Views: 7
Dans une nouvelle tribune qu’il a intitulée « Coup d’Etat institutionnel et syndrome du troisième mandat présidentiel », l’Ambassadeur Spécialiste des questions internationales, Jean-Pierre Edon a souligné que cette nouvelle méthode de coup d’Etat institutionnel se manifeste par des fraudes électorales raffinées, électroniques, souvent avec en amont la complicité d’organes de régulation ou d’arbitrage du processus et du contentieux électoral. Après avoir exposé les conséquences désastreuses de cette pratique qui a cours actuellement dans certains pays de la sous-région, l’Ambassadeur invite les Chefs d’Etat africains à agir avec sagesse et s’imposer par le strict respect de la Constitution.
COUP D’ETAT INSTITUTIONNEL ET SYNDROME DU TROISIEME MANDAT PRESIDENTIEL EN AFRIQUE
A la faveur du vent du changement qui a soufflé sur les pays de l’Est suite à la chute du mur de Berlin en Novembre 1989, le président français François Mitterrand, à travers l’historique discours de la Baule prononcé le 19 juin 1990, a invité les pays africains à s’engager résolument dans la voie de la démocratie ayant un lien avec le développement.
C’est alors que par le biais de la conférence nationale expérimentée avec succès par le Benin en Février de la même année, beaucoup de pays sont passés pacifiquement du régime à parti unique à celui du multipartisme. Trente ans après ce mouvement, de graves dysfonctionnements dans les pratiques démocratiques apparaissent et suscitent de profondes réflexions.
Le constat communément fait par les observateurs de la situation politique en Afrique, révèle que depuis ces dix dernières années, le processus démocratique déclenché en 1990 s’essouffle ou a du plomb dans l’aile. L’une des illustrations de ce dérapage réside dans les dysfonctionnements graves des instruments et mécanisme de régulation de la démocratie. En conséquence, certains régimes africains glissent de plus en plus vers l’autoritarisme, la dictature institutionnalisée, un pouvoir illimité fortifié par le parti unique et des institutions monocolores.
On assiste alors à une sorte de prise en otage des institutions de l’Etat, et à la violation flagrante des droits de l’homme. Tout ceci étant rendu possible par la concentration inédite d’un pouvoir sans limites dans les mains d’un seul homme, de surcroit auréolé du culte de la personnalité, savamment entretenu par les courtisans qui, désireux d’obtenir les faveurs du patron, évitent de lui dire la vérité, approuvent sans gêne et quelque fois sans conviction, tout ce qui vient du chef.
Parmi eux, figurent des intellectuels qui, pour préserver leurs intérêts personnels, préfèrent trahir aujourd’hui les idées et convictions politiques qu’ils défendaient acharnement par le passé. Pire ils sont devenus les auteurs intellectuels de l’absolutisme, oubliant que le tyran n’a pas d’ami et peut se retourner contre eux à tout moment.
Autrefois dans les années 60 à 90, des coups d’Etat militaires faisaient rage dans le continent. Aujourd’hui, à l’exception du cas malien, cette méthode de prise du pouvoir est devenue surannée surtout qu’elle est condamnée, voire interdite par l’Union Africaine et les organisations régionales comme la CEDEAO.
Mais une nouvelle méthode de coup d’Etat institutionnel propre, sophistiqué et élégant est apparue. Elle se manifeste par des fraudes électorales raffinées, électroniques, souvent avec en amont la complicité d’organes de régulation ou d’arbitrage du processus et du contentieux électoraux. Ce fut le cas du Mali lors des élections législatives d’Avril 2020.
Une autre manifestation de cette méthode apparait à travers les coups de force constitutionnels consistant à procéder à des révisons de la constitution de nature à entrainer une interprétation juridique permettant de contourner les dispositions relatives à la limitation des mandats. On s’achemine ainsi de façon tactique vers des régimes politiques de plus en plus hantés par l’obsession du troisième mandat et la recherche effrénée de l’éternité au pouvoir.
Ainsi et de manière progressive, le verrou de la limitation des mandats est en train d’être levé au mépris des dispositions constitutionnelles, en vue d’avoir un troisième ou quatrième mandat en vertu de la nouvelle « République », concept qui divise les juristes. Dans la plupart des cas, la loi fondamentale régissant tant l’ancienne que la nouvelle République prévoit deux mandats au maximum. De ce point de vue, un chef d’Etat ayant déjà accompli deux mandats ne devait plus se sentir concerné même si l’interprétation de la loi le lui permet. Mieux, le pays demeure le même, il n’est pas nouveau.
Postuler alors pour un troisième mandat est certainement légal si l’on considère qu’avec l’avènement de la nouvelle République, les compteurs sont remis à zéro. Toutefois cet acte, quoique légal n’est ni moral, ni citoyen, encore moins populaire. La preuve en est les tensions politiques, la violence et les troubles sociaux qu’il provoque dans les pays concernés. La mise en branle des forces de répression ne réussit jamais à faire disparaitre le mécontentement général.
On évoque souvent comme justification du monopole du pouvoir, l’idée que « l’intéressé a bien travaillé pour le pays dont il a jeté les piliers du développement. Il est alors indiqué qu’il poursuive l’œuvre entamée ». Cette argumentation facile n’est ni suffisante ni convaincante, étant entendu que l’œuvre de construction nationale est une tâche de longue haleine qu’aucun régime ne peut prétendre achever. Cela se voit dans les pays les plus développés du monde où des problèmes du bienêtre social et économique persistent toujours.
Mieux, personne, fût-il un dirigeant charismatique, n’est indispensable pour un pays. Par contre tout citoyen est utile par sa modeste contribution à la reconstruction nationale. En d’autres termes, il existe dans chaque pays des dizaines d’hommes et de femmes capables de diriger avec succès la nation pour peu que l’occasion leur soit donnée. Un chef d’Etat qui n’a pas pu préparer la relève parmi les nombreux collaborateurs ayant travaillé avec lui pendant plusieurs années, aurait alors lamentablement échoué.
La vérité est que les chefs africains, voulant confisquer à vie le pouvoir, ne se soucient guère de la relève. Dans ce cadre, ils suscitent le culte de la personnalité et mettent les institutions de l’Etat sous leur tutelle, ignorant délibérément la séparation des pouvoirs, principe cher à la démocratie.
Aussi dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest, comme ailleurs dans le continent, le parlement, organe de contre-pouvoir jouissant d’une indépendance constitutionnelle et d’une autonomie notoire, fonctionne-t-il comme une chambre d’enregistrement des désirs et volontés de la majorité présidentielle. Ces parlements ont rarement l’initiative des lois et ne se servent pas correctement de leur pouvoir constitutionnel de contrôle de l’action gouvernementale. Les rares propositions de lois qu’on peut mettre à leur actif, sont souvent l’initiative déguisée de l’exécutif. Dans la plupart des cas, ces lois sont impopulaires en ce sens qu’elles ne contribuent en rien à l’amélioration des conditions de vie de la population.
En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, il jouit d’une indépendance relative et théorique du fait de son assujettissement structurel au pouvoir exécutif. Le parquet, doté de compétences exorbitantes ne fait qu’obéir à l’exécutif. Or il n’y a pas d’Etat de droit sans l’existence réelle d’une justice indépendante et impartiale. La caractéristique commune des Etats de l’Afrique de l’Ouest et de ceux des autres régions africaines surtout francophones, est la faiblesse des institutions en général, celle de la justice en particulier.
Les institutions judiciaires régionales qui fonctionnent comme des mécanismes de recours sont de plus en plus affaiblies par les Etats qui, non seulement contestent leurs décisions, mais refusent surtout de les appliquer lorsqu’elles ne les arrangent pas. Aussi évoquent-ils la question de souveraineté, oubliant que ce concept a des limites. Tout ceci explique le recul partout en Afrique des droits humains (droits civils et politiques, droits économiques, sociaux et culturels). Il arrive alors que par des arsenaux légaux et judiciaires bien établis à la tête du client, on n’empêche certains citoyens dont la popularité fait peur, de prendre part aux compétitions électorales.
Quant aux libertés démocratiques, elles sont étouffées. Celles de la presse, de réunion, de manifestation et d’expression sont constamment violées avec les arrestations, les détentions, la répression et le harcèlement judiciaire des journalistes, des blagueurs ainsi que des citoyens qui, pour leur sécurité, ont dû s’exiler à l’étranger. A cela s’ajoutent la censure et l’interdiction de parution de certains organes de presse qui ne font pas l’éloge du pouvoir.
Tels sont quelques-uns des dysfonctionnements de la démocratie aujourd’hui en Afrique. C’est pour cette raison que les militaires maliens sont intervenus sur la scène politique le 18 Août dernier pour restaurer la démocratie et soulager la population de ses souffrances. Un coup de force du genre était prévisible, tant explosive était la situation. La réticence des nouveaux chefs du Mali vis-à-vis des propositions de la CEDEAO pour le retour à l’ordre constitutionnel, relève de ce que les dérapages de la démocratie, de l’Etat de droit, des droits humains, de la gouvernance constatés au Mali existent aussi dans nombre de pays de la communauté ouest-africaine.
Pour être plus crédible, cette organisation régionale ainsi que l’Organisation Internationale de la Francophonie doivent désormais intervenir au moment opportun, avant le déclenchement de la crise dans les pays où la démocratie est bafouée, les libertés individuelles et collectives confisquées, avec leur cortège de pauvreté avancée et d’inégalités sociales criardes.
Il est temps que les chefs d’Etat africains agissent avec sagesse si l’on veut que les Africains soient pris au sérieux et respectés par la communauté internationale et les citoyens du monde. Nos dirigeants doivent être des hommes de parole et s’imposer par le respect scrupuleux de la constitution et l’accomplissement des engagements pris.
Il est toutefois possible de mettre un terme à l’affaiblissement et à l’assujettissement au chef des institutions étatiques. Dès lors la restauration de la démocratie devient une nécessité, une discipline librement consentie, sans que l’on ait besoin d’un deuxième discours de la Baule pour nous y contraindre.
L’optimisme est permis quant à l’avenir de la démocratie en Afrique, car les peuples du continent sont aujourd’hui éveillés, courageux, capables de sacrifices et très vigilants pour reprendre à tout moment aux dirigeants ayant trahi leur confiance, le pouvoir à eux confié. Le peuple burkinabè l’a éloquemment prouvé en 2014 et tout récemment est intervenu le cas des Maliens.
Au-delà du renversement par la force du régime du Président Ibrahim Boubacar Keita, l’acte patriotique du 18 Août 2020 à Bamako, peut être considéré comme une prise de position de l’armée en faveur du peuple. Ces militaires ne sont pas forcément fascinés par le pouvoir, sinon ils n’organiseraient pas de larges concertations pour définir avec les forces vives de la nation les contours de la transition.
Evitons de créer dans nos pays les conditions favorables à l’intervention des forces armées dans les affaires publiques, et n’oublions pas qu’en dépit de leur discipline légendaire qui fait la force de l’armée, les hommes en uniforme font aussi partie intégrante du peuple. Inspirons-nous de la sagesse du grand Africain, Nelson Mandela qui avait la possibilité de faire dix mandats, mais a préféré passer la main à la jeune génération à la suite d’un seul mandat. Hors du pouvoir, il était plus aimé, honoré, adoré, populaire et prospère qu’à l’époque de sa mandature présidentielle. La preuve en est qu’à ses obsèques en 2013, y ont pris part toutes les grandes personnalités de ce monde, y compris tous les anciens présidents américains vivants, de même que celui qui était en exercice ; un évènement inédit. Soyons tous Nelson Mandela.
Jean-Pierre A. EDON
Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.