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Le triomphe de la vérité

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Jean-Pierre A. Edon sur la guerre en Ukraine: « On peut nourrir l’espoir… »


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La guerre en Ukraine a déjà duré neuf mois, et à ce jour personne n’est en mesure de prévoir ni la durée, ni la fin. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle risque d’être longue, coûteuse avec d’énormes dégâts. Dans une réflexion, l’Ambassadeur Jean-Pierre A. Edon, spécialiste des questions internationales est revenu sur la question en exposant les implications de cette guerre. Pour lui, le pire n’étant heureusement pas encore produit, on peut nourrir l’espoir que les grandes puissances feront montre de sagesse en prêtant attention à ce son de cloche pour le bien-être des habitants de la planète.

LE REMODELAGE DES RAPPORTS DE FORCES DANS LE MONDE, CONSEQUENCE DE LA GUERRE EN UKRAINE

La guerre en Ukraine dure déjà neuf mois, et à ce jour personne n’est en mesure de prévoir ni la durée, ni la fin. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle risque d’être longue, coûteuse avec d’énormes dégâts. Les forces en présence croient chacune à la victoire et les pays co-belligérants ne sont pas pressés de recourir à une issue diplomatique. Pendant ce temps s’intensifient des sanctions contre la Russie qui est ainsi forcée à se préoccuper de sa survie, en prenant des mesures et initiatives qui, inévitablement aboutiront au remodelage des rapports de forces sur le plan international.

Trois mois après le déclenchement de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine, les réactions des pays occidentaux et celles des pays en développement, ont permis de comprendre que désormais de profondes mutations vont s’opérer dans la gestion du monde. Il était alors clair que le glas du monde unipolaire en cours depuis trois décennies a sonné, de même que la fin de l’hégémonie occidentale. Désormais nous assisterons à une planète à plusieurs pôles.

Il y a cinq mois les contours de ce nouveau monde n’étaient pas clairement circonscrits, mais aujourd’hui, ils commencent par se préciser. Pour cerner de près ces mutations, il est nécessaire et utile d’évoquer rapidement les causes profondes de ce conflit qui font l’objet de la stratégie de domination du monde par une nation  soutenue par un groupe de pays du vieux continent.

Les causes non-dites et la stratégie hégémonique

A la suite de la dislocation de l’Union soviétique en 1991, a commencé une période où les Etats-Unis étaient persuadés d’être la seule superpuissance dans le monde devenu unipolaire. S’étant servi parmi tant d’autres, de trois évènements pour manifester sa puissance à savoir la guerre du Golfe, l’intervention en Bosnie et l’élargissement de l’OTAN à l’Est, cette nation croyait pouvoir transformer le monde à son image.

Par cette expansion à l’Est, Washington a unilatéralement décidé de se positionner dans les nations d’Europe centrale et orientale nouvellement libérées du joug russe. Voilà que de nouveaux concurrents ont commencé par émerger, parmi lesquels la Russie qu’on croyait avoir réduit à néant, déstabilisé à jamais, renait de ses cendres et figure en bonne position.

Depuis que les Etats-Unis ont occupé la place du Royaume-Uni en tant que puissance hégémonique, ils ont fait usage d’une théorie célèbre : la théorie du « Heartland » formulée par Sir Halford Mackinder selon laquelle, si l’Allemagne arrive à prendre le contrôle du « Heartland » c’est-à-dire la Russie, elle dominera l’Eurasie et par voie de conséquence le monde.

On comprend alors pourquoi les sanctions européennes suscitées et soutenues par les Etats-Unis, visent particulièrement à compromettre la coopération russo-allemande par l’arrêt de la fourniture du gaz russe à Berlin, à travers l’interruption du fonctionnement des gazoducs Nord stream 1 et Nord stream 2.

A moyen ou long terme, le rapprochement des deux pays par le renforcement de la coopération bilatérale, l’un étant une puissance économique et l’autre, une puissance militaire, mettra en danger les intérêts américains en Europe et constituera un obstacle de taille à sa stratégie de domination de ce continent et du monde.

Il y a quelques années, le Japon était un concurrent de taille, mais aujourd’hui c’est la Chine qui est en voie de supplanter les USA, situation que Washington ne conçoit pas et n’accepte surtout pas. On se souvient qu’en janvier 2010, lors de son premier discours sur l’état de la nation, le président Barack Obama avait déclaré : « Je ne veux pas de seconde place pour les Etats-Unis d’Amérique. » Cette phrase forte et très significative résume en quelques mots, l’horizon stratégique américain actuel.

Mieux, lorsqu’en 2011, Vladimir Poutine a proposé la création de l’Union Eurasienne par la mise en place de la Grande Europe qui va de Lisbonne (Portugal à l’Ouest) à Vladivostok (Russie à l’Est, vaste pays d’une superficie de 17,1millions de km2), la secrétaire d’Etat à l’époque, Madame Hillary Clinton a promptement réagi en ces termes : « Il y a un mouvement de ré- soviétisation de la région. On ne va pas l’appeler comme ça. Cela va s’appeler une union douanière, une union eurasienne et tout ça…Mais ne nous y trompons pas. Nous savons quel est l’objectif et nous essaierons de trouver des moyens efficaces de le ralentir ou de l’empêcher. »

Il est alors évident que la Grande Europe qui était aussi la vision du général de Gaulle foncièrement hostile à la domination américaine, n’est pas et ne sera jamais du goût de Washington. Rappelons que cette hostilité gaullienne explique le retrait de la France de l’OTAN en 1966, et le départ des troupes américaines du territoire français, à la demande du Président de Gaulle.

 La Russie étant une puissance militaire, il fallait l’isoler du reste de l’Europe en évoquant la question de sécurité des autres pays européens qui sont alors incités à intégrer l’organisation militaire occidentale. C’est le cas récent de la Suède et de la Norvège qui viennent ainsi s’ajouter aux anciens pays de l’Est. L’OTAN qui souffrait de « mort cérébrale » selon les propos du président Macron, est subitement revenue en vie, bénéficie d’un élargissement et d’un armement sans précédent.

Tous ces mouvements sont suivis de près par la Russie et la Chine qui, conscientes d’avoir un adversaire commun, resserrent de plus en plus leurs liens et collaboration. Autant la puissance militaire russe inquiète l’Amérique, autant l’émergence et la force économique chinoise ne la laissent pas non plus indifférente.

Il est évident qu’après la Russie, la cible à atteindre reste la Chine considérée comme une menace, une nation ambitieuse cherchant à occuper la place de première puissance économique. Les provocations ont déjà commencé avec la récente visite à Taiwan, (un Etat insulaire officiellement appelé République de Chine, proche des côtes chinoises, autrefois dénommé île de Formose, historiquement considéré par Pékin comme l’une de ses provinces), de Madame Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des Représentants des Etats-Unis. Comme il fallait s’y attendre, la réaction de Pékin a été prompte, vive et percutante.

Il est intéressant et édifiant de constater qu’il y a une constance dans les comportements stratégiques américains depuis des décennies. Aussi les évènements de nos jours rappellent-ils la politique d’endiguement décidée par l’hôte de la Maison Blanche Truman au début de la guerre froide et consistant à stopper l’extension de la zone d’influence soviétique au-delà de ses limites atteintes en Mars 1947. C’est dans ce cadre que s’inscrit le plan Marshall destiné à venir en aide financière aux pays européens non- communistes complètement affaiblis par la deuxième guerre mondiale. Avec le conflit ukrainien et l’implication de plus en plus claire de Washington qui ne ménage aucun effort pour soutenir Kiev, on dirait que l’histoire se répète.

Les différentes et multiples mesures prises par l’Occident contre la Russie notamment les sanctions, ne donnent pas les résultats escomptés. Au contraire elles créent une situation défavorable à ces pays, dans les rapports de forces mondiaux sur les plans monétaire, économique, voire stratégique, caractérisée par la naissance en cours d’un nouveau pôle économique et sécuritaire.

Les mutations en cours de l’ordre international

En vue de contourner les sanctions économiques et commerciales, la Russie, animée naturellement par l’instinct de conservation, a décidé de se faire payer désormais par ses clients européens, en rouble pour la fourniture du gaz et du pétrole. Des mesures ont été prises par Moscou pour intensifier les échanges commerciaux avec la Chine, l’Inde et autres pays.

Depuis quelques années déjà, en prévision de ce qui allait se passer plus tard, selon les études prospectives faites, la Chine et la Russie prenaient déjà des précautions, des mesures pour « dédollariser » à court ou moyen terme, les échanges commerciaux internationaux. Les sanctions actuelles liées au conflit ukrainien, sont venues renforcer leur détermination à poursuivre dans cette voie dont la justesse est manifeste, et à accélérer la mise en œuvre de cette politique.

Coupée du système SWIFT, la Russie s’associe avec la Chine et les nations BRICS en vue de développer des mécanismes alternatifs fiables pour les paiements internationaux, dans le but de réduire la dépendance vis-à-vis du système financier occidental. Dans ce cadre, le président Poutine a déclaré lors du forum commercial des BRICS en Juillet dernier que « la question de la création d’une monnaie de réserve internationale basée sur un panier de monnaies de nos pays, est en cours d’élaboration. »

Le groupe BRICS regroupant les pays émergents que sont la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, prend d’importance ces derniers temps avec les demandes d’adhésion de l’Argentine et de l’Iran. L’Algérie aussi en est intéressée.

Le 23 Mai 2022 plusieurs ministres des affaires étrangères des pays en développement, ont participé à une conférence virtuelle baptisée « BRICS PLUS », et présentée par Pékin comme « une nouvelle phase du processus de l’élargissement des BRICS ». Il s’agit des chefs de la diplomatie des pays suivants : Emirats Arabes Unis, Arabie Saoudite, Egypte, Kazakhstan, Indonésie, Argentine, Nigéria, Sénégal, Thaïlande.

Constitué actuellement de cinq pays émergents, le groupe BRICS représente de nos jours 42% de la population mondiale (3,2 milliards de personnes) et environ 25% du produit intérieur brut (PIB) mondial. En 2014, il a créé sa propre banque de développement pour tenter de bousculer l’architecture financière internationale représentée par les accords de Bretton woods, et s’efforce de jouer un rôle prépondérant dans la gouvernance du monde.

Une autre mutation générée par le conflit ukrainien, apparue dans les votes aux Nations-Unies, est l’éloignement progressif des pays en développement, en particulier ceux de l’Afrique, des positions des pays occidentaux par rapport aux grandes questions internationales. Ces nations ne veulent plus suivre aveuglément les puissances nanties dans leur gestion du monde. Elles affirment alors le non-alignement et évitent d’être entrainées dans une nouvelle guerre froide entre la Russie et les Etats-Unis.

L’ensemble de ces faits annonce le déclin relatif de l’Occident comme ce fut le cas des grands empires romain et russe. Lent et peut-être inévitable, ce déclin est provoqué par le développement inégal et la recherche effrénée de l’hégémonie mondiale.

Du développement ci-dessus présenté, il ressort qu’un autre pôle de la gouvernance mondiale s’apprête à voir le jour et s’imposer par le biais du groupe des BRICS. Ce nouveau pôle va naturellement bousculer, voire remettre en cause l’actuel ordre international. La création d’une nouvelle monnaie de réserve internationale en gestation, affaiblirait le dollar, l’Euro et par voie de conséquence, l’économie des nations dont ces devises sont les monnaies nationales.

 Dans ce cas de figure, on assisterait alors à la décadence progressive des économies occidentales, en particulier celle des Etats-Unis dont la force économique réside, entre autres, dans le dollar devenu une monnaie à caractère international. Pendant ce temps le nouveau pôle gagnerait en croissance économique en pleine expansion.

Toute tentative pour reprendre par la force la situation serait difficile, car beaucoup de pays disposent aujourd’hui des armes létales lourdes. Or une guerre nucléaire n’arrange aucun pays et personne n’en sortira indemne ni victorieux, car elle sera largement dévastatrice et pourrait précipiter la  fin  du monde plus tôt que prévu par Dieu son créateur.

Dans ces conditions, il ne reste que la négociation avec humilité, le combat contre l’instinct d’hégémonie et les intérêts égoïstes, une véritable coopération multilatérale sincère avec des avantages réellement réciproques dans un climat de paix, de sécurité et de justice, ainsi que la considération prioritaire à accorder à la valeur humaine. Le pire n’étant heureusement pas encore produit, on peut nourrir l’espoir que les grandes puissances feront montre de sagesse, en prêtant attention à ce son de cloche pour le bienêtre des habitants de notre planète. Que l’humanité fasse alors sien, le credo de paix et sécurité, d’amour, de fraternité et de solidarité internationale.

Jean-Pierre A. EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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