Edito du 09 avril 2014: Le piège

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Boni Yayi croyait jouer au plus dur, il s’est fait avoir par plus rusé que lui. Avec le huitième round des négociations gouvernement-centrales syndicales qui a eu lieu ce lundi, tout le monde a vu le glissement des revendications des travailleurs vers des considérations pécuniaires. On est passé de la réclamation des droits et libertés publics pour une exigence financière laissée à l’abandon depuis 2012.

Ce glissement peu glorieux est le résultat direct des rebuffades successives du gouvernement qui s’est fait prendre à son propre piège. En faisant la sourde oreille, il a contribué à un enlisement inutile et finalement onéreux. Au début de la contestation, les syndicalistes ne croyaient certainement pas devoir en venir à des exigences financières. Mais la durée de la grève, les manœuvres d’étouffement mises en œuvre en vain, ont montré la force des syndicats. On aura remarqué le soutien des travailleurs aux centrales syndicales, notamment des enseignants qui ont administré une véritable claque au Front d’action des trois ordres de l’enseignement. Ce Front sort affaibli, plus que jamais divisé, meurtri même par le refus ostentatoire de la base d’écouter les directives contestéesde ses dirigeants. C’est l’une des rares fois où l’on a pu voir dans ce pays les travailleurs faire bloc pour dire niet à leurs responsables syndicaux de base. Il est vrai que, face aux travailleurs en lutte, le gouvernement, maladroitet fébrile, ne pouvait que reculer.Il aréussi à commettre toutes les fautes, et son Chef n’a multiplié que de faux semblants pour tromper les partenaires sociaux. Soupçonnés de connivence avec le pouvoir, les responsables du Front ont pu donner l’impression de maîtriser la troupe. Mais la suite, c’est le terrible désaveu qu’ils ont essuyé et le durcissement du débrayage, la plupart des enseignants étant convaincus qu’ils ont été manipulés (voire achetés) par le pouvoir.

Il fallait forcément récompenser cette ténacité des travailleurs. Il fallait que les centrales syndicales trouvent un trophée tangible à exhiber en dehors des droits et des libertés. Il leur fallait répondre à la question essentielle : que vous a donc rapporté toute cette agitation ?

La question des 1.25 a donc fini par devenir centrale, alors qu’elle n’était que marginale. Soucieux de donner « quelque chose » à leurs bases, Paul Issè Iko et les autres ont été contraints de ressortir des tiroirs les revendications financières laissées à l’abandon.

En réalité, cette question est des plus explosives. Sa résolution pourrait déboucher à terme sur des perturbations majeures de la situation économique du pays. Car, il s’est agi des25% d’augmentation salariale accordée contre toute logique par l’ex-premier ministre Pascal Irénée Koupakià l’ensemble des travailleurs, alors qu’au départ, la mesure ne devait concerner que les seuls agents du Ministère des finances. Le protocole d’accord signé en avril 2011 accordait le bénéfice de cette revalorisation à tous les agents de l’Etat, la Cour constitutionnelle sollicitée l’ayant même avalisé. Or, un an seulement plus tôt, les enseignants avaient déjà décroché leur prime d’incitation à la fonction enseignante, équivalant à 25% du salaire. Ainsi, en deux années seulement, les enseignants qui forment 55% environ de la masse salariale, venaient de bénéficier de 50% d’augmentation salariale. Dans un Etat économiquement fragile et une gouvernance chaotique. On mesure l’incompréhension des organismes financiers internationaux et surtout du Chef de l’Etat. Boni Yayi a vu derrière ces accords très généreux qui sortent de l’ordinaire, des manœuvres politiciennes pour 2016. Ce qui a conduit plus tard à la fragilisation de Koupaki au sein du Conseil des ministres où il avait été réduit à néant.Il faut, en effet, se demander où l’Etat trouvera les ressources de cette augmentation sans précédent. Et depuis 2011, j’attends toujours de voir comment l’on pourra satisfaire et les exigences d’une masse salariale déjà très élevée et les exigences régaliennes de l’Etat, sans compter le courroux des bailleurs de fonds. J’attends de voir comment s’opérera la magie…

Pour l’heure, le gouvernement en a eu pour son compte. Il eût trouvé un terrain d’entente avec les syndicats dès le début de cette fronde, qu’aujourd’hui on n’en serait pas à craindre deux maux majeurs : l’année blanche et les menaces sur les finances publiques.

 Par Olivier ALLOCHEME

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