Editorial: Du Naira au CFA

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Ce week-end, j’ai effectué un petit tour au village. Premier constat : Tous les villages frontaliers avec le Nigeria vivent l’augmentation des prix de l’essence. Deuxième chose : les marchés frontaliers regorgent de produits nigérians moins chers. Eh oui, actuellement plus que jamais, les boissons, les objets en plastique, les appareils et autres accessoires venant du Nigeria, coûtent très moins cher. Et pour cause, le Naira est à son plus bas niveau depuis plus de dix ans. 1000 Naira qui valaient 3800 FCFA en 2010, ne valent aujourd’hui qu’environ 375 F. La monnaie nigériane a ainsi perdu plus de 90% de sa valeur par rapport au FCFA en quatorze années. Troisième constat : côté nigérian, dans les villages, tous les produits importés coûtent cher. C’est une inflation généralisée qui a déjà amené certains gouverneurs à exiger la démission du président Bola Ahmed Tinubu.

J’ai presque tout dit déjà. Sauf que ceux qui savent lire entre les lignes, savent déjà que cette crise monétaire est comme un cadeau pour les exportateurs nigérians. Et qu’en même temps, elle engendre une inflation remarquable surtout sur les produits importés.

La politique monétaire du Nigeria est notoirement différente de celle en cours dans la zone UMOA. Là-bas, c’est la Banque centrale du Nigeria (la CBN) qui décide de l’essentiel de la politique monétaire, compte tenu de l’état de la réserve de devises du pays. Je vous explique. Le Nigeria a beau être la plus importante économie d’Afrique, il n’en est pas moins tributaire de ses importations. Jusqu’ici, le pays importe tout, y compris le pétrole raffiné. Le problème, c’est que pour importer, tous les pays ont  besoin de devises. Et donc plus vous importez, plus la réserve de devises baisse. Lorsque la baisse est trop importante, on est obligé de procéder à une dévaluation technique de la monnaie. Et c’est pour ne pas en arriver à cette situation que le gouverneur de la CBN est souvent contraint de freiner les importations en publiant une liste de produits interdits d’importation. Autrement dit, si vous voulez importer du riz à travers les ports du pays, et donc utiliser l’euro ou le dollar issu des réserves de la CBN pour régler ces achats extérieurs, la banque centrale peut vous contraindre à des restrictions ou carrément refuser de vous donner le moindre dollar. Je l’ai déjà écrit ici. A cet égard, la place du Bénin à côté du Nigeria permet une réexportation des produits importés au port de Cotonou vers Lagos ou Kano, sans que le Nigeria soit obligé de toucher à ses propres réserves de devises. Il est vrai que pour éviter toute surprise, la meilleure formule pour un Etat digne du nom est de limiter toutes les importations, en encourageant la production locale. C’est ce que l’ancien président Buhari a fait, notamment en ce qui concerne la production agricole.

Ce que je veux dire, c’est qu’ici et malgré l’inflation subséquente, le gouverneur de la CBN n’a pas daigné limiter les importations, contrairement à son prédécesseur. Et cette politique est pour une bonne part à la base de la crise actuelle, à savoir qu’il a préféré encourager les exportations qui rapportent des devises, en créant la rareté de ces mêmes devises pour les importations.  La promotion des exportations est une politique purement industrielle. Elle contribue à renflouer les caisses des groupes industriels qui vendent beaucoup moins cher. A titre d’exemple, les prix des boissons en provenance du Nigeria ont clairement baissé de prix ces derniers jours. A côté, les produits de notre Sobebra ne peuvent soutenir aucune concurrence. C’était déjà ainsi, mais ces jours-ci, l’écart est encore plus impossible à rattraper. Est-ce à dire que ce sont les autorités elles-mêmes qui créent la situation actuelle ? C’est fort probable.

Tout compte fait, je préfère cette politique de promotion industrielle à notre statut dans la zone CFA. Notre monnaie est adossée  à une devise forte, l’euro, qui rend nos produits industriels incapables de soutenir la concurrence venant de pays à faible monnaie. Globalement, dans la zone UMOA, l’inflation et les fluctuations monétaires sont vues comme des catastrophes à éviter à tout prix. D’autant plus qu’elles empêchent les industries étrangères installées ici, de rapatrier leurs avoirs en Occident, sans craindre les fluctuations que l’on voit aujourd’hui. Mais en même temps, cette stabilité rend les produits de nos usines peu compétitifs sur le marché international ou même national.Et puis vive la pauvreté…

Par Olivier ALLOCHEME

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