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Le triomphe de la vérité

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Entretien exclusif avec Alèdo, le créateur du rythme Toba: « J’ai inventé le Toba, mais il ne m’a pas enrichi »


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Alèdo Aïfa: « Même si vous êtes la meilleure voix révélée et connue de tout le monde et soyez toujours humble.»

Pour la toute première parution de votre rubrique « Mémoires d’artistes » de cette nouvelle année, nous sommes allés chercher pour vous, un baobab de la musique traditionnelle. Retiré dans son village natal à Aklankpa, un arrondissement de la commune de Glazoué situé à 32 kms du centre-ville, l’homme, aujourd’hui croulant sous par le poids de l’âge, a accepté se confier à nous. A l’état-civil, on l’appelle Tognon Alèmian. Mais on le connaît surtout sous le pseudonyme Alèdo, son nom d’artiste. Dans sa langue maternelle le Mahi, il a abordé avec nous tous les sujets liés à sa vie, mêmes les plus intimes. A travers cet entretien exclusif, l’artiste parle à cœur ouvert de son différend avec Ezin Gangnon et lève un coin de voile sur sa vie.

L’Evénement Précis : Que signifie votre nom d’artiste Alèdo ?

Alèdo Aïfa : A l’état civil, on m’appelle Tognon Alèmian Aïfa et mon nom d’artiste est Awléwhédohanhouboalèdo l’oiseau appelé Awlé entonne la chanson et s’est montré incapable et le rossignol a pris). D’où le nom Alédo (le rossignol entonne).

Cela fait à peu près combien de temps que vous avez commencé par chanter ?

J’ai commencé ma carrière artistique il y a longtemps. Je ne saurais exactement situer l’année. Je puis dire que cela remonte à très longtemps. Selon mon jugement supplétif, je suis né en 1932. Ça, c’est ce qui est écrit. La réalité, ce n’est pas ça. La vérité, c’est que j’ai commencé à chanter à une époque où l’on fait une estimation de l’âge par rapport au bras droit que l’on tend par-dessus la tête. Vous comprenez donc pourquoi je vous ai précédemment dit que cela remonte à une époque très avancée. En réalité, je suis fils unique de mes parents. En fait, c’est mon grand-père, un grand chanteur de notre village Aklankpa qui s’appelle Dah Aïfa.

Il faisait le rythme Azahoun. C’est comme ça que son premier fils Houndègnon a commencé par faire ce rythme. C’est un rythme qui s’exécute au cours des cérémonies funéraires. C’est un grand tambour qui marque la spécificité de ce rythme. Au moment où mon grand-père devrait passer le témoin à son fils Houndègnon en question, trois jours avant, celui-ci est décédé. Houndègnon est le frère aîné de mon père, Sonanvo. Donc, comme son dauphin est décédé, la famille a convoqué une réunion. C’est ainsi qu’il a été décidé que c’est mon grand-père qui chantera pour que son fils soit enterré.

Cela remonte à quand ?

Cela fait un bon moment. On peut l’estimer à cent (100) ans environ.

Faites-nous l’historique de votre entrée dans la musique

Après ce décès tragique de mon oncle, pendant les obsèques, mon grand-père Aïfa a entonné une chanson qui résumait son malheur. Il disait de voir comment les chanteurs sont malheureux, qu’au moment précis où il entend passer le témoin à son fils bien aimé, qu’il a été poignardé dans le dos par le décès tragique de celui-ci. C’est en ce moment que la méchante mort a arraché ce fils à son affection. C’est à travers cette chanson de mon grand-père que mon oncle a été enterré. Partout où ils passaient à l’époque, je les accompagnais. C’était d’ailleurs moi qui pilais l’igname que nous mangions au champ.

A chaque fois que je travaille, j’entonnais presque toujours une chanson. Alors qu’à la suite de ce sinistre, mon grand-père a pris la décision selon laquelle aucun de ses enfants ou petits-fils ne chanterait encore puisqu’il estimait qu’ils ne durent pas à chaque fois qu’ils commencent. Donc, un jour, alors que je chantais, il a décroché sa cravache pour me rosser. C’est ainsi que j’ai fui et je suis allé passer une semaine en brousse. A l’époque, il y avait un roi qu’on appelait Gandébagni, qui est le neveu de mon grand-père.

Ce roi a donc fait gongonner. Ainsi, le crieur public fit son travail et tout le monde s’est mis à ma recherche. Lorsqu’ils m’ont retrouvé, j’étais accroché à un arbre comme une chauve-souris. Mais avant, il faut souligner que j’ai cheminé, durant ces 8 jours dans la brousse, avec des génies. A l’époque, si une famille perd un de ses membres, celui qui retrouve ne dit jamais le voici je l’ai retrouvé. Mais il dit, après l’avoir découvert, allons le chercher par ici. C’est ainsi que celui qui m’avait retrouvé sur l’arbre avait signalé à mes parents et ils étaient venus à ma rencontre. A leur vue, j’ai entonné une chanson qui disait que, pour moi, chanter n’était pas une simple passion mais un héritage.

Ce n’est non plus quelque chose que j’ai appris quelque part mais que c’est un héritage et c’est de ma famille que je l’ai hérité. C’est ainsi que les génies ont signalé à mon grand-père qu’il faut qu’il me laisse chanter. En ce moment, j’avais à peu près neuf (09) ans. Donc quand j’ai commencé par chanter, je suis allé prester en Côte d’Ivoire et également chez Kouamé N’Kruma au Ghana. C’est en Europe seul que je ne suis pas encore allé.

Et qui vous a aidé à découvrir ces pays ?

A l’époque, Kouamé N’krumah aimait très bien les Dahoméens. C’est ainsi que pour son plaisir, il demandait que les Dahoméens viennent prester pour lui. Alors les Dahoméens qui vivaient sur son territoire lui rendaient le service demandé. Donc, c’était les Dahoméens qui étaient chez lui à l’époque qui étaient partis me chercher. C’était pareil en Côte d’Ivoire.

Le rythme originel que vous faisiez était-il le Toba ?

Oui, c’est par le Toba. Mais cela ne m’empêche pas d’exécuter quelque fois le rythme Azahoun. Il est vrai que ce n’est pas ma spécialité. Mais quand mes aînés sont en train de chanter, ils me sollicitent parfois. C’est de la même façon que j’exécute aussi le rythme appelé Gbadja. Ça, c’est aussi une spécialité de mon grand-père.

Vous aviez donc neuf (09)ans quand vous avez commencé par chanter. Quand est-ce que vous avez produit votre premier album ?

Au moment où j’étais en Côte-d’Ivoire, là-bas nous faisions les travaux de construction de Bâtiment en terre battue. Je rappelle qu’il n’y avait pas de voie qui venait ici chez nous à Savalou. C’était à l’époque où le roi Gandigbé était au trône. En ce moment, on recrutait les soldats. C’est ainsi que nous avons reçu le courrier de recrutement et moi j’étais parti. Nous étions environ deux cent (200) à l’époque à prendre le départ. En ce même moment, il y en avait qui partaient pour Accra.

Et quand vous avez un fils qui est parti pour Accra, il y a un papier qu’il fallait remettre et un lieu spécial était réservé à ceux dont les fils sont partis à Accra. Ce lieu s’appelait Mètawassa où il y a un arbre géant avec des cravaches autour. A chaque fois que le soleil se met au zénith, l’arbre en question dégageait une chaleur intense. A l’époque, il y avait aussi hamac dans lequel on transportait le roi Gandigbé depuis son palais jusqu’à son domicile. C’est ainsi que quand le roi voulait être transporté à son domicile j’entonnais un morceau. Dans la chanson, je disais à chaque fois que sa majesté voudra se rendre à son domicile, il mérite de louanges accompagnées du rythme Toba.

En ce moment, il y avait le billet de 10 francs qui ressemble un peu au nouveau billet de cinq cents que nous utilisons aujourd’hui. Il y avait aussi les pièces de 5 francs. C’est ça que sa majesté le roi Gandigbé me répandait sur la tête. C’est là que j’ai véritablement commencé et pris le goût du Toba. C’est alors que mon premier album était un disque de 45 tours. Après, j’ai réalisé le 33 tours avant de commencer par faire des cassettes. Pour ce qui concerne l’année, je ne saurais vous situer avec précision.

Combien d’albums de 45 tours avez-vous réalisés en tout ?

J’en ai produit deux.

Quels sont les morceaux qu’ils contenaient ?

L’un des premiers morceaux parlait de la mort et disait en résumé « c’est la mort qui est la cause de tout mon malheur. C’est à cause d’elle que je ne pèse plus en famille. C’est toujours par sa faute que les moqueurs et les ennemis me méprisent, m’humilient et me ridiculisent ». Pour ce qui concerne le disque 33 tours, j’en ai produit trois (03) et pour les cassettes, j’en ai réalisé au moins onze (11).

Et les compacts discs (CD) que nous utilisons actuellement, n’en avez-vous pas du tout produit ?

Bien sûr. Je n’ai produit que deux (02).

Avec tout ce parcours que vous avez fait grâce à votre carrière musicale, on imagine bien que vous devriez être un artiste comblé.

Ma carrière de chanteur ne m’a pas fait riche malgré les grands lieux où je suis parti faire des spectacles comme le Nigéria, la Côte-d’Ivoire, le Ghana et autres. J’avais même participé à des festivals où j’étais premier dans toute l’Afrique. Celui pour qui j’étais parti prester s’appelait Mouritala. L’Etat nous avait accompagnés aussi. C’était au temps de la révolution dans les années 77.

Qui a inventé le rythme Toba, selon vous?

Moi-même, je suis tailleur de formation. Mais le rythme Toba, c’est moi qui l’ai inventé. Mais il ne m’a pas enrichi. J’ai un enfant qui est médecin. Gangnon a commencé en Côte-d’Ivoire. Mais, c’est chez moi qu’il a appris le rythme.

Et pourtant, entre vous et Gangnon, il y avait eu de sérieux malentendus au point où, à travers des chansons, vous vous apostrophiez.

C’est vrai qu’il y a eu à un moment donné, des malentendus entre nous. Ceci parce qu’il m’a apostrophé dans ses chansons. Mais retenez que ce sont des personnes malveillantes qui voulaient nous opposer. Et très tôt nous nous sommes compris puis le courant passe entre nous. Lui et moi n’avons plus aucun problème.

On imagine qu’avant que tout ne rentre dans l’ordre vraiment, vous vous êtes lancé beaucoup de gris-gris

Non pas du tout. Gangnon et moi sommes des frères.

Etes-vous présentement encore en mesure de chanter ?

Non, je ne chante plus. C’est mon benjamin qui s’essaye encore à la chose.

Qu’est-ce qui vous occupe alors maintenant ?

Mes enfants m’ont interdit d’aller au champ. Donc, je n’y vais plus. Avant, je louais mes machines à coudre à des gens. Ce qui me permettait de me faire quelques sous. Mais compte tenu des ennuis qu’ils me causaient, j’ai dû arrêter tout ça pour éviter tout problème. Actuellement, ce sont mes enfants qui me soutiennent. Sinon j’ai des domaines de cajou et de teck. Mais compte tenu de mon âge mes enfants m’ont défendu d’y aller. Puisqu’il fut un temps, j’ai été aussi gravement malade.

N’avez-vous pas d’enfants couturiers qui puissent hériter de ces machines ?

Non. Tous mes enfants vont à l’école.

Combien d’enfants avez-vous ?

(Léger sourire) : Vous voulez que je vous donne le nombre de mes enfants ? Non. Ce n’est pas possible. Tout ce que je puis vous dire, c’est que Dieu m’a fait la grâce de me donner des enfants que les moyens dont j’ai à ma disposition peuvent supporter. Ces enfants sont issus des deux femmes que j’ai. J’en avais fait, selon mes moyens de l’époque donc.

Pourriez-vous nous raconter comment vous avez rencontré vos femmes ?

Parmi elles, il y a une avec qui je me suis lié naturellement par amour. Mais, l’autre, c’est mon père qui me l’a proposée. Mais, je les aime toutes.

Vous aviez dit que vous n’êtes pas instruit. Quelle était la raison ?

J’avais le désir ardent d’aller à l’école et j’en pleurais même. C’est mon père qui s’était opposé à cela. Dans le temps, il y avait un docteur qui le fréquentait. Ce docteur lui avait tout dit au sujet de mon instruction. Mais malheureusement, il ne l’a pas écouté. Son seul prétexte était que je suis son fils unique et je représentais pratiquement tout pour lui, son espoir en fait. La seule grande éducation qu’il a su m’inculquer, c’est d’éviter d’accumuler des femmes et de mettre au monde beaucoup d’enfants. J’ai pris ma première femme en 1964 et la seconde en 1966. Tous mes enfants ont été à l’école.

Quel conseil avez-vous à donner aux jeunes chanteurs d’aujourd’hui ?

Ce que j’ai à leur dire est d’avoir de la tempérance dans leur façon d’agir et de dire les choses. Même si vous êtes la meilleure voix révélée et connue de tout le monde et que vous reconnaissez que l’autre est dans l’arène avant vous, tenez à son égard un maximum de respect. Car, vous avez forcément quelque chose à apprendre de lui.

Vous n’êtes pas sans savoir que deux de vos fils s’injurient gravement par chanson interposée. Je veux nommer Allèvi et Gbèzé. Qu’en dites-vous ?

Oui, je le sais. Mais je pense que le problème a été abordé lors de la grande réunion tenue avec les autorités à Abomey.

Et votre fils Gbèzé n’était pas arrivé à cette importante réunion ?

Non, il n’y était pas et il avait raison à mon avis. Je ne ferai pas plus de commentaire. De toutes les façons, il a été bien informé de tout ce qui avait été décidé à cette réunion. Je vais vous dire une chose. Comme je vous l’ai dit au départ, c’est moi qui ai inventé le rythme Toba. Allèvi étant Adja, il a manifesté son désir de le jouer. Nous l’avons approuvé et c’est ainsi qu’il est parti l’apprendre chez Gangnon. Mais, figurez-vous que lorsqu’il a chanté, il a carrément dit qu’il ne l’a appris de personne. Cela me semble être un véritable affront. Pire encore, dans sa chanson, il a douloureusement rappelé à son ami Gbèzé, la mort par morsure de son frère. Ce sont des choses qu’on ne fait pas. Ce n’est pas bien.

Qu’avez-vous à dire pour conclure l’entretien ?

Je vais simplement demander pardon à tous les chanteurs. Qu’ils soient pondérés dans leurs productions et qu’ils prennent la mesure de tout ce qu’ils disent dans leurs chansons. Car, dans cette vie, nous sommes tous en mission et il nous faut être très humble pour réussir cette mission. Que les jeunes chanteurs respectent leurs aînés.

 

Entretien réalisé par

Donatien GBAGUIDI

 

 

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