent pour avoir leur soutien.  On exploite ainsi l’analphabétisme des millions de béninois. Cette pratique est en fait l’expression de l’incapacité des uns et des autres à convaincre les électeurs du bien fondé de leurs projets de société.

  • L’altération de la démocratie

Ce phénomène déplorable change le caractère de la démocratie qui devient prisonnière de la générosité suspecte et passagère des acteurs politiques. On se sert de l’argent pour séduire les électeurs qui de par leur pauvreté, peuvent en être sensibles. Tout se passe comme si l’argent est un pilier important de la démocratie qui n’est plus alors populaire, mais plutôt ploutocrate. En d’autres termes, la démocratie devient l’affaire des riches, les pauvres, plus nombreux, en sont exclus. Ce n’est plus les idées qui comptent mais plutôt la force de l’espèce sonnante.

  • L’apologie de la corruption

La manière dont l’argent est utilisé durant les consultations démocratiques est une forme de corruption. Il y a là une contradiction incroyable entre les déclarations et les faits des candidats qui s’engagent à la combattre. Les organisations de lutte contre la corruption sont ici interpelées, car le soutien négocié à coup d’argent (des millions, voire des milliards de francs CFA) entre formations politiques, avec des leaders d’opinion régionaux et locaux, relève de la corruption.

  • Exploitation malheureuse de l’analphabétisme et de la pauvreté des électeurs

Sachant que la majorité de nos populations, pour être analphabète, ne peut lire et comprendre les programmes politiques, on achète alors leur opinion orientée par l’exploitation  de leur situation d’illettrisme.

Tout se passe comme si les projets de société sont moins importants que la générosité ponctuelle et intéressée des acteurs politiques. Face à l’argent, la qualité des programmes politiques, perd  tout son sens. Car en définitive, de nombreux électeurs votent pour le candidat le plus généreux, au détriment du compétiteur sans moyens, mais ayant une bonne vision du développement.

 Il arrive heureusement que parfois  des électeurs prennent les pots- de- vin et votent pour un autre candidat de leur choix. Cette générosité occasionnelle dégrade, dévalue les formations politiques alors qu’elles sont utiles dans la société.

L’utilité des formations politiques et les limites de l’argent

Le parti est le creuset de détection des leaders et autres dirigeants politiques. Son  rôle véritable est d’être à l’avant-garde des forces politiques et sociales.  Des  objectifs qui sont ceux des forces sociales, seul le politique est universel car il vise tous les aspects  liés au bienêtre de l’homme. C’est pour cette raison que de façon générale, aucune société ne peut évoluer sans les forces politiques, car c’est  de leur lutte  que se dégagent les orientations voulues dans la société.

Voilà pourquoi dans les grandes démocraties, le parti est un passage obligé pour accéder au pouvoir. Ces formations, véritables structures d’animation politique, devraient éviter l’achat de conscience des électeurs du moment où  l’argent, en dépit de sa puissance, a des limites.

  • La conception erronée de la force de  l’argent

On a tendance à croire  au Benin et en Afrique, que l’argent peut tout faire. En réalité, cela n’est pas vrai. Certes, c’est un moyen important, voire nécessaire mais non suffisant. S’il l’était, depuis l’avènement du renouveau démocratique en 1990, certains hommes politiques béninois très influents et aisés auraient déjà exercé une ou plusieurs fois les fonctions présidentielles. Il en résulte que d’autres paramètres interviennent telle que la destinée. Une chose est certaine : l’argent n’est pas une condition sine qua non pour accéder au pouvoir. Si c’en était une, Monsieur da Silva LULA, pauvre syndicaliste d’origine modeste, ne serait pas élu Président du Brésil en 2003 pour deux mandats, et réélu encore le 30 octobre 2022 dernier, douze ans après son départ du pouvoir.

Il est communément  reconnu que c’est Dieu qui fait le roi et non l’argent. Tant que cette vérité ne sera pas prise en compte pour une rectification des comportements, des erreurs d’analyses et de stratégies seront inévitables. Et quelle leçon donne-t-on à la jeunesse par cette pratique ? Or l’un des problèmes de notre pays aujourd’hui et qu’il faut résoudre sans délai, c’est la perte des valeurs morales qui font d’un citoyen, un homme intègre et honnête. Le combat contre cette calamité nécessite l’application réelle des dispositions légales existantes et surtout la mise en place d’un mécanisme de contrôle effectif, comme par exemple, une police sécrète de suivi sur le terrain.

A cela devra s’ajouter la formation des militants des partis en mettant l’accent sur l’éthique, les charges, l’esprit d’abnégation, de serviabilité et de l’intérêt général. En aucun cas, la politique n’est pas et ne saurait être un moyen d’enrichissement. Il est heureux que le financement public des formations politiques ayant des élus, est déjà une réalité. Cet appui de l’Etat à inscrire à l’actif du gouvernement, était nécessaire.

En vérité, lesdites dispositions légales  sont insuffisantes  pour éradiquer le mal. La meilleure formule serait une discipline librement consentie, une prise de conscience générale du fléau,   une décision  unilatérale et collective d’y mettre fin.

 Ne pas le faire, c’est contribuer à alimenter ce que le philosophe et écrivain français Jean d’Ormesson nomme « inaptocratie », un concept défini comme un système de gouvernement dans lequel, les gens les moins capables de gouverner sont élus par les électeurs les moins capables de gagner leur vie, tandis que les membres de la société qui sont productifs, se voient confisquer le résultat de leur production pour entretenir des citoyens incompétents, incapables de produire des richesses.

 Depuis quelques années, ce système qu’il faut combattre à cause de son aptitude à favoriser la médiocrité, a fait son apparition dans nombre de nations. Les pays en développement comme le nôtre, ont intérêt à l’éviter par, entre autres, la cessation de l’injection de l’argent de la corruption dans la politique.

Jean-Pierre EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales

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