.
.

Le triomphe de la vérité

.

Analyse d’un socioanthropologue sur la célébration du cinquantenaire de l’accession du Bénin à la souveraineté internationale: Le Prof. Tingbé Azalou diagnostique la situation et fait des propositions concrètes


Visits: 22

Introduction

Lorsque le 1er Août 1960, sur la place de l’indépendance à Porto-Novo, Son Excellence Monsieur Hubert MAGA prononçait sous les coups de canon le discours d’accession à l’indépendance de la République du Dahomey, aujourd’hui Bénin, peu avaient songé à l’avenir de ce nouvel Etat indépendant, en terme de capital humain. Il avait dit ce lundi 1er Août, entre autres : « C’est pour nous un jour d’allégresse. Jour qui consacrera l’union de tous les enfants de ce pays pour la paix et la fraternité. »

Un demi-siècle plus tard, les propos du premier Président de la République résonnent encore à nos oreilles, mais semblent sonner creux ! Creux, parce qu’en cinquante années de marche forcée, nous semblons encore être très loin du développement du pays ! Creux parce qu’après le « monstre à trois têtes », la révolution et son pseudo marxisme-léninisme bon teint, la Conférence des forces vives de la nation est venue en février 1990 nous forcer à marquer un arrêt. Mais deux décennies après cette historique halte sur les sentiers de notre histoire commune, la nation semble se trouver encore face à ses vieux démons. Oui, les Dahoméens déjà connus et reconnus pour exceller dans tous les domaines de la connaissance, les dahoméens déjà encensés pour participer à l’édification de leur nation, n’ont peut-être pas très fortement moulé leur conscience de la proactivité de ce que 50 ans après, le bilan mentalitaire pourrait s’entêter à être critique ! Naturellement et bien conséquemment la rétrospective nous impose de réfléchir, en cette période de fièvre festine, à la question de savoir quel impact les comportements socioculturels de chacun de nous et de tous ont-ils sur l’unité nationale.

Le Constat est amer

Il est quasi très fréquent d’assister dans nos rues à l’expression de l’intolérance des citoyens, surtout lorsque le motocycliste qui vient de doubler par la droite un véhicule s’empresse le couvrir d’injures parce que son conducteur ne l’aurait pas laissé passer en premier. Il est aussi donné de constater  que la voie de la cybercriminalité est devenue un raccourci que les jeunes n’hésitent plus à prendre, avec pour démonstration bruyante, les ronflements des moteurs de ces motos qui les caractérisent. Nous savons aussi que plusieurs parents n’hésitent pas à s’accoquiner avec des filles mineures encore à la peine sur les bancs du collège. Quoi encore de curieux ?: la politique a contribué à nier la valorisation du travail rémunérateur, laissant penser qu’il suffit de s’encarter dans une formation partisane pour accéder au graal social et économique ; nous sommes quasiment tous « obligés » de corrompre le plus petit agent dans un service public pour obtenir un document administratif, nonobstant la lutte anticorruption peu ou prou menée depuis plusieurs années ; nous avons tous été témoins des violences urbaines et mêmes rurales qui ont éclaté ou failli naître lors de la question du découpage territorial; etc. Les exemples sont légions que l’on ne pourrait, de mémoire, en tenir fidèle comptabilité ici.

Ces signes sont pour tout observateur du social que chaque homme devrait être, les manifestations évidentes d’une crise des consciences, d’une crise des valeurs, d’une crise de la morale, d’une continuelle descente aux enfers de la mémoire collective sociétale.

La société béninoise actuelle est ainsi en danger, et avec elle, l’idée de nation béninoise, et nous en sommes tous conscients, témoins privilégiés de la putréfaction de la plupart de nos valeurs. Que deviendra la société sans morale que nous sommes en train de forger activement ou passivement au Bénin ? Pour preuves : le régionalisme, l’ethnicisation quasi systématique de certains postes administratifs, la prise en otage des consciences par les media, l’extraversion des mœurs juvéniles, la banalisation de l’ institution familiale en dépréciation, la perte des valeurs religieuses, l’inadéquation de l’éducation avec les réalités contemporaines de la société béninoise, la fragilisation de l’institution royale, la politisation à outrance de la vie sociale, la perte critique de la confiance dans les relations interpersonnelles. Le tonneau des Danaïdes pourrait être comblé avec une liste plus exhaustive de tendances lourdes qui retiennent la société béninoise dans la boue du passé et l’empêche, par défaut de culture d’anticipation dans les modes de gouvernance, de décoller vers des lendemains meilleurs.

Sur les chemins d’une mentalité de développement

La mentalité est selon le Grand Dictionnaire Hachette (1993) « un état d’esprit, une façon de penser, de se représenter la réalité. C’est un ensemble d’habitudes, de croyances propres à une collectivité et communes à chacun de ses membres». Cette définition a tété reprises par les NLTPS Bénin 2025. Ceci dit, la mentalité est une modalité de définition des groupes sociaux et des individus qui appartiennent à ces groupes et y adhèrent ou non.

En effet, appartenir à un collectif oblige au plan mental l’individu à adopter de nouvelles manières de penser, propres au groupe, toutes choses qu’il doit accommoder avec ses pensées propres. La mentalité est donc forgée par un corpus de jugements, de concepts et de croyances ; elle est forgée par l’éducation, la socialisation et l’expérience de chaque individu pris dans le milieu auquel il appartient. En conséquence, une mentalité apparaît dans son essence comme un système de croyances et de valeurs, qui génèrent une vision du monde par laquelle l’individu donne un sens aux choses du monde et détermine son comportement. En somme, la mentalité conditionne les comportements individuels, eux-mêmes structurant ceux collectifs. Ce substrat comportemental conditionne les modes d’être, d’agir et de penser face aux situations quotidiennes.

Ayant ainsi montré que le mental conditionne nos actes, et surtout nos relations avec les autres membres du groupe social dans lequel nous nous trouvons, il s’agit d’en explorer les relations avec le système social Bénin. L’analyse historique et la configuration du système social au Bénin depuis 1960 montrent que notre pays porte sur ses fragiles épaules, non pas la voûte céleste comme Atlas, mais un poids tout de même pesant : l’héritage socioculturel de la colonisation et la méfiance qu’il induit au regard des relations inter groupales.

Ce ratio diachronique est constitué d’une variété de comportements peu-rationnels, comme par exemple les cérémonies ruineuses, la recherche effrénée du prestige patronymique, toutes choses qui conduisent le plus souvent à des dépenses d’énergie, de ressources financières voire une mauvaise utilisation des ressources humaines ; de comportements culturels inquiétants comme la facilité à verser dans le mimétisme et le rejet insidieux des valeurs et produits endogènes.

Société de relations et/ou d’affaires, le système Bénin voue un culte au primat de la parenté et du régionalisme sur le primat de la citoyenneté. Il s’ensuit donc des comportements parfois sectaires tout à fait observables dans le cadre des recrutements, des nominations de cadres, de l’envoi en mission d’un travailleur, ou encore… de plus en plus gouvernée par l’argent, la famille et la religion, la société béninoise privatise ses comportements et les mets à l’échelle de ses ambitions pécuniaires, consacrant l’argent et le pouvoir à la fois comme conditions et finalités expressives d’une réalité quotidienne économiquement difficile et moralement embarrassante. Dans ces conditions, le béninois attend toujours l’opportunité de sa vie ; il guette la situation porteuse par laquelle il pourra se réaliser, fut ce aux dépens de ses concitoyens, fut-ce au désavantage de l’intérêt collectif et public.

Une boutade populaire dit d’ailleurs que « … en même temps est mieux… » ; Ou encore « So tcha dou tcha ». C’est dire combien l’absence d’une vision prospective a longtemps conditionné l’homme Béninois !

Ainsi peint, le dahoméen, disons le béninois, apparaît porteur d’une négativité inquiétante, surtout si l’on aborde le néologisme conceptuel de « béninoiserie » qui traduit aujourd’hui dans le macrocosme social, la forte capacité de nuisance du béninois à son prochain dès lors que ce dernier est entrain de réussir. Cela apparaît donc comme un mal patent qui a infesté tous les secteurs de la vie quotidienne et illustre le déficit de confiance interpersonnelle entre les béninois et la jalousie extrême qu’ils se vouent entre eux la plupart du temps, à travers des actions sournoises destinées à faire chuter leur prochain. Le caractère tout à fait systématique de cette dynamique destructive conditionne certains béninois qui n’hésitent pas à recourir aux forces occultes pour assouvir sa vengeance, satisfaire son ego, actionner gratuitement les mécanismes du mal.

Il va sans dire que ces comportements, en forte opposition avec les normes culturelles, dont quelques artefacts essentiels furent la solidarité et la convivialité, constituent des pesanteurs qui ne peuvent favoriser le changement social nécessaire au développement. Car le développement ne saurait se limiter à la croissance économique, au développement technologique ou encore au simple renforcement des capacités. Le développement est un état d’esprit qui cherche à positiver toutes nos actions afin de rendre pertinentes et objectives les investissements économiques et financiers, la vision technologique et sa concrétisation, la philosophie de la formation des cadres, l’environnement, etc. Bref, le développement ne peut commencer et ne commence que dans la tête, dans les comportements et dans les attitudes.

D’une mentalité de colonisé à celle d’indépendant, d’une mentalité de révolutionnaire à celle de démocrate, il nous faut à présent nous mettre sur la route d‘une mentalité de développement, pour entamer effectivement l’aventure collective que représente ce processus. Le défi aujourd’hui, après cinquante ans d’indépendance, est donc de pouvoir effectivement marcher sur les sentiers du développement.

Faire de plus de quarante groupes socioculturels (ethnies), une seule nation…

Du latin nascio ou natio qui signifie naître, le terme nation désignait les petits d’une même portée et a signifié aussi groupe humain de la même origine(Le Petit Robert, 2002). Cicéron emploie le terme natio pour désigner une peuplade, un peuple ou une partie d’un peuple. Mais, les sciences humaines, et la sociologie, définissent la nation comme « une communauté humaine identifiée dans des limites géographiques parfois fluctuantes au cours de l’histoire, mais dont le trait commun supposé est la conscience d’une appartenance à un même groupe ».

Pour le philosophe allemand du début du XIXe siècle, Johan G. Fichte, les caractères identifiant les membres d’une nation sont : la langue ; la religion, la culture, l’histoire et accessoirement, les origines ethniques. En tenant compte de la vision de Fichte, au Bénin l’on remarque que l’accessoire a pris le pas sur le prépondérant : l’origine ethnique prime sur la religion, l’histoire et surtout la culture. Parfois, le cocktail détonant de l’histoire, de l’ethnie et de la religion suffisent à compromettre l’idée de valeurs communes entre différents groupes sociaux.

Certains théoriciens politiques affirment qu’une nation est avant tout une dynastie, représentant une ancienne conquête, conquête acceptée d’abord, puis oubliée par la masse du peuple (Renan, 1882). Mais, si le principe d’oubli est important pour fonder le multiculturalisme, notamment en ce qui concerne les grandes nations européennes (Italie, France, Royaume-Uni, etc.), il faut reconnaître dans le contexte africain, qu’une nation peut et doit exister sans le référent dynastique, mais avec l’amendement du principe de tolérance.

En effet, la République du Bénin pour le cas présent, est formée par l’amalgame de plusieurs sociétés forcées de collaborer du fait de la colonisation. Je peux citer : le royaume d’Abomey, le royaume de Porto-Novo, le royaume de Nikki, et autres peuplades unifiées de force par le projet colonial d’établissement d’un territoire unique nommé Dahomey.

Si, à contrepied de Fichte, la théorie dite « subjective » de Renan (1882: 9) s’est attachée à démontrer que la race, la langue, les intérêts, l’affinité religieuse, la géographie et les nécessités militaires ne suffisent pas à créer une nation, il a pris également soin d’attirer l’attention sur ce qui pouvait créer une Nation. Oui, une nation est une âme commune, un principe spirituel collectif, une communion d’esprits ne quelque sorte. La nation est un processus long et progressif d’édification d’une âme collective dans laquelle les individualités existent mais se plient sous l’intérêt rationnel collectif. La nation tient ses racines dans le passé mais ses branches dans le présent social.

Les  gloires communes des anciens royaumes du territoire du Bénin (Danxomè, Porto-Novo, Nikki, Kouandé, Savi et autres), l’héroïque résistance des anciens monarques face à la conquête coloniale (Béhanzin, Akaba, etc.) sont quelques sans de la mémoire sociale et historique autour de la quelle devrait se construire et reconstruire le passé commun ce notre pays. Oui, l’âme commune pour former une nation béninoise existe, et il reste à tous les intellectuels du Quartier Latin de l’Afrique, de s’en rendre compte et d’y travailler pour, en toute conscience.

L’époque de l’instabilité politique étant passée, l’armée ayant rejoint les casernes et amorcé sa professionnalisation, il revient donc aux politiques de commencer à travailler pour l’union des populations autour de l’idéal commun du développement. Le changement de mentalité ne peut partir que d’exemples donnés selon le modèle top-down : partir des élites pour atteindre les masses laborieuses. Il s’agit de promouvoir à tous les niveaux, une gouvernance factuelle par l’exemple !

Dans la littérature des sciences sociales, le concept de nation est généralement défini après une clarification du concept de société, voire de celui de peuple qui réfère à celle de communauté puis à celle de culture.

Spécialiste de la question nationale aux Etats-Unis, Karl Deutsch entend par société, « un groupe d’individus rendus interdépendants par la division du travail, la production et la distribution des biens et des services » puis par peuple, « un groupe d’individus liés par des habitudes communes et des possibilités de communication » Deutsch (1969 : 87).  Le raisonnement de Karl Deutsch le conduit à une évidence quasi tautologique (Bourque, 1977: 80) : une nation ou une nationalité est un groupe qui peut établir une communication entre ses membres. Deutsch reconnaît le caractère éminemment fonctionnaliste de sa conception : « L’appartenance à un peuple est très intimement liée à la communication à l’intérieur de la société. On peut la définir comme la faculté de communiquer de façon plus efficace et d’aborder un plus grand nombre de sujets avec les membres du groupe plutôt qu’avec les étrangers. Il est possible d’en arriver à ce type de communication de plusieurs façons différentes, toutes également fonctionnelles » (Deutsch, 1969: 97).

Un auteur non marxiste dont la contribution est essentielle dans la réflexion sur la nation est sans doute Max Weber, principalement à travers ses réflexions sur la question des groupes ou minorités ethniques ainsi que celle de la question nationale. Pour lui, les groupes ethniques sont avant tout constitués par «un isolement monopoliste conscient qui commence par reconnaître de petites différences pour ensuite les cultiver et les approfondir » (Weber 1968 : 388). L’idéalisme wébérien fait donc reposer la conception de la nation sur l’idéologie come facteur déterminant, le groupe ethnique étant en lui-même un phénomène subjectif dont le facteur de formation déterminant est le développement de ce que Weber appelle un « ethnic honor »(Weber 1968: 390).

Weber (1968 : 395) constate que : « Le concept de groupe ethnique, qui se dissout lorsque l’on cherche à le définir correctement, correspond à cet égard à celui de nation, l’un des plus contrariants, lorsque l’on cherche à lui donner une définition sociologique, parce qu’il est l’un des concepts les plus chargés émotivement ».

 A son sens, l’idée de nation apparaît et se forme en étroite relation avec des éléments relevant de l’instance politique (Weber 1968, t. II, p.922) et véhicule les valeurs de pouvoir er de prestige. Définissant la nation comme « l’ensemble des citoyens d’un Etat, ensemble distinct de l’Etat »1, Marcel Mauss distingue d’abord la société comme étant : « Un groupe d’hommes vivant ensemble sur un territoire déterminé, indépendant, et s’attachant à une constitution déterminée ». Ce qui lui permet de proposer la définition suivante : « Nous entendons par nation une société matériellement et moralement intégrée à un pouvoir central stable, permanent, à frontières déterminées, à relative unité morale, mentale et culturelle des habitants qui adhèrent consciemment à l’État et à ses lois » (Mauss, 1969)

La notion de nation chez Mauss fait donc référence à un type spécifique de formation sociale caractérisé par un pouvoir centralisé et indépendant de l’extérieur. La définition, on l’aura noté met en pratique, sous les notions d’unité morale et mentale, une problématique entachée d’idéalisme qui fait peu de cas de la question des classes sociales. Mais, pour que la nation se construise avec pour idéal le développement collectif primant sur les intérêts individuels et égoïstes, une fois que nous nous sommes convaincus qu’il faille une mentalité de développement, il s’agit de voir comment la quarantaine de groupes ethniques qui se partagent le pays, comment la variabilité socioculturelle peut être mise à contribution. C’est pourquoi j’interrogerai à présent la question du multiculturalisme.

Dans un environnement culturellement aussi diversifié que celui du Bénin, il convient de se demander si le multiculturalisme peut il favoriser la construction de la nation béninoise, ou au contraire conduire à sa fragmentation. L’émergence discursive du concept de multiculturalisme tient de plusieurs faits.

Primo, la montée en puissance au plan international de la notion de diversité culturelle avec le dynamisme des migrations et de la mobilité humaine induit un renouvellement de la question sociale. Aujourd’hui, les microsociétés dans chaque de nos villes, départements, ou régions forment des mosaïques et invitent à une coopération transculturelle pour assurer le maintien d’une certaine stabilité sociale.

Secundo, la crise de l’Etat-providence au début des années 1990 avec la chute du régime militaro marxiste-léniniste du général Kérékou, combinée avec l’accession quasi brutale aux libertés démocratiques ont permis le développement d’un sentiment du « laisser-faire » au sein d’un peuple traumatisé par 17 années de restrictions et une crise sociale et économique de grande ampleur. L’affaiblissement progressif des institutions traditionnelles, et singulièrement de l’institution familiale reléguée au second plan par les media (radio, télévisions, et Internet plus récemment), conduisent au délitement du lien social dans une société qui évolue de plus en plus vers l’individualisme.

Le Bénin compte plus de quarante groupes socioculturels répartis sur les 112622km² de sa superficie. Forcés de vivre ensemble depuis la balkanisation de l’Afrique et surtout l’accession à l’indépendance, ces différents groupes socioculturels doivent réinventer une nouvelle forme d’ethnicité : mettre être parenthèses leurs velléités tout en conservant leur originalité, et former une seul peuple, uni derrière une seule loi, dans une république démocratique où tous œuvrent pour la paix et le développement,  conditions sine qua non de la prospérité.

Le multiculturalisme est une arme à double tranchant que nous devons savoir domestiquer dans l’intérêt de tous. La question des chefs lieux de sous-préfectures a failli embraser la plupart de nos villes et campagnes récemment avec des marches monstrueuses, certains villages sont divisés en plusieurs ailes alors qu’ils soutiennent un même leader politique, la partisannerie politique hier taxée d’ethnique continue de se radicaliser, et c’est un sentiment général quelqu’en soit l’angle d’observation de l’échiquier politique. Je peux encore évoquer cette brûlante affaire de placement où toutes les couches sociales sans aucune distinction ont versé dans la discrétion personnelle dans ce qu’on appelle l’appât du gain facile, mais que moi je verserai au crédit du problème général de la mentalité, thème qui nous réunit ici d’une manière ou d’une autre.

C’est dire que la mentalité du dahoméen n’a pas changé concurremment avec le changement de nom du Dahomey en Bénin. Cinquante ans après le départ du colon, les béninois sont demeurés dans un esclavage intellectuel et mental qui contribue à inhiber les ressources de l’ancien Quartier Latin d’Afrique à la recherche d’un passé glorieux sacrifié sur l’autel des individualités malsaines !

L’avenir est la raison d’être du présent

Renouer avec un passé précolonial glorieux, qui a subi plusieurs transformations déstructurantes depuis la colonisation, à travers le temps politique de notre pays, je veux parler de la succession des systèmes politiques et de leur influence sur les mentalités, est une gageure. Mais, pour le « Quartier Latin de l’Afrique », retrouver les lettres dorées de son blason est une nécessité pour consolider la jeune et enviée expérience démocratique de notre pays, tout en maintenant le cap sur le développement.

Il s’agit donc de reformater la conscience des béninois afin que, se débarrassant, que dis-je, en minimisant au maximum leurs velléités destructives et les antagonismes de classe, de région et de religion, qu’ils puissent ensemble bâtir une nation unitaire. Abolir les clivages ethniques, favoriser la cohabitation, créer un sentiment d’identité nationale, faire passer le ‘’nous’’ devant le ‘’je’’, primer l’intelligence collective sur l’individuelle, voilà les défis qui nous y attendent. Au-delà de l’économique et du politique, la question de la nation est tout à fait une question culturelle, et une question de culture intellectuelle.

50 ans après l’indépendance, le défi commun à tous est de reléguer dans les caves de l’histoire, le dahoméen qui continue de sommeiller en nous, têtu et racé, pour proclamer l’avènement du Béninois, symbole d’unité nationale, prototype de la cohabitation intelligente et complémentaire des ethnies, archétype d’une citoyenneté nationale indispensable pour une marche assurée et confiante vers le développement.

Le principal défi des cinquante prochaines années, c’est faire passer le Bénin de la situation d’un pays à celle d’une Nation unie et prospère, où toutes les couches sociales vivent en harmonie, dans une identité citoyenne commune, au delà des considérations ethniques, classistes et / ou religieux. C’est d’édifier une nation prospère, unie et de paix, où la liberté et la démocratie côtoient au quotidien le bonheur et la justice sociale, une nation où la tête du poisson  étant saine, empêche le reste de son corps de pourrir.

Et çà, nous le pouvons si nous le décidons tous !

Que conclure ?

Proclamer la prise de conscience intellectuelle pour un nouvel homme, au Bénin, citoyen à part entière. Quelques petites sentences de quelques illustres personnalités africaines au besoin:

S’ « il n’y a pas de dignité sans liberté », ainsi que le disait Ahmed Sékou Touré le 25 Août 1958, au Général de Gaulle en visite à Conakry,

Si « l’indépendance et la liberté sont des biens qui se conquièrent et se reconquièrent chaque jour » comme le déclarait Ahmadou Ahidjo le 1er janvier 1960 à l’indépendance du Cameroun,

Si « nous sommes maîtres de notre destin », autant que le pensait Sylvanus Olympio le 27 avril 1960 à l’indépendance du Togo,  il est sans doute temps, pour citer Patrice Lumumba lors de l’indépendance du Congo Belge le 30 juin 1960 ; donc il est sans doute tant pour nous d’«entamer un nouveau combat, un sublime combat qui conduira notre pays à la paix, la prospérité et la grandeur. Ensemble, nous allons établir la justice sociale et assurer que chacun reçoive le juste paiement de son travail». Les mots de Modibo Keita à l’occasion du nouvel An 1961 demeurent vivants : « C’est à présent que se joue l’avenir de notre pays et de notre peuple. C’est à présent que nous devons réussir ou échouer ».

Le jour de l’indépendance de l’Ouganda, le 9 octobre 1962, le roi Muteesa II alias « King Freddie » avait dit : «… Maintenant que nous sommes indépendants, […]. Que nos différences entre nations, religions et couleurs ne soient pas un facteur de division pour nos peuples».

Lors de la commémoration de l’indépendance du Kenya le 12 décembre 1964, Jomo Kenyatta déclara : «Beaucoup de gens pensent que nous avons atteint l’Uhuru [la liberté, en kiswahili], que le soleil de la liberté brille, que la richesse tombera comme manne du ciel. Moi, je vous dis que rien ne tombera du ciel. Nous devons travailler dur de nos mains pour sortir de la pauvreté, de l’ignorance et des maladies».

 Références

AMIN, Samir, 1970. L’Accumulation à l’échelle mondiale, Paris, Anthropos.

AMIN, Samir, 1979. Classe et nation dans l’histoire et la crise contemporaine, Minuit.

BOURQUE Gilles, 1977. L’Etat capitaliste et la question nationale, Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 384p.

CONSTANT, Fred, xxxx, Le multiculturalisme, Coll. Dominos, Flammarion.

DEUTSCH, K. W., 1969. Nationalism and Socialism, Cambridge, The M.I.T. Press.

FERRY, Jean-Marc, 2000. La question de l’Etat européen, Gallimard.

MAUSS, Marcel., 1969. Œuvres complètes, Paris : Minuit, tome III.

RENAN, Ernest., 1882. Qu’est ce qu’une nation ? Conférence à la Sorbonne le 11 mars 1882.

PACE, Enzo et Michel, Patrick., 1998. La nation italienne en crise : perspectives européennes, Paris : Bayard éditions, 240p. INIST-CNRS.

TERRAY, Emmanuel., 1973. « L’idée de nation et les transformations du capitalisme », Les Temps modernes, nos 324-325-326, août-septembre 1973.

WEBER, Max, 1968. Economy and Society, New York, Bedminster Press, t. I, II et III.

Reviews

  • Total Score 0%



3 thoughts on “Analyse d’un socioanthropologue sur la célébration du cinquantenaire de l’accession du Bénin à la souveraineté internationale: Le Prof. Tingbé Azalou diagnostique la situation et fait des propositions concrètes

  1. CODJA

    Bonjour,
    J’ai lu avec intérêt ce travail du professeur Azalou. Il n’y a pas de doute, c’est un monsieur qui doit maîtriser son domaine. Mais pour ceux qui ne sont pas ses élèves, pour les destinataires de ce type de site, la densité du texte, les références, en majorité puisées d’auteurs occidentaux dont la logique a été forgée par d’autres réalités, rendent le texte profondément ennuyeux.

    De plus, on trouve là, une description longue et tortueuse de l’homme Béninois ou Africain pour arriver à une chute qui ne ravirait que les sociologues!

    En bref et c’est c’est aussi ce qui nous caractérise nous les Béninois, on fait beau, on fait gros pour aboutir à “Tschit”.

    Quand les grands intellectuels de notre pays prennent la parole pour pousser le peuple, qu’ils s’adressent au peuple par le canal qui lui est familier et avec des mots qui sont les siens, c’est en réalité la critique que je voudrait porter à ce texte dont je n’ai aucune légitimité pour en apprécier le fond.

    Conclure la démonstration en disant “Proclamer la prise de conscience intellectuelle pour un nouvel homme, au Bénin, citoyen à part entière.”, me laisse affamé après tant de temps passé à lire le contenu.

    Qu’on se le dise franchement, de telles situations ne fairont pas avancer le smilblick.

    Merci!

  2. Dr Servais CAPO-CHICHI

    Bien cher ami et Professeur Tingbé A. ,
    J’ai lu avec intérêt votre article. Ce qui nous arrive aujourd’hui est aussi complexe que simple et ce qui m’étonne est que nous ne nous en inquiétons qu’aujourd’hui.
    Je vous oriente sur mon blog, pour lire mon article:” Bénin: le narcissisme peut conduire à l’apocalypse”.
    http://capsere.over-blog.com/article-benin-le-narcissisme-peut-conduire-a-l-apocalypse-54220056.html
    A bientôt Professeur
    Dr Servais CAPO-CHICHI

  3. Olga Adande simpson

    Bravo,M. le professeur Tingbe Azalou pour votre analyse sans complaisance des cinquantes annees d’independance de notre pays et pour vos suggestions conretes pour l’avenir! A mon age, j’ai eu la change de vivre de tres pres toutes les etapes de nos cinquantes annees d’independance!
    Toutefois, permettez moi d’ajouter qu’au niveau individuel et familial, il nous appartient de creer une nouvelle base pour notre societe de l’avenir. Chacun doit se cultiver et apprendre notre histoire et nos valeurs traditionnelles positives et les inculquer a nos enfants. L’ecole a son role a jouer, mais elle ne peut pas tout faire et il appartient aux parents en premier lieu d’eduquer leurs enfants.
    Je constate que les parents se tuent a la tache pour donner a leurs enfants qu’ils voient et connaissent a peine, ce qu’il y a de plus beau sur le plan materiel et creent des monstres sur les plans social et spirituel.
    Les enfants beninois sont devenus egoistes et mal eleves et tout ce qui les interesse, c’est de gagner a tout prix et dans n’importe quelles conditions de l’argent pour acquerir des biens materiels (Voitures, villas, appareils electroniques dernier cri, voyages etc…)
    Il y a donc fort a faire au niveau du pays, mais aussi au niveau de la famille!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

You cannot copy content of this page