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Le triomphe de la vérité

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Elections décanales à l’Université: Un juriste répond au recours du Professeur Joël Aïvo


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Les élections décanales continuent de faire couler de l’encre et de salive. En réponse au recours du Professeur Joël Frédéric AIVO qualifiant d’inconstitutionnels les différents arrêtés pris par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (Mesrs), le Professeur François Abiola, pour une meilleure organisation et à bonne date des élections, un éminent juriste réagit. Avec des éléments justificatifs de taille, ce cadre de la maison juridique béninoise a limité le Professeur Aïvo dans son argumentaire. Selon lui, au plan de la stabilité des textes juridiques, cet argumentaire est très faible en droit et sans pertinence dans le cas d’espèce. « Ces élections sont des élections professionnelles dont le contentieux relève de la Chambre administrative de la Cour suprême, ce qui exclut la saisine de la Cour Constitutionnelle », dira-t-il. (Lire sa réaction)

Le Professeur Joël Frédéric AIVO a adressé à la Cour constitutionnelle un recours en inconstitutionnalité contre les arrêtés pris par le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique pour organiser l’élection des Doyens, Directeurs, Vice-Doyens et Directeurs Adjoints dans les Universités nationales du Bénin.

Le recours en inconstitutionnalité formé par la Professeur AIVO a eu droit à la première page du journal « La Nouvelle Tribune » du mercredi 19 décembre 2012.

La lecture de ce recours a suscité en moi plusieurs interrogations.

En fait, de quoi s’agit-il ?

Le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a pris trois arrêtés dans le cadre de l’élection des Doyens, Directeurs, Vice-Doyens et Directeurs Adjoints des Universités nationales du Bénin.

1- L’arrêté N° 2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 portant règlementation de l’élection des Doyens, Directeurs, Vice-Doyens et Directeurs Adjoints des Etablissements de Formation et de Recherche des Universités nationales en République du Bénin.

2- L’arrêté N° 2012-627/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 20 novembre 2012 portant calendrier du déroulement de l’élection des Doyens, Directeurs, Vice-Doyens et Directeurs Adjoints des Etablissements de Formation et de Recherche des Universités nationales en République du Bénin.

3- L’arrêté N° 2012-630/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 20 novembre 2012 portant précision des conditions d’éligibilité des Doyens, Directeurs, Vice-Doyens et Directeurs Adjoints des Etablissements de Formation et de Recherche des Universités nationales en République du Bénin.

Mais auparavant, le 10 novembre 2012, le Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi a rendu public l’arrêté N° 2012-039/UAC/SG/SA portant calendrier de déroulement de l’élection des Doyens, Directeurs, Vice-Doyens et Directeurs Adjoints des Etablissements de Formation et de Recherche de l’Université d’Abomey-Calavi.

Le Professeur Joël AIVO estime que, sur la base de l’arrêté du Recteur pris sur le fondement de l’article 5 de l’arrêté 2009-023/MESRS…du 10 novembre 2009, on doit en toute logique considérer que le jeu électoral était ouvert. Dès lors, le Professeur estime, qu’en prenant l’arrêté 2012-624 du 19 novembre 2012 portant réglementation de l’élection des Doyens, Directeurs… sans rapporter au préalable l’arrêté N° 2012-039 du Recteur de l’UAC, le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a « apporté une première modification au jeu électoral ».

Ensuite, le Professeur ajoute qu’en prenant l’arrêté N° 2012-627 du 20 novembre 2012 portant l’élection des Doyens, Directeurs… le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a « apporté une seconde modification ».

L’argument du Professeur Joël Frédéric AIVO repose sur les griefs suivants :

– Plusieurs textes ont été pris par les autorités de l’Enseignement supérieur. A l’analyse, leur compatibilité avec la Constitution reste problématique ;

– L’application qui en a été faite conforte le sentiment que l’arrêté ministériel dans ses modalités, restreint la liberté garantie par la Loi fondamentale aux citoyens béninois ;

– Atteinte à l’idéal de l’Etat de Droit et de Démocratie pluraliste ;

– Atteinte aux droits acquis par les candidats sur la base des textes préalablement en vigueur ;

– Violation de la Sécurité juridique que doit garantir tout système juridique aux citoyens ;

– Violation du préambule et des articles 15 et 23 de la Constitution, car en instituant le scrutin de liste pour ces élections, l’article 20 de l’arrêté du 19 novembre 2012 a… rendu plus sévères les conditions de jouissance de la liberté ;

– L’arrêté du 19 novembre 2012 a méconnu l’obligation déjà opposable au législateur de produire des règles de droit en renforçant les conditions de leur jouissance.

A la réflexion, ces moyens sont divers, variés et confus.

 

I- LES MOYENS INVOQUES NE SONT PAS FONDES

D’entrée de jeu, le Professeur Joël AIVO soutient que l’arrêté du Recteur a ouvert le jeu électoral et que dès lors la modification apportée par l’arrêté N° 2012-624 du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique constitue une première modification qui porte atteinte à la sécurité juridique et aux droits acquis par les citoyens béninois.

L’argument du Professeur, pour compréhensible qu’il soit au plan de la stabilité des textes juridiques est très faible en droit et sans pertinence dans le cas d’espèce, dès lors qu’il a pour objet d’ajouter une notion qui n’existe pas en droit positif béninois.

M. Aïvo a-t-il bien lu l’arrêté 023/MESRS… qu’il a cité pour justifier l’erreur du Recteur de l’UAC ?

Je lui rappelle que l’article 16 dudit arrêté stipule… «Les opérations électorales se déroulent dans les établissements, suivant un calendrier arrêté par le Ministre en charge de l’Enseignement supérieur, sur proposition du recteur d’université. Ces opérations sont placées sous la supervision d’une commission universitaire ».

 

1- De la Violation de la Sécurité Juridique

En effet, la notion de sécurité juridique est absente de notre corpus constitutionnel. Elle ne figure ni dans le texte de la Constitution, ni dans le préambule, ni même dans la Charte africaine des Droit de l’Homme et des Peuples, partie intégrante de la Constitution béninoise. Cette notion n’existe même pas non plus dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin.

La formule « Sécurité juridique » qui a été employée en France dans certains arrêts de la Cour de Cassation recouvre de multiples situations qui concernent par exemple, la non-rétroactivité des normes juridiques, l’effet obligatoire des conventions entre les parties, l’interprétation restrictive des textes d’incrimination, l’existence de délais de recours et de prescription, le principe de confiance légitime.

Le Conseil constitutionnel français a utilisé à partir de 1994 l’exigence de « sécurité juridique » pour limiter les possibilités de rétroactivité de la loi, pour protéger l’économie des contrats ou pour renforcer son contrôle sur les lois de validation.

La situation juridique qui se dégage des arrêtés du Ministre de l’Enseignement supérieur ne consiste pas à faire rétroagir les normes juridiques ou à déterminer l’existence de délais de recours ou de prescription, pas plus que les autres cas pour qu’on puisse invoquer la sécurité juridique.

Le recours formé par le Professeur AIVO se contente seulement d’énoncer la violation de telle ou telle norme, mais ne démontre pas en quoi l’arrêté du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a violé la sécurité juridique.

Au total, non seulement la norme de référence sécurité juridique n’existe pas dans l’ordre juridique béninois, mais les situations que cette notion recouvre et dans lesquelles elle a été utilisée ne se retrouve absolument pas dans aucun des arrêtés du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique que le Professeur AIVO a déféré devant la Cour constitutionnelle.

 

2- De la Violation des articles 12 et 23 de la Constitution

Selon le Professeur Joël F. AIVO, l’arrêté du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique porte atteinte à la liberté garantie par les articles 15 et 23 de la Constitution, mais aussi et surtout aux articles 11 et 13 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981.

Il suffit de nous référer aux dispositions constitutionnelles incriminées pour se convaincre que les moyens invoqués sont inopérants.

L’article 15 de la Constitution dispose : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne ».

De son côté, l’article 23 de la Constitution énonce : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements. L’exercice du culte et l’expression des croyances s’effectuent dans le respect de la laïcité de l’Etat.

Les institutions, les communautés religieuses ou philosophiques ont le droit de se développer sans entraves. Elles ne sont pas soumises à la tutelle de l’Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome ».

La restitution de ces articles permet de se rendre compte de la supercherie : ils n’ont aucun rapport avec les moyens invoqués à l’appui de la requête.

L’on comprend alors pourquoi le Professeur a manqué de donner le contenu des articles qu’il a cités dans sa requête.

L’on comprend aussi dès lors pourquoi la requête du Professeur ne démontre pas à la juridiction constitutionnelle en quoi l’arrêté du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, pris dans le cadre de l’organisation de l’élection des Doyens, Directeurs, Vice-Doyens et Directeurs Adjoints des Etablissements de Formation et de Recherche des Universités nationales en République du Bénin a violé le respect de tout être humain à la vie, à son intégrité physique, à sa sécurité, à sa liberté de conscience, de pensée, de religion, du culte, etc.

Les moyens tirés de la violation des dispositions des articles 15 et 23 de la Constitution sont tout simplement inopérants. Il en est de même de ceux tirés des articles 11 et 13 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981.

La seule liberté qu’on peut invoquer dans le cadre de l’arrêté du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, est la liberté d’être candidat ou non, et la liberté de voter ou non

Aucun des arrêtés pris par le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique ne porte atteinte à cette liberté.

Les Enseignants du Supérieur ont la liberté de se porter candidat aux postes de Doyens, Directeurs, Vice-Doyens et Directeurs Adjoint et leurs collègues peuvent également invoquer leur liberté pour ne pas voter.

Mais il n’existe pas dans notre droit électoral l’obligation de voter ou de se porter candidat à une élection.

A notre avis, il ne fait guère de doute que les moyens invoqués ne sont pas fondés en droit dans le cas d’espèce, car en estimant que l’arrêté du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a violé la sécurité juridique, le Professeur a utilisé les moyens dépourvus de base constitutionnelle.

 

II- L’ARRETE DU MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE NE VIOLE AUCUN TEXTE

 

L’Université d’Abomey-Calavi tout comme celle de Parakou sont régis par le décret N° 2006-107 du 16 mars 2006 (modifié par le décret 2011-742 du 15 novembre 2011) portant création et organisation des Universités nationales en République du Bénin. Ces Universités sont des Etablissements publics dotés de la personnalité morale et de l’autonomie financière.

L’article 6 du décret précité dispose : « Les Universités d’Abomey-Calavi et de Parakou sont placées sous la tutelle du Ministre en charge de l’Enseignement Supérieur ».

Le décret ajoute : « Le Recteur est chargé d’exécuter les décisions émanant de l’autorité de tutelle et du Conseil de l’Université ».

Il résulte de ces deux dispositions que le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique est l’autorité de tutelle des deux Universités d’Abomey-Calavi et de Parakou et que le Recteur de chaque Université est chargé d’exécuter les décisions prises par l’autorité de tutelle.

En tant qu’Etablissement public, les règles d’organisation et de contrôle qui régissent les Universités du Bénin ont un caractère professionnel et reposent sur une base sociologique relativement individualisée composée de la communauté de professeurs, des étudiants et du personnel non enseignant.

Ainsi, au sein de chaque Université, chaque Faculté, Ecole ou Institut est géré (e) par une Assemblée composée de représentants du corps enseignant et des étudiants et un Doyen assisté d’un Vice-Doyen nommé par décret en conseil des ministres après son élection par l’Assemblée des Enseignants.

Il en est de même du Recteur, nommé par décret en conseil des ministres après son élection par une Assemblée de la communauté universitaire.

Ces élections sont des élections professionnelles dont le contentieux relève de la Chambre administrative de la Cour suprême, ce qui exclut la saisine de la Cour Constitutionnelle.

Ainsi, dans le cadre de l’élection des Doyens, Directeurs…l’arrêté N°2009-023/MERS… du 10 novembre 2009 dispose en article 5, alinéa1 : « les élections des Doyens, Directeurs, Vice-Doyens et Directeurs Adjoints ont lieu tous les trois (03) ans au plus tard au cours du mois de décembre. La date est fixée par arrêté rectoral ».

C’est le fondement de cet arrêté de 2009 qui invitait le Recteur a fixé la date de l’élection et à en proposer l’arrêté du déroulement au Ministre de tutelle.

Même si l’on considère que l’arrêté du Recteur a été pris dans le but de produire un résultat, le fait est que ce résultat n’entraîne aucune conséquence sur le droit et les obligations des candidats aux élections.

L’arrêté N° 2012-627 du 20 novembre 2012 pris par le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, n’affecte ni les droits et obligations des candidats pas plus qu’il ne met en cause leur statut.

Même si dans la très grande majorité des cas l’administration est libre à tout moment d’abroger un règlement qui ne lui paraît plus correspondre aux nécessités changeantes de l’intérêt général, on peut regretter que l’arrêté du Ministre fixant le calendrier soit intervenu aussi tardivement. Mais malheureusement c’est la pratique béninoise à la veille de chaque élection !!!

Par le seul fait de son intervention, l’arrêté du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qui fixe un autre calendrier abroge les dispositions contenues dans l’arrêté N° 039 du Recteur dans la mesure où leur maintien en vigueur est incompatible avec le nouveau calendrier. Il n’y a pas de droit acquis au maintien d’un acte réglementaire (C.E., 25 juin 1969).

De même, les dispositions de l’article 20 de l’arrêté N° 2012-624/MERS/DC/SGM/… du 19 novembre 2012 qui imposent sur une liste la candidature du Doyen et du Vice-Doyen a abrogé l’arrêté 2009-023 du 10 novembre 2009 qui établit la candidature uninominale.

Ces dispositions maintiennent une cohérence par rapport aux dispositions utilisées pour l’élection des Recteurs actuels.

D’ailleurs l’article 31 édicte de façon expresse : « Le présent arrêté abroge toutes dispositions antérieures contraires, notamment celles de l’arrêté N° 2009-023/MERS du 10 novembre 2009 ».

Cette nouvelle disposition a pour effet que le texte de l’arrêté 2009-023 n’est plus applicable pour compter du 20 novembre 2012 pour l’avenir. Il disparaît et l’une des premières conséquences de cette disposition est qu’on ne peut plus l’invoquer devant une quelconque juridiction en République du Bénin.

En conclusion, l’arrêté ministériel déféré devant la Cour Constitutionnelle par le Professeur Joël AIVO, ne viole aucune norme constitutionnelle pas plus qu’il ne viole aucun principe de légalité.

Le recours du Professeur doit être pris pour ce qu’il est : il relève du dilatoire.

 

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