Crise dans les communes du Bénin: Démissions des SE : échec, incertitudes ou inefficacité de la réforme ?

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  • Inquiets, des experts font des propositions pour calmer la tension
  •  « Cette réforme n’a pas poursuivi la décentralisation, elle fait de  la recentralisation » s’inquiète Claude Djankaki
  • Retour sur les  attributions dévolues aux  maires et  SE, selon  la  loi  n° 2021-14 du 20 décembre 2021

Nouveaux responsables majeurs dans les communes du Bénin, plusieurs Secrétaires Exécutifs, renoncent de plus en plus à cette fonction instituée, il y a plus d’un an par une réforme structurelle sur la décentralisation. La liste des démissionnaires s’élargit au fil des jours et laisse interroger sur son efficacité, sa pertinence et les conditions de sa mise en œuvre. Des experts ne tarissent pas de propositions pour mettre fin à la saignée en cours. Retour sur les grandes dispositions de la  loi no 2021-14 du 20 décembre 2021 portant code de l’administration territoriale en république du Bénin.

Raphaël Akotègnon, ministre de la Décentralisation

«Dans les conditions de travail hostiles que délétères qui sont les miennes à la mairie de Toucountouna, notamment les menaces, harcèlements, violations de l’intimité, non acceptation de la gent féminine en responsabilité, depuis mon installation le 25 avril 2022 (18 mois d’exercice jour pour jour), je ne pourrai poursuivre la mission que j’ai acceptée loyalement et sans état d’âme de venir assumer à Toucountouna, une commune que j’ai découverte à la prise de mon service… » Sidonie Houndonougbo, la désormais ex-Secrétaire Exécutive de la mairie de Touncountouna dévoilait  ainsi les raisons qui l’ont poussée à la porte dans une lettre de démission adressée au maire de cette commune lointaine du Bénin, située dans le septentrion. Les dispositions existent pour procéder diligemment à son remplacement à travers un nouveau tirage au sort. Ce qui fut fait. Eudoxie  Dakpè, actuelle chargée de mission du président de l’Assemblée nationale est tirée dans la base de données constituée à cet effet. Son dossier de candidature y figurant. Mais curieusement, elle déclina l’offre automatiquement,  brandissant une lettre de démission, sans même avoir pris service. « Convenance personnelle » a-t-elle justifié. Un nouveau tirage au sort encore s’est fait vendredi dernier seulement, toujours pour pouvoir au poste vacant de Secrétaire Exécutif de Touncounou. La nouvelle détentrice est déjà connue et a pour nom, Appauline Dossou. En attendant…

Comme on le constate, le mal reste  profond dans la mise en œuvre de cette réforme structurelle  instituée par  loi n° 2021-14 du 20 décembre 2021 portant Code de l’administration territoriale en république du Bénin, surtout en ce qui concerne l’avènement des Secrétaires Exécutifs. On se rappelle qu’à  peine, les 77 Secrétaires exécutifs tirés qu’une semaine après, l’opinion publique a assisté, ébahie, à 6 démissions dans leur rang. Il s’agissait  du SE de la commune de Bembèrèkè Mme Isabelle Béhanzin, Ousmane Sanni Gamia de la commune des Aguégués, Soumaïla Pétroni Koda Issifou de Zè, Alidou Amos Asso de Pèrèrè, Prisca Homagnon Sokèhoun Gogan de Karimama et Modeste Nouléhoungbé Davi de Lalo. Aucune raison  avancée par ces derniers, si ce  n’est que l’habituel motif « Convenances personnelles ». Leur remplacement a été fait automatiquement non sans créer  un début de polémique autour de ces nouvelles fonctions qui s’imposent désormais  dans les mairies du Bénin. Entre 2021 à ce jour, plusieurs autres démissions de SE ont été également enregistrées.  L’une des dernières en date est celle du SE d’Abomey  Serges Loukpè, courant septembre 2023.   Si ce dernier n’a évoqué aucune raison officielle, des sources locales rapportent que son départ tient de l’ambiance délétère entre lui et le maire Antoine Djèdou. L’autorité communale aurait signé des actes domaniaux en violation du code de l’administration territoriale. Une situation que le secrétaire exécutif a porté à la connaissance du préfet du département du Zou qui, aurait  tenté de calmer la tension entre les deux responsables de la mairie. Mais le SE  a préféré s’en aller par la suite.

Plusieurs Révocations   

 Le gouvernement de Patrice Talon n’a pas hésité à prendre de fortes mesures contre des Secrétaires Exécutifs de certaines communes non moindres à un moment donné. Moutawakilou Assan Aoudou, Nestor Manonwomeh Bossou etPatrice Lafia, respectivement à l’époque Secrétaires exécutifs  des mairies de Houéyogbé, Cotonou et Sèmè-Podji  ont été révoqués par le Conseil des ministres du  mercredi 12 avril 2023.  Leur révocation fait suite à une mission de la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes. La mission leur reproche des actes constitutifs de violation des règles de déontologie administrative, de l’orthodoxie financière, d’abus de pouvoir et/ou d’atteinte grave aux intérêts de la commune. Quand on prend le cas du SE de la mairie Cotonou,   la décision du gouvernement de le  révoquer   est consécutive à une affaire d’immixtion dans une procédure de passation de marché public. « Alors que le code des marchés publics définit clairement son niveau d’intervention et son rôle dans la chaîne de passation des marchés publics, il s’est immiscé, à une étape qui n’était en rien concernée par ses fonctions, dans la procédure de passation du marché relatif à la réhabilitation des installations du réseau d’éclairage public de la ville de Cotonou à l’occasion de la fête du 1er août 2022 », indique le Conseil des ministres. 

Attributions Maire et SE

Les dispositions de la loi no 2021-14 du 20 décembre 2021 portant code de l’administration territoriale en république du Bénin son assez claires et nettes. En son article 105, la loi stipule entre autres que : « Le maire exerce, dans les cas prévus pour les lois et règlements,  le  pouvoir réglementaire dans les domaines de compétences de la commune. Le maire est  chargé de la police administrative dans la commune. A ce litre, il assure le maintien de I ‘ordre  public el veille à la tranquillité publique et à la salubrité publique. A ces fins, il est titulaire du pouvoir réglementaire. ». Quelles sont alors les prérogatives du Secrétaire Exécutif, que d’aucuns considèrent comme le  désormais « super-homme » des communes du Bénin ?  Voici ce que disent les  nouveaux textes.  Article 127 : « La fonction de secrétaire exécutif est la plus haute fonction administrative et technique ou sein des mairies. Le secrétaire exécutif est le responsable de l’administration de la commune. lL est le principal animateur des services administratifs et techniques communaux dont il veille au bon fonctionnement. Au sens du présent article, I ‘administration de la commune s’entend de la gestion des ressources humaines, financières et matérielles affectées à  l’exécution des activités relevant  des projets et  programmes de la commune ainsi que celles de gestion courante. Ces activités incluent la communication ou nom de la commune. Même si l’article suivant, le 128 amène un peu de bémol, soulignant que « Le secrétaire exécutif est institutionnellement placé sous le maire » ajoutant: « Sans aucun préjudice à ses attributions propres ».

La crise en cours laisse apparaître clairement, des querelles internes liées à la superpuissance du Secrétaire Exécutif devant un maire affaibli dans son pouvoir de commandement.  Ils étaient pourtant nombreux, ces maires du Bénin qui ont applaudi l’arrivée des Secrétaires Exécutifs, ce qui à les croire,  les mettrait désormais à l’abri de toutes manipulations tendancieuses et fautives des ressources de la commune. Ils ne sont plus gestionnaires de rien   et semblaient s’en réjouir. « Nous avons eu la chance de tirer une femme pour Porto-Novo. C’est une nouvelle approche qu’il faut expérimenter. La procédure de sélection mise en place nous permet de dire que les candidats retenus sont a priori compétents. Du reste, c’est dans la pratique que nous allons observer leur réactivité. Mais ce qui nous rassure, c’est le renforcement de capacités des différents acteurs que le gouvernement a fait accompagner à cette réforme. Ils auront donc l’occasion d’acquérir de nouvelles compétences ; et chacun pourra rester dans son couloir pour permettre à nos communes de rayonner. Les textes ont tout clarifié. Les conflits ne manqueront pas. Nous sommes tous des hommes appelés à les gérer. C’est une très bonne réforme courageuse et difficile mais qui permettra le décollage de nos communes. » Charlemagne Yankoty, maire de  la ville Porto-Novo s’exprimait tout heureux devant les médias au sortir des premiers tirages grand public des SE organisés au palais des congrès à Cotonou, il y a bientôt deux ans. « …J’apprécie ces réformes venues pour libérer les maires. Vous gérez, vous finissez et vous rentrez librement chez vous. Quoi de plus beau ! Nous accompagnons le gouvernement et nous sommes prêts à collaborer dans une ambiance sans pareil avec tous ces cadres techniques. »  avait également applaudi Angelo Évariste Ahouandjinou, maire d’Abomey Calavi. Les temps sont passés. L’euphorie à l’avènement de cette réforme dans le rang de certains maires s’est très tôt transformée en deuil. Si pour des considérations  d’appartenance politique, ils sont nombreux à ne pas déverser des frustrations et mécontentements sur la place publique, des SE démissionnaires témoignent avoir travaillé  dans des atmosphères  très tendues dans les couloirs de la mairie, où ils avaient l’impression de vivre des « gestions séparées » de la commune avec toutes les incongruités qu’elles induiraient. A défaut de tout balancer dehors, d’aucuns choisissent juste de s’en aller, craignant parfois, à les croire, des représailles diverses de la part de certains maires qu’ils auraient mis à nu.

Les inquiétudes et remèdes  des experts

 Les démissions à n’en plus finir des Secrétaires Exécutifs des mairies ne laissent pas indifférents des observateurs et plusieurs experts en décentralisation. « J’aurais aimé que l’on n’élargisse pas cette réforme à toutes les communes, qu’on prenne un échantillon pour l’expérimenter  avant de généraliser parce que les difficultés varient d’une commune à une autre. Cette réforme arrange l’Etat mais politiquement,  pas certains » a fait remarquer l’analyste politique, Alphonse Moïse Soulé  dans une récente émission du l’Ortb. Un autre expert, Francis Euloge Atadé toujours sur la même émission,  fait un autre constat : «  J’ai le sentiment qu’il n’y a pas eu la consultation et les concertations nécessaires avant la mise en chantier de ces grosses réformes qui du reste sont salutaires ». Pour  l’expert en gouvernance locale, Franck Kinninvo, cette réforme a fait dépouiller tous les élus de leur privilège, ce qui fait que les SE élus pour diriger l’administration sont dans un environnement hostile ». Un environnement qui, regrette-t-il,  n’est pas propice au niveau des collectivités territoriales.  Tous les trois appellent à  une assise nationale regroupant  les maires de toutes les communes afin  de décortiquer les  limites  de cette réforme et apporter des solutions idoines.

Intervenant dans une autre émission télévisuelle, il y a quelques jours, Claude Djankaki, administrateur des finances à la retraite et expert en gouvernance locale, dit ne pas s’étonner de la crise actuelle dans les mairies. Si pour lui, des SE, décident de partir, c’est sans doute, parce qu’ils n’ont pas été suffisamment préparés pour la fonction. Il s’interroge surtout sur leurs compétences réelles pour assurer  les  lourdes tâches qui leur sont confiées. De plus, Claude Djankaki avoue ne pas comprendre pourquoi, l’on va tirer des SE dans un fichier national, alors qu’ils sont appelés à exercer des missions locales et spécifiques.   Il se préoccupe également de l’aspect purement politique de cette réforme qui laisserait conclure à une « recentralisation du pouvoir local et non une décentralisation ».

Christian TCHANOU

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