Edito du 13 novembre 2023: Un Rawlings béninois ?

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Trois ans après la disparition de Jerry John Rawlings, l’Afrique s’est souvenue hier de l’homme d’Etat exceptionnel qu’il fut. S’il devait sa réussite à son charisme extraordinaire, l’ancien président ghanéen fut aussi et avant tout un panafricaniste exigeant.

Il fut un temps où l’on comparait Patrice Talon à ce bâtisseur d’avenir. Et il faut dire que les deux ont des méthodes presque similaires. L’un, Rawlings, a passé par les armes des officiers dont trois anciens chefs de l’État  avant d’organiser une purge sévère de l’armée et de la haute fonction publique. L’autre, Talon, a adopté une stratégie plus soft, mais tout aussi redoutable : contraindre à l’exil ou enfermer une bonne partie de l’opposition radicale. Rawlings a osé la lutte contre la corruption, a organisé des déguerpissements (un peu comme Talon), la destruction des débits de boissons, la confiscation des biens mal acquis de nombreuses personnalités et de nombreux entrepreneurs laissant derrière eux des bâtiments inachevés que l’on voit encore à Accra ou à Tema. Beaucoup parmi eux ont dû fuir le pays. Jerry John Rawlings, c’était une discipline militaire  avec l’interdiction formelle des costumes et cravates dans les bureaux, l’obligation faite aux femmes  de porter de pagne sous peine parfois de vindicte populaire. Avec Patrice Talon,  il y a les déguerpissements, la discipline de fer instaurée dans la fonction publique avec l’interdiction (ou presque) des grèves, les syndicalistes mis au pas et surtout un système partisan rigoureusement contrôlé.

Tel que cela se passe actuellement au Bénin, il ne pourra plus y avoir plus de 4 partis politiques représentés au parlement. Les autres peuvent bien animer la vie politique nationale, mais accéder au parlement relève pour eux du rêve. Sauf à se fondre dans les grands partis pour y exister en tant que tendance interne. 

 La grande différence de Rawlings avec Talon, c’est le panafricanisme catégorique affiché par le président défunt. Cité par les panafricanistes comme un modèle, l’ancien président laisse un héritage idéologique qui lui a survécu. Question : Verra-t-on un jour une idéologie estampillée Talon ? J’en doute beaucoup. Interpellé il y a quelques années sur la question, le chef de l’Etat avait sobrement répondu qu’il est pragmatique. Il n’a donc aucune idéologie. Sinon, s’il en avait une, ce serait celle de l’efficacité de la gouvernance. Le président béninois est abonné absent aux grands débats idéologiques africains. Pas de grands idéaux sur la culture africaine, sur l’unité africaine encore moins sur le développement du continent.  Jerry John Rawlings était connu pour être un grand pourfendeur de la CEDEAO, Patrice Talon s’est illustré ces derniers mois par des prises de position en faveur d’actions inqualifiables de la même institution au Niger. L’un a laissé un nom dans les annales de l’histoire africaine, l’autre s’apprête à partir incognito.

                Au fond, entre le pilote militaire impulsif et l’homme d’affaire calculateur froid et rusé, il y a une opposition de styles, mais des résultats économiques similaires. Le Ghana laissé par Rawlings après 19 ans de pouvoir est un pays transformé et redressé. Celui que conduit actuellement Patrice Talon aligne des chiffres macroéconomiques flatteurs, avec un assainissement marqué des finances publiques. Bien sûr, la pauvreté ne recule en rien. Un voile épais d’incertitude frappe le coton. On s’attend à la campagne 2023-2024, à 550.000 tonnes de coton, le plus faible tonnage enregistré depuis sept ans. La chute est, pour ainsi dire, brutale.  

Plus de deux décennies après la fin du régime Rawlings, les conséquences heureuses de son passage à la tête du Ghana ont été vendangées. Nana Akuffo-Ado, l’actuel président ghanéen, multiplie les contreperformances économiques. L’économie ghanéenne est aujourd’hui citée comme de celles qui croulent actuellement sous la dette publique, l’inflation incontrôlable, la corruption et une grave crise monétaire.  Héritage économique plus que jamais en souffrance. Mais il reste que ce militaire singulier aura laissé une conscience nationale ghanéenne plus forte que jamais. Et, selon vous, quel sera le plus bel héritage de Patrice Talon ?   

Olivier ALLOCHEME

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