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Le triomphe de la vérité

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REFLEXION: Jean-Pierre Edon pose le diagnostic de la prise en otage de la démocratie en Afrique francophone


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PRISE EN OTAGE DE LA DEMOCRATIE EN AFRIQUE FRANCOPHONE

L’instauration de la démocratie en Afrique francophone est dans sa troisième décennie. A la faveur du discours de la Baule en Juin 1990, des changements politiques notables sont apparus. Ces pays sont passés du régime à parti unique à celui du multipartisme. Trente- un ans après cette expérience, où en sont ces pays ?
Les premières années du processus démocratique donnaient beaucoup d’espoir, la plupart des acteurs concernés faisant l’effort de se conformer aux normes appropriées. Mais depuis les quinze dernières années, on constate curieusement un recul, une marche en arrière surprenante. La nouvelle stratégie consiste à se réclamer démocrate du bout des lèvres dans un Etat de droit. De beaux discours abondent dans ce sens surtout au cours des campagnes électorales.
Des élections régulières sont organisées pour avoir bonne conscience de la gestion du processus politique à la mode. Au lieu d’être comme par le passé une occasion festive, les consultations démocratiques entrainent des troubles à la paix, la violence, le rejet du fichier électoral unilatéralement établi. Les irrégularités et fraudes liées au vote, expliquent finalement la contestation parfois violente des résultats. Fortement influencés par le pouvoir, les organes électoraux n’inspirent pas confiance.
Dans nombre de ces pays francophones d’Afrique Centrale et de l’Ouest, les résultats sont connus à l’avance parce que le pouvoir en place, tenant à gagner au premier tour, met tout en œuvre pour affaiblir les candidats de l’opposition, ou tout simplement les exclure du processus électoral par des lois spécifiques qui empêchent la compétition. Il y a des cas où par des astuces et manigances, la mouvance présidentielle favorise certains concurrents inoffensifs, des figurants sans base électorale réelle, des opposants de façade, juste pour berner l’opinion publique et internationale.
Les institutions de contre-pouvoir ne jouent pas leur rôle. Devenus par la volonté du chef les appendices de l’Exécutif, ces organes sont purement et simplement aux ordres surtout quand ils sont monocolores. Dès lors le principe de séparation des pouvoirs est bafoué et n’a plus de sens.
Les voix discordantes sont systématiquement sanctionnées et considérées parfois comme outrage à la Haute Autorité, ce qui entraine dans certains de ces pays l’emprisonnement. Réfractaire aux critiques, ce qui est inévitable pour celui qui exerce une fonction publique, le pouvoir cherche à tout contrôler à des fins répressives, y compris les appels téléphoniques et les messages sur les réseaux sociaux. Il se crée alors une ambiance de terreur et de psychose qui met mal à l’aise les citoyens. Les prisonniers et exilés politiques sont légion et le règlement de compte est devenu un mode de gouvernance.
Pour avoir exercé sa liberté d’opinion en évoquant les insuffisances de la politique gouvernementale, un citoyen est enlevé ou kidnappé à domicile ou en pleine ville dans la circulation pour finalement échouer en prison ,sans aucune convocation préalable d’autorités policières ou judiciaires. Dans cette catégorie se trouvent les opposants au régime, les journalistes objectifs, les leaders des organisations de la société civile ou des droits de l’homme et les activistes politiques de tous genres.
Ailleurs dans ces pays, le candidat de l’opposition bien placé pour être vainqueur des urnes, est non seulement privé de sa chance de la victoire, mais aussi et surtout, de liberté. Son parti subit de surcroit une répression féroce, ses militants sont arrêtés et gardés en prison. Certains d’entre eux décèdent du fait des traitements inhumains et dégradants qu’on leur inflige, ou faute d’accès aux soins de santé adéquats.
Pour justifier ces actes de violation des droits humains, reflet de la dérive dictatoriale, le pouvoir a souvent recours aux chefs d’accusation montés de toutes pièces, mais qui ne convainquent personne, tout le monde étant conscient de l’adage selon lequel « Qui veut noyer son chien l’accuse de rage ». Peut-on imaginer que par de fausses accusations scientifiquement élaborées, le Président Macron en France jette en prison Madame Marine Le Pen ou Monsieur Jean-Luc Mélenchon, en vue de se faire facilement réélire en 2022 ?
Instrumentalisée, la justice, l’un des piliers importants de la démocratie et de l’Etat de droit ne fait qu’appliquer les instructions de la hiérarchie au lieu de dire le droit. C’est d’autant plus criard que dans certains cas elle devient tout simplement l’injustice. Des juridictions d’exception justifiables en période de guerre, sont créées dans des pays en paix en vue de juger hâtivement ou de façon spectaculaire et vite jeter en prison les tenants des voix discordantes et des acteurs gênants.
La justice est aux ordres comme vient de le déclarer à RFI ce lundi 5 Avril 2021 un juge béninois qui ayant marre des pressions a dû démissionner de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET). Dans le dossier de l’opposante Reckia Madougou ce juge du nom d’Essowê Batamoussi a affirmé que la cour a reçu des ordres du pouvoir politique pour la placer depuis un mois déjà en détention provisoire. Des cas du genre sont fréquents dans d’autres pays francophones.
Quant à la presse, elle est muselée, la liberté de presse n’existant plus. Les organes officiels de presse ne font que l’éloge du pouvoir du matin au soir et leur accès aux opposants est inadmissible. Lassés d’écouter les mêmes sons de cloche tout le temps, beaucoup de citoyens préfèrent suivre les émissions des organes privés non encore embrigadés ou celles des medias internationaux.
En ce qui concerne les forces de sécurité et de défense, elles sont détournées de leur mission traditionnelle. Soutien solide des régimes en place, ces hommes en uniforme maltraitent et tuent impunément, sous prétexte de l’ordre public, les citoyens qui ne partagent pas la pensée unique du pouvoir. Manipulés et eux-mêmes strictement surveillés, ils assiègent sur ordre de la hiérarchie tout une agglomération favorable à l’opposition ou le domicile d’un politicien contestataire dont la popularité fait peur.
Si dans quelques pays francophones du Centre et de l’Ouest africain, certaines libertés de manifestations et de meeting à la place publique sont encore tolérées, ailleurs les marches de protestation ou de revendication des droits sont tout simplement interdites. Il y a eu des cas où pour disperser la foule, les agents de sécurité ont tiré à balles réelles sur les manifestants, causant ainsi des morts et des blessés.
L’un après l’autre ces pays glissent progressivement ou même brutalement vers des régimes très répressifs, foncièrement autoritaires, avec dans certains Etats, le réveil des vieux démons à savoir le spectre de la guerre inter-ethnique et du cycle de violence endémique. On prône la paix en gardant un silence coupable sur les menaces réelles contre l’unité nationale et la quiétude de la population. La politique d’exclusion soutenue par des lois injustes, est assurément l’une des menaces à la paix.
Pendant ce temps la population vit dans des conditions difficiles, l’emploi est devenu précaire, rare et le chômage galopant pousse de nombreux citoyens à se livrer à la mendicité pour survivre. La loi limite au strict minimum l’exercice du droit à la grève et les activités syndicales sont étouffées. L’économie est désarticulée. Quand bien même elle est porteuse de croissance admirable dans certains pays, son effet sur le panier de la ménagère n’est pas perceptible.
Au lieu de se pencher sur ces problèmes, des chefs d’Etat, à l’exception de celui du Niger, s’emploient à tripatouiller les constitutions pour se garantir plusieurs mandats et régner à vie, l’alternance au pouvoir cet autre attribut de la démocratie ne signifiant rien pour eux.
Certes, des réalisations infrastructurelles et socio-économiques sont faites dans quelques pays concernés, ce qui est un effort louable, mais la pauvreté persistante et le manque de libertés démocratiques annihilent ces actes de développement. Il s’ensuit que la démocratie est aussi une denrée importante dont a besoin le peuple. Partout où les libertés manquent, tout finit par échouer.
La désintégration de l’Union soviétique et du bloc de l’Est en 1989 est due au manque de libertés, malgré les énormes progrès socio-économiques faits dans ces pays. Le développement se fonde sur la démocratie qui en est un des piliers. Ne pas le comprendre ainsi, c’est se diriger vers l’autoritarisme.
L’état actuel de ce système politique pris en otage par les anciennes colonies françaises, donne malheureusement raison à un grand homme politique français qui en 1990, mettait en doute la capacité des Africains à se conformer à la démocratie. A l’époque il a fait l’objet de critiques sévères et acerbes par les élites africaines, comme ce fut le cas de cet agronome français ayant publié en 1962 un livre intitulé« l’Afrique noire est mal partie ».
Nous ne donnons pas raison au Président Jacques Chirac, ni à Monsieur René Dumont, mais les faits sur le terrain permettent de reconnaitre que leurs opinions ne sont pas dénuées de sens. Mais on ne saurait généraliser les cas sans risque de se tromper.
En effet l’expérience démocratique en cours dans les pays africains anglophones, hormis l’Ouganda, se déroule globalement mieux pour ne pas dire assez bien. C’est à juste titre que le classement des dix premiers pays africains les plus démocratiques en 2020 que vient de faire Freedom House, un organisme américain indépendant, porte uniquement sur les pays anglophones. Le Sénégal, le Mali et le Benin qui y figuraient ont perdu le label de pays libre, du fait du recul de leur processus démocratique au cours de ces dernières années.
Un autre constat utile à évoquer, est le langage des gouvernants qui justifient leurs actes anti¬ démocratiques par des lois en vigueur au point que la loi prime sur le droit. Tout se passe comme si elles tombent du ciel et sont intouchables. Toutefois dès qu’une disposition est en contradiction avec l’intérêt de la mouvance présidentielle à un moment donné, elle est rapidement modifiée sans aucune forme de procès. On se sert donc des lois injustes pour opprimer le peuple, empêcher la jouissance des droits civiques, et tout ceci au nom des réformes.
Ce comportement à connotation dictatoriale protégé par les lois, rappelle une pensée de l’écrivain français Montesquieu selon laquelle : « Il n’y a pas de tyrannie pire que celle qui s’exerce à l’ombre des lois et sous la couleur de la justice». Que faire face à ce tableau sombre et loin d’être exhaustif?
Rien n’est encore tard ou perdu. La démocratie est une tâche de longue haleine. Elle se construit tous les jours et s’entretient de façon permanente. Les pays occidentaux en ont fait des expériences qui remontent à des siècles. Il va falloir procéder à une étude approfondie de cette situation dans ces Etats pour mieux la comprendre et prendre les mesures correctives pertinentes. La France, leur pays de référence fait pourtant partie des grandes démocraties de ce monde. Que fait-elle pour les aider à mieux faire ?
Dans l’immédiat deux actions peuvent être entreprises. La première c’est la révision des lois répressives, corruptives et de confiscation des libertés ainsi que d’autres textes légaux ou réglementaires pour les rendre conformes aux normes démocratiques dans la perspective de servir l’intérêt général et le bienêtre de la population débarrassée de la peur et du stress.
La deuxième initiative à prendre est l’organisation d’un véritable dialogue national pour analyser la situation politique délétère, procéder au bilan des 31 années du processus démocratique en cours depuis les conférences nationales tenues en 1990 et 1991 dans ces pays , définir par consensus la conduite à tenir et les perspectives d’avenir.
Tout comme il est communément admis que sans la paix il n’y a pas de développement, de la même manière la confiscation des libertés démocratiques et des droits civiques est un goulot d’étranglement au progrès culturel et socio-économique. Vecteur du développement, la démocratie libère les énergies, crée un terreau favorable à l’apparition du génie individuel et à la manifestation de l’esprit de créativité des populations, ce qui suscite l’innovation.
Ce n’est pas par hasard que le niveau de développement des pays anglophones d’Afrique est globalement plus élevé que celui des francophones. Ces derniers, encore très liés à l’ancienne puissance coloniale sur les plans économique, monétaire et militaire après plus de soixante ans d’indépendance, sont handicapés par l’aliénation culturelle, le pouvoir personnel et le déficit démocratique. Ces deux derniers facteurs expliquent la volonté affirmée des Autorités francophones à monopoliser le pouvoir.
Or la persistance à s’éterniser au pouvoir est un aveu d’échec dans certains cas, et dans d’autres, l’expression de l’amour exagéré du pouvoir duquel ces dirigeants ont du mal à se séparer. Pour ces chefs d’Etat, c’est à la fois une précaution et un moyen en vue de défendre les intérêts personnels et ceux de leurs clans, de mettre à l’abri les énormes richesses accumulées sur le dos du peuple et aussi de se protéger contre la vengeance populaire. La porte de sortie honorable qui s’offre à tous ces gouvernants, demeure le dialogue national, la bonne gouvernance et la gestion dans les règles de l’art du processus démocratique. Il est à espérer que ce cri de cœur sera entendu et pris en considération.

Jean-Pierre EDON
Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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