Géopolitique: L’Ambassadeur Edon dévoile les raisons de la convoitise de Groenland

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Dans une analyse publiée le 1er février 2025, l’Ambassadeur Jean-Pierre EDON, Spécialiste des questions internationales a donné les raisons de l’intérêt de Groenland pour les Etats-Unis. Selon ses explications, la fonte des glaces en Arctique où se situe Groenland a ouvert de nouvelles routes maritimes plus courtes pour le transport entre l’Europe et l’Asie. Positionné stratégiquement sur cette nouvelle voie, le Groenland est devenu un point focal critique. « La possession de l’île par Washington lui offrira les moyens de contrôler ou au moins de perturber les flux commerciaux chinois et russes. Les nouvelles routes maritimes favorisées par la fonte des glaces, apparaissent comme des alternatives aux passages traditionnels comme le détroit de Malacca et le canal de Panama. On peut dire sans risque de se tromper que tout ceci fait partie de la stratégie d’endiguement face à la montée en puissance de la Chine et de la Russie », a-t-il écrit.

L’INTERET DU GROENLAND POUR LES ETATS-UNIS

Au cours de sa campagne électorale, le président américain Trump a évoqué avec force la convoitise de son pays sur l’île de Groenland, et aussi sur le canal de Panama. Il est bon et opportun de savoir les raisons d’être de cette idée politique, dont la claire expression par l’homme fort du monde, mérite une attention particulière, et reste tout de même, inquiétante.

Immense, l’île de Groenland située dans l’Arctique au pôle Nord proche du Canada, est d’une superficie de 2,16 millions de km2 dont les 80% sont couverts de calotte glacière. Elle compte une faible population de l’ordre de 56.865 habitants (Banque mondiale 2023), et jouit du statut de territoire autonome du Danemark.  Les Etats-Unis l’ont toujours considéré comme une entité territoriale intéressante du point de vue de son potentiel économique, de sa position géopolitique et géostratégique.

Vieux projet américain et intérêt économico-sécuritaire

En réalité, la convoitise américaine sur cette ile, ne date pas d’aujourd’hui, elle est ancienne. Par le passé, les dirigeants des Etats-Unis, ont toujours cherché à l’avoir, soit par l’achat, soit par d’autres moyens. Le président Trump n’a fait que dire tout haut ce que ses prédécesseurs mijotaient tout bas. Ce qui choque et surprend, c’est la façon brutale dont la question a été évoquée, et ce n’est pas la première fois qu’on en parle.

Pendant son premier mandat, le sujet était déjà abordé. Dans le cadre de sa politique de Grand Etats-Unis, les discussions publiques avaient eu lieu en 2019 sur l’achat de l’ile dont l’importance économique et sécuritaire se passe de commentaire. Son acquisition, cruciale pour la défense des Etats-Unis, lui donnerait le pouvoir de mieux assurer son contrôle, et d’empêcher l’influence de la Russie et de la Chine qui s’y intéressent également.

En effet, la fonte des glaces due au changement climatique, entrainant en conséquence l’échauffement des océans, permet de nos jours l’exploitation facile de ses nombreuses ressources naturelles.

Le territoire de Groenland regorge en quantités considérables de ressources naturelles parmi lesquelles on compte : le zinc, le plomb, l’or, le fer, les terres rares lourdes et légères, le cuivre, le pétrole, l’eau sous toutes ses formes, l’uranium, les pierres précieuses, le charbon, le graphite etc…

Sur le plan sécuritaire, Groenland a toujours été considéré par les Etats-Unis, comme un territoire vital pour sa sécurité nationale. Pendant la deuxième guerre mondiale, en fonction de la doctrine du président Monroe (l’Amérique d’abord, l’Amérique aux Américains), ils ont occupé l’île en vue d’empêcher l’Allemagne de l’utiliser après l’occupation allemande du Danemark. Depuis longtemps ils participent régulièrement aux exercices de l’OTAN sur les eaux groenlandaises, et y disposent d’une base militaire. A cet aspect sécuritaire, s’ajoutent les considérations géopolitiques et stratégiques.

Intérêts géopolitiques et géostratégiques

On aurait cru que c’est par un coup de tête que le président Trump évoque la question du Groenland. Il n’en est rien. Bien pensée depuis très longtemps, l’acquisition de l’ile participe de l’objectif de longue date des Etats-Unis, d’éliminer les puissances concurrentes et de consolider leur statut de superpuissance mondiale.

La fonte des glaces en Arctique où se situe Groenland a ouvert de nouvelles routes maritimes plus courtes pour le transport entre l’Europe et l’Asie. Positionné stratégiquement sur cette nouvelle voie, le Groenland est devenu un point focal critique. Le contrôle des eaux sur cette île, suscite l’intérêt des puissances telles que les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

Les vastes ressources inexploitées de l’ile et sa position stratégique de défense, renforce encore son importance géopolitique. L’objectif visé est de monopoliser les ressources stratégiques et maintenir le contrôle sur les routes maritimes commerciales.

Dans le même temps, une pression sera faite sur Groenland pour qu’il rejette les investissements chinois dans l’exploitation des terres rares essentielles aux technologies modernes et au système d’armement, la course aux armements étant de nouveau à l’ordre du jour, en dépit des efforts des Nations-Unies pour y mettre fin.

Ce dispositif permettra d’isoler la Chine des ressources cruciales et stratégiques de ce territoire danois. En définitive, ces mesures contribueront à moyen terme à empêcher la réalisation du projet chinois de la << nouvelle route de soie>>.

La possession de l’île par Washington lui offrira les moyens de contrôler ou au moins de perturber les flux commerciaux chinois et russes. Les nouvelles routes maritimes favorisées par la fonte des glaces, apparaissent comme des alternatives aux passages traditionnels comme le détroit de Malacca et le canal de Panama. On peut dire sans risque de se tromper que tout ceci fait partie de la stratégie d’endiguement face à la montée en puissance de la Chine et de la Russie.

En effet, malgré les sanctions économiques et les pressions diplomatiques, la Russie est toujours solide et a diversifié ses relations en les orientant vers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine. Quant à la Chine, son influence s’accroit par ses lourds investissements et ses initiatives de la << nouvelle route de la soie>>.

Aux Etats-Unis, le seul point d’accord entre les démocrates et les républicains, reste l’hostilité, la lutte contre l’influence et la montée en puissance de la Chine et de la Russie. Il s’ensuit que malgré leurs divergences de vue sur le plan politique, social et économique, les Américains sont unanimes pour compliquer la tâche aux nations qui menacent leur puissance. Ils tiennent à demeurer la superpuissance mondiale.

De ce point de vue, le peuple américain s’identifie bien à travers Trump dont il partage majoritairement et entièrement les sentiments hégémoniques et de superpuissance de premier rang.

Brève appréciation de la situation

La visée américaine sur le territoire groenlandais est très stratégique. Elle s’inscrit dans le cadre de la compétition entre les grandes puissances, les Etats-Unis cherchant à maintenir sa place de superpuissance à laquelle aspirent la Chine et la Russie. Toutefois le virage nationaliste et protectionniste amorcé par la nouvelle administration, risque d’isoler le pays et de compromettre l’ordre mondial.

 Le nationalisme trop poussé de Trump est grave en ce sens qu’il met de côté le droit international et ignore tout le travail qui a été fait depuis la deuxième guerre mondiale. Pour lui, les institutions du système des Nations-Unies (OMC, OMS, ONU, Accord de Paris sur le climat…) qui ont permis de préserver globalement la relative paix mondiale et de promouvoir le développement depuis 1945, ne comptent pas. Or les conséquences d’une telle politique sont imprévisibles.

La vision Trumpiste bouleverse les normes internationales sans aucune considération du reste du monde, ni de l’Europe, alliée traditionnelle, encore moins le Canada. Elle ramène tout à sa nation qui ne peut pourtant pas vivre en autarcie dans un monde globalisé, quelle que soit sa puissance.

Il en découle l’enseignement qu’au lieu de s’accrocher aux Etats-Unis, les pays européens ont intérêt à mieux s’organiser et penser à la Grande Europe dont parlait le General de Gaulle qui s’étendrait du Portugal à la Russie. Dans un grand ensemble continental du genre, capable de forcer le respect de Washington, les intérêts de l’Europe négligés par l’Amérique, seront mieux défendus et la coopération avec la Russie serait plus rentable. Il en est de même de l’Afrique qui est loin d’être sa préoccupation.

Certes, la vision de la nouvelle administration américaine relative à l’affirmation de l’autorité des USA sur les plans technologique, économique, financier et monétaire dans le monde, surtout à l’égard de la Chine en pleine puissance économique et technologique, est compréhensible. Toutefois, elle risque de créer des divergences sur la gestion des défis géopolitiques, ce qui provoquerait des tensions entre Washington et ses alliés traditionnels. La conséquence serait la fissure dans la cohésion de l’Occident qui ne serait plus en mesure de répondre aux menaces globales.

Le Danemark et sa province autonome Groenland, étant membre de l’organisation continentale, l’Union Européenne ne restera pas inactive au cas où la menace d’acquérir coûte que coûte cette île sans l’accord de Copenhague, devenait effective. Selon un sondage réalisé par l’agence Verian, publié le mercredi 29 janvier 2025, une majorité écrasante de Groenlandais (85%) refusent d’être américains. Les pays scandinaves (Norvège, Suède, Finlande) sont solidaires avec le Danemark pour s’opposer à l’acquisition ou annexion américaine de l’île.

Les puissances émergentes qu’on cherche à affaiblir, profiteront des dissensions que suscitera ce projet de Trump, pour s’organiser, voire s’imposer et favoriser l’apparition rapide d’un monde multipolaire qui n’est pourtant pas, du goût des USA. L’évolution inconnue du nouveau virage américain, interpelle les G7, G20 et surtout les Nations-Unies chargées de veiller au respect des normes internationalement admises, et à la préservation de la paix et de la sécurité internationale. Voilà que la nouvelle politique américaine affaiblit l’ONU.

Jean-Pierre EDON,

Ambassadeur, Spécialiste des questions internationales.

Cotonou le 1er Février 2025.

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