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Le triomphe de la vérité

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ABT se dévoile: ” Le plein emploi, la justice sociale, et la lutte pour un environnement sain sont des exemples d’idéaux que j’ai toujours partagés ”


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Nous avons entrepris voici déjà quelques semaines de vous faire découvrir Abdoulaye Bio Tchané (ABT), sa personne, son vécu, ses ressentis. Nous sommes en effet conscients que plus on connaitra l’homme, plus on pourra comprendre ses valeurs, ses choix, sa façon de voir les choses. Nous avons alors découvert un homme très ouvert, qui a accepté de jouer le jeu. Nous vous proposons dans le cadre de cet entretien, de passer en revue cette tranche de vie, entre la fin du secondaire et l’insertion professionnelle, où les fondations de la vie d’un individu se dessinent, se fortifient. Oui, avant d’être ce qu’il est aujourd’hui, ABT a aussi été un étudiant; il a aussi connu cette période de choix, de luttes, de doutes pour se faire une place dans la vie active. Par dessus tout, il a accepté de nous en parler.

Equipe ABT2011.com : Bonjour ABT, nous vous remercions encore une fois, d’accepter de nous recevoir, pour cet exercice pas si simple qu’est celui de parler de soi. Mais avant tout, comment ont été ces périodes de fêtes de fin d’année pour Abdoulaye Bio Tchané?

Abdoulaye Bio Tchané: C’est moi qui vous remercie pour l’intérêt que vous me portez… C’est vrai que ce n’est pas si simple de parler de soi. Pour la petite histoire, mes enfants ont découvert dans cette interview, certains aspects de ma vie qu’ils ne connaissaient pas et nous en avons beaucoup rigolé. (Sourires). J’ai fêté essentiellement ici même à Lomé, en famille. C’était plutôt convivial et ressourçant. Et puisque vous ne me souhaitez pas la “Bonne Année”, moi je présente à toute l’équipe et à vos proches ainsi qu’à tous les internautes, mes Meilleurs Vœux pour la Nouvelle Année 2010. (Sourires).

Sacrée jeunesse nous direz vous ! Nous en sommes tout confus M. Bio Tchané. Au risque de ne pas paraître pourvus des bonnes manières, nous vous souhaitons donc en retour, pour vous et vos proches nos vœux, les meilleurs pour les défis de l’année 2010, ainsi que toutes celles qui lui succèderont.

Je vous remercie pour vos vœux originaux. J’ai cru un instant que la jeunesse avait perdu les notions de civilités. (Rires) . Maintenant je suppose que vous n’êtes pas ici pour mes beaux yeux…(Rires) En effet, pour résumer un peu notre premier entretien, nous avons retenu que vous avez essentiellement passé votre enfance à Djougou, où vous avez eu votre CEP et à Porto-Novo au Lycée Béhanzin où vous avez décroché en 1972 votre Bac C. ABT : Oui, c’est vrai que j’ai essentiellement vécu à Djougou et à Porto-Novo dans le cadre de mes études primaires et secondaires comme vous le soulignez. Cela dit, j’ai bien connu beaucoup d’autres villes et villages du Bénin ! Je citerai pêle-mêle : “Savalou où j’ai passé des jours de vacances chez une de mes tantes paternelles qui y habitait avec son époux, M. Thomas. “Kétou où mon père était en poste quand j’ai commencé la 6ème, m’accueillait aussi souvent. “Dassa-Zoumé où mon père a été en fonction pendant plusieurs années. “Cotonou qui marquait mon passage obligé entre Porto-Novo et les autres villes, et où je passais certaines de mes vacances de Noël ou de Pâques. “Birni où je rendais visite à un ami de lycée. “Tanguiéta où mon père a aussi été en fonction. “Sans compter les nombreuses autres villes que j’ai visitées pour voir des amis ou parents ou pour accompagner ma “première” Maman qui était commerçante résidente à Djougou, mais itinérante dans tout l’Atacora. J’ai ainsi connu avec elle, Athiémé, Dogbo, Kouandé, Boukoumbé Manta, Pobè, Sakété, Abomey, Bohicon et Covè. Une ville que je n’oublierai jamais est Toucountouna dans l’Atacora. J’avais accompagné mon père pour rendre visite au Prêtre de l’église à cette époque. Je devais être en 5ème ou en 4ème et venais d’assister à mon premier échange sur la philosophie entre deux adultes qui avaient deux conceptions différentes de la vie, qui pratiquaient deux religions différentes mais qui se voyaient souvent pour échanger sur ce qu’ils pouvaient faire ensemble pour les populations. Cela m’a été, et m’est encore utile dans ma vie d’adulte.

Merci ABT pour la précision. Dans notre entretien précédent, nous nous étions arrêté à l’année 1972 où vous avez réussi votre Baccalauréat. Vous êtes ensuite parti pour la France. Pouvez-vous nous parler de vos études en France ?

Après mon Bac C et au vu de mes performances en terminale, j’ai bénéficié d’une bourse nationale pour étudier en France. J’ai donc atterri à Paris, un matin de la fin septembre 1972. A la base, j’étais parti pour une école préparatoire en vue d’entrer dans une école de commerce. Mais vu le retard pris à Cotonou, je suis arrivé en France trois semaines après la rentrée scolaire dans les classes préparatoires, ma conseillère pédagogique de l’Office de Coopération et d’Accueil Universitaire – l’OCAU comme on l’appelait – avait estimé qu’il était trop tard. Elle m’a ainsi proposé d’aller plutôt en Sciences Economiques. C’est ainsi que j’ai fait les sciences économiques, sans l’avoir forcément choisi. Elle m’a proposé plusieurs villes dont Lille et Montpellier, mais j’ai choisi d’aller à Dijon qui n’était pas sur sa liste, car un de mes amis venait de s’y inscrire en Sciences éco également. A mon arrivée en France, j’étais surpris de ne pas être dépaysé; Paris me donnait en effet, l’air d’une ville que je connaissais. J’ai mis cela sur le compte des nombreux films français que j’avais vus pendant mes sept ans au Lycée Béhanzin. Du reste, je me suis tout de suite adapté à la vie de Dijon avec l’aide d’une bande de copains qui venaient d’arriver également. Voyez-vous, quand vous partagez les mêmes préoccupations, c’est parfois plus simple. Mais je dois aussi reconnaitre l’aide d’un de nos aînés, M. Amoussa, qui était aussi l’oncle d’un de mes amis. Il était de la même faculté et moi j’habitais dans la même résidence que lui. Cependant, ce serait honnête de dire que tout n’a pas toujours été facile. Je me souviens de mon premier hiver ! Une dure expérience. Je dormais des heures pour ne pas me retrouver dans le froid. Une fois je suis resté au lit 24 h pendant le weekend (sourire). A part ça, je n’ai pas vraiment connu un choc de cultures. Non, vraiment pas, parce que Dijon était une ville unversitaire où les gens étaient habitués à voir des étudiants de toutes origines, et donc des “noirs”. Je n’ai eu à déplorer aucun acte de racisme. J’étais assez souvent nostalgique du pays, mais j’avais assez pris mes dispositions pour m’adapter. Et puis, heureusement, il y avait une bonne communauté de Béninois et d’Africains. Quelques uns sont restés des amis aujourd’hui encore, au Bénin et au Burkina. Nous n’étions pas que des étudiants studieux (sourire). On s’organisait des parties de football. Les camarades étudiants me trouvaient assez bon au football à l’époque. On organisait aussi en semaine des soirées de belotte chez certains camarades sur le campus ou à l’extérieur. Il y avait les après-midi passés dans ma librairie préférée du boulevard Gabriel. Il y avait aussi pendant les week-ends les soirées sur le campus ou dans une boîte de nuit de la banlieue dijonnaise que fréquentaient les étudiants. En fait, j’ai gardé plein d’anecdotes sur les plaisanteries entre camarades. La meilleure c’est l’histoire d’un café que j’ai dû payer pendant un an à un de mes amis (Badirou) parce que, pris de sommeil dans un épais brouillard, je n’avais pas pu les conduire en voiture de Genève à Dijon (rire). Je dois dire qu’avant le départ, j’avais eu droit à l’une des deux tasses de café que nous pouvions nous offrir, étant le chauffeur désigné. J’aimais aussi voyager. J’ai pu ainsi visiter, en dehors des villes françaises, Genève, Lausane, Turin et Milan. C’était une façon de passer mes vacances, car en 4 ans, je ne suis revenu en vacances au Bénin que deux fois. Je crois qu’à l’époque, j’avais encore une moustache (sourire). Mon fils cadet me taquine d’ailleurs parfois sur ma coiffure et mes tenues de l’époque en regardant les photos. ABT, vous avez dit à l’instant que vous étiez boursier. Votre bourse était-elle suffisante pour une vie d’étudiant étranger? Comment gériez-vous les fonds ? Je dois avouer que c’était l’apprentissage de la gestion de la rareté. Le montant de la bourse était juste ce qu’il fallait. En fait je me rappelle que les étudiants béninois avaient la bourse la moins élevée de tous les étudiants africains. Et pour ne rien arranger, ces bourses étaient des plus irrégulières. La première année, nous avions parfois attendu jusqu’à six mois avant de percevoir nos bourses. Comme beaucoup d’autres camarades, je me suis ajusté assez vite en trouvant des emplois à temps partiel qui m’assuraient le minimum en attendant le versement de cette bourse. Cet épisode m’a inspiré durant mon passage à la tête du ministère des finances. Je me suis personnellement assuré que les bourses des étudiants soient payées à temps, et même en avance. Pour des raisons identiques, la même attention était accordée à la mise en place des budgets de fonctionnement des représentations diplomatiques, afin que les fonctionnaires expatriés et les diplomates soient payés à temps. A part ces petits problèmes matériels, je crois que sur le plan académique, j’ai été plutôt, sans prétention aucune, un bon étudiant, suffisamment studieux, mais me réservant du temps pour d’autres activités. J’ai vraiment apprécié mes années à l’université de Dijon. En 1976, lorsque j’ai obtenu ma maîtrise en Sciences Eco, j’ai été assez fier de moi, mais plus encore des appréciations de mes principaux professeurs. Il y a quelques années, j’ai reçu à Washington, la visite d’un de nos professeurs de l’époque M. Schmidt. Je peux vous dire c’était agréable de revenir à ces années d’études. Pourquoi aviez-vous décidé de rentrer au pays en 1976, sachant que la révolution n’était pas vraiment tendre avec les intellectuels éclairés et les esprits libres comme vous ? D’entrée, je n’avais pas de crainte particulière quant à la révolution même si les choses avaient évolué depuis 1972. En fait, le retour aux bercailles était la condition pour que je poursuive mon troisième cycle universitaire qui m’intéressait au plus haut point, et pour lequel mes professeurs m’encourageaient. Mais avant, il fallait passer par la case “service militaire” en revenant au pays. Justement, comment se fait-il qu’ayant eu le BAC en 1972, vous aviez pu échapper au service militaire jusqu’en 1976 ? Je n’ai pas bénéficié d’un passe-droit comme votre question le laisse suggérer. En fait tous les étudiants à l’étranger pouvaient attendre la fin de la maîtrise pour effectuer leur service militaire. C’est ce dont je me suis prévalu.

Dans le cadre de votre service militaire vous avez passé quelques semaines de formation au camp militaire de Ouidah, quels souvenirs gardez vous de cette ville historique?

Je garde beaucoup de souvenirs du service militaire, mais malheuresement très peu de la ville de Ouidah, car nous ne nous y rendions que rarement. Je ne l’ai, pour ainsi dire, pas visitée pendant cette période, car le service militaire en trois mois donnait l’impression d’une année scolaire entière condensée en trois mois. On n’avait vraiment pas le temps et souvent pas l’autorisation de sortir. Mais pendant la formation commune de base, j’ai connu beaucoup de camarades même si c’était trop bref pour avoir des amis véritables. Je me souviens d’ailleurs que j’ai retrouvé au camp de Ouidah comme encadreurs deux sous-lieutenants qui avaient fréquenté le Lycée Béhanzin en même temps que moi. En dépit de cela, j’ai quand même dû me soumettre à l’ “ordinaire” comme on appelait les repas à la formation commune de base.

Quelles anecdotes pouvez-vous nous raconter sur cette formation militaire souvent difficile pour les jeunes étudiants?

 Les trois mois du service militaire, quoique rudes, sont vite passés. J’ai quand même gardé quelques souvenirs, dont les longues marches nocturnes et la marche fourragère. Je n’ai jamais fait le parcours du combattant car j’étais, un bon et valeureux soldat, assez discipliné pour l’éviter comme punition (sourire). Mais ce qui me marquera sans doute pour toujours, ce sont les épreuves de tir. J’en ai gardé une belle cicatrice sur le visage (rires). Quoi d’autre ? il n’y avait pas de bizutage car les promotions militaires ne se croisaient même pas.

 1977 : l’année de l’agression du Bénin par Bob Denard et ses mercenaires. Ce dimanche 16 janvier 1977, où étiez-vous ?

A Ouidah, bien sûr ! Comment oublier ce jour où nous avions vécu des instants difficiles dans l’histoire de la jeune Nation béninoise ? Nous avons appris la nouvelle par nos formateurs, car tout de suite nous avions été rassemblés au camp. Nous étions tous partagés entre la révolte contre ce qui arrivait à notre pays envahi par des mercenaires et l’inquiétude d’être envoyés au “front”. Pendant des jours et des nuits, nous avions tenu des check-points sur les différents axes, à la recherche de mercenaires en fuite, car on nous en avait signalé certains en direction de Ouidah. Nous avons passé des nuits entières embusqués dans la brousse de Ouidah dans la fraîcheur des nuits. Après les trois mois à Ouidah, il fallait aussi faire huit mois de service civique. Pour ma part, j’ai été finalement affecté dans une ville que je connaissais bien car j’y étais né : Djougou.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette expérience ? Cela commence par un curieux concours de circonstances.

 En effet, après la formation militaire nous devions faire le service civique qui était l’enseignement pour la plupart, mais l’entreprise pour nous qui avions une maîtrise. A ma grande surprise, j’ai d’abord été affecté au Lycée Coulibaly de Cotonou puis réaffecté au Collège de Djougou. J’ai accepté de gaieté de cœur d’aller à Djougou sachant à l’époque que le collège n’avait pas de professeur de maths au second cycle. Ma mission a donc été d’enseigner les maths. J’avais fait un Bac C, j’avais des aptitudes pour la discipline, et en plus c’était dans mes aspirations. J’avais quitté Djougou pour le Lycée Béhanzin pour m’émanciper de mes parents. Douze ans après, Djougou avait changé. Du moins, moi j’avais changé car mes centres d’intérêts n’étaient plus les mêmes. Et j’avais de nouvelles responsabilités. J’ai retrouvé ceux de mes amis d’enfance qui étaient restés à Djougou. Mes cousins de la famille Djarra par exemple et d’autres encore. J’étais parti enfant de Djougou et j’y revenais jeune adulte, plein d’ambitions pour moi-même et mes jeunes élèves, avec un idéal en tête. Au début, j’étais embêté de vivre dans cette ville où à minuit il n’y avait plus d’électricité. Certainement des habitudes prises en France… mais assez vite, je me suis adapté. Je n’ai jamais regretté d’avoir quitté la France où certains de mes amis se sont définitivement installés après nos études.

Pendant cette période, avez-vous visité/vécu dans d’autres villes du Bénin ?

Oui, je suis devenu actif sur le terrain social avec des camarades. J’ai ainsi pu visiter ou revisiter Natitingou, Tanguiéta, Boukoumbé, Kouandé, Dogbo et tous les arrondissements de la commune actuelle de Djougou. Vous savez, le Benin est un pays magnifique et les Béninois dans leur diversité sont un peuple fantastique. Vous pouvez admirer les chutes de Tanguieta comme celles des Tanékas ; admirer les Tatas Sombas comme les animaux dans la Pendjari. Avoir une conversation avec les paysans de Bareï ou de Ouaké, échanger avec les commerçants ou mes amis transporteurs de Djougou, est toujours instructif. Si vous avez visité Abomey, Athiémé ou Kétou vous avez sûrement d’autres raisons de vous associer à ce que je dis. Les vacances que je passais à Kétou m’ont aussi donné l’occasion de connaître cette ville et ses habitants, mais aussi une autre ville comme Pobè. J’encourage les béninois à découvrir notre pays et bien sûr les Africains à découvrir notre continent.

Avez- vous milité pour des mouvements de jeunesse du PRPB? Si oui quelles étaient vos motivations ?

 Non. J’ai toujours eu l’esprit à gauche donc sensible à beaucoup de choses qui étaient propagées par le PRPB même si en pratique, ses dirigeants sont passés à côté de leur sujet. Le plein emploi, la justice sociale, et la lutte pour un environnement sain sont des exemples d’idéaux que j’ai toujours partagés. Je participais ainsi volontiers aux campagnes de salubrité. Au cours de mes premières années d’activité, j’ai par exemple lancé un cercle de réflexion économique, avec des amis comme feu Nadjou ou l’actuel ministre Davo. Encore une fois, comme de nombreux camarades de ma génération, j’ai applaudi l’arrivée du Gouvernement Militaire Révolutionnaire (GMR) en 1972 pour ces mêmes raisons.

Quels étaient les rapports du jeune professeur de Mathématiques ABT et plus généralement des appelés de l’époque avec le pouvoir exécutif ?

 Très peu en réalité. En effet, une fois affecté, vous attendiez la fin du service. J’ai eu par contre des fréquentations avec des préfets ou sous préfets qui étaient des amis ou des camarades de lycée. Malgré l’enseignement, nous ne dépendions pas du Ministère de l’Education Nationale, mais plutôt du Ministère de la Défense, car nous étions des appelés en service civique. Nous étions payés 15000 FCFA de l’époque, si ma mémoire est bonne. Pour moi c’était largement suffisant car j’habitais dans ma maison familiale, où j’étais nourri et entretenu par ma famille. Ma maman de Covè vivait encore et s’occupait de tout. Je dois dire que j’ai grandement apprécié cette période, aussi bien du point de vue personnel que du point de vue de ma contribution à la formation de certains de mes jeunes compatriotes. C’était la toute première fois que je me sentais utile pour d’autres. Une sensation formidable, cette possibilité de rendre à mon pays ce qu’il m’a donné ! L’illustration de l’adage qui dit : ” Qui paie ses dettes s’enrichit “. Je n’ai jamais oublié cette sensation. Les circonstances se prêtaient bien à l’époque : je n’étais ni encore marié, ni père. Alors j’occupais mes temps libres entre lecture et match de foot. Je passais aussi une bonne partie de mes loisirs à préparer mes travaux pour mon retour en faculté à Dijon pour un 3ème cycle et la préparation du concours de la BCEAO.

Parlez nous un peu de l’aventure BCEAO. De l’interview n°1, nous avons notamment retenu que vous vouliez “diriger une entreprise commerciale”. Comment vous est arrivée l’idée/l’envie de travailler pour une institution sous-régionale ?

 Très bonne question mais vous serez peut-être surpris d’apprendre que je suis entré à la BCEAO par accident. Rappelez-vous que j’effectuais mon service militaire comme condition préalable à mon 3ème cycle universitaire. Mais au sortir de Ouidah alors que je préparais mon départ pour Djougou, le frère d’un ami me signale que la BCEAO allait recruter des jeunes diplômés pour son centre de formation. Je suis donc allé prendre les informations sur ce concours. Il y a avait les imprimés d’inscription ainsi que le programme du concours. C’est ainsi que j’ai passé une partie de mon temps de loisirs à Djougou à préparer ce concours. Ma préparation était assez dilettante car je la faisais entre dix mille choses, dès que j’avais un moment libre. J’ai sollicité l’autorisation de concourir auprès du Chef des armées – le Président de la République – puis je me suis rendu à Cotonou en Juillet pour les examens. J’y ai rencontré quelques camarades. Ensuite, je me suis rendu à Dakar pour les oraux, après mon succès aux écrits. Enfin, après mon succès définitif, il a fallu obtenir la dérogation du même chef des armées pour raccourcir ma formation civique et commencer mon stage. Aviez-vous été inspiré par cet autre “Abdoulaye”, M. FADIGA qui était le Gouverneur de la BCEAO dès 1975 ? Et plus généralement, pouvez-vous nous parler du centre de formation de la BCEAO et de la vie à Dakar ? Je ne connaissais pas M. Abdoulaye FADIGA à l’époque. En fait je ne l’ai rencontré physiquement la première fois qu’une fois au centre de formation. Le COFEB, Centre Ouest-Africain de Formation et d’Etudes Bancaires a été créé le 05 août 1977, comme un des éléments de la politique d’africanisation de la BCEAO décidée par les autorités de l’UMOA. En grand visionnaire, le 1er Gouverneur de la BCEAO, M. FADIGA, voyait ce centre comme la réponse à long terme pour l’émergence de cadres compétents à la banque centrale et dans les institutions financières de la région. Je suis issu de la première promotion du centre qui nous a accueilli à Dakar pour la préparation du DES Bancaire. En fait sur plusieurs points nous avons essuyé les plâtres, nous en avions été les cobayes. Par exemple, cette promotion a subi une formation de 2 ans contre 18 mois à partir de la 2ème promotion. J’étais animé d’une certaine fierté, non seulement de faire partie de cette première promotion, mais aussi parce que sur les dizaines de candidats ayant postulé, j’avais été reçu premier du groupe de 24 sélectionnés dans cette première promotion du concours d’entrée au COFEB. J’ai d’ailleurs fini également major de ma promotion de DES. Le Gouverneur Fadiga en était particulièrement fier, car je portais le même prénom que lui, et surtout aussi que nous venions de la même université de Dijon. Notre promotion comprenait des gens qui ont tous fait de bonnes carrières à la BCEAO et ailleurs. Pascal Koupaki en faisait partie. C’est surtout que le COFEB lui-même est le fruit de la vision d’un homme – le Gouverneur FADIGA – qui croyait en l’Afrique. Il en avait été un militant dans la Fédération des Etudiants Africains de France (FEANF) et était déterminé à faire de la BCEAO un instrument aux mains expertes des Africains. Parlez-nous de votre stage à la BCEAO Mon stage a commencé sous ce que je croyais être de mauvaise augure. Le jour de l’examen, j’ai eu une prise de bec avec le Directeur National de la BCEAO sur un désaccord sur le nombre de béninois à retenir. A Dakar, tout était à faire parce que le centre de formation ouvrait avec notre arrivée, et surtout le transfert du Siège de la BCEAO de Paris à Dakar était tout récent. Mais nous avions la saine ambition de tenir le pari de M. FADIGA de faire de nous les meilleurs banquiers centraux du moment. C’était aussi la continuation d’une vie commune avec d’autres africains dans un univers de compétition et de concurrence. Enfin, je découvrais un autre pays africain et une autre culture que très vite j’apprécierai. Dès les premiers jours, j’ai appris que la Téranga sénégalaise n’était pas de la propagande. Comment s’est passée votre intégration au Sénégal ? Assez bien, je dois le dire. Surtout grâce à un cousin, Allassane qui y vivait depuis des années. Il n’y pas eu de choc de cultures pour moi. Les sénégalais sont un peuple extraordinairement accueillant. J’en ai gardé des souvenirs agréables. La Téranga sénégalaise a eu tout de suite une résonnance dans mon esprit. Je n’oublierai jamais cette première fête de Tabaski que j’ai passé à Dakar chez une famille, les DIACK- que je ne connaissais pas à l’époque, et qui m’a réservé un accueil incroyable. Dakar est spéciale en ce sens que s’y est développée depuis longtemps une vie culturelle dense avec les librairies, les ateliers de peinture et les bibliothèques bien achalandées, les théâtres dont le fameux Daniel Sorano et bien sûr les nombreux groupes musicaux. Sans compter le football qui comptait de très bonnes équipes à l’époque, dont le Diaraf. J’y ai perfectionné mon jeu d’échecs pendant cette période avec l’aide de mon ami Boubacar “Boris” Diop qui est par la suite devenu un écrivain célèbre et surtout les séances nocturnes avec mon colocataire Mouss. J’ai, à l’époque, développé une véritable amitié avec deux camarades de promotion, feu Mouss Adjibi qui est décédé en 1998 et Pascal KOUPAKI qui est en ce moment ministre d’Etat dans le gouvernement du Président YAYI. Franchement, le Sénégal a été une terre d’accueil pour moi. J’y ai vécu plus tard pendant six ans de 1992 à 1998 avec le même plaisir. Après le DES, j’ai immédiatement commencé à travailler à la BCEAO à la direction nationale de Cotonou. J’ai été bien inspiré car j’y ai eu mon premier patron – M. POGNON – qui m’a appris les fils du métier et la nature des hommes. C’était un homme entier, un excellent professionnel et un sentimental. Il m’a aidé soutenu et orienté. Ses colères étaient mémorables et tout le monde savait qu’il fallait travailler comme il vous le demandait mais c’est aussi un vrai croyant et un homme juste. Il est décédé récemment, le 30 octobre 2009, et je partage avec sa famille et ses amis le deuil d’un homme qui savait à quoi s’en tenir et qui ne laissait personne indifférent.

Parlez-nous à présent de votre vie familiale à cette époque.

 Mon père qui avait entre-temps commencé à jouir de sa retraite vivait à Cotonou. Mais il encadrait volontiers mes jeunes frères et sœurs qui étaient encore à l’Université et qui, je pense, ont eu le meilleur de lui. Il prennait des journées entières à lire le coran et à l’enseigner à mes jeunes frères et sœurs. Ses loisirs se limitaient aux parties de belotte que nous partagions avec lui et un autre de ses amis médecin de son état – Dr Taïrou – qui vient de décéder également malheureusement. Il y avait aussi les conseils de mon autre maman -la dernière épouse de mon père, Hadja Modukpè- une femme formidable, pieuse et généreuse. Elle était toute assistance que ce soit pour la scolarité à la maison ou pour nos carrières; elle a vraiment secondé mon père dans notre orientation. Educatrice aussi, elle avait toujours le juste mot pour vous amener à l’écouter. Aujourd’hui encore, je vais à Sodjatinme à Cotonou pour de temps en temps obtenir queques conseils. Quant à ma mère, c’est une femme discrète qui a passé davantage de temps à élever ses quatre garçons. Elle a fait du commerce de céréales. Je crois qu’elle aurait fait fortune si la micro finance avait existé en son temps. Elle a une parfaite connaissance de nos différentes généalogies. Jusqu’en 1979, à 27 ans, je ne pensais pas encore fonder ma propre famille.

De quoi d’autres aimeriez-vous nous parler sur cette période de votre vie recouvrant les années 1972 à 1979 ?

 Avec le recul, je crois que cette époque était au Bénin beaucoup plus facile et intéressante qu’aujourd’hui en termes d’insertion profesionnelle. A l’époque l’emploi était un droit. Il y avait très peu de “diplômés sans emploi” pour ce que j’en sais, car on vous plaçait dès votre diplôme obtenu. Mais cette époque, hors du Bénin, a aussi été celle de la guerre froide qui a retardé l’Afrique je pense. Beaucoup d’enjeux politico-économiques se sont déroulés en cette période : j’ai vécu le premier choc pétrolier en 1973. J’étais à la fac, mais aussi dans un pays dont l’économie devait s’ajuster. Lire “Le Monde” du Mardi nous a beaucoup appris à l’époque à côté de nos cours sur l’histoire de la pensée économique. Cela nous permettait, à côté des cours théoriques, d’être au parfum des réalités du monde dans lequel nous vivions.

Nous vous remercions encore une fois, ABT, pour avoir joué le jeu, sans tabous. Nous espérons que vous aurez la même disponibilité pour nous parler prochainement de votre vie professionnelle.

C’est moi qui vous remercie encore une fois pour l’intérêt que vous me portez. Et pour vous, mes chers amis, je trouverai bien volontiers du temps. Mais je voudrais finir, en souhaitant particulièrement beaucoup de courage à vous les jeunes, dont la situation comparativement à notre époque à nous, est bien plus sujette à difficultés malgré vos excellentes références. Nous sommes en effet, à l’aube d’une nouvelle année, l’an 50 pour le Bénin et seize autres pays africains. C’est aussi, l’aube d’une nouvelle décennie. Celle où je pense que tout devient possible, malgré les difficultés actuelles de la jeunesse africaine, jeunesse pourtant la plus optimiste du monde ! Je voudrais humblement prier Dieu afin qu’il nous prête vie et nous donne une bonne Santé, socle essentiel de tout défi. A chaque béninoise et à chaque béninois, je voudrais souhaiter une Bonne et Heureuse Année 2010.

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