William Codjo, DG de de l’Agence du développement des arts et de la culture, invité de Sous l’arbre à palabres: « Notre ambition, c’est de libérer le potentiel créatif du Bénin »

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Invité de la Rubrique « Sous l’arbre à palabres » de l’Evènement Précis, le Directeur Général de l’Agence du développement des arts et de la culture (ADAC), William Codjo dévoile les grandes ambitions du gouvernement et de son chef, Patrice Talon, à travers la création de cette structure courant avril 2023. Cinéma, musique, théâtre, danse, tout   art de la scène, livre, etc… Ce sont autant de domaines relevant des arts et de la culture dans lesquels l’ADAC multiplie des initiatives et mène diverses actions depuis lors, en vue de leur rayonnement réel. Le DG William Codjo se dit surtout séduit et renforcé dans sa mission par  par l’engagement personnel du président Patrice Talon pour mieux éclore les talents artistiques et culturels du Bénin en les hissant sur le toit mondial. Lisez plutôt.   

Présentez-nous l’ADAC et le contexte de sa création ?

D’accord, l’ADAC, entendue Agence du développement des arts et de la culture est le bras opérationnel du ministère du tourisme, de la culture et des arts. Donc, ce que le gouvernement a mis en place pour porter la mise en œuvre de sa politique culturelle au niveau du pays. Elle est créée depuis avril 2023 en transformation d’une structure qui existait avant, qui s’appelait la Galerie Nationale, qui évoluait exclusivement dans le domaine des arts visuels. Elle a été transformée et on lui a ajouté d’autres domaines d’expression artistique tels que le cinéma, la musique, le théâtre, la danse, tout ce qui est art de la scène, le livre, etc. Tout ce qui est du domaine des artistiques et culturelles au Bénin, et sa politique est portée par l’Agence du Développement des Arts et de la Culture. Voilà un peu ce que c’est que l’ADAC et le contexte de sa création.

Qu’est-ce qui a vraiment changé par rapport à ce qui existait ?

Beaucoup de choses ont changé. Je mettrai l’accent beaucoup plus sur le domaine d’expression artistique qui est les Arts visuels. Vous connaissez les plasticiens. Cette discipline a toujours existé au Bénin. Vous allez remarquer que depuis peu, depuis l’avènement du président Talon, c’est une discipline aujourd’hui qui a pris réellement son envol. Et c’est dû à quoi ? C’est dû au fait que le gouvernement a travaillé à la restitution des trésors royaux d’Abomey. Et ces trésors royaux ont permis à l’État d’organiser une exposition diptyque au palais de la Marina, vous êtes au courant.

Diptyque pourquoi ?

Parce que ça a permis de voir les trésors royaux qui sont revenus, mais également de voir tout ce qui se fait aujourd’hui sur la scène contemporaine. Il y a donc deux volets, un volet patrimonial et un volet contemporain. Dans ce volet contemporain, les œuvres exposées sont produites par des artistes béninois. Tandis que les trésors royaux ont été produits, il y a de cela plus d’un siècle. C’est en cela que nous parlons d’une partie patrimoniale et d’une partie contemporaine. Et depuis cette exposition, il y a toute une politique qui s’est mise en branle pour porter ce domaine-là. Ça a donné lieu à une autre exposition au Maroc à Rabbat. Ensuite, nous sommes allés en Martinique, le chef de l’État lui-même était là pour inaugurer cet événement. Au moment où je vous parle, nous sommes à Paris, à la Conciergerie, où cette exposition a lieu jusqu’au 5 janvier 2025. Et les statistiques que nous avons aujourd’hui font état de plus de 100 000 visiteurs déjà au niveau de cette exposition. C’est important de le noter parce qu’un pays a trois formes de puissance. La puissance économique, la puissance militaire et la puissance culturelle. Aucune des puissances n’est à négliger. Nous avons tendance à prioriser la puissance économique et militaire. Et ça m’a même fait une petite parenthèse pour aller à la Deuxième Guerre mondiale quand on demandait à Churchill, Winston Churchill qui a été premier ministre anglais au moment de la deuxième guerre mondiale, de réduire le budget de la culture pour soutenir les efforts de guerre. Il a dit : « Pourquoi nous nous battons alors ? S’il faut réduire notre contribution à la culture, il faut aller soutenir la guerre alors que nous nous battons pour faire prédominer notre culture. » Donc, c’est vous dire qu’un peuple, ce n’est pas seulement un territoire et des gens. C’est également tout ce que ce peuple a reçu des anciens, ce qui caractérise ce peuple-là, son identité, c’est important. Sa cohésion, tout ce que ce peuple génère comme style de vie, comme art de vivre, c’est à préserver. Et c’est en cela que c’est important que les arts portent tout cela. Nous en tant que peuple béninois constitué de plusieurs aires culturelles, nous avons besoin de forger notre identité en tant que peuple unique. Ce qui nous singularise, ce qui nous distingue. Et c’est ça le rôle de la culture. Personne d’autre ne peut le faire à notre place, si ce n’est nous-mêmes. Donc nous avons senti l’envol de ce secteur-là de manière sérieuse depuis 2016. Au moment où je vous parle, nous venons de clôturer depuis le 24 novembre notre première participation à la biennale de Venise. Ce n’est pas anodin. C’est le carrefour mondial de l’art contemporain. Ça se tient tous les deux ans, depuis plus de cent ans. C’est là où les véritables professionnels vont se faire connaître des grands collectionneurs du monde pour pouvoir justement intégrer le réseau commercial de l’art contemporain, afin que les artistes que nous avons ici qui créent des œuvres puissent trouver des débouchés pour ces œuvres-là, que ça leur génère des revenus et que ces revenus-là retombent et ruissellent sur toute la nation. Donc on est allé à Venise, ce n’est pas pour faire joli, mais c’est pour faire du lobbying pour intégrer un circuit commercial pour les journalistes, c’est pour faire connaître la scène artistique, pour donner un signal fort pour dire qu’il existe un pays dans le monde en Afrique de l’Ouest dont la scène artistique est foisonnante et qui mérite le détour. C’est cela que nous sommes allés faire à Venise. Et là encore, les statistiques ont été très élogieuses. Nous avons reçu la visite de plusieurs personnalités. Le Bénin avait son pavillon propre. Contrairement à d’autres pays, le Bénin a choisi d’avoir son propre pavillon. D’autres pays ont choisi de se fondre dans le pavillon international où il n’y a que des articles anonymes qui sont présentés. Nous on y est allé. C’est la politique publique du Bénin qui porte ce sous-secteur-là. Nous avons une volonté d’accompagner ce secteur et les professionnels qui y travaillent. C’est comme ça que nous y sommes allés avec quatre artistes, deux hommes et deux femmes, des artistes résidents et des artistes de la diaspora, des artistes jeunes et des artistes beaucoup plus confirmés. Et ce pavillon pour la première participation de l’histoire, notre pavillon a été classé parmi les sept meilleurs pavillons au monde. C’est cela. Donc tout ça, ce n’est pas seulement à des fins économiques, mais également à des fins de rayonnement culturel. A des fins de soft power, nous devons attirer la sympathie du monde sur nous. Pour qu’ils aient envie de travailler avec nous, qu’ils sachent qui nous sommes, quelles valeurs nous portons, quels sont les principes qui gouvernent la société béninoise et ces principes qui sont portés par les créations des artistes qui résident au Bénin ou qui sont issus du Bénin et qui vivent ailleurs. C’est cela. Et je peux vous partager tout ce que nous avons vu comme retombées en termes de presse. Aujourd’hui, on ne peut plus parler d’art contemporain au niveau mondial sans faire référence au Bénin. Nous voulons nous positionner comme le carrefour incontournable de l’art en Afrique. Et les mesures qui sont prises dans la loi des finances de 2025 viennent confirmer cela. Appréciez-vous-même le changement dans ce domaine artistique. Notons que la politique volontariste engagée dans le domaine des arts visuels a commencé à porter ses fruits, le gouvernement demande d’élargir cela à tous les autres domaines d’expression artistique pour que ce soit un mouvement dans cle sens. Et c’est à ce travail que nous nous accordons la priorité.

Puisque vous parlez des trésors royaux que le gouvernement a fait retourner au pays, où sont ces trésors actuellement ?

Ces trésors sont là au Bénin. Ils ne sortiront plus du Bénin. Vous savez que le gouvernement est en train de construire aujourd’hui quatre musées de classe internationale. Un des musées va abriter ces trésors-là. Quiconque voudra voir ces trésors sera obligé de venir ici au Bénin pour les voir. Il va devoir séjourner dans nos hôtels, payer des nuitées, il va devoir manger dans nos restaurants, alimenter notre économie locale, il va devoir se déplacer sur les routes du Bénin, donc payer également les frais de déplacement, consommer du carburant. On peut dire que ces trésors royaux vont également contribuer à nourrir notre économie.

Monsieur le Directeur Général, dites-nous les grands chantiers sur lesquels vous avez travaillé depuis la création de l’ADAC et leurs impacts. 

 Les grands chantiers, il y en a eu beaucoup. Nous avons été créés en cours d’année dernière et déjà nous étions un peu comme un enfant né avec les dents.

Parce que vous avez un gros budget qui attendait ?

Pas forcément un gros budget, notre budget n’était pas aussi consistant, mais l’échantillon était immense. Déjà au moment où l’Agence a été créée, il y avait déjà « L’itinérance » qui avait commencé pour l’exposition d’art contemporain. Nous étions au Maroc, je suis venu, pendant que l’exposition se tenait au Maroc, et j’ai demandé aux autorités un délai de grâce pour me permettre de vraiment m’acclimater aux conditions de travail de l’administration béninoise. On m’a dit non. C’est maintenant qu’il faut enclencher le processus. En ce moment, on préparait la biennale de Venise. J’avais demandé que mon prédécesseur conduise ce processus jusqu’à son terme et que moi j’organise plutôt la biennale suivante. Le président m’a dit non, non, non. On m’a fait confectionner mon passeport en moins de 24 heures. Le visa a été obtenu en moins de 24 heures, je me suis retrouvé à Paris, à Venise en train d’organiser alors que je n’avais même pas encore une semaine de travail sur place. C’est vous dire un peu le rythme de travail qui caractérise aujourd’hui l’administration. On s’est attelé à ce chantier-là, préparer la biennale et organiser l’exposition du pavillon, conduire le processus à son terme et veiller à ce que toutes les œuvres soient produites parce que toutes ces œuvres-là ont été produites exclusivement pour la biennale. Ce n’était pas des œuvres qui existaient. Il a fallu les concevoir, les produire. Et il y avait un artiste confirmé dans le lot qui a fait un travail phénoménal. Vous le connaissez sans doute, M. Romuald Hazoumè, dont l’œuvre était au cœur de notre pavillon et les autres gravitaient autour de son œuvre. Et c’est ça qui a donné cette cohésion que la terre entière a saluée au niveau de Venise. Donc, c’est vous dire que c’est un chantier important. On a conduit ce processus à son terme. Il fallait conduire également l’organisation de l’exposition en Martinique, qui devait voir la participation effective du chef de l’État lui-même. Et si vous êtes attentif, vous devez comprendre qu’il y avait eu toute une polémique qui avait été soulevée à l’époque à une semaine de l’événement. J’ai reçu des protestations pour qu’on n’y aille pas et les protestataires ont finalement adhéré à la cause. Ils sont allés visiter l’exposition et aujourd’hui nous avons des statistiques de l’ordre de plus de 80 000 visiteurs au niveau de cette exposition. C’est pour dire que c’étaient des chantiers importants et nous avons également pour le compte de l’année 2023, tout ce qu’il y avait à organiser dans les autres domaines d’expression artistiques à savoir : la fête de la musique, le mois de la mode, le salon national du livre, le grand prix littéraire, les nuits artistiques de Cotonou, la journée internationale du souvenir et de l’abolition de la traite des noirs. Vodun days, on est tombé dedans de plein pied, on l’a conduit et ça c’était pour le début de 2024. J’étais sur le bilan de 2023 et là on a démarré l’année justement avec Vodun days. Un événement de taille phénoménale qui a connu la participation de 87 000 visiteurs sur la plage de Ouidah avec tout ce que vous avez vécu, tout ce qu’il y avait comme activité autant au niveau des Vodun qu’au niveau du concert, le village artisanal et tout ce qui a suivi, l’animation des places un peu partout dans la ville. Donc, on a porté cela au début de l’année. Après, il fallait s’occuper de toute la programmation que nous avons reçue du ministère de tutelle, qui avait cet énorme événement qui nous a été transféré et il fallait conduire tout cela à terme. Et avec une équipe que vous connaissez, une équipe réduite, mais méthodique et qui a apporté cela de manière valeureuse, avec bravoure et ça a donné le résultat que nous avons eu.

L’une des grandes avancées de cette année dans le secteur culturel est le lancement du Fonds de Développement des Arts et de la Culture (FDAC). Quels sont ses principaux objectifs et mécanismes de soutien et surtout quelle est la différence entre ce fonds et ce qui existait ?

Le Fonds de Développement des Arts et de la Culture n’est pas une nouveauté. Il a été créé même avant l’Agence. Il a été créé le 19 octobre 2022. Et nous, c’est un outil qu’on nous a confié, qu’on doit implémenter en faveur des professionnels des différents secteurs des arts et de la culture. Donc, il nous fallait du temps pour penser et mettre en œuvre le mécanisme qui doit accompagner ce fonds.

Pourquoi ?

Parce qu’il y avait un certain nombre de reproches, à tort ou à raison, qui étaient formulés à l’encontre de l’ancien mécanisme. Ce n’est pas la peine de revenir sur ces détails. Vous savez, sous nos tropiques, parfois il y a des polémiques inutiles. Mais il faut quand même reconnaître que c’est important que ce mécanisme soit le plus professionnel, le plus neutre et le plus impartial possible. Donc, il fallait trouver la formule. On s’est mis à la tâche et on a pensé le processus pour qu’il puisse garantir l’égalité des chances pour tous, tout en adressant les principaux besoins qui s’expriment dans tous les domaines d’expression artistique que nous avons. Donc le FDAC a été lancé en octobre dernier, un premier appel a été lancé dans la foulée et a été clôturé le 2 novembre. Et nous sommes actuellement en train de procéder à l’évaluation de tous les dossiers qui ont été collectés.  Pour tout vous dire, ce n’est pas nous qui évaluons directement. Nous recrutons des assesseurs qui sont partout dans le monde, qui sont spécialisés dans ces différents domaines qui nous sont confiés et qui ont l’habitude d’évaluer ces types de projets, en respectant les principes d’égalité des chances. On a recruté les assesseurs, on leur a donné le guide méthodologique, le kit qui est conçu pour l’évaluation, on les a formés, on les a organisés en binôme. Deux personnes évaluent un projet sans se connaître et les deux notations doivent converger en respectant un écart-type, sinon, l’évaluation n’est pas validée. C’est cela la méthode qui est mise en place et ils sont chapeautés par un facilitateur qui, lui, connaît les deux et qui sait s’il y a une divergence entre les notations et attire leur attention dessus pour qu’ils revoient leur copie jusqu’à ce que l’écart-type que nous avons défini soit respecté.  Pendant que tu donnes une notation de 50 à quelqu’un, et que ton binôme donne une notation de 5, sur quelle base va-t-on prendre la décision de valider ce projet ?  L’écart-type ne doit pas être supérieur à 15. Il n’y a pas de note 0 à donner à une rubrique. Donc, il y a des principes qui sont énoncés pour garantir l’efficacité et en même temps l’efficience, tout en respectant le principe d’équité, d’égalité des chances et aussi de performance.

Parlant justement de ce processus, vous avez annoncé une tournée de formation et tout cela est arrivé en quelques jours seulement et on se demande qui vous avez réellement formé.

Ça ne s’est pas passé en quelques jours. On l’a fait sur une semaine et on a parcouru tout le territoire national et on a demandé à tous ceux qui ont envie d’être formés de venir. Parce qu’il y a une méthodologie pour élaborer les projets culturels. Et c’est cette méthodologie qu’on voulait inculquer pour que ce qu’ils allaient nous présenter soit conforme à nos attentes. Donc beaucoup sont venus quand même dans tous les domaines d’expression artistique et dans tous les départements. On s’est rendu partout. Même là où il n’y a pas l’internet, on est allé à Natitingou, à Djougou, à Kandi, partout sur le territoire national. Et la formation était connue.

Monsieur le directeur, par rapport aux projets en cours, c’est quand le délai pour rendre les résultats ?

On avait prévu rendre les résultats à la fin du mois de décembre. Mais il faut dire que ce délai ne peut pas être respecté, parce que nous avons reçu beaucoup de projets. 758 projets au total que nous avons reçus. On espérait à peu près une vingtaine de projets par département, Parce qu’on nous a dit que le délai était trop court, que les gens n’avaient pas la possibilité de déposer les dossiers, qu’on n’aurait rien comme proposition. On en a récolté plus de 700 et on est étouffé de dossiers. On en a reçu beaucoup. Et la nouveauté aussi, c’est qu’on ne peut pas venir déposer un dossier physique à l’ADAC. On a voulu éliminer les contacts humains. C’est pour cela que nous avons mis en place un processus de e-services. Il y a une plateforme qui a été développée avec nos collègues de l’ASIN qui s’occupe du numérique pour le compte de l’État. Et tous les projets ont été envoyés par ce biais-là et nous les avons récupérés, nous les avons orientés vers les assesseurs. Il y en a qui sont en France, il y en a qui sont aux États-Unis, il y en a qui sont au Bénin, il y en a qui sont au Burkina, il y en a qui sont au Mali, au Sénégal, un peu partout et ils travaillent sur des projets béninois et en binôme.

Donc ce ne sont pas des évaluateurs résidents ?

 Il y a des résidents, mais pas que. Parce que nous avons une vocation internationale que nous voulons donner à nos artistes. Nous allons les préparer à faire circuler leurs œuvres dans le monde. Donc, il faut qu’ils tiennent compte également des attentes au niveau international, donc ce regard international nous est nécessaire. Sans nous écarter de notre identité propre, de notre patrimoine culturel, c’est en cela que nous avons besoin d’assesseurs résidents, béninois, qui maîtrisent le contexte béninois, mais de les associer aussi aux assesseurs qui sont un peu partout dans le monde, qui sont appelés à accueillir nos artistes ou nos œuvres.

Maintenant que le délai ne sera pas respecté, la prochaine date, c’est quand ?

Nous sommes en train d’actualiser, maintenant nous avons fini la formation des assesseurs. Puisque les assesseurs aussi, il a fallu les recruter par appel à candidatures, recueillir les candidatures, les analyser domaine par domaine. On s’est rendu compte qu’il y a des domaines où on a reçu beaucoup de projets, mais on en avait où il y avait peu d’assesseurs, des domaines où on n’avait pas du tout d’assesseurs. Il a fallu relancer un appel pour avoir des candidatures complémentaires pour pouvoir avoir une équipe complète d’assesseurs, les organiser, les former, leur donner les outils de travail, signer leur contrat et les mettre au travail. Au moment où je vous parle, ils sont en pleine session en train de travailler.

Un accent particulier est mis depuis que vous êtes là sur les industries culturelles et créatives. Dans ce cadre, il y a eu une mission économique et commerciale de l’Agence Wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers (AWEX) à Cotonou du 2 au 9 novembre 2024. Quelles sont les retombées de cette visite ? 

Les retombées ont précédé même la mission, puisque nous avons entamé une collaboration avec Wallonie-Bruxelles International en amont de cette visite. Précisément en 2023, nous avons répondu à un appel à projets lancé par Wallonie-Bruxelles International pour financer des projets dans le domaine de la culture. Donc, en tant qu’ADAC, nous avons fourni un dossier qui a été évalué et retenu. Nous avons obtenu un financement de plus de 600000 euros pour soutenir les acteurs culturels en matière de renforcement des capacités, en matière de financement et en matière de mise en place d’incubateurs pour pouvoir accueillir les professionnels des arts et de la culture. Ce que j’ai omis de dire, c’est que le gouvernement Béninois a érigé le domaine du tourisme, de la culture et des arts comme deuxième pilier pour le développement économique du pays. Donc ça veut dire que ces domaines-là doivent produire des emplois et des richesses au profit des Béninois. Et quand on parle d’économie, quand on parle d’industrie, il faut des ressources humaines aguerries, il faut des ressources financières appropriées, il faut une organisation et une stratégie pour arriver à la conquête, non seulement du marché intérieur, mais également du marché international. Donc, on s’est rendu compte, en faisant le travail, qu’on a beaucoup d’artistes. Ce qu’il faut vous dire, c’est que chacun de ces domaines est constitué en filière économique. Et quand on parle de filière économique, on parle de la matière première pour aller vers un produit fini et j’ai l’habitude de dire que les industries culturelles et créatives sont les seules industries au monde qui ne tirent pas leur matière première du sol ni du sous-sol. Les autres industries soit elles tirent leur matière première des champs ou du sous-sol. Mais les industries culturelles et créatives tirent leur matière première de l’imagination et des talents humains. Ce sont les seuls, il n’y en a pas d’autres. Donc, lorsque les artistes créent, ils ont envie de s’exprimer, ils ont envie de communiquer des émotions, ils ont envie de porter des valeurs, des symboles. C’est plus fort qu’eux, il faut que ça sorte. Mais quand eux, ils ont fini de créer, il y a toute une filière qui se met en place en aval pour apporter la valeur ajoutée pour que ce qu’ils ont créé devienne un produit fini sur le marché, acheté par des consommateurs ou un public solvable. Et c’est comme ça qu’on crée l’économie. L’économie, c’est la rencontre d’une offre et d’une demande solvable. C’est ainsi également dans le domaine des ICC (industries culturelles et créatives), puisqu’il y a la matière première que nos artistes fournissent. Ensuite, immédiatement après, nous avons des producteurs qui investissent de l’argent dans le travail de l’artiste pour faire en sorte que ça devienne un produit. Ensuite, il y a des distributeurs et des diffuseurs qui prennent le relais, avant que vous et moi, qui constituons le public, ayons accès à ce produit-là. Quand je prends le domaine de la musique, quand un compositeur a fini de composer, a fini de créer sa musique, il y a une entreprise spécialisée qu’on appelle l’entreprise de production qui prend son argent et estime que le travail de cet artiste-là est digne d’intérêt et signe un contrat avec l’artiste, investit son argent pour en faire un produit qui va circuler et que le grand public va consommer. Donc c’est cette entreprise qui est une maison de production, qui prend le risque et non l’artiste. Nous avons souvent tendance à confondre cela. L’artiste, on pense que c’est l’artiste lui-même qui doit sortir son argent, investir dans son travail et aller vendre. Ce n’est pas comme ça que c’est structuré. Chacun a son rôle, chacun a son job. Pour l’artiste, son rôle se limite à créer. Il crée, il se limite à ça.  Si une maison de production estime que son travail est digne d’intérêt, elle signe un contrat avec lui pour exploiter cette œuvre-là. Ça va générer de l’argent pour la maison et pour l’artiste. Ils ont une clé de répartition entre eux. L’artiste touche une part et la maison de production aussi touche une part qui lui permet de continuer à investir dans le travail de l’artiste ou d’autres artistes. Mais quand le producteur a fini d’investir dans le travail, pour que l’œuvre soit disponible un peu partout, il y a ceux qu’on appelle les distributeurs qui font le travail de logistique pour que cette œuvre-là soit disponible sur les radios, dans les programmes télé, et autres, sur internet, partout. Et les espaces de diffusion justement, ce sont les salles de spectacles pour entrer en interaction avec un public, les chaînes de télévision qui diffusent la musique, soit les clips, soit les radios qui diffusent uniquement la bande sonore, pour que vous et moi on puisse avoir accès à l’œuvre que l’artiste a créée en amont et dans laquelle le producteur a investi de l’argent et que le distributeur a rendu disponible au niveau de tous les points de diffusion. Donc c’est une chaîne qui est structurée comme ça. Et malheureusement dans nos pays, il y a beaucoup de créations, il y a beaucoup d’artistes, mais toute l’industrie qui doit s’organiser en aval n’existe pas. On retrouve le même artiste en train d’assumer les fonctions qui sont dévolues à d’autres acteurs. Donc, le financement que nous avons obtenu justement va nous permettre de former ou de faire émerger ou de renforcer des entreprises spécialisées en matière de production, en matière de distribution, en matière d’édition et en matière de diffusion, pour qu’il y ait un écosystème qui porte le travail de l’artiste. Souvent les gens disent que ceux qui ont besoin d’argent ce sont les artistes. Quand l’artiste travaille dans un système qui fonctionne, c’est le système qui génère de l’argent pour que l’artiste soit à l’abri du besoin. Je dis souvent, lorsqu’on prend le secteur du coton, vous ne me dites pas de ne pas faire exister des usines, mais de donner des subventions directement aux paysans qui font un peu de coton pour leur permettre de vivre. Les paysans produisent du coton. Les usines rachètent ce coton-là, payent les paysans, ça permet à ces usines-là d’égrener le coton, de vendre le coton fibre qui va être transformé en fil, lequel va être transformé en tissu, et lequel va être transformé en vêtement. Donc c’est une chaîne qui est organisée comme ça. Il en est de même dans le domaine de la musique. Il en est de même dans le domaine du cinéma. Il en est de même dans le domaine du livre. Il en est de même dans le domaine du théâtre. Il en est de même dans le domaine de la danse. Il en est de même dans le domaine du cirque, etc.

Quels types de partenariats avez-vous déjà établis pour soutenir l’industrie culturelle ?

Chaque partenariat a ses spécificités. Ce que nous faisons avec les Belges, ce n’est pas la même chose que nous faisons avec les Français. Nous sommes en partenariat avec l’Agence Française de Développement (AFD), qui nous appuient également dans le domaine de la culture. On a tout un programme avec eux, par le biais de l’appui budgétaire, dont d’ailleurs la première tranche a été décaissée le 9 décembre dernier. Un appui qui se chiffre quand même à 60 millions d’euros. Ça a été signé par le ministre d’État en charge de l’économie et des finances lui-même. Donc ça veut dire que chaque partenariat a ses spécificités. Ce que je fais avec les Français, ce n’est pas la même chose que je fais avec les Belges. Ce que je fais avec les Chinois, ce n’est pas la même chose que je fais avec les Brésiliens. Ce que je devais faire avec les Italiens, ce n’est pas la même chose que je devais faire avec les Sud-Coréens, etc.

Donc, ce sont des partenariats diversifiés ?

Diversifiés à la dimension de la multiplicité ou de la pluralité des secteurs qui nous sont confiés.

Mais jusqu’ici, on n’entend rien sur le livre

Vous savez très bien que nous avons organisé récemment le Salon national sur le livre.

Il n’y a pas de partenariat international visant le livre ?

Le partenariat international visant le livre se trouve à l’intérieur d’un package. On n’a pas quelque chose de spécifique pour le livre. Quand je prends par exemple le partenariat avec les Belges, c’est pour former des entreprises qui donnent de la valeur ajoutée aux œuvres créées. Dans le domaine du livre, nous avons les éditeurs qui jouent un rôle central. Le rôle que les producteurs jouent dans le domaine de la musique, c’est ce rôle que les éditeurs jouent dans le domaine du livre. Mais prenez nos maisons d’édition, qu’est-ce que vous constatez ? Elles ne prennent pas de risque financier, elles ne prennent pas de risque commercial. À la limite, c’est l’auteur qui prend ces risques-là et recrute l’éditeur comme prestataire pour l’aider à façonner le livre. C’est le monde à l’envers. Le rôle de l’auteur, c’est d’écrire. Point. Le risque financier doit être pris par la maison d’édition. Puisque nous avons lancé le FDAC, à cette fin aussi pour que tous ceux qui ont des activités dans l’une quelconque des filières économiques que je vous ai exposées là, nous présentent ce projet pour être soutenu. Si vous êtes une maison d’édition aujourd’hui et que vous avez des manuscrits à publier et que vous nous démontrez qu’il y a un public qui attend ce type de publication, nous allons vous mettre des ressources à votre disposition. Vous allez produire le livre, faire tout le travail technique et pour ne pas mettre la pression sur l’auteur, on va vous amener à signer un contrat professionnel avec lui, veiller à ce que les redevances de l’auteur (ses droits) lui soient régulièrement versées et que vous en tant qu’éditeur, vous fassiez votre travail de manière professionnelle en signant des accords avec des maisons de distribution, des maisons de diffusion pour qu’elles rendent votre livre disponible au niveau des différents points de vente que sont les librairies, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Donc chacun doit pouvoir assumer son rôle de manière professionnelle. Et ça, c’est un chantier important pour nous : mettre les éditeurs au cœur des industries du livre. Ils ont un rôle crucial et se sont mis un peu en marche et ont dévolu ce rôle-là aux auteurs qui se retrouvent affublés de toutes ces charges-là.

Voulez-vous nous dire que c’est l’une des raisons pour lesquelles le livre produit au Bénin coûte cher ?

Le Bénin a souscrit des conventions internationales. Vous connaissez l’accord de Florence et son protocole de Nairobi qui exonèrent les intrants du livre de droit et de taxes. Lorsque vous voulez produire un livre et que vous importez du papier ou de l’encre, en principe, c’est exonéré de droit de douane. Ça permet de faire baisser le coût du livre. Mais, il se pose un problème. C’est que ces mêmes intrants-là permettent de fabriquer des brochures à des fins commerciales, permettent aussi de faire d’autres choses, en dehors du livre. Les spécialistes de ce domaine au niveau du cordon douanier ont du mal à savoir quelle part des intrants rentre vraiment dans la production du livre et quelle part va à des fins commerciales. Donc on applique les droits à tout. Et ça c’est un aspect. L’autre aspect c’est que nous avons un marché étroit. Et vous connaissez le principe de l’économie d’échelle. Lorsque vous avez des coûts fixes qui sont concentrés uniquement sur une petite taille de marché, le coût unitaire est élevé. Mais lorsque ce coût fixe est porté par un large marché, le coût unitaire est réduit. C’est le principe qui régit les livres. Parce que l’éditeur, quand il a fini de façonner le livre, il prend la maquette qu’il va donner à une industrie technique qu’est l’imprimerie. Il vous dit : « Monsieur l’imprimeur, je vous transmets ma maquette. Multipliez-moi cela en tel nombre d’exemplaires. » L’imprimeur fait le boulot, l’éditeur le paie, récupère le stock. Mais lorsque l’éditeur n’a pas une grande taille du marché, il est obligé de produire en quantité limitée. Vous savez, vous êtes une entreprise de presse, vous savez comment ça se passe quand la quantité est limitée. L’impression est chère. C’est exactement ce qui prévaut également dans le domaine du livre. Dans le domaine du livre également, il y a d’autres difficultés. C’est que nous avons de moins en moins de spécialistes en matière même d’impression offset, nous avons de moins en moins de spécialistes en termes de reliures. D’où la nécessité de former. Les gens m’ont dit : « Pourquoi l’État n’ouvre pas une imprimerie pour faciliter la tâche aux professionnels ? » On dit qu’on peut créer des opportunités d’affaires pour les Béninois pour qu’ils s’enrichissent. Si l’État va encore se mettre à ouvrir les imprimeries qui relèvent purement du domaine libéral, c’est vous-même qui allez courir pour dire que l’État veut vous prendre votre gagne-pain. Donc, ça, ce sont des opportunités qui existent pour que de véritables hommes d’affaires dans le domaine de l’imprimerie puissent se saisir de ce dossier-là. Nous avons aujourd’hui la technologie numérique qui permet d’imprimer juste la quantité dont on a besoin, en quantité limitée, mais de manière propre. C’est vrai que ça a son coût, mais ça existe aussi. Qu’est-ce que nous faisons au niveau de notre pays pour corriger les situations que nous constatons ? On constate que le coût du livre est cher. Si moi j’étais à votre place, j’allais me saisir du dossier, chercher à comprendre pourquoi le livre est cher, chercher à apporter une solution, créer de la valeur, et je vais devenir un businessman et faire du business avec cette problématique que j’ai identifiée. C’est comme cela qu’on crée les affaires. Et dans le domaine de la culture, il y a également des affaires, des opportunités à créer. Je vous invite vraiment à le faire, à vous saisir de ces dossiers-là. Quand vous identifiez des problèmes, il faut savoir que c’est le début d’une opportunité parce qu’il y a des gens qui éprouvent ces besoins là et qui sont prêts à payer pour avoir des solutions.

Des sanctions sont-elles prévues pour ceux dont les projets seraient financés mais qui ne les auraient pas exécutés ?

Oui, c’est extrêmement important. Je vais dire que c’est le cœur du travail de l’ADAC. Le travail de l’ADAC commence à la signature de la convention d’attribution de ces ressources qui sont des ressources publiques. Comme je vous l’ai dit, pour l’instant, l’évaluation, on l’a externalisée. Ce n’est pas nous qui faisons cela. Mais quand on aura obtenu le résultat, validé par le conseil artistique, là va commencer notre travail. On doit aller identifier les lieux d’existence physique de tous ceux qui ont soumissionné pour voir s’ils ont une existence réelle. Parce que, parfois, des gens peuvent se tapir dans les pays voisins. Dès lors que c’est par voie électronique que l’appel est fait, ils peuvent produire les papiers, donc il faut aller vérifier l’authenticité de tout ça. Nous mettons tout notre réseau à contribution, le réseau du ministère du Tourisme, de la Culture et des Arts, toutes les directions départementales qui existent sur toute l’étendue du territoire vont être mises à contribution pour localiser chacun avec la géolocalisation pour dire « tel bénéficiaire réside à tel endroit. Nous nous apprêtons à lui donner des ressources publiques. » Ça c’est le premier point. Le deuxième point c’est que l’utilisation qui sera faite de ces ressources-là est définie dans la convention. Et le directeur technique au niveau de l’ADAC est instruit pour que cette convention-là soit suivie et les clauses respectées à la lettre. Et en cas de déviance, vous alertez. L’Agent judiciaire du Trésor va être mis à contribution pour que tous ceux qui auront l’idée lumineuse de vouloir s’écarter ou dévoyer l’utilisation qui est prévue, se retrouvent dans les liens de la justice.

Qu’est-ce que vous faites de ceux qui l’ont fait par le passé ?

Je ne suis pas comptable de ce qui s’est passé.

Visiblement donc, c’est subvention gendarme à l’appui ?

C’est une subvention plus que gendarme. C’est une subvention qui est destinée à créer une dynamique. Il ne faut pas que ce soit dilapidé vers d’autres fins. C’est extrêmement important. Si on veut créer des activités dans le domaine et amener ces domaines-là à créer de la richesse au profit du pays, nous devons éviter la déperdition des ressources injectées.

Est-ce que vous pouvez nous dévoiler les montants de ces fonds selon les domaines ?

 C’est rendu public dans les lignes directrices qui ont été publiées. Le plafond, c’est 30 millions. Personne ne peut obtenir plus de 30 millions pour son projet. Et ça ne peut pas financer plus de 70% du projet, puisque le porteur de projet est appelé à faire un effort ou à aller chercher des ressources complémentaires à ce que nous mettons à sa disposition.

Le FDAC aujourd’hui, c’est quelle enveloppe financière ?

Pour le fonds, l’enveloppe financière globale, c’est 1 milliard 200 millions. Ce n’est pas caché. C’est prévu dans la loi de finances. Un milliard 200 millions au titre de 2024.

Donc c’est ça qu’on peut appeler le volet culturel ?

Non, pas que ça, puisque ça c’est uniquement le mécanisme d’accompagnement financier des acteurs. En plus de cela, tout ce que nous organisons comme activités, le salon national du livre, les Vodun days, ce n’est pas dans cette enveloppe-là. Les expositions itinérantes, tout ça, ça ne suffirait pas.

Vodun days coûte combien ?

Je n’ai pas le chiffre de Vodun days en tête. Mais c’est le coût d’objectif. L’année dernière, ça a tourné autour d’un milliard. J’ai entendu parler de soixante milliards, de 40 milliards, des chiffres fantaisistes. Les gens n’ont pas idée de ce qu’on peut faire avec un milliard.

Mais pourquoi Vodun days ? Pourquoi n’utilise-t-on pas une langue nationale pour désigner cet événement ?

Vodun days a été institué afin de promouvoir la destination Bénin. Nous voulons accroître la visibilité de cet événement à l’international. Il nous faut donc une dénomination compréhensible pour tous.

Ce n’est pas pour les Béninois ?

C’est pour les Béninois d’une part, mais pas qu’eux. Les Béninois se retrouvent dans le Vodun. Quand on dit Vodun, le Béninois sait ce que c’est. Mais quand on dit Vodun days, ceux qui sont à l’extérieur et qui ne savent pas ce que c’est que le vodun, ils savent au moins ce que c’est que “days”. Donc avec plusieurs hameçons, on a plus de possibilités d’attraper le poisson qu’un seul. Dans quelques jours, on sera à Ouidah pour la deuxième édition de Vodun days. Vous serez les bienvenus.

Quelles sont les mesures qui sont en train d’être prises pour que cette année soit différente ? Est-ce qu’il y a une spécificité pour cette année ?

Je préfère vous le dire : c’est une surprise.

 L’ADAC a lancé une série de formations sur la monétisation des créations. Quel est l’objectif de cette thématique ?

Je vous ai expliqué tout à l’heure le modèle économique qui sous-tend ces filières : Création, production, distribution, diffusion. Mais depuis quelques années, ce n’est pas seulement au Bénin, c’est dans le monde entier. Ces filières-là sont soumises à ce que nous appelons la dématérialisation. Avant, pour écouter de la musique, il fallait un CD ou une cassette. Aujourd’hui, non. C’est des fichiers qui circulent de portable en portable. Donc c’est complètement dématérialisé. Ça a faussé complètement le modèle économique de la musique. Tout se passe essentiellement en ligne aujourd’hui. Donc, les nôtres ne sont pas outillés pour commercialiser leurs œuvres en ligne. Ce qui fait qu’ils n’arrivent pas à tirer profit véritablement de leur travail. Donc c’est important pour nous de leur donner les outils pour qu’ils aillent chercher des revenus aussi sur internet, tout en allant chercher les revenus complémentaires dans les concerts et autres. Donc la monétisation, c’est justement pour ça, leur donner les outils pour aller créer de la valeur en ligne, utiliser les canaux digitaux pour gagner de l’argent. C’est important aujourd’hui, la plupart d’entre nous aujourd’hui nous retrouvons aujourd’hui avec des portables. Tout se passe à partir des smartphones.  

Quelle est votre ambition pour le secteur des arts et de la culture ?

Notre ambition au niveau de l’ADAC, est de libérer le potentiel créatif. Que tous ceux qui ont envie de créer puissent créer, bénéficier d’un écosystème favorable pour porter leur création, générer des revenus pour eux-mêmes, pour les professionnels et pour la nation toute entière. C’est ça, le rêve que nous nourrissons au niveau de l’ADAC pour ces différentes filières.

Alors monsieur le Directeur, je voudrais savoir quel bilan vous faites de l’introduction des classes culturelles dans nos écoles

Je pense que des bilans, à mi-parcours, sont tirés de manière régulière, mais c’est pour vous dire qu’il n’y a pas de génération spontanée. Si nous voulons, aujourd’hui, avoir des artistes, des créateurs qui travaillent de manière intense, nous devons commencer à semer la graine. L’objectif n’est pas de faire de ces enfants-là des professionnels dès maintenant, mais leur mettre le pied à l’étrier. Leur faire comprendre que tout ne réside pas que dans les mathématiques et la physique. Qu’il y a aussi un avenir dans l’art. Je veux vous donner un exemple. Il y a des métiers dans l’art que nous n’avons pas au Bénin de manière sérieuse. Pour la biennale de Venise, nous sommes allés chercher un curateur nigérian pour notre pavillon. Oui, parce que nous n’en avons pas. Il a fallu aller chercher cela. Mais je ne peux pas vous dire combien les curateurs coûtent sur le marché. Les pavillons, les galeries qui ont porté les artistes béninois, toutes ces galeries-là sont à l’étranger. Quand les artistes vont sortir de la biennale, leur côte va monter. Leurs œuvres vont devenir plus chères. Cette plus-value est captée par leurs galeries. Les galeries ne sont pas des galeries béninoises, ce sont des galeries étrangères. Nous devons amener nos enfants très tôt à s’intéresser à ces domaines-là comme des domaines porteurs. Et travailler avec eux petit à petit pour que dans 10 ans, dans 20 ans, dans 30 ans, peut-être même dans 100 ans quand nous ne serons plus là, vous et moi, que nous ayons un écosystème solide en place pour porter l’art et que le marché de l’art s’anime au niveau du Bénin. Donc, ce qui est en train d’être fait au niveau des classes culturelles aujourd’hui, c’est juste des semences qui sont en train d’être mises en terre pour que nous puissions espérer des récoltes demain.

Comment est-ce que la recherche universitaire impacte ce que vous faites ?

Vous savez très bien que nous avons organisé un colloque récemment, lors du festival des masques à Porto-Novo. Nous sommes sur plusieurs fronts, y compris le front universitaire. Même moi, j’interviens à l’INMAC pour former nos étudiants et créer un pont entre le monde universitaire et le monde professionnel. C’est pour vous dire que les recherches sont importantes. Mais ça ne doit pas se limiter qu’à ça. Il faut qu’il y ait une vie après la recherche. Comment est-ce qu’on arrive à tirer profit de ces recherches-là pour alimenter notre travail quotidien ? Chaque fois que nous faisons des expositions, que ce soit en Martinique, que ce soit en France, que ce soit au Maroc, que ce soit à Venise, nous faisons appel aux universitaires. C’est avec les universitaires que nous travaillons le propos éditorial. C’est un peu comme la ligne éditoriale en ce qui vous concerne. Et c’est en fonction de ce propos éditorial que les œuvres sont produites pour que le message que nous voulons véhiculer ait un sens et soit évident pour tous. Donc le monde universitaire nous intéresse. Et il y a aussi un pont qui nous manque aujourd’hui au niveau du Bénin, ce sont les critiques d’art. Ce sont des prescripteurs importants dont le travail permettra à nos artistes d’améliorer ce qu’ils font. Mais ils manquent cruellement. Je ne sais pas si quelqu’un a dit par le passé que nous sommes un désert de compétences. Il y a eu un tollé général. Mais de plus en plus, lorsque sur le domaine de l’art, moi j’avance, je m’interroge.

Il y a eu des critiques d’art par le passé et ça se terminait souvent par des pugilats.

Entre qui et qui ?

Entre les critiques et les artistes. Vu qu’ils supportaient mal la critique scientifique.

Ce n’est pas censé être péjoratif, c’est censé être objectif et amener l’artiste justement à évoluer. Donc quand on n’a pas ça on a tendance à stagner, à verser dans une forme de routine et dans une forme de facilité. Et quand on va maintenant à l’extérieur se confronter aux étrangers, là on sent qu’il y a quelque chose qui manque. Ça m’amène à faire appel à la question à laquelle les députés nous ont soumis la dernière fois lorsqu’ils ont appris que nous voulons dynamiser le marché de l’art au Benin, encourager les galeries à venir pour s’installer au Benin, et faire du Benin leur base arrière pour leurs activités commerciales. Ils nous ont demandé : est-ce que cela ne va pas créer une concurrence déloyale vis-à-vis de nos artistes béninois ? Je leur ai dit : en quoi est-ce que ce serait une concurrence déloyale ? Au contraire, ça va créer de l’émulation. La concurrence fait élever la compétition, le niveau de la compétition et la qualité. Donc non seulement on met en place toute une batterie de mesures en faveur des artistes béninois, ce que les autres artistes n’ont pas dans leur pays, on amène les meilleurs à venir exposer leurs œuvres ici. Quand les galeries d’ici exposent ces œuvres-là à partir du Bénin, ça va permettre aux nôtres aussi de voir que là il y a une marge de progrès qu’il faut essayer de combler assez rapidement. Nous, on veut créer vraiment de l’émulation sur le terrain et faire en sorte que l’art nourrisse son homme et nourrisse la nation.

Un mot de la fin ?

Pour finir, je dirai que la culture doit être considérée comme un tout. C’est le fondement des êtres. J’ai l’habitude de comparer l’être humain à un ordinateur. Un ordinateur c’est du hard, c’est le matériel. Mais c’est aussi le système d’exploitation. C’est le soft. La culture c’est le soft de l’être humain. Tu peux avoir un magnifique ordinateur, si ça n’a pas de système d’exploitation, tu ne peux rien en faire. Autant, nous allons prendre soin du hard, autant nous allons prendre soin du soft aussi. Les deux vont de pair. Nous avons tendance à nous adonner à l’éducation. La lecture, le théâtre, le cinéma, la culture prennent le relais de l’éducation pour les adultes. L’essentiel de ce que je vous raconte aujourd’hui, je l’ai appris à travers la lecture. Alors, pour moi, c’est tout aussi important que l’éducation. On consacre des ressources énormes au système éducatif, mais après, on ne s’intéresse plus à ce que l’individu devient. Or, on ne finit jamais d’apprendre tant qu’on est sur cette terre. Donc, de grâce aidez-nous à dire à nos compatriotes qu’il leur faut lire, qu’il leur faut sortir pour aller au théâtre, pour aller voir des spectacles de danse. Les gens pensent que la danse est juste pour se divertir. Il y a des danses contemporaines qui transmettent des messages profonds. Vous allez suivre le spectacle. Quel caviar vous allez manger dans ce monde et couler des larmes, dites-moi ? Allez-vous déguster un plat qui sera tellement succulent que vous allez couler des larmes ? Quelle voiture, quelle qu’elle soit, même si c’est du Bentley, ou du Lamborghini, quelle Ferrari allez-vous conduire et vous extasiez en sortant de là ? Or, vous allez suivre une pièce de théâtre, vous allez pleurer. Vous allez écouter de la musique, cela va vous donner de la chair de poule. Vous allez suivre un film et votre vie ne sera plus jamais comme avant. C’est cela la magie de la culture. Ce n’est pas que du divertissement.  C’est beaucoup plus profond. C’est ce que je veux que vous nous aidiez à faire savoir à nos populations.

CARTE D’IDENTITE

Un visionnaire multidimensionnel au service de son pays

« Quand on sait faire quelque chose, on en fait d’abord profiter son pays avant d’aller ailleurs », affirme William Codjo, un homme à la croisée des chemins entre économie et culture. Originaire de Comè, dans le sud du Bénin, ce quinquagénaire incarne la richesse d’un parcours aussi atypique que captivant, marqué par une quête constante de sens et d’impact.

Né le 16 juin 1972, William Codjo n’est pas issu de la diaspora, mais bien d’un parcours ancré au Bénin. « J’ai été formé au Bénin. J’ai fait l’université d’Abomey-Calavi jusqu’à la maîtrise en sciences économiques en 1998. » Pourtant, son chemin l’a rapidement conduit au-delà des frontières, de l’île Maurice à Montréal, pour se spécialiser dans les politiques économiques et culturelles. Après avoir travaillé pendant huit ans à Ecobank, une formation sur les techniques de financement des industries culturelles à Lomé a marqué un tournant décisif. « C’est comme si la culture m’avait tendu la main. Deux semaines après mon retour, j’ai reçu une offre de l’OIF pour rejoindre une équipe d’experts internationaux. » Ce moment a été pour lui une plongée dans le vaste océan des industries créatives, qu’il compare à l’allégorie de l’éléphant et des six aveugles : « Dans la culture, chacun ne tient qu’un petit bout, qu’il croit être la totalité. Mon rôle est de prendre du recul et d’unir ces fragments pour en faire un tout cohérent. »

De consultant à expert auprès de l’UNESCO et de l’Union européenne, William Codjo a arpenté presque tous les continents pour promouvoir des politiques culturelles. Pourtant, son cœur demeure attaché au Bénin. En 2023, alors qu’il était basé à Bruxelles, le gouvernement béninois lui fait appel. « Ils avaient besoin que je vienne prêter main-forte au déploiement de la politique culturelle nationale. » Malgré les défis et les sacrifices, notamment un salaire prestigieux, Codjo a répondu présent. Pour lui, le Bénin est bien plus qu’un simple pays : c’est un symbole de potentiel inexploité. « L’Afrique est comme un berceau. Nous devons sortir de ce berceau et partir à la conquête du monde. » Grâce à son engagement, le Bénin est désormais reconnu sur la scène internationale pour ses avancées culturelles. Mais malgré son rôle central dans le développement culturel, William Codjo ne se considère pas comme un acteur culturel, mais comme un « économiste de la gouvernance culturelle. » Cette spécialisation reflète sa vision selon laquelle les industries créatives doivent devenir des moteurs économiques à part entière. Pour William Codjo, l’avenir du Bénin repose sur une ouverture stratégique au monde tout en consolidant ses bases internes. « Comme le disent les Japonais : “Nous irons partout chercher des talents pour consolider les bases de notre empire.” Le Bénin doit faire de même. »

INTIMITE

Humilité et équilibre

Marié et père de trois enfants, William Codjo trouve un équilibre entre une vie professionnelle exigeante et une vie privée simple, mais épanouie. Quand on l’interroge sur sa plus grande fierté, sa réponse est surprenante : « Je me remets en cause fréquemment. Cela ne me laisse que peu de place pour la fierté. » Cette capacité à se questionner en permanence est sans doute le secret de son succès, ainsi que de sa capacité à jongler entre ses multiples casquettes : banquier, consultant, enseignant et expert culturel. « La beauté m’a attiré vers mon épouse, mais elle a mille autres qualités. » Une phrase qui résume bien l’homme : un regard capable d’apprécier l’apparence tout en explorant la profondeur.  

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