Ambassadeur Jean-Pierre A. Edon: « Le meilleur moyen de règlement de la crise nigérienne : la négociation »

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L’Ambassadeur Jean-Pierre Edon

(« Aucun pays belligérant de la CEDEAO n’en sortira indemne »)

Depuis la réunion du 30 juillet dernier de la CEDEAO à Abudja, la menace d’une intervention militaire pour rétablir l’ordre plane sur le Niger. Cette situation ne laisse personne indifférente. Après ses recommandations et l’amalgame que font les gens, à savoir que la CEDEAO est intervenue dans d’autres pays par le passé, l’Ambassadeur Jean-Pierre Edon a clarifié que le cas actuel du Niger est différent. Mieux, il a indiqué que cette intervention nécessite normalement l’aval des Nations-Unies, comme en Libye en 2011. Pour lui, ces coups de force sont à décourager autant que possible, toutefois lorsqu’ils se produisent, il faut « avoir recours à la voie diplomatique pour parvenir pacifiquement à un compromis ». La violence, dit-il,  appelle naturellement à la violence. « Le dialogue est plus efficace », soutient le diplomate. L’Ambassadeur Jean-Pierre A. Edon précise que pour le cas du Niger, il faut procéder par le dialogue, la négociation, écouter les nouveaux dirigeants et ensemble avec eux, trouver une issue consensuelle. « L’intervention militaire n’est pas la bonne action à entreprendre et ses conséquences seront difficiles à gérer comme c’est le cas en Libye. Elle entrainera l’embrasement de tout le Sahel et la déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest. La suite serait dévastatrice. Aucun pays belligérant de la CEDEAO n’en sortira indemne. L’Algérie qui passe pour être la première ou deuxième armée. Ce n’est pas pour rien que le président Abdelmadjid TEBBOUNE vient de dépêcher une délégation du ministère algérien des affaires étrangères dans trois pays membres de la CEDEAO pour plaider en faveur du dialogue, bien qu’il condamne le coup d’Etat », explique-t-il.

LA CRISE NIGERIENNE ET SES REPERCUSSIONS

Depuis le 26 Juillet 2023, la République du Niger vit dans une ambiance de coup d’Etat militaire ponctuée de sanctions et de menace d’intervention militaire. Cette situation qui ne laisse personne indifférente, mérite que l’on y prête attention non seulement à cause de l’importance de l’évènement, mais aussi et surtout du fait de son ampleur internationale.

Les coups d’Etat qui ont marqué la vie politique africaine pendant les trois premières décennies des indépendances, ont repris depuis septembre 2021, alors qu’à la faveur de l’avènement du processus démocratique en 1990, on croyait ce temps révolu.

Sa résurgence depuis ces trois dernières années est considérée comme l’expression de l’échec des expériences démocratiques entamées à la suite des conférences nationales des années 90. Selon certains analystes, l’irruption récente des militaires dans la vie politique nationale est un moyen pour libérer la démocratie prise en otage par les dirigeants civils. Ces derniers dans leur mauvaise gouvernance, s’éloignent de plus en plus des principes fondamentaux de ce mode de gouvernement.

Le problème est qu’aujourd’hui et dorénavant, le pouvoir n’est plus au bout du fusil, mais s’acquiert et sort des urnes. C’est de cette manière que l’on peut préserver la paix et créer les conditions favorables au progrès socio-économique.

Le patriotisme comme valeur fondamentale

Cette méthode démocratique de désignation des dirigeants ne signifie pas que les militaires sont médiocres et les civils, excellents dans la gestion des affaires publiques. L’histoire contemporaine nous enseigne que le général George Washington fut le fondateur des Etats-Unis, raison pour laquelle la capitale et un Etat fédéral l’immortalisent en portant son nom. Le général de Gaulle a délivré la France de l’occupation allemande nazie et lui a assuré le progrès social et économique. Dans notre région, on se souvient que le capitaine Jerry Rawlings a sorti le Ghana des ornières pour le mettre sur la voie du développement.

La réussite des hommes en uniforme pré-cités relève, non de leur formation professionnelle, mais plutôt de leur patriotisme avéré. Il s’en suit que tout dirigeant africain civil ou militaire qui n’est pas un patriote convaincu, échouera inévitablement dans la tâche de reconstruction du pays. Le plus important est donc le patriotisme qui a l’avantage de neutraliser les motifs des coups de force.

Quelques motifs et condamnation des coups d’Etat militaires

Certains coups d’Etat militaires sont mus par des intérêts égoïstes ou par l’injustice criarde et la violation grave des droits de l’homme, d’autres le sont sur instigation des politiciens civils locaux ou sur recommandation des Etats étrangers soucieux de défendre leurs intérêts menacés dans le pays concerné. Le glissement vers la dictature, les conditions de vie de plus en plus difficiles de la population ainsi que le peu d’attention accordée à l’intérêt général du fait de la mauvaise gouvernance, les élections truquées etc…, sont globalement les motifs de certains coups de force.

Quelle que soit la pertinence des motifs, la prise du pouvoir par la force, est condamnable, car elle est anti-démocratique et freine le développement. Dans un système démocratique, les urnes sont prévues pour sanctionner tout dirigeant qui aurait déçu son peuple. A ce jour, aucun pays africain longtemps dirigé par les militaires, n’a connu un miracle économique de nature à sortir les populations de la pauvreté.

Il vaut mieux alors que chaque corps de métier se consacre à sa mission traditionnelle, celle des militaires étant d’assurer la sécurité, la défense de la patrie et l’intégrité territoriale, tout en évoluant dans les casernes pour réfléchir en permanence sur les stratégies à mettre en œuvre, en vue de mieux accomplir cette tâche.

En somme, ces coups de force sont à décourager autant que possible. Toutefois lorsqu’ils se produisent, il faut avoir recours à la voie diplomatique pour parvenir pacifiquement à un compromis. La violence, qui naturellement appelle la violence n’est pas de mise, et rien de durable ne s’obtient par elle. Le dialogue est plus efficace.

Le meilleur moyen de règlement de la crise nigérienne : la négociation

Dans le cas précis du Niger qui défraie la chronique ces temps-ci, il faut procéder par le dialogue, la négociation, écouter les nouveaux dirigeants et ensemble avec eux, trouver une issue consensuelle. L’intervention militaire n’est pas la bonne action à entreprendre et ses conséquences seront difficiles à gérer comme c’est le cas en Libye.

Elle entrainera l’embrasement de tout le Sahel et la déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest. La suite serait dévastatrice. Aucun pays belligérant de la CEDEAO n’en sortira indemne. L’Algérie qui passe pour être la première ou deuxième armée africaine, ne restera certainement pas les bras croisés à cause de sa propre sécurité, le Niger étant un pays frontalier.

Ce n’est pas pour rien que le président Abdelmadjid TEBBOUNE vient de dépêcher une délégation du ministère algérien des affaires étrangères dans trois pays membres de la CEDEAO pour plaider en faveur du dialogue, bien qu’il condamne le coup d’Etat.

Par ailleurs, sans se désolidariser de l’organisation régionale, l’Union Africaine vient de nuancer sa position en recommandant fortement les moyens pacifiques de règlement de ce conflit. L’opinion publique africaine en est hostile, de même que le sénat nigérian, le parlement de la communauté, les Etats-Unis et l’Italie.

Au cas où l’intervention militaire serait mise en œuvre, il faut craindre que progressivement, elle ne devienne un canal de transfert sur le sol africain du Sahel, du conflit Russo-ukrainien sous une forme ou une autre. Mieux elle dégradera davantage l’image de marque de la France dont beaucoup d’Africains voient à tort ou à raison la main invisible derrière la décision de l’organisation régionale. Des répercussions imprévues pourraient se produire étant donné que ce genre d’invasion est inédit et ne ressemble pas aux anciennes opérations.

La différence entre les anciennes interventions et celle envisagée au Niger

Le genre d’intervention que l’organisation régionale a faite par le passé au Liberia, en Sierra Leone, en Gambie et en Guinée Bissau est différente de celle qu’elle envisage d’engager au Niger. Dans ces pays cités, les troupes armées étaient allées soutenir les gouvernements en place en combattant les rebelles et les maquisards qui troublaient la paix. Leur action a aussi permis de faire accepter la vérité des urnes par un ancien chef d’Etat ayant perdu les élections.

Au Niger c’est une autre action, en ce sens que l’intervention vise à combattre le nouveau gouvernement en place pour réhabiliter un ancien chef d’Etat déchu ayant perdu aujourd’hui toute légitimité. Cette entreprise qui se fera inévitablement dans le bain de sang, est dangereux et irréaliste, le coup d’Etat étant consommé.

En outre, il se pose la question de savoir s’il faut instaurer la démocratie par la force ? Si tel est le cas, que reproche-t-on aux puissances coloniales qui ont imposé leur mode de vie et leur conception du monde à l’Afrique ? Cette intervention ne ressemble-t-elle pas à une ingérence dans les affaires intérieures du Niger ? L’organisation régionale ne ferait-elle pas mieux d’aider les Nigériens à résoudre leur contentieux entre eux, le problème étant essentiellement nigéro-nigérien ?

Par ailleurs, la décision de l’embargo économique total contre le Niger et la menace d’intervention militaire qui devaient faire peur aux Nigériens et ainsi les retourner contre leurs nouveaux chefs, n’ont fait, au contraire, que les aguerrir davantage et les mobiliser autour de la junte militaire.

 Certes, les sanctions économiques rendent la vie dure et chère comme c’est déjà le cas à Niamey avec la flambée des prix des produits de première nécessité, mais elles n’ont jamais amené un pays à abdiquer. C’est le cas de Cuba, de l’Iran, du Mali, de la Russie etc… Ces mesures punitives produisent rarement l’effet escompté, à savoir provoquer un soulèvement populaire contre le pouvoir en place. Dans le cas d’espèce les contours juridiques de l’intervention restent encore fictifs.

Absence du cadre juridique de l’intervention

La réhabilitation par la force du président déchu Bazoum ne règle rien, et une fois que cela se ferait, quelle structure s’occupera-t-elle de sa sécurité ? Pourra-t-on dire qu’il est réélu par son peuple et que son pouvoir est légal et légitime ? Enrôlé désormais dans une spirale de règlement des comptes, le chef réhabilité sera amené à user des méthodes dictatoriales et de vengeance dans sa gouvernance, ce qui est contraire à la démocratie que l’on prétend défendre en le ramenant au pouvoir.

Mieux, le cadre juridique de ce scenario n’existe pas encore. La seule décision de la CEDEAO ne suffit pas car il s’agit de sauver par la force un président déchu, comme ce fut le cas de la Libye en 2011 où l’OTAN était supposée aller au secours d’une population qui serait massacrée par le Guide. Dans ce cas, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord a reçu l’accord des Nations-Unies. Le même mandat ou aval est nécessaire aujourd’hui pour l’intervention militaire au Niger.

Or dans les circonstances actuelles, le conseil de sécurité ne pourra pas avaliser cette opération à cause du veto de trois de ses membres permanents à savoir la Chine, la Russie et probablement les Etats-Unis de plus en plus favorable aux négociations.

Eu égard à ces considérations, il est souhaitable que l’usage de la force armée reste à l’étape de moyens de pression et n’atteigne pas le niveau opérationnel. Elle présente plus d’inconvénients que d’avantages. La négociation est la voie à privilégier. Rien ne presse, elle pourrait prendre du temps, ce qu’il faut considérer comme le prix de la paix durable. Dès à présent, l’embargo économique doit être révisé.

La nécessité de revoir les sanctions dans l’esprit humanitaire

Quant aux sanctions, il faut les revoir en tenant compte du facteur humanitaire. Priver le peuple nigérien de tout y compris les produits pharmaceutiques, alimentaires et l’énergie, est très sévère et suicidaire. Même pendant la guerre, le droit humanitaire est appliqué, car avant tout, c’est de l’homme qu’il s’agit. Il aurait fallu que les sanctions soient graduelles au lieu d’être étendues, générales avec effet immédiat.

Ces mesures punitives dénuées d’humanité expliquent la réticence de la junte à recevoir les premières délégations de la CEDEAO et de l’ONU. Il aurait fallu entreprendre ces démarches préliminaires avant de statuer sur les sanctions qui devraient être prises par étapes au lieu d’être tout de suite intégrales. Malgré toutes ces contraintes, la junte militaire a décidé d’une transition de trois ans.

La négociation d’une courte transition et recommandation

L’évolution rapide de la situation permet de reconnaitre que le coup d’Etat est consommé. Le retour de Bazoum au pouvoir est inacceptable pour les nouveaux dirigeants. Ce point est non-négociable et personne au monde ne l’accepterait. Tout ce qui reste à négocier, c’est la durée de la transition.

Il est enfin indiqué que dans le cadre de la prévention d’éventuelles prises du pouvoir par la force dans son espace, la CEDEAO fasse une étude approfondie et complète sur les causes réelles des coups d’Etat militaire surtout au cours de ces trois dernières années.

A la lumière de cette étude, des mesures appropriées sous forme de stratégies, de voies et moyens seront prises pour décourager à jamais, voire empêcher le renversement par la force des régimes constitutionnels. Des mesures devront aussi être envisagées pour rejeter et condamner les coups d’Etat institutionnel fomentés par les dirigeants civils au pouvoir, estimant que leur pays est souverain. C’est vrai et indiscutable, mais la souveraineté a des limites.

Jean-Pierre A. EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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