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Le triomphe de la vérité

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Féminisation de la pauvreté à Savalou:Le combat de la femme rurale à Ouèssè


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Maman Isaac (à gauche) et maman Sylvie (à droite) en consiliabule pour rejoindre le champ de manioc

Loin de tout bruit lié aux préparatifs de la journée internationale de la femme, deux femmes de Ouèssè, lointain village de la commune de Savalou, racontent ici leur vie. Dur dur que d’être femme rurale.

Samedi 3 mars 2012. A Ouèssè, cette matinée plutôt pluvieuse n’empêche pas les femmes de vaquer à leurs occupations champêtres. J’ai rendez-vous à 7 heures avec dame Cécile Zomagboguélou dite Maman Sylvie. A l’heure convenue, elle était déjà prête. A mon arrivée donc, ses instruments disposés dans une sorte de bassine sur la tête, on embarque pour le champ de son mari.

La commune de Savalou située à 227 km de Cotonou, la capitale économique du Bénin est citée parmi les communes ayant une incidence de pauvreté élevée, selon une enquête dont les conclusions ont été rendues publiques en mars 2011 par l’Institut National de Statistiques et d’analyse économiques (INSAE). Comme la majorité des femmes de la commune, Maman Sylvie s’occupe principalement des travaux champêtres qui la nourrissent, elle et ses six enfants à qui elle assure aussi la scolarité. Ce matin-là, elle devra déterrer des tubercules de manioc qui seront plus tard transformés en gari et tapioca.

Mais elle n’ira pas seule. Juste après quelques minutes de marche, Maman Sylvie fait escale chez une amie. Maman Isaac avec qui elle avait convenu de faire les travaux de ce samedi. Mais celle-ci a quitté la maison plus tôt pour collecter les noix d’anacarde dans le champ hérité de sa défunte grand-mère. Maman Sylvie la rejoint alors, puis quelques conciliabules après, elle la suit pour l’aider à déterrer les tubercules de manioc. Dix minutes plus tard, nous voici dans le champ. Il s’agit d’une plantation de manioc de trois hectares rigoureusement bien entretenue.

« C’est notre association Affossogbé qui a planté toutes ces plantes de manioc que vous voyez », assure-t-elle en me balayant de ses mains la vaste étendue de manioc. Fleurissent ici également quelques dizaines de pieds d’anacarde. Pour les deux sexagénaires, l’heure n’est surtout pas à la perte du temps.

 L’opération devra durer tout le reste de la journée

Juste deux minutes après ces précisions, elles se mettent au travail. Et c’est parti pour des heures et des heures de rude labeur passées à déterrer les boutures de manioc. Gros ou petits, ces tubercules nécessitent souvent un tour de force pour être déterrés. Elles finissent de déterrer les plantes de manioc et entament la seconde étape de ce long processus de transformation. Les tas de manioc constitués, elles s’assoient pour les éplucher. L’opération devra durer tout le reste de la journée. Le lendemain, elles s’occuperont à raper le manioc pour le transformer en gari, puis, plus tard, en tapioca.

 La dure existence d’un ménage polygamique

Maman Sylvie est mère de 6 enfants. La soixantaine environ, elle a deux coépouses qui ont chacune 5 enfants. Son mari, infirmier à la retraite depuis de longues années, ne peut assurer tout seul l’avenir de ces 16 enfants. Prenant conscience de la situation, maman Sylvie, la première femme de ce ménage, doit se battre pour assurer vaille que vaille l’avenir de ses 6 enfants. Militante de l’association de femmes baptisée « Affossogbé », elle s’adonne au quotidien aux travaux champêtres, qu’ils soient collectifs ou personnels.

 Tous les mercredis, tout comme ses autres consœurs, elle est soit dans le champ collectif de l’association, soit exécute des tâches rémunératrices confiées à l’association par les tierces personnes, soit encore dans son propre champ. Autrement dit, de toute la semaine, il n’y a pratiquement pas de jour de repos pour elle. Et ses différents efforts semblent payer. A l’exception de sa fille aînée, tous ses 5 autres enfants (2 filles et 3 garçons) ont pu aller à l’école.

Et c’est là toute sa satisfaction. Leur réussite scolaire lui fait oublier les multiples sacrifices consentis durant toute sa vie de femme. « Je suis aujourd’hui très fière d’avoir participé à la réussite de mes enfants. Je pense que mes sacrifices n’ont pas été vains. Même mon benjamin vient d’avoir le Baccalauréat et je me bats des pieds et des mains pour qu’il puisse faire l’Université comme ses aînés », confie-t-elle une lueur d’espoir dans les yeux. Mais sa consœur, Maman Isaac a eu moins de chance. Veuve depuis des années, elle doit supporter seule la charge de ses trois enfants sur l’exclusif revenu des travaux champêtres qu’elle effectue. « C’est difficile d’être à la fois père et mère de famille », avoue-t-elle le cœur serré.

Son défunt mari étant également polygame de trois femmes, chacune d’elle devra désormais se débrouiller pour subvenir aux besoins de ses enfants. Et Maman Isaac a bien compris la leçon. Mais elle semble bien à bout de souffle. Compte tenu de ses moyens très limités, aucun de ses trois enfants n’a pu évoluer à l’école. Sa fille aînée qui n’a que le niveau du Cours moyen deuxième année (CMII) est aujourd’hui mariée à Ouèssè, son village natal. Son cadet (21 ans) a dû abandonner les classes en 5ème. Il est actuellement apprenti plombier. La benjamine de 17 ans ne fréquente plus.

Elle est contrainte d’apprendre la couture après son Certificat d’études primaires (CEP). Et cette situation ne manque pas de hanter Maman Isaac qui se dit pourtant déterminée à œuvrer pour leur donner de quoi survivre, même au prix de sa vie. Leur revenu, maigre s’il en fut, leur permet de nourrir quelques espoirs sur leurs progénitures. « Notre avenir est déjà derrière nous », murmure Maman Sylvie, anxieuse.

Donatien GBAGUIDI

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