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L’ancien Garde des Sceaux, le Professeur Victor Topanou, a été rapporteur général du dialogue politique et membre du Comité d’experts chargé de la formulation technique des mesures législatives suites aux recommandations du Dialogue politique tenu en 2019. Reçu Sous l’Arbre à Palabres, notre invité affirme que les réformes politiques en cours ont conduit à l’inversion du calendrier électoral. Selon lui, il faut du temps aux populations pour apprécier ces réformes.
Nous sommes à la date anniversaire de la Conférence nationale des forces vives de la nation. Quel bilan faites-vous de cette conférence à nos jours ?
C’est une évidence qu’au même titre que notre indépendance, la conférence nationale apparait dans notre histoire et dans notre parcours comme une référence. Elle a permis en Afrique noire francophone, la première transition d‘un régime dictatorial vers un régime démocratique sans effusion de sang, avec une particularité, la suspension au cours de la période transitoire d’un Etat qui avait existé jusqu’en 1990. C’était une expérience assez particulière qui a marché dans notre pays pour plusieurs raisons, notamment parce que contrairement à plusieurs autres pays africains, le Bénin traversait une profonde crise économique avec l’incapacité pour l’Etat de payer ses fonctionnaires pendant plus de 12 mois, pour certaines catégories. Le système bancaire aussi était en crise avec la faillite de la très célèbre BCB. Le système éducatif aussi a connu sa crise la plus profonde depuis les indépendances qui a culminé avec les années blanches. Sur le plan social, il y a eu des dégâts dont on n’a pas souvent parlés tels que les couples dans lesquels les hommes se retrouvaient dans l’obligation de demander à leurs femmes d’aller se prostituer pour subvenir aux besoins de la famille. Au total, en 1989-1990, le pays était dans une profonde crise politique, économique et sociale, c’est ce qui, à mon sens, a favorisé la réussite de la conférence nationale. Je le dis avec du recul parce qu’après nous, plusieurs autres pays sont allés à la conférence nationale. Et toutes les fois qu’il y a eu la conférence nationale dans les pays qui ne connaissaient pas la même gravité de crise que chez nous, ça n’a quasiment pas marché. Je prends les exemples du Togo, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Congo, et même dans une moindre mesure du Mali. Je pense que ces dates, qu’on le veuille ou non, continueront de résonner dans nos esprits et il est bien de les célébrer. Par contre, s’il y a une fracture aujourd’hui, c’est dans la gestion de l’héritage. Autrement dit, certains membres de l’opposition estiment que les acquis de la conférence nationale sont totalement bradés par le régime en place. A mon sens, il n’en est rien. En effet, les acteurs des années 1990 qui ont géré la période de la conférence nationale et de la transition avaient, sans aucun, doute un certain idéal que la réalité a obligé à infléchir. Je prends l’exemple de la gestion du Président Soglo qui n’a rien à voir avec celle du président Kérékou, la gestion de Kérékou n’a rien à voir avec celle de Soglo, de même que celle du Président Talon qui n’a rien à voir avec celle du Président Boni Yayi. Il en est de même de ce que l’on reproche, à tort, aux générations post indépendance, à savoir qu’elles auraient trahi les idéaux des indépendances. En effet, en matière de gestion politique, la réalité en impose plus que les idéaux. La lutte pour les indépendances pouvait nourrir des idéaux différents de la réalité imposée par la première crise pétrolière du début des années 70 (1974) et les premiers programmes d’ajustement de la fin des années 80. Au total, il y a une sorte de va-et-vient, je dirai même un décalage à chaque période, pour ne pas dire à chaque génération entre les réalités et les idéaux que l’on doit gérer. Aujourd’hui, on pourrait dire que par rapport à certains idéaux, on a un vécu légèrement différent qui s’assume. C’est le fait de vouloir dire qu’il faut absolument s’en tenir à un idéal de départ que beaucoup appellent « l’esprit de la conférence nationale » qui est totalement contraire à la vérité des choses. Il n’y a eu aucune manifestation officielle pour célébrer cet anniversaire cette année Je comprends bien ceux qui estiment que la conférence nationale doit être placée au même niveau que l’indépendance et que par conséquent, aussi longtemps que l’Etat organise l’anniversaire de l’indépendance, il doit également organiser l’anniversaire de la conférence nationale. Je comprends aussi très bien ceux qui pensent que les deux évènements ne sont pas de même nature et qu’ils ne peuvent être mis sur le même pied d’égalité. Pour moi, les deux positions se valent. Peut-être qu’aucune manifestation peut nous poser problème mais je n’ai aucune gêne à ce que le gouvernement organise ou pas des manifestations officielles, ce qui compte le plus, c’est que la société et les acteurs infra-étatiques s’en souviennent. C’est un débat ouvert.
Estimez-vous que la conférence a empêché les coups d’Etat ?
Non. Historiquement, c’est plutôt l’arrivée du Président Kérékou en 1972 qui a mis fin aux coups d’Etat. Nous avons eu une dizaine de coups d’Etat de 1963 à 1972 et c’est le coup d’Etat de 1972 qui a stabilisé notre Etat pendant 17 ans. Il n’y a pas eu de coup d’Etat de 1972 à 1989 même s’il y a eu des rumeurs et à l’exception de la tentative ratée de déstabilisation venue de l’extérieur en 1977. Donc pour moi, le premier stabilisateur des coups d’Etat dans notre pays depuis les indépendances a été le coup d’état de 1972. De 1972 à 1989 on était dans un Etat dictatorial et de 1990 à nos jours, nous construisons tant bien que mal un Etat démocratique.
Vous avez publié une tribune sur les coups d’Etat en Afrique de l’Ouest. Pensez-vous que le terrorisme est à la base de cette succession ou il y a des mains extérieures ?
Dans les différents pays qui ont connu des coups d’état militaire, il y a incontestablement une juxtaposition des causes internes et externes. Quand on privilégie trop les causes internes par rapport aux causes externes, il y a une partie de l’analyse qui vous échappe. Par contre, si vous voulez mettre l’aspect externe en évidence, vous aurez les conflits à implications multiples. Il faut donc trouver le juste milieu dans l’analyse. Lorsqu’on évoque le terrorisme, on peut dire que c’est propre au Mali et au Burkina-Faso, mais pas à la Guinée. Dans ces deux pays, l’opinion publique pense, à tort ou à raison, que c’est la France qui manipule le terrorisme pour fragiliser les Etats africains. Les Maliens, par exemple, considèrent qu’au moment où ils faisaient appel à la France, il y avait une dizaine d’années et plus, seul le nord de leur territoire était occupé par les terroristes. Plus de 10 ans après, ces terroristes occupent plus de la moitié du territoire. Autrement dit, la coopération avec la France ne leur a pas permis d’obtenir les résultats escomptés.
Comment entrevoyez-vous la mise en œuvre des prochaines législatives conformément aux nouvelles réformes dont vous êtes l’un des acteurs ?
Les réformes n’ont pas été faites pour être seulement mises en œuvre en 2023. 2023 n’est que l’avant dernière étape avant la mise en œuvre totale des réformes du système partisan. 2023 prépare 2026. L’aboutissement de la réforme du système partisan est l’organisation en 2026 des élections générales. Il y aura en janvier 2026, les élections communales et législatives puis l’élection présidentielle en avril mai de la même année. Sauf que pour y arriver, il fallait réunir certaines conditions préalables. La première a été la prolongation d’un an du mandat des conseillers municipaux et communaux (2020-2026), la prolongation de 45 jours du mandat présidentiel de 2016 à 2021 et le raccourcissement d’un an du mandat des députés élus en 2023 (2023-2026). Mais en attendant les élections générales de 2026, on aura le même type d’élection en 2023 que celle qu’on a eu en 2019, à une différence, c’est que l’opposition a annoncé sa participation et c’est tant mieux pour le renforcement de la réforme. En effet, c’est la preuve que bon an mal an, les réformes sont enfin acceptées par toute la classe politique, qu’il s’agisse de la charte des partis politiques, du code électoral, du parrainage pour la présidentielle et cette fois-ci la douloureuse condition des 10% qu’il faut avoir sur le plan national pour être éligible à la distribution des sièges aussi bien à l’Assemblée nationale que dans les conseils communaux et municipaux. S’ils finissent par accepter ça, ça veut dire que toute la classe politique aura adhéré à l’essentiel des réformes du système partisan qui ont été votées en 2018 et 2019. Ça va être probablement l’avant dernière élection avant la pacification du paysage politique. Vous étiez le rapporteur du dialogue politique en 2019.
Pouvez- vous nous dire que vous étiez conscient que vous écourtiez le mandat des députés ?
Oui, oui ! Bien sûr, de 2023 à 2026, ça fait bien trois ans et non quatre ans. Le député Kassa Barthélemy a demandé de soulever une protestation pour faire savoir que son mandat a été écourté de 3 mois. La seule institution garante de la régulation politique est la Cour Constitutionnelle. Est-ce que la Cour va revenir sur sa position ? Est-ce qu’ils avaient fait valoir leurs arguments pendant que la Cour statuait ? Dans l’esprit de la réforme, il y avait aussi un point important que les gens ne perçoivent pas encore, c’est l’inversion du calendrier électoral. Dans la plupart des pays occidentaux, de vieille démocratie, la présidentielle est organisée avant les législatives. C’est le cas en France et ailleurs. Il en est de même dans les pays africains ; le Sénégal, par exemple, organise toujours la présidentielle avant les législatives, ce qui confère de fait, une primauté au Président sur les députés. C’est lui qui vient choisir à la limite les candidats qui seront retenus sur sa liste. Le Bénin a fait le choix contraire. A partir de 2026, ce sont les députés et les maires qui seront installés les premiers en janvier. Et c’est à eux maintenant de choisir le président qui viendra. Donc, non seulement, on a voulu cela pour revaloriser le rôle des députés et des conseillers communaux et municipaux, mais aussi celui des partis politiques. Donc cette fois-ci en 2026, on verra des députés et des maires avec leurs partis installés et qui vont dire tel est notre candidat pour la présidentielle et normalement ceux qui sont majoritaires à l’Assemblée et dans les conseils communaux doivent pouvoir faire élire leur candidat à la présidentielle. Si en 2026, on a une situation contraire, cela voudra dire que les Béninois auront fait l’option de la cohabitation. Le président du parti Les Démocrates affirme que mettre les élections au 08 janvier n’est pas une bonne idée, comme c’est une période de fête. Je ne sais pas si le Président du parti les Démocrates fête jusqu’au 08 janvier. Pour nous le bas-peuple, dès qu’on a fini le 1er janvier, on reprend nos activités. En fait ce que je lui répondrai, est que c’est une fois tous les 5 ans que cette trêve est demandée acteurs politiques. Ils pourront très bien faire ce sacrifice, j’espère. Désormais, avec les élections générales, nous consacrerons tous les cinq ans, six mois aux élections et quatre ans et demie au développement du pays. Et c’est ce qu’on fait déjà au Ghana, au Nigéria et dans la plupart des pays où les mandats sont alignés.
Quand vous avez ajouté 45 jours au mandat du président de la République, il y a eu un tollé. Et vous craignez aussi le tollé avec la diminution du mandat des députés ?
Oui, oui. Et ce serait légitime. Mais on va continuer de le leur expliquer.
C’est quand même trois mois de salaire ? Vous êtes sûr qu’on n’est pas capable de leur donner une indemnité de trois mois avant la fin de la législature ? Si ce n’est que ça, franchement il n’y aura pas de problème. Je suis sûr que le questeur trouvera un moyen pour faire oublier cela. Moi je craignais beaucoup que les contestations soient liées à l’esprit des textes, à savoir que quand ils étaient élus, ils avaient dit aux électeurs que leur mandat est de 4 ans. Ça m’aurait plus posé de problème que les avantages financiers, parce que vous ne savez pas tous les avantages auxquels ils ont droit pendant qu’ils sont hors session et aussi dans les Parlements régionaux et sous régionaux.
Vous ne vous reprochez pas de n’avoir pas popularisé la constitution que vous aviez révisée ?
Je dois avouer qu’à titre personnel, j’avais un problème avec l’idée de la popularisation de révisions des constitutions. A tort ou à raison. Je me suis toujours laissé convaincre que toutes les fois où on fait la popularisation, cela suscite un débat sur la question de nouvelle constitution ou pas nouvelle constitution. Une nouvelle constitution, c’est une transition constitutionnelle, c’est un vote à l’Assemblée nationale et c’est un référendum. Et toutes les fois où on a fait ça, les gens ont ouvert automatiquement le débat sur la remise à plat du compteur des mandats présidentiels. Ce fut le cas en Côte-d’Ivoire et au Sénégal (en cours) et ailleurs.
Faisons le bilan de Talon. Avez-vous le sentiment que le pays est pacifié, un an après les élections ?
Si vous voulez mon avis, ce que le président de la République est en train de faire est comme une espèce d’irrigation d’une fondation de 5m de profondeur qui aujourd’hui n’en est qu’à un mètre de profondeur ; il lui reste donc encore quatre mètres à atteindre en profondeur : soit il travaille à les atteindre avant la fin de son second mandat, soit il faut se donner les moyens de les atteindre après lui : c’est clair dans ma tête et c’est net.
Qu’est-ce qu’il reste à faire ?
L’acceptation. L’exemple des réformes. Ce n’est pas encore accepté de tous. J’ai dit tout à l’heure que progressivement l’opposition a accepté la fameuse mise en conformité. Ils ont ensuite accepté le parrainage, ils viennent d’accepter la règle des 10% pour être éligibles au partage des sièges en décidant d’aller aux élections législatives ; c’est déjà ça.
Mais est-ce qu’ils ont accepté toutes ces réformes de façon stratégique pour pouvoir occuper les postes ou les ont-ils acceptées de façon sincère, c’est là toute la question ?
Ma conviction, c’est que ces réformes n’atteindront les profondeurs de la fondation que dans 10, voire 15 ans encore. Vous savez, j’étais récemment à un séminaire de formation des jeunes du BR à Ouidah. Sur près d’une dizaine de questions qui ont été posées, 5 ou 6 portaient sur l’avenir des réformes. Je leur ai répondu que le Président Talon « va partir. Ne me demandez pas comment on fait pour que cela se perpétue. Il faut que vous-mêmes, vous vous appropriiez les réformes afin d’en devenir les défenseurs de demain ». Je pense que le président Talon n’est pas dupe. Il sait que dans notre pays, une partie de la classe politique fait le dos rond pendant qu’un président est là, en attendant son départ. Talon sait qu’il partira. Si on reste dans cet état d’esprit d’éternel recommencement, comme on l’a toujours fait depuis 91, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, on aura les mêmes conséquences.Votre collègue Aïvo est en prison. Cela fait partie de ce bilan. Est-ce que vous avez l’impression que le fait d’avoir mis Aïvo et Madougou en prison, a contribué à la pacification des relations politiques ?Bien sûr que non. Ce n’est pas en arrêtant qu’on pacifie. Par contre, je m’interrogerai sur les raisons pour lesquelles ils ont été arrêtés. Malheureusement, de ma position d’ex Garde des Sceaux, je ne pourrai pas vous livrer le fond de ma pensée.Sentez-vous le “hautement social” qu’a promis le président Talon il y a un an quand il prêtait serment pour son deuxième mandat ?J’avoue que c’est une question hautement politique. Il faut la poser aux députés et aux ministres, bref aux politiques.Mais qu’en dites-vous en tant que citoyen Béninois vivant au Bénin ?Je pense que pour apprécier les réformes sociales, il faut plus de temps que ça. Ce n’est pas seulement au Bénin. C’est dans presque tous les pays du monde que lorsque vous annoncez les réformes sociales, les gens ne les perçoivent pas toujours immédiatement. Dans notre société à nous au Bénin, on a souvent associé le social à la distribution d’espèce sonnante et trébuchante. On a applaudi le président Yayi Boni parce qu’on considère qu’il était très social notamment à travers le programme de micro crédit aux plus pauvres.J’ai noté que les programmes de micro crédit ont repris avec de nouvelles formes intégrant les critiques qui avaient été faites au président Yayi Boni. Vous savez, il y a un programme social dont on ne parle pas assez. Moi j’ai un ami qui m’a dit que quand il a aménagé dans sa maison, il n’y avait pas d’électricité. Et quand il s’était adressé à la Sbee on lui avait fait un devis de 2millions qu’il n’a pas pu payer, évidemment. Mais avec les programmes d’électrification universelle, les frais de raccordement au réseau électrique est passé de deux millions à 96 millions. Pour cet ami-là, Talon restera le Président le plus social de tous les présidents. Donc je pense qu’il y a plusieurs façons de faire le social. Comme je le dis souvent, l’un des problèmes du président Talon, c’est sa normo-communication qui fait qu’il n’accompagne pas systématiquement ce qu’il fait d’explications, alors qu’en politique, c’est extrêmement important d’expliquer. En politique, vous pouvez mal faire mais quand vous faites une bonne communication autour, ça passe comme une lettre à la poste et a contrario, vous avez beau très bien faire, si vous ne faites pas la communication qu’il faut, ça devient un fiasco. Et je pense que sur beaucoup de points, c’est le reproche qu’on peut faire à l’exercice de Talon et même les efforts récents du porte-parole Houngbédji ne sont pas encore parvenus à faire oublier cela. Revenons à la cherté de la vie….Si je suis bien l’actualité, c’est partout dans le monde la cherté de la vie. J’ai découvert dans les médias qu’au Togo, le Président Faure Gnassingbé en actant la cherté de la vie, a promis à ses concitoyens un prêt d’un mois remboursable sur douze mois pour affronter le problème. Donc cette cherté est une crise mondiale et chaque pays essaie de la gérer au mieux comme il peut. L’année dernière, ce n’est pas de cherté de la vie qu’on parlait. On parlait d’insuffisance alimentaire. A ce moment-là, le gouvernement avait décidé d’empêcher la sortie par les frontières nord du pays de certaines récoltes. Mais je pense que le président étant un ultra libéral, il ne faut pas attendre de lui une régulation intempestive du marché. Il serait plutôt pour laisser le marché chercher son propre équilibre, s’auto-réguler. Il y a une exposition en cours à la présidence à la suite du retour des 26 œuvres. On y a vu des rapprochements entre le président Talon et Zinsou, puis le président Talon et l’ancien président Soglo. Comment appréciez-vous ces rapprochements ?Vous devez déjà deviner ma réponse à cette question. Quand on a commencé le dialogue politique en 2019, nous avions souhaité que ces choses arrivent. Aujourd’hui, le premier ministre Zinsou a accepté de renter, en plus de la plus belle manière, par le même vol que le président de la République… Moi je ne peux que m’en réjouir. Ça participe de la pacification de la vie politique. Et je pense que c’est une très bonne chose de voir ces images du président Soglo et du président Talon, ainsi que du Président Talon et du premier ministre Zinsou. Je formule le vœu que cela se poursuive. Si j’ai bien compris l’attitude du président de la république, c’est « oui je suis ouvert à tous ceux à qui les réformes ont créé des dommages. Et non je ne suis pas ouvert à ceux qui ont été compromis dans une mauvaise gouvernance ». Si c’est cela la ligne rouge de démarcation, je crains que ceux qui sont encore en prison parce que condamnés par la justice pour des faits de gestion des institutions étatiques, on ait beaucoup de mal à régler ça maintenant. Quelles peuvent être les implications d’une telle réconciliation ainsi amorcée entre Talon et Zinsou, d’une part, et entre Soglo et Talon, d’autre part, sur la scène politique nationale ?Mon opinion, c’est que le rapprochement avec le Président Soglo va renforcer le pouvoir en place et affaiblir un peu plus la Résistance. Par contre, le rapprochement avec le Premier Ministre Zinsou, j’ai plus de mal à faire le lien avec la classe politique nationale. Je ne reprendrai pas à mon compte la formule malheureuse de Komi Koutché, loin s’en faut. Ce qui est vrai, c’est que je suis vraiment incapable de dire s’il est membre d’un parti et donc s’il appartient toujours à la classe politique béninoise. Je sais juste qu’après l’élection de 2016, il a pris ses cliques et ses claques et est retourné s’installer en France et que même son procès avait eu lieu en son absence. Que pensez-vous de cette réaction de Komi Koutché qui qualifiait de Lionel Zinsou d’un objet volant non identifiable sur la scène politique nationale ? Je ne sais pas pourquoi il a dit cela. C’est vrai que ça semble un peu bizarre parce qu’il a été son Directeur de campagne. Mais j’ai comme le sentiment que c’est l’expression d’une frustration. Je ne suis pas affirmatif mais peut-être que Zinsou ne l’a pas informé et que s’il ne l’a pas fait, il a pu en être frustré. Je le dis sous toutes réserves parce que je suis incapable de dire quoi que ce soit sur l’état de leurs relations depuis la présidentielle de 2016. Après, quand on est un responsable politique, il faut aussi apprendre à contenir ses frustrations. Vous savez, les responsables politiques ont tellement d’obligation que, quand ils veulent parler, on leur recommande de se taire. J’ai le sentiment que sur ce coup-là, Komi Koutché n’a pas pu contenir ses frustrations.Des initiatives se multiplient sous Talon pour mieux combattre la corruption avec la récente création d’une cellule à la présidence ?Si les citoyens se l’approprient et préfèrent aller se plaindre là-bas, ça aura été un succès mais si les citoyens l’analysent comme étant inutile, ils n’iront pas se plaindre là-bas et ce sera un fiasco. Vous savez, moi sur les réformes politiques, j’ai fini par adopter une attitude pragmatique : elles se valent toutes à condition d’avoir la capacité de se remettre en cause quand elles ne réussissent pas, c’est-à-dire faire des évaluations à mi-parcours pour voir si le chemin parcouru est concluant ou pas. Mais c’est ne pas essayer du tout qui n’est pas courageux, qui n’est même pas politique. Politiquement, on est toujours à la recherche de la meilleure gouvernance possible. Donc pour moi cette cellule vient d’être créée, attendons de voir dans un an ou deux. Vous êtes un résident de la commune d’Abomey-Calavi dans laquelle plusieurs dossiers de mafias foncières éclatent depuis peu avec des incarcérations en série de plusieurs personnalités et autorités locales. Comment vivez-vous cette situation ?Je pense que c’est malheureux pour l’image de la commune en même temps que c’est une bonne chose pour la bonne gouvernance dans la commune. Tous les trois premiers Maires de la Commune, de Dravo, Hounsou-Guèdè et Bada une bonne chose ont tous séjourné en prison pour mauvaise gestion. C’est un message fort envoyé aux gouvernants de la commune en leur rappelant que même des années plus tard, la mauvaise gestion rattrape toujours. Vous vous réjouissez aujourd’hui de n’avoir pas été élu maire ?Non pas que je me réjouisse, mais c’est une belle revanche de l’histoire, moi que tous ces trois Maires avaient battu en 2015. Donc de temps en temps ce type de retournement de l’histoire fait plaisir.L’université d’Abomey-Calavi où vous officiez en tant que maitre de conférences, a aussi connu de nouvelles réformes qui ont conduit à l’avènement de nouveaux responsables internes. Comment appréciez-vous le travail qu’ils abattent depuis qu’ils ont été installés ? Là aussi, les réformes ne sont pas encore allées en profondeur et il faudra encore un peu de temps pour cela. C’est clair aussi que certains gouvernants actuels de l’université se plaignent de ne plus avoir la maitrise de leurs budgets ou encore des processus décisionnels à cause des conseils d’administration et je les entends. Ils ont le sentiment d’être totalement dépouillés de leurs prérogatives, ce qui n’est pas faux. Mais une fois de plus on revient à l’esprit des réformes et à la fin de leur premier mandat on va faire une évaluation pour voir si c’est bon ou pas. Et si on constate que ce n’est pas bon on sera capable de revenir là-dessus. En ce qui concerne les cas de fraude, à partir du moment où il y a des tricheurs étudiants, c’est qu’ils sont en complicité avec d’autres acteurs et les acteurs de l’université ne sont pas illimités. Il y a plusieurs années en arrière, il n’y avait aucune sanction, aujourd’hui, il y a des cas d’emprisonnement ; on a arrêté récemment, des doyens donc je pense que les meurs avancent et il faut s’en réjouir. Au niveau des enseignants, c’est pour moi la pire des situations. Si l’enseignant lui-même s’adonne à des pratiques de fraude pour évoluer dans sa carrière, ça devient désespérant. Le CAMES a eu raison de prendre des sanctions qui sont regrettables pour les uns et positives pour les autres. Et comme je le dis toujours à ceux qui ont contesté ces décisions de sanction, c’est au conseil des ministres composé de 17 ministres de 17 Etats différents qu’il faut s’adresser ; pas à la presse, pas aux réseaux sociaux, pas aux étudiants et surtout pas à leurs collègues. Au conseil des Ministres du CAMES, les décisions se prennent à l’unanimité. C’est ainsi que le Ministre de l’enseignement supérieur du Togo s’est retrouvé à adopter des sanctions contre son propre collègue, le Ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey Ça veut dire simplement que le CAMES a fait l’option de valoriser davantage encore les ressources humaines, plutôt que de les laisser se salir par des pratiques totalement inacceptables. Nous sommes des éducateurs et si on veut que les enfants nous ressemblent, il faut qu’on leur donne de bons exemples. Si les enfants ont le sentiment que les enseignants eux-mêmes trichent, pourquoi voulez-vous leur interdire de tricher ? Ex acteur politique et responsable de parti politique, Victor Topanou se consacre aujourd’hui essentiellement à des travaux scientifiques et à sa fonction d’universitaire. Dites-nous vous avez définitivement quitté le terrain politique ?Ah oui, pour l’instant, je m’y sens mieux sans. C’est une option. Que pensez-vous de la situation en Ukraine ?Cette crise m’inspire un sentiment profond d’injustice. Les rapports de force entre l’Ukraine et la Russie sont peut-être de 1 à 1000. Et décider comme cela de faire la guerre à un pays de 45 millions d’habitants me semble profondément injuste. Je fais partie de ceux qui n’acceptent aucune circonstance atténuante à la Russie et nous sommes rares. Sur les réseaux sociaux et dans la presse, j’ai vu tout un discours de légitimation de cette guerre où l’on soutient que la Russie avait raison de la faire ; dites-vous qu’aucune de ces raisons ne tient la route. Simplement parce que, même si l’Ukraine était l’ennemi numéro 1, il n’y a personne, et je dis bien personne pour lui déclarer la guerre parce qu’elle est une puissance nucléaire, la première ou la deuxième au monde, avec toutes les composantes, sol-sol, sol-mer, mer-sol, sol-air. Personne ne peut faire la guerre à la Russie. Et la Russie ne le sait que trop bien. Il en est de même des Etats-Unis. Malheureusement, dans les relations internationales, il y a beaucoup de non-dits. Lorsque les Américains ont voulu faire la deuxième guerre d’Irak, comme Poutine l’a rappelé, ils l’ont fait contre la volonté des Nations Unies qui ont voté une résolution contraire. Pourtant, ils l’ont faite. Mais on n’a pas dit à l’époque, pourquoi ils l’ont fait. Or c’est l’un des éléments de la crise actuelle aussi. Vous savez, contrairement à nos pays africains, les armées occidentales, y compris russes, sont soutenues par ce qu’on appelle un complexe militaro-industriel. Or la Russie n’a plus fait de guerre depuis 1945 et de 1945 à aujourd’hui, elle a accumulé des centaines et des milliers d’armes qu’il faut bien se donner les moyens d’expérimenter un jour ou l’autre. Car vous avez beau avoir toutes les armes, si vous ne les utilisez pas une fois, vous ne saurez pas si elles sont réellement efficaces. Aujourd’hui tout le monde parle des conséquences des armes nucléaires, parce qu’il y a eu Nagasaki et Hiroshima. Dans mon esprit, il est clair que la Russie voulait cette guerre pour tester ses nouvelles armes et faire une démonstration de force. Malheureusement aujourd’hui, ce sont les ukrainiens qui sont les cobayes, comme ce fut le cas des Irakiens hier. Malheureusement, ce n’est que ça, les relations internationales et c’est son côté parfois cynique, dur et inhumain.Il y a par ailleurs le djihadisme qui se développe à nos frontières, qu’en dites-vous ?C’est mineur aujourd’hui par rapport à toutes les bombes que la Russie est en train de larguer sur l’Ukraine. Cet évènement vient relativiser les choses, comme le disait un ami, jusqu’à la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on ne parlait du Covid, mais aujourd’hui, plus personne n’en parle ; on ne parle plus que de la guerre en Ukraine. Il en est de même, chez nous en Afrique depuis peu. Plus personne ne parle du terrorisme, alors que cela nous a totalement occupé ces derniers mois. C’est comme ça, malheureusement.