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La France accueillie le XIXe Sommet de la Francophonie les 4 et 5 octobre 2024, une première depuis 33 ans. Plusieurs chefs d’états et de gouvernement y sont attendus, dont le Président de la République du Bénin, Patrice Talon, qui en profitera pour inaugurer une grande exposition d’art contemporain béninois, dans la plus grande salle gothique d’Europe, à la Conciergerie à Paris. Pour situer les lecteurs de l’Évènement Précis sur les enjeux de ce Sommet, nous avons sollicité l’expertise du Dr. Eric Adja, Président en exercice de l’Agence francophone de l’intelligence artificielle (AFRIA), qui fut également Directeur de la Francophonie numérique et Représentant régional pour l’Afrique de l’Ouest de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à Lomé.
L’Evènement Précis : Quels sont les enjeux de ce XIXè Sommet de la Francophonie ?
Dr. Eric Adja : Le Sommet de la Francophonie aura lieu cette année à Villers-Cotterêts et à Paris, autour du thème « Créer, innover et entreprendre en français », afin de mettre en lumière et en valeur les opportunités qu’offre l’espace francophone, notamment en faveur des jeunes et des femmes. Ce Sommet présente des enjeux importants pour l’Afrique, en une période où la jeunesse, notamment africaine exprime de plus en de plus d’inquiétudes et de doutes quant aux impacts de la coopération francophone. Les principaux enjeux sont d’ordre :
- Linguistiques : La Francophonie est appelée à accompagner le dynamisme de la population francophone qui va passer de 321 millions d’habitants aujourd’hui, à 715 millions d’habitants d’ici 2050, dont la majorité sur le continent africain. Ce qui implique un appui significatif à l’enseignement du et en français ;
- Géopolitiques : face à la fragmentation du monde, la Francophonie est appelée à devenir une espace du Vivre Ensemble et de dialogue, présent sur les cinq continents, fondé sur une langue et des valeurs de solidarité et de partage ;
- Numériques : alors que l’intelligence artificielle progresse dans nos sociétés, l’espace francophone doit s’assurer que l’espace numérique reflète la diversité́ linguistique et culturelle, que les algorithmes en permettent la visibilité́, la découvrabilité et respectent les droits de la personne ainsi que la souveraineté des données des pays membres, notamment les moins pourvus de technologies ;
- Économiques : la Francophonie est appelée à favoriser le développement des affaires, du secteur privé, des investissements et des co-entreprises, en offrant de meilleures perspectives d’emploi dans les pays membres, dont la plupart partagent une langue, voire une culture juridique commune.
Par ailleurs, à l’occasion du Sommet, le Bénin sera représenté au salon FrancoTech, qui se tient les 3 et 4 octobre à l’incubateur STATION F à Paris. À travers son stand Bénin INNOV, notre pays met en lumière 10 entrepreneurs audacieux, porteurs d’innovations significatives. Ces talents incarnent le dynamisme et l’engagement d’un écosystème ouvert et inclusif, dédié à la conception de solutions tech, moteurs de progrès et de développement. Ainsi, le Bénin, qui s’était proposé en 2022 au Sommet de Djerba en Tunisie, pour accueillir l’organisation du XXè Sommet de la Francophonie en 2026, se révèle-t-il comme un candidat sérieux, présentant des atouts indéniables.
L’Evènement Précis : A l’occasion de la journée internationale de la Francophonie, le 20 mars dernier, vous avez fait paraître un livre intitulé Une Francophonie Apaisée ; quels sont les principales idées défendues dans cet ouvrage ?
Dr. Eric Adja : Dans ce livre, j’ai souhaité témoigner de ce que le partage d’une langue commune, la langue française, au-delà du passé colonial, implique une certaine vision du monde, crée des opportunités et forge des destins.
Ainsi, j’évoque le contexte géopolitique actuel, marqué, à tort ou à raison, par une méfiance réelle ou entretenue vis-à-vis des intérêts français, notamment en Afrique, où l’actualité résonne au Niger, au Burkina Faso ou au Mali, par la diffusion de messages d’hostilité vis-à-vis d’une certaine politique extérieure de la France. C’est pourquoi, il me paraît indispensable d’alerter l’opinion sur le risque de rejet du bébé avec l’eau du bain. En effet, s’il est vrai que l’histoire et la construction de la Francophonie sont intimement mêlées à celles de la France et de la langue française, l’espace et l’idéal francophones dépassent la seule France. Ainsi, comme l’écrivent Abrahamsen et Bado (2022) : « La Francophonie, c’est bien sûr plus que la France. L’organisation a été fondée au Niger en 1970 et se compose de 88 États et gouvernements, dont beaucoup sont dans les pays du Sud »
Dans ce contexte, il importe de distinguer la Francophonie de la stricte politique extérieure de la France, car pour citer à nouveau ces deux auteurs : « Dans le même temps, la Francophonie est hantée par l’histoire coloniale de la France et de nombreux Africains font peu de distinction entre la Francophonie et la Françafrique, le terme péjoratif pour désigner la sphère d’influence de la France sur le continent dans la période post-indépendance». Pour sa part, le romancier congolais Alain Mabanckou estime que « la Francophonie est malheureusement encore perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies ». Je plaide donc pour la construction d’une Francophonie apaisée, c’est-à-dire débarrassée des démons du passé, en redessinant les contours de nouvelles relations équitables, fondées sur le respect, la réciprocité et le Vivre Ensemble.
Propos recueillis par la Rédaction