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Le triomphe de la vérité

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Libération d’Alain Adihou: Trois ans de détention pour rien


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alain adihouAu total, l’ex ministre Alain Adihou aura passé  1011 jours de détention à la prison civile de Cotonou pour des raisons qui échappent aujourd’hui encore aussi bien au commun des Béninois qu’à l’ancien détenu.  Libéré sous caution vendredi dernier, il aura payé un lourd tribut au fonctionnement de la justice béninoise. Celle-ci n’est jamais parvenue à dégager un chef d’accusation précis contre lui après 1011 jours de détention. En cherchant à prouver sa culpabilité, les magistrats instructeurs auront laissé de côté la recherche de la vérité. Au terme de trois ans d’emprisonnement, il a été écouté seulement pendant 18h, c’est-à-dire moins d’une journée, la procédure elle-même s’étant arrêtée depuis deux ans.
Le 25 Octobre 2006, soit depuis bientôt trois ans, il a été arrêté et mis en mandat de dépôt  pour, selon le magistrat instructeur « détournement de deniers publics d’un montant à déterminer et de véhicule administratif ». Et pourtant, dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire qui a permis d’instruire son cas, les députés ont bien noté qu’il est coupable de détournement de deniers publics sur la base des ordres de paiement non justifiés et de véhicule administratif. L’ancien ministre, écouté pour la première fois plus d’un mois après sa détention, a nié en bloc ces chefs d’accusation, preuves à l’appui, faisant échec aux tentatives visant à le plonger dans une affaire qui n’en est pas une.  De quoi s’agit-il ?

Peut-on détourner des fonds qu’on n’a jamais gérés ?
C’est en 2006 que les Honorables députés à l’Assemblée nationale ont décidé de fouiller les dessous de la gestion du ministère  chargé des relations avec les institutions, la société civile et les béninois de l’extérieur (MCRI-SCBE) dirigé sous l’ancien régime par le ministre Alain Adihou, notamment le volet concernant la mise en place de la LEPI. La Commission d’enquête présidée à l’époque par l’Honorable Bernard Lani Davo a conclu à la culpabilité de l’ancien ministre et demandé sa comparution devant la Haute Cour de Justice. Ces conclusions ont été battues en brèche par la réalité telle qu’elle a été expliqué aux juges par l’intéressé lui-même. En effet, le projet de la Liste électorale permanente informatisée (LEPI)  comprenait deux volets : l’amélioration du système électoral  et l’établissement de la liste électorale permanente informatisée. Sur décision du conseil des ministres, le gouvernement a décidé que les ressources financières à la charge du budget national seront inscrites dans les dépenses communes de l’État. C’est ainsi que le ministère des finances et de l’économie a décidé que la dépense relative à tout le projet sera inscrite au chapitre 25 3 90 004 Article 922 02 Paragraphe 6219 du budget national, gestion 2004, réglée par virement au compte n° 361-01-1675 ouvert dans les livres du Receveur général des finances à la direction générale du Trésor et de la Comptabilité publique. A ce niveau, l’ordonnateur principal était le ministre des finances lui-même, l’ordonnateur délégué étant le directeur général du budget (DGB). Vues les exigences de temps, il a été retenu de procéder par ordre de paiement, quitte à les régulariser plus tard. Quant à Alain Adihou, son rôle était d’assurer la coordination technique des activités du projet. A ce titre, il était chargé d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie appropriée pour le dialogue politique, le plaidoyer, la communication et la mobilisation sociales nécessaires au démarrage de la phase opérationnelle de réalisation de la LEPI. De ce point de vue, il n’avait à gérer aucun fonds relatif à l’opération LEPI, ce volet étant laissé à la charge des cadres du ministère des finances à qui le dossier a été confié sur décision du conseil des ministres.   Dans la pratique, un régisseur a été nommé pour le compte du projet. Il a été placé sous l’autorité du Directeur général du Budget qui a signé tous les bons de commande des marchés ayant fait l’objet d’appels à concurrence. Il a ainsi liquidé toutes les pièces comptables dans ce cadre. De ce fait, tous les ordres de paiement émis ont été régularisés, avec des bordereaux de régularisation portant toutes les signatures requises, c’est-à-dire celles du directeur général du budget, du directeur général du trésor et du contrôleur financier, et accompagnés des listes des factures des dépenses régularisées revêtues de la signature du Directeur Général du Budget. De surcroît, tous ces documents financiers existent et ont été remis à qui de droit. C’est dire qu’aucun cadre du ministère dirigé à l‘époque par M.  Adihou n’a eu à manipuler les fonds du projet de la LEPI, encore moins lui-même.

Le véhicule détourné
C’est le 12 août 2005 que le député Bernard Lani DAVO déposait le rapport de sa commission au parlement en tirant de surcroît les conclusions que l’on sait. Et pourtant, quatre mois plus tôt, le véhicule incriminé avait déjà été déposé au garage central situé au ministère des finances et de l’économie. En réalité,  La Commission d’enquête parlementaire avait conclu au détournement du véhicule administratif par défaut d’approfondissement de l’enquête qu’elle a menée. Là encore, la volonté manifeste d’accuser et de faire condamner coûte que coûte quelqu’un pour lui régler des comptes,  s’est traduite par une énorme méprise. Lorsque la commission parvenait au niveau des cadres du ministère pour vérifier la présence physique du véhicule acquis pour le compte du projet LEPI par le MCRI-SCBE, celui-ci, un véhicule tout terrain de marque BMW, avait déjà été déposé par le ministre contre bordereau à la direction générale du garage central administratif (DGCA).  Car, tous les véhicules de projet font partie intégrante du patrimoine commun de l’Etat et doivent être renvoyés au Garage central à la fin du projet. Ils ne devraient donc plus être conservés dans leur ministère de base. Mais il s’est passé qu’en février 2005, le Général Kérékou a procédé à un remaniement ministériel. Alain Adihou a changé de portefeuille en quittant le MCRI-SCBE pour le  ministère de l’enseignement technique et de la formation professionnelle (METFP). A ce nouveau poste, il découvre que le véhicule de tournée de ce ministère était au garage.  Il en informe dès lors le directeur du Garage central et lui demande à conserver le véhicule du projet LEPI qui ne faisait pas partie du patrimoine du MCRI-SCBE une fois que le premier volet du projet a pris fin.  Le véhicule propre du nouveau ministère étant finalement revenu de garage, le 25 avril 2005, sans aucune pression, et sans que personne ne lui ait demandé quoi que ce soit, il a fait déposer ledit véhicule au Garage Central administratif et contre décharge.  En passant service en avril 2006 à Mathurin Nago nommé ministre de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle dans le nouveau régime, Alain Adihou rentra chez lui à bord de sa propre voiture. Et pourtant, en passant au MCRI-SCBE pour le contrôle, les parlementaires ont trouvé l’un des deux véhicules acquis pour la LEPI. Ayant demandé où se trouvait le second, il leur a été rétorqué qu’il se trouvait avec le ministre Adihou. Ils n‘ont pas poursuivi leur enquête plus loin, n’ayant rien demandé à l’intéressé lui-même qu’ils étaient chargés d’accuser d’outrage à député. Voilà comment fut fabriqué le chef d’accusation de détournement de véhicule administratif, l’une des bases sur lesquelles ils se sont fondés pour le faire mettre en prison depuis trois ans. Libéré sous caution, il reste toutefois à la disposition de la justice pour la manifestation de la vérité.

Une justice qui fait froid dans le dos

Le traitement infligé au dossier Adihou fait peur. Il est clair que les députés voulaient lui régler son compte pour avoir osé dire que la LEPI se fera avec ou sans eux. Pour cela, ils se sont précipités sur un rapport inachevé pour se venger. On aurait cru que, face à une volonté vengeresse aussi évidente, la justice aurait tenté de tirer la situation au clair. Mais après trois ans de détention, des doutes subsistent quant à l’impartialité des juges en cette affaire. En effet, placé en mandat de dépôt le 25 Octobre 2006 à la prison civile de Cotonou, l’ancien ministre était théoriquement parti pour six mois de détention selon les stipulations du code  pénal, sauf si ledit était prorogé dans les conditions prescrites par la loi. Six mois après, c’est-à-dire le 24 avril 2007, les magistrats n’ont ni renouvelé le mandat de dépôt ni libéré l’ancien ministre. Selon la loi, le détenu qui se retrouve dans ces conditions est libéré d’office. Mais non ! Encore que le 27 avril, les avocats du ministre ont écrit au magistrat pour signaler cet « oubli » qui fait de la détention de leur client une violation flagrante et somme toute titanesque des droits de l’homme, c’est-à-dire de son simple droit à la liberté.  Rien n’y fit. Aucune réponse, aucune réaction. C’est seulement 14 jours plus tard, soit le 7 mai, que le greffier est venu lui tendre l’ordonnance prorogeant son mandat de dépôt. Et là encore, surprise ! Cette ordonnance a été tout bonnement  antidatée : elle porte la date du 23 avril 2007, comme date de sa signature, exactement comme si son maintien en détention était totalement légal. Est-ce que les juges assermentés sont autorisés à faire du faux ? Voilà une question qui mérite réponse. Tout compte fait, cet énorme vice de procédure vient nous renseigner sur ce qui attend les justiciables derrière les barreaux. Si donc un si funeste sort est réservé à un ministre, fût-il ancien, qu’arriverait-t-il  à un menuisier, à une pauvre secrétaire ou à un vigile envoyé en prison? Avons-nous l’assurance que l’appareil judiciaire  béninois ne sert pas de plaque tournante à la vengeance des forts au détriment des faibles ? Ces interrogations effrayantes ont dû tournoyer dans sa tête sans obtenir de réponses optimistes pour aujourd’hui. Ni pour demain.
Olivier ALLOCHEME

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1 thoughts on “Libération d’Alain Adihou: Trois ans de détention pour rien

  1. CREIL

    Monsieur,
    je viens de lire votre article et l’ai comparé à ceux de vos collègues d’autres presses.
    Il ressort que le modèle de démocratie béninoise est très spécial.
    C’est vrai que chaque pays gère “sa démocratie” comme il l’entend, mais en gardant les bases primaires d’une DÉMOCRATIE.
    On ne peut dire aujourd’hui sur quelles bases réelles repose la démocratie au Bénin qui aime bien donner des leçons à d’autres.
    Beaucoup de choses restent à revoir. Le béninois n’est pas un être humain comme les autres: il sait tout et n’aime pas la contradiction frontale. Le constat est fait dans d’autres pays: discret mais espiègle.
    Bon courage à vous et bonne chance à Alain qui a dans ses roues abbé adoukonou bathlémy et albert tévoedjrè qui ont des écrits plus intelligents que leur propre personne!

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