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Nouvel invité de la Rubrique « Sous l’arbre à Palabre » de l’Evènement Précis, Gaston Zossou, Directeur Général de la Loterie nationale du Bénin (LNB) livre les secrets des performances réalisées par cette société ces dernières années, au point d’avoir fait, il y a peu, son entrée à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières. Ex ministre de la communication sous Kérékou, l’homme demeure, par ailleurs, un homme politique toujours actif. Il se dit sidéré par les grandes avancées que connait le Bénin en matière de développement depuis l’arrivée du président Patrice Talon au pouvoir. Lisez plutôt.
En quelques années, vous avez fait un chiffre d’affaires impressionnant à la tête de la LNB. Quelles sont les grandes actions que vous avez menées pour atteindre ce résultat ?
Merci beaucoup.
Quand vous vous retrouvez dans un nouveau milieu, vous cherchez vos marques, en vous appuyant sur les personnes qui y étaient avant vous avec leurs compétences, leurs aptitudes et leurs tempéraments. C’est donc un apprentissage rapide pour savoir qu’est-ce que l’on a à faire. Après cet état des lieux, on finit par avoir sa propre vérité. On se dit d’accord. Quelle nouvelle destination ? Quand on se pose cette question, là encore, on sollicite l’intelligence et le dévouement des uns et des autres. En terme chiffré, voici ce qui est arrivé à la Loterie, au cours de ces huit dernières années. Elle a été créée en 1967. Elle avait donc 49 ans d’âge quand j’ai eu le privilège d’être porté à sa direction. Son chiffre d’affaires brut alors le plus élevé était de 10 milliards 800 millions de FCFA. C’était notre point culminant, notre Kilimandjaro. En cet exercice supplémentaire, c’est-à-dire de 2016 à 2023, nous sommes passés de 10 milliards et quelque à 101 milliards.
Comment est-ce arrivé ?
J’ai vraiment utilisé l’intelligence des personnes que j’ai trouvées sur place. Je les ai interrogées, je leur ai demandé « Qu’est-ce que vous faites ici ? » Ils m’ont dit ce qu’ils font. Je me rappelle un cadre de la maison qui s’est présenté à moi. Il m’a dit : « Je suis le DPP ». J’ai pensé au Directeur de la prospective et de la programmation. Il dit non : « Je suis le Directeur des Produits de Pari. » C’est pour vous dire que j’ai commencé réellement à zéro. Mais quand on va vite dans l’apprentissage, quand on se fait soutenir et alimenter par le savoir-faire des autres, leur dévouement, on peut aller très vite. Votre rôle à vous, c’est de faire en sorte que les personnes autour de vous soient heureuses de converger leurs savoir-faire sur vous, afin que vous mettiez tout ceci en musique. Je me suis rendu compte que la Loterie, me semble-t-il, capturait sa clientèle, en procédant par apitoiement. Les personnes qu’on envoyait au-devant de la clientèle étaient des personnes démunies, parfois même des personnes désavantagées. On procédait donc par apitoiement. L’idée m’est venue parce que j’ai écouté des gens, aussi bien de l’intérieur de la maison que du dehors. J’étais donc invité à procéder autrement, créer des lieux physiques que nous avons appelé des centres de jeux, mettre beaucoup de lumière, trouver des personnes avenantes pour attirer la clientèle. Mais ça ne se fait pas seulement sur les actifs humains. Il y a aussi le matériel. Je me souviens que J’ai obtenu de ma hiérarchie une autorisation spéciale pour acheter des voitures mais en grand nombre. On a eu le réflexe de mettre de belle couleur, de les brandir aux couleurs de la maison, de les aligner en fuseau devant nos locaux, les matins pendant que les personnes passent, pour leur donner une idée de retour de robuste santé de notre côté à nous. Savez-vous ce que les passants se disaient : « la maison s’est relevée, pourquoi ne pas s’accrocher à elle pour se relever avec elle ? » Il faut, me semble-t-il, envoyer un bon signal. Si vous voulez que les gens viennent vers vous, servez-leur l’idée selon laquelle vous vous portez bien. Que cela soit objectif ou pas très objectif, il faut toujours projeter l’image de sa propre santé. Pour vous dire la vérité, l’homme se fait piéger par ses yeux. Une petite anecdote. Il y a quelques années, je m’entrainais au tennis de table avec le champion du Bénin du moment. On ne jouait pas à égalité. Je jouais pour m’exercer. Ce n’était pas une personne lettrée. Mais il voyageait beaucoup en avion pour représenter notre pays à l’étranger. Un jour, je lui ai demandé : « est-ce qu’en avion, tu as peur ? » Il dit non. Je lui dis « Pourquoi tu n’as pas peur à cette hauteur-là ? » Il répond : « l’intérieur de l’avion est propre et les hôtesses sont belles. » Il y a donc dans la tête de l’homme un lien entre la propreté et la beauté des hôtesses d’une part et la fiabilité de ce moyen de transport. Alors, il semble qu’il faut user, pas abuser, de cette réalité-là que l’homme se laisse entraîner par ce qui lui parait beau. C’est en cela qu’il faut prendre soin de soi. Il faut lutter de sorte à donner aux gens l’impression que vous vous portez bien. L’homme va au secours de la victoire. Alors créez l’illusion de la victoire et les gens vous rejoindront. J’ai parlé des centres de jeux bombardés de lumière avec des personnes qui paraissent bien. J’ai parlé d’une illusion de bonne santé. Mais attention ! Ce n’est pas de la manipulation, me semble-t-il. Pour moi, c’est du marketing. C’est l’art de rentrer dans la maison de l’autre pour agir sur lui de l’intérieur de lui-même, mais avec son accord. Si vous venez étant vous-même mal portant, pourquoi voulez-vous que les gens vous suivent ? Alors pour revenir à la question de départ, ça se fait ensemble. Et si vous voulez obtenir le meilleur des autres, montrez-leur qu’ils ont de l’importance à vos yeux. Vous faites en sorte que cette démonstration de leur importance soit sincère, que ça leur paraisse sincère, que cela soit sincère en vérité. Parce que pour que ça leur paraisse sincère, il faut que ça le soit vraiment dans sa substance. Attention ! Ce ne sera jamais à 100%. Si vous vous retrouvez dans un groupe de 10 et que vous proposez une idée nouvelle, une bonne moitié se dira « de quel côté ça tombera ? » Ils seront des attentistes. L’autre moitié se divisera. Il y a les enthousiastes qui vont dire « pourquoi pas, on va se battre à ses côtés. » Et puis il y a d’autres qui vont s’opposer. C’est à vous de vous appuyer sur les premiers adhérents pour conquérir les moins résistants. Puis après, vous dégagez une synergie de groupe telle que le mal est vaincu. Ce que j’appelle le mal, ce n’est que l’inertie, le refus d’avancer, le renoncement à négocier le mouvement vers l’avant.
La digitalisation des jeux à la LNB connait un essor incroyable. Pourquoi cette option ?
Quand j’avais votre âge, quand un importateur qui est à Cotonou devait parler à un fournisseur qui est à Paris ou aux Etats-Unis, il utilisait ce qu’on appelle le Télex. Puis après, il y a eu le fax. Pour nous à l’époque, le fax qui sortait le document imprimé était déjà le summum de la communication. Et puis aujourd’hui, il y a le mail et le fax est mort. Quand il y a un nouveau niveau d’efficacité, le niveau d’efficacité précédent meurt. Le progrès n’est pas facultatif. C’est un réflexe de survie. Si vous n’embarquez pas, vous serez laissé sur les bas-côtés de la route. Tout ce qui est outil nouveau vient pour creuser l’écart entre les plus réactifs et les dormeurs. Il vaut mieux, dans tout ce que l’on fait, chercher quel est l’outil efficace, parce que vous ne serez jamais aussi performant que celui qui a l’outil efficace que vous n’avez pas. L’outil est un double prolongement. C’est le prolongement de votre corps pour faire les choses avec précision. C’est le prolongement de votre esprit pour faire les choses avec plus de précision aussi. Si vous arrivez dans un village où les gens n’avaient jamais vu une bouteille de vin fermé, et vous appelez la communauté, et vous dites : « Nous voulons avoir accès au liquide qui est à l’intérieur. Comment peut-on procéder ? » Sur 100 personnes, 80 vont dire qu’il faut casser la bouteille pour accéder au liquide, quitte à récupérer le liquide. Les plus brillants, une dizaine, vont dire qu’il faut trouver un petit bâtonnet et enfoncer le bouchon de liège dans la bouteille pour recueillir le liquide. Mais peut-être une seule personne serait capable d’inventer le tire-bouchon. Mais une fois qu’une personne est capable d’inventer le tire-bouchon, des milliards de gens vont l’utiliser. Ça s’appelle l’outil. Quand le progrès vient, il faut regarder que c’est plus d’efficacité. C’est-à-dire l’intelligence concentrée d’un génie transformée en un outil qu’on peut vulgariser. En fait, la digitalisation est un outil, si on ne le fait pas, ceux qui vont le faire, vont creuser un écart entre eux et nous. Maintenant, le réseau physique ne mourra pas. Il va simplement devenir plus exigeant. Il faudra que les vendeurs et vendeuses soient plus avenants parce que, qu’on le veuille ou pas, le digital ne vous parle pas, le digital ne vous souris pas, le digital ne demande pas des nouvelles de votre santé. Le digital ne vous charme pas. Mais, ça vous permet d’avoir les résultats. Donc, ce que l’on pourrait craindre, c’est que le digital cannibalise le réseau physique qui, lui, utilise des milliers de gens et règle un problème social de façon très efficace, de notre point de lecture. Vous savez pourquoi il ne mourra pas ? Il ne mourra pas parce qu’il peut y avoir dans le contact physique, une forme de convivialité qu’on ne peut jamais avoir sur la machine. De toute façon, nous avons la possibilité d’acheter des casiers de bouteilles de bière pour mettre au frais. Pourtant on va au bar. On va au bar, pas seulement pour la bière mais pour la musique, pour l’ambiance et pour la convivialité.
Le jeu Loto 5/90 est passé de 3 à 5 tirages par jour avec deux tirages digitaux dans la soirée. Quelles en sont les raisons ?
Je veux être simplement sincère. D’abord pour l’histoire. Quand je suis arrivé à la Loterie en juin 2016, c’était six tirages par semaine (du mardi jusqu’au dimanche). Lundi, on se repose. Nous nous sommes proposés de passer à sept tirages par semaine. On l’a fait. Quand il s’est passé quelque temps, on a dit qu’il faut passer à deux au cours de la journée, on l’a fait. Et puis, on se dit pourquoi pas trois. Ce qu’on a fait. Aujourd’hui, ce n’est plus moi qui demande de passer à quatre tirages. Ce sont mes collègues de la Loterie qui m’ont dit : « Et si on passait au tirage nocturne ? » Et puis je les regarde et je dis : « Pourquoi pas ? » Ma réponse à votre question est celle-ci. Je voudrais que cela soit compris. Si jouer est une tentation, le nombre de fois que l’on succombe à la tentation est proportionnel au nombre de fois qu’on a été tenté. Après on fera le procès des vilains mots que j’entends « qu’on escroque la population », on en parlera. Mais pour le moment, je parle des performances. Quand on est passé jusqu’à 100 et que cette année qui va finir dans quelques semaines, on passera à 120 milliards et que les consignes sont données, c’est parce qu’on pose des actes.
Qu’allez-vous répondre aux détracteurs de ce jeu qui estiment que c’est de l’arnaque ?
Moi, je dis ce que je pense. Et les autres sont autorisés à faire de même et dire ce qu’ils pensent. S’il n’y avait pas la Loterie, c’est-à-dire, s’il n’y avait pas la réglementation, l’organisation et la systématisation, les paris se feraient de façon sauvage sur les combats de coqs, sur les combats de chiens et sur les jeux de carte au quartier de façon sauvage. Pourquoi ? Parce que le jeu est une pulsion naturelle. L’homme a le goût du lucre et le goût du risque. C’est consubstantiel à la nature humaine. Je voudrais que cela soit bien compris. L’homme aime jouer au sens commun du terme, jouer au sens de « jet de dés ». L’homme aime bien aller au-devant de ce qui n’est pas encore clair. Cette pulsion naturelle, la Loterie vient l’organiser, la réglementer et donner à l’Etat sa part, à la société sa juste part. Alors, quand il y a une pulsion naturelle qui est connue de tous, il vaut mieux ne pas l’ignorer. Il vaut mieux mettre en place le cadre réglementaire et organisationnel dans lequel cette pulsion naturelle sera libérée. Alors, s’il y avait le moindre problème moral, moi je ne serai pas aussi passionné de la Loterie. Je suis convaincu que ce n’est pas la Loterie qui a inventé le goût du lucre, ce n’est pas elle qui a inventé le goût du risque. Ce sont des pulsions naturelles. Comme je le dis, elle l’organise et tire son bon bénéfice pour l’État propriétaire, en l’occurrence. Si je peux me permettre, ce goût du risque est ce qui nous a nous-mêmes « originés ». Les chances que ce soit exactement vous, personne physique, cette nuit sublime entre papa et maman, sont d’une sur plusieurs milliards au moins. Vous êtes une combinaison d’aléas, vous êtes issu d’une grande improbabilité sur près d’un milliard de gamètes mâles et femelles. Vous êtes issu d’une grande improbabilité et il se pourrait que vous ayez un souvenir subliminal de votre propre avènement qui vous attire vers le jeu.
La LNB a fait son entrée à la Bourse régionale des valeurs mobilières. Est-ce que les finances de la société sont solides à ce point ?
En étant introduits à la Bourse régionale des valeurs mobilières, ce n’est pas de notre force financière qu’il faudra donner la preuve. C’est notre efficacité au niveau nationale qui nous vaut de nous engager dans cette compétition au niveau sous régional. Donc, ce n’est pas une affaire de capacité financière. C’est notre capacité à tenir des comptes rigoureux, à fournir des informations financières fiables. C’est notre capacité à contrôler les risques juridiques et les risques judiciaires. Et c’est notre capacité, surtout, sur quelques années, à ne jamais faire le même chiffre deux années de suite. C’est-à-dire l’obligation de grandir. Parce que c’est dans la mesure où vous dites à l’investisseur « Vous voyez la vitesse à laquelle j’ai grandi jusque-là, si vous veniez avec moi, il y a des chances que je continue de grandir. » Dans le fonds, il n’est pas intéressé à vos résultats du passé. Votre historique, elle ne l’intéresse pas. Votre historique présage d’une poursuite de l’ancienne histoire. Lui, son intérêt se trouve dans vos résultats futurs. C’est ça qu’il faut lui montrer. Et là, par exemple, il aura sa part dans ce que vous allez faire à partir de maintenant, qui, semble-t-il, sera crédible sur la base de ce que vous avez l’habitude de faire, de ce que vous avez fait dans le passé et qui n’est pas encore ce que vous allez faire demain. Alors, moi, je considère notre introduction comme une idée ou une image plus partagée. Et croyez-moi, nous sommes anxieux positivement à l’idée que l’année prochaine, on doit faire plus à tout point de vue.
Avec les mêmes Béninois ?
Je réponds fièrement oui, avec eux.
Et puis, vous invitez même les Béninois à participer, à entrer dans le capital ?
Écoutez, c’est à nous de le faire.
Mais concrètement, comment cela va-t-il se passer ?
Il faut s’adresser aux SGI, aux sociétés de gestion et d’intermédiation. Il y en a cinq qui sont ici, à Cotonou : SGI Bénin, Africabourse, UCA, BIIC et AGI. Mais le chef de file se trouve en Côte d’Ivoire, à Abidjan. Et il y a des représentants ici. Allez demander. Même si c’est 10 parts, 48 000 FCFA, prenez. Ça peut devenir rapidement 80 000 FCFA, sans compter que vous êtes intéressé au résultat. En dehors de ce que vous avez comme dividende, l’action peut prendre de la valeur. Elle prendra de la valeur, comment ? Si nous faisons un très bon résultat l’année prochaine, et que des personnes disent vouloir acheter, et que les détenteurs disent « je ne suis pas prêt à acheter », et que la personne qui veut l’acheter dit « et si je te donnais plutôt 9 000 FCFA, est-ce que tu vas me les vendre ? » Donc on va jouer avec la loi de l’offre et de la demande pour faire monter la valeur. Moi, j’ai la certitude, et ça, j’aimerais que cela soit écrit. Que mes jeunes collègues de la Loterie qui ont la chance d’être au début de leur carrière verront pendant 30 ans que ce qu’ils auront de leurs actions à la LNB sera deux fois plus élevé que ce qu’ils auront pour leur retraite suite à la cotisation à la Sécurité Sociale. D’abord, je dois dire que l’État a été généreux, habile de nous faire cadeau de 100 000 parts à nous partager. Chaque employé de la LNB, aujourd’hui est un petit co-propriétaire. Si chaque mois, il sort un peu d’argent de son salaire pour acheter des parts aux nouveaux prix, dans 25 ans, quand il ira à la retraite, je suis convaincu, puisque la Loterie ne mourra pas, que ce qu’il va tirer de ses dividendes sera deux fois supérieur à ce qu’il aurait cotisé à la Sécurité Sociale. Vous n’avez pas besoin d’être dans la Loterie pour y croire. Il faut aussi venir. Il faut prendre.
Comment la LNB traduit-elle sa devise « Les gains aux gagnants, les bénéfices à toute la nation » ?
Dans le passé, on faisait des modules de classe, des maisons des jeunes et autres. Mais l’État est, me semble-t-il, bien mieux organisé aujourd’hui. On met tout ça en musique. Il vaut mieux payer les dividendes à l’État et que, dans le même programme d’action du Gouvernement, on sache ce qu’on a à faire. Il ne faut pas que l’État fasse un puits en un endroit et que la LNB fasse un autre puits à 200 mètres de là. Il vaut mieux que cela soit synchronisé.
Avec la LNB vous arrivez à atteindre des performances alors que le Bénin est déclaré être un désert de compétences ?
Vous savez, la vérité dérange. Il y a des domaines entiers où, on a vraiment besoin d’aide. Pourquoi ça ne dérange personne, chers amis, quand notre équipe nationale de football a un entraîneur étranger ? Parce que dans ça-là, si vous ne faites pas attention, vous allez avoir 8-0. Parce que dans ce domaine-là, le risque de se confronter à l’universel est constant, on prend soin de se regarder et de se demander si on peut. Comme c’est un domaine où la comparaison avec l’universel est très rapide et constante, on se regarde, on fait plus attention. On n’est pas orgueilleux de dire « c’est ma chose ». On n’a pas de mal à reconnaître ou à accepter qu’on serait à un niveau d’incompétence. Vous me comprenez ? Mais il y a des domaines où la comparaison n’est pas évidente ; où la comparaison n’est pas faite ; c’est dans ces domaines-là qu’on s’amuse à être orgueilleux. Alors, il y a beaucoup de choses que nous pouvons. Et ce que, moi, je crois, a été à la base de la relative réussite de la LNB de ces dernières années, c’est la libération des énergies. Si vous ne dites pas aux autres que vous pouvez, nous pouvons, si vous ne déclarez aucune estime pour les autres, pourquoi voulez-vous qu’ils vous servent ? Ils vont jouer avec vous. Ils seront hypocrites. Ils ne feront rien et vous allez tourner en rond. Moi, j’ai appris des choses banales, que je ne suis pas prêt à partager avec vous, en étant à la Loterie. Quand vous ne connaissez pas, vous ne connaissez pas. Il faut aller vers la personne qui connaît et l’écouter. Pour que cette personne-là partage avec vous, dites-lui au moins « tu comptes » ou « vous comptez ».
Gaston Zossou, c’est aussi un acteur politique connu par le passé. Quel regard portez-vous sur le paysage politique aujourd’hui ?
Je me rends compte que la classe politique, et je souhaiterais que cela soit bien entendu, conçoit les réformes quand elles sont appliquées aux citoyens ordinaires. Mais celles qui pourraient lui être appliquées à elle lui sont d’un très mauvais goût. Quand on va négocier avec les enseignants pour qu’ils ne fassent plus des grèves intempestives et nocives pour le système éducatif, ça ne dérange pas le politicien. Quand on va négocier avec les sage-femmes pour qu’elles ne laissent pas leurs consœurs mourir en couche, cela ne dérange pas non plus le politicien. Mais quand on leur demande aux politiciens, d’accepter des changements utiles, il crie très fort ; ça hurle même. Mais c’est à nous de faire la différence, pas au peuple. La classe politique ne veut pas que le ciseau du sculpteur soit porté sur elle, même si c’est pour le bien. C’est-à-dire, l’intégrité, la transparence, la consolidation de la nation. Elle n’entend changer en rien. Elle ne veut même pas qu’on demande à ceux qui veulent nous diriger de payer leurs impôts ; elle veut qu’on conçoive que quelqu’un soit candidat sur deux listes rivales ; elle veut qu’on conçoive que les membres d’un parti politique soient âgés de six ans à la date de la création du parti. Quand de tels efforts de réforme sont engagés, la classe politique hurle à l’exclusion.
Prenons l’exemple des 20% de voix exigés à tous les partis politiques dans chaque circonscription électorale. C’est là certainement une des réformes du code électoral qui incommode fortement la classe politique. Tu vaux 90% des voix dans ce que l’on pourrait appeler ton fief, vu que notre objectif n’est pas de disposer de fiefs agglomérés mais de bâtir une nation une et indivisible, il est exigé de toi, avant les périodes électorales, de parler avec une autre personne dans chacune des autres circonscriptions qui, elle, vaut au moins 20% pour cent. Le but est que ces dernières personnes fassent remonter à toi dans le cadre d’un mouvement partisan la préoccupation spécifique de leurs régions à elles afin que vous élaboriez ensemble un projet politique commun d’envergure nationale. On ne te demande pas de renoncer à tes 80%, mais la loi t’impose de parler à un petit qui ne vaut que 20% chez lui.
Le pays ne va pas être déposé comme un cabri pour être partagé. On demande à l’acteur politique, qui pense que nous sommes une nation qui doit se bâtir, de descendre jusqu’à parler à un bien plus petit que lui, qui est d’ailleurs, pour que cet ailleurs-là, par la voix de ce petit acteur, soit porté à son niveau. Si on fait marche-arrière de deux cents ans dans le temps, il n’y a pratiquement aucun lien entre nous qui sommes ici. Nous, on doit chercher notre consolidation dans le futur en posant des actes intelligents aujourd’hui. Admettons que ce soit difficile d’avoir les 20%. On ne demande pas d’avoir 20% à l’élection partout. Prends quelqu’un de ces nombreux ailleurs qui vaut juste 20% et mets-le avec toi, écoute-le avant qu’on ne fasse la grosse compétition. Pourquoi ne voulons-nous pas que la loi exige des personnes qui voudraient nous diriger au niveau le plus élevé d’avoir une présence minimale dans chacune des circonscriptions électorales du pays. Pour une nation dont les membres n’ont pas un passé commun substantiel, c’est le seul moyen d’œuvrer pour une consolidation future et la création d’un sentiment d’appartenance nationale.
Ce qui est imposé à tout le monde, n’est imposé à personne. Il force le chemin de la communauté pour un meilleur devenir. Sauf à penser que les plus de deux cents partis politiques n’étaient pas une insanité, une chose illisible et nuisible. L’action politique authentique ne consiste ni à contempler le mal, ni à y demeurer complaisamment. Au contraire, elle vise à décréter en idée et en de nouvelles formes de pensées devant nous conduire vers le bien. Si je voulais l’imposer à vous, sans me l’imposer à moi-même, il y aurait un problème. Et quand une chose difficile est imposée à tous, tout le monde se met dans l’effort et on regarde. Et ça va se faire très rapidement. Si le souci de celui qui est à Malanville est que ses animaux soient vaccinés de façon plus régulière, ne vaut-il pas mieux qu’on demande à celui qui ambitionne de diriger la nation entière de l’écouter avant l’entre-deux tours ? Ou bien, n’est-il pas évident, dans la tête de tous qu’un parti politique est un emballage juridique, mais qui doit avoir un contenu idéologique politique opérationnel, c’est-à-dire un mode opératoire distinctif par lequel il entend bâtir la nation ? Pensez-vous que les offres politiques de deux cents partis politiques sont lisibles ? Ou même que ces partis politiques existent vraiment ? Ne sont-ce pas plutôt des enflures d’égo d’individus n’ayant rien à faire en politique ?
La différence entre les partis politiques à l’universel, c’est le dosage entre le dirigisme et le libéralisme. Quand c’est très dirigé, on dit que c’est la gauche. Quand c’est très libéral, on dit que c’est la droite. Quand c’est un peu trop dirigé, on dit que c’est la gauche radicale. Quand c’est trop libéral, on dit que c’est l’extrême droite. On vient d’en compter quatre. D’autres estiment qu’il y a quelques places à prendre au milieu et se disent centristes ; d’autres encore disent qu’ils existent des valeurs particulières dont elles font le cœur de leur pensée et de leurs actions politiques : la nature, la famille, la religion. Dites-moi, de quoi va-t-on compléter cette liste-là, pour que cela atteigne 50, 100, 200 et plus ? Notre histoire récente est la suivante. Pendant presque 20 ans, on a eu un parti unique. Quand on sort de la prison de parti unique, on fait une chevauchée folle. On va à 200 et plus. C’est le pendule du physicien. Si vous le déportez trop loin à gauche, il revient trop loin à droite. Cependant que la raison et l’efficacité se situent quelque part au milieu, peut-être bien une demi-douzaine de partis politiques lisibles.
Lisibles, parce que les offres idéologiques et opérationnelles seront différentes ou nuancées. Mais lisibles aussi, parce qu’on aura demandé à chacun, avant d’avoir la prétention de nous diriger au niveau national, de nous montrer qu’il peut rassembler.
Alors huit ans du Président Talon déjà, qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans sa gouvernance ?
Une chose en guise d’exemplaire ? Une action emblématique ? Alors ce ne sont pas les infrastructures grandes en nombre et en qualité. Mais une chose qui agit sur les personnes elles-mêmes, sur l’esprit des personnes lui-même. Une idée de raffinement, d’humanisation. Ce qui me parle le plus, vu que, comme vous le dites, et comme vous le rappelez, j’ai été du passé. Quand nous étions au gouvernement, il arrivait trop souvent que les riverains de la voie expresse Cotonou-Porto-Novo bloquent le passage. Pourquoi ? Parce qu’une voiture a tué un enfant sur la route de l’école. Délégation ministérielle, petit cercueil, deuil absolutoire et on s’en retournait. Maintenant, sur ce même parcours aux carrefours cruciaux, nous voyons des policiers en bon nombre sous les ordres de leurs officiers.
Ils regroupent les enfants des revendeuses de canne-à-sucre d’un côté et ils arrêtent les voitures des ‘’grands’’ et les enfants traversent la route, autrefois tueuse, en chantant, en rigolant. Vous pensez que c’est leurs petits corps et leurs jeunes vies que nous préservons ce faisant ? Non. Bien plus. Nous implantons la semence du sentiment d’appartenance dans leur cœur d’enfant, nous fabriquons des citoyens au plein sens du therme. Ils se disent : « Je suis important, l’Etat existe. C’est de la magie, c’est de la civilisation en marche. Tout le monde doit collaborer à ça. Tout le monde, sans exception. Parce que c’est une chose de constater le drame, c’est autre chose d’aller chercher les moyens et les énergies pour trouver la solution. C’est merveilleux. Vous ne voyez pas que les policiers aident les mamans à traverser désormais ? Ce n’est pas spontané. Ce sont des gens qui ont réfléchi à ça, qui se sont donné les moyens financiers, les moyens d’ingénierie, les expertises qu’il faut pour atteindre ce résultat. Si ça continuait dix ans encore, ce serait insoutenable pour un policier de ne pas avoir le même réflexe. Pour que quelque chose devienne culturel et entre dans nos gènes, les gènes de l’esprit, il faut que ça dure plus longtemps. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus beau, de plus séduisant : la préservation de la vie des enfants, une police bienveillante et l’éducation citoyenne des enfants par des actes. Le résultat sera surprenant demain.
Un parcours au service de la nation
Lorsqu’il évoque Mathieu Kérékou, Gaston Zossou a de la peine à contrôler ses émotions. Il se souvient d’un leader à la fois humble avec un sens de l’Etat élevé, capable de faire preuve de retenue face à l’adversité. Il raconte un épisode marquant où des militaires demandaient la permission de tirer sur des manifestants qui jetaient des pierres au Général. Ce à quoi Mathieu Kérékou s’opposa. « Il est difficile de ne pas reconnaître que cet homme avait quelque chose de grand », souligne l’ancien ministre.
Né le 1er octobre 1954 à Porto-Novo, Gaston Zossou est issu d’une famille modeste. Il commence son parcours scolaire à Abomey. Après des études primaires marquées par plusieurs déménagements liés aux différentes affectations de son père, il obtient son certificat d’études primaires en 1966. Son secondaire, il le fait dans sa ville natale, Porto-Novo, où il obtint un baccalauréat littéraire en 1975 au Lycée Béhanzin. Après un bref passage à l’université nationale du Bénin où il étudie l’anglais, il interrompt ses études pour effectuer son service militaire à Djougou avant de les reprendre à l’École normale supérieure de Porto-Novo. C’est là qu’il obtient son diplôme de professeur certifié d’anglais. Il débute alors sa carrière dans l’enseignement, un métier qu’il exerce avec passion mais non sans difficulté. Après neuf années, il décide de quitter l’enseignement. Ce départ n’est pas motivé par des raisons financières, mais par une quête de renouveau. Il se lance alors dans l’agriculture à Zè, où il développe une entreprise agricole spécialisée dans la production et l’exportation de l’ananas. Ce passage dans le secteur agricole marque une nouvelle étape dans sa carrière.
C’est au cours de cette période que notre invité attire l’attention de Mathieu Kérékou, alors président du Bénin. Impressionné par sa passion, le Général l’invite à le rejoindre au gouvernement d’abord en tant que Conseiller technique à la mobilisation de la société civile puis en tant que Ministre de la Culture et de la Communication et Porte-parole du gouvernement, poste qu’il occupe avec succès. Notre invité se souvient de cette nomination : « J’ai été appelé un jour au palais par le président Mathieu Kérékou qui me demande quel poste m’intéresserait dans le gouvernement. Et j’ai répondu, Ministre de la Culture et de la Communication. Il s’est levé et a ri. Il a vraiment ri. J’étais sûr de moi. » Cette expérience lui permet de développer ses compétences en communication publique, notamment lors des points de presse hebdomadaires qu’il animait.
Depuis juillet 2016, Gaston Zossou est Directeur Général de la Loterie Nationale du Bénin (LNB). Il réussit à imposer une gestion rigoureuse et transparente de cette institution. « Nos finances sont propres et validées par les différents corps de contrôle. Il n’y a aucun progrès qui se négocie sans douleur. Il faut gérer la douleur et passer le cap », affirme-t-il avec conviction. Son leadership à la LNB est guidé par le bon sens et une vision stratégique axée sur le résultat. Evoquant l’entrée en bourse de la Loterie Nationale, notre invité parle d’une initiative qu’il présente comme une avancée inédite en matière de transparence dans la gestion des entreprises publiques au Bénin.
Passionné de lettres, le DG/LNB est auteur de huit ouvrages. Son parcours exemplaire, marqué par des défis personnels et professionnels, témoigne de sa détermination à servir son pays avec intégrité et rigueur.
INTIMITE
Un sophophile
Sur le plan personnel, Gaston Zossou est un homme discret et attaché à sa famille. Marié à un médecin, il est père de trois enfants. Il mène une vie simple, appréciant la marche quotidienne sur tapis de course. « Devant ce dispositif de sport, j’ai un écran qui me défile des textes inspirants sur n’importe quel sujet. J’apprends quelque chose de nouveau, et il y a des choses qui m’intéressent », dit-il. À table, il adore la sauce crin-crin avec les escargots. Comme boisson, il apprécie l’eau minérale. Si vous voulez être son ami, sachez que le DG/LNB est ce qu’on appelle en bon français un sophophile, c’est-à-dire quelqu’un qui aime et recherche la sagesse ou l’intelligence chez les autres.
LA REDACTION