Views: 118
Annoncé depuis plusieurs jours, le démarrage du procès Dangnivo a été effectif ce mardi 11 mars au Tribunal de première instance de première classe Cotonou. A la barre, deux des principaux présumés complices de « l’assassinat » de ce cadre du ministère des finances, disparu depuis plus de 15 ans, ont fait des révélations pour le moins troublantes, laissant croire à des implications des hautes personnalités de l’ancien régime dans cette affaire.

Cinq ans après la réouverture du procès de cette affaire qui date d’une dizaine d’années, les accusés Codjo Cossi Alofa et Donatien Amoussou ont fait des révélations accablantes à la barre, répondant aux chefs d’accusation d’assassinat et de complicité d’assassinat d’Urbain Pierre Dangnivo, ex cadre du ministère des finances. En effet, ce dernier avait mystérieusement disparu dans la nuit du 17 au 18 août 2010, alors qu’il quittait le service pour son domicile. Sa voiture, une Audi 80 de couleur blanche, avait été retrouvée abandonnée. Plusieurs jours plus tard, l’enquête policière alors ouverte a permis d’interpeller les sieurs Codjo Cossi Alofa et Donatien Amoussou, soupçonnés d’être impliqués dans la disparition du fonctionnaire Dangnivo.
Le procès initial de cette affaire avait débuté en 2015 puis poursuivi en 2016 et 2018. À l’époque, Codjo Cossi Alofa, présenté comme un féticheur, avait dans un premier temps reconnu les faits et plaidé coupable de l’assassinat. Mais lors des audiences de 2018, il était revenu sur ses aveux, affirmant qu’il était en garde à vue au moment des faits. Son co-accusé Donatien Amoussou avait quant à lui toujours nié les accusations de complicité d’assassinat. Sept ans plus tard, le dossier a refait hier surface par un procès en complémentarité aux précédents.
Dès l’ouverture de l’audience ce mardi, le juge a tenu à préciser que c’est la nouvelle loi votée en 2018 qui permet au tribunal siégeant en première instance en matière criminelle de connaître à nouveau du dossier. Il ajoutera qu’il ne s’agit pas d’un nouveau procès puis qu’il n’y a pas d’actes posés dans le dossier depuis 2018. C’est alors que le magistrat convoque les témoins. Question : « Monsieur Alofa, connaissez-vous Pierre Urbain Dangnivo ? ». Sa réponse est catégorique : « Non, je ne le connais pas ». « L’avez-vous vu une fois ?», relance le président du tribunal de Cotonou. « Non, je ne l’ai jamais vu », affirme Alofa. A la question du juge de savoir comment Alofa s’est-il alors retrouvé au cœur du dossier comme son assassin ; il fera une déposition pour le moins accablante. A croire, Alofa, tout aurait commencé dans la nuit du 16 août 2010. Lui et son ami Polo seraient partis voler une moto. L’opération ayant tourné au vinaigre, son ami Polo a réussi à prendre la fuite avec ladite moto. Mais lui a été rattrapé par la population et remis à la police. L’accusé affirme qu’il est gardé ensuite au commissariat de Godomey avant d’être placé sous mandat de dépôt le 30 août 2010. Plus tard, selon Codjo Alofa, le 14 septembre 2010 alors qu’il est détenu à la prison civile de Cotonou, il s’est fait appeler par le régisseur. D’après sa déposition d’hier, le régisseur d’alors lui aurait informé de ce que ses patrons voulaient le voir. Et c’est ainsi qu’il s’est retrouvé en face des officiers dont un certain Prince Alédji, révélant que ce dernier serait venu avec un papier avec pour mission d’endosser la responsabilité de l’assassinat de Pierre Urbain Dangnivo. « Il m’a dit que quand quelqu’un dérange le président de la République, on s’occupe de lui. Il m’a dit que je n’avais pas à m’inquiéter. Je ne m’appelle pas Cossi Codjo Alofa. C’est Alédji qui m’a donné le nom Cossi. Je m’appelle Codjo Alofa et non Cossi Codjo Alofa », a aussi révélé Alofa hier à la barre. De la prison civile de Cotonou, il aurait été ramené à la section recherches de la gendarmerie. « Prince Alédji m’a demandé d’accepter que je sois l’assassin de Monsieur Urbain Dangnivo pour calmer Adrien Houngbédji et Bruno Amoussou qui organisaient des marches et menaçaient que l’élection présidentielle de 2011 n’allait pas tenir si Pierre Urbain Dangnivo n’était pas retrouvé », a révélé l’accusé.
25 millions FCFA en compensation ?
Au cours de sa déposition à l’audience de ce mardi, Codjo Alofa affirme qu’il lui a été également promis 25 millions FCFA et la protection sécuritaire s’il acceptait d’endosser la responsabilité de l’assassinat de Pierre Urbain Dangnivo. L’accusé ajoute que plus tard, ils ont décidé de l’amener chez lui à Womey pour le prétendu corps et que bien avant un officier Lucien Dègbo lui aurait indiqué ce qu’il devrait dire avant la reconstitution. « Je ne maîtrise rien de ce dossier. Je n’ai pas tué Dangnivo», a rejeté l’accusé. « Le corps retrouvé chez moi a été amené là », a-t-il juré.
Au cours de sa déposition, l’accusé est revenu sur l’épisode de sa supposée évasion de la prison civile de Missérété en février 2015. Codjo Alofa confie qu’après plus de deux ans de prison, des hommes armés sont venus le chercher très tôt à 4 heures un matin du mois de février 2015 pour soi-disant l’amener au parquet. Ces hommes armés lui auraient demandé s’il devait quitter le Bénin où irait-il. Alofa affirme qu’il a répondu qu’il irait au Togo.
Le trajet de la prison au parquet lui a paru extrêmement long. Alofa déclare qu’il a été finalement déposé à la frontière de Hillacondji avec pour consigne d’aller très loin du Bénin. Les hommes en uniforme qui l’ont déposé lui auraient remis 50 000 FCFA. Alofa précise au tribunal qu’il est resté au Togo pendant un moment avant de se rendre lui-même à la police togolaise et d’être extradé au Bénin.
Le chef de la sécurité de Yayi cité
L’audience est reprise à 14h après une première suspension. Le second présumé complice Donatien Amoussou est à la barre. Il raconte qu’un jour, un ami camerounais du nom de Prison est venu l’informer qu’il avait retrouvé dans un hôtel un véhicule qui était recherché par les autorités. Donatien Amoussou déclare avoir fait appel à un de ses grand frère journaliste qui grâce à ses relations, l’a mis en relation avec le directeur général de l’ORTB de l’époque, Julien Akpaki. Selon sa déposition, c’est ce dernier qui l’a amené voir un colonel chargé de la sécurité du président pour l’informer qu’un véhicule a été retrouvé. Une fois informé, une enquête a été ouverte.
Selon sa déposition, il ne savait pas que son malheur venait de commencer ainsi. Plus tard, le colonel Sévérin Koumassègbo, alors chef de la sécurité du président de la République, va convoquer Donatien Amoussou à son domicile. L’officier lui aurait remis un téléphone portable à déposer à la radio Océan FM et lui aurait demandé de signaler à la commission d’enquête qu’il avait retrouvé ce portable. Donatien Amoussou affirme avoir refusé, malgré l’offre de 500 000 FCFA. Le colonel a alors fait appeler une autre personne qui aurait accompli cette mission contre deux millions de FCFA.
Donatien Amoussou confie ensuite qu’il avait finalement coupé tout contact avec le colonel et a décidé de ne plus décrocher ses appels téléphoniques. Face à l’impossibilité de le joindre, Donatien Amoussou affirme que l’officier est passé par le biais de son grand-frère pour lui demander de venir. Finalement, l’accusé déclare s’être rendu chez le colonel à la présidence. Ce jour-là, le colonel lui a assuré qu’il ne lui demanderait plus de service. Peu de temps après, Donatien Amoussou affirme que le colonel l’a conduit à la compagnie de brigade où il sera placé en garde à vue. « Je n’ai pas été arrêté. Je suis venu et il m’a amené à la compagnie de brigade », a-t-il précisé.
Dans la salle d’interrogatoire pendant sa garde à vue, Donatien Amoussou confie que six autres personnes, torse nu, l’ont rejoint pour une séance d’identification. C’est au cours de cette séance d’identification que le principal accusé Alofa l’a désigné comme son complice. Donatien Amoussou affirme avoir été battu ce jour-là. « Je ne connais Dangnivo ni d’Adam ni d’Ève. Je vois Dangnivo dans cette salle, je ne peux pas le reconnaître. C’est plus tard que j’aie compris que le téléphone portable qu’on me demandait de remettre à Océan FM était celui de Dangnivo », a témoigné Donatien Amoussou.
L’audience a été suspendue hier à 17 heures et sera reprise ce mercredi 12 mars 2025 à partir de 09 heures.
Christian TCHANOU