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Le contenu de la réponse du Président Boni Yayi à la lettre du Clergé catholique au sujet de la révision n’a pas trop plu à trois grandes personnalités de ce pays. Il s’agit du Professeur Maurice Ahanhanzo-Glèlè, de Antoine Détchénou et de l’historien Pierre Mêtinhoué. Dans une réaction dont ils portent tous trois la signature, intervenant ici comme de fidèles laïcs, à les croire, ils dénoncent certains termes utilisés par le Chef de l’Etat ainsi que les accusations qu’il porte contre l’église catholique. Ils n’ont pas manqué de rappeler quelques faits majeurs antérieurs à ce projet de révision de la constitution, en conseillant le Chef de l’Etat de laisser tomber cette « aventure ». Lire ci-après l’intégralité de leur réaction.
La réaction de trois fidèles laïcs: Maurice Ahanhanzo-Glèlè, Antoine Détchénou et Pierre Mêtinhoué
Après avoir lu et relu la lettre du président Boni Yayi au président de la Conférence épiscopale du Bénin, Mgr Antoine Ganyé, il nous est apparu nécessaire de nous prononcer, en tant que fidèles laïcs de l’Eglise catholique du Bénin, sur certains commentaires du chef de l’Etat et aussi, sur son refus d’apprécier des propositions concrètes que l’épiscopat lui a faites pour sortir de la crise actuelle.
Les exhortations pastorales des évêques catholiques ont toujours eu, il est vrai, pour premiers destinataires les fidèles de leur Eglise. Mais elles ont toujours eu à cœur de s’ouvrir aux hommes de bonne volonté, disposés à les accueillir dans le souci de participer à une même cause. Cela s’inscrit dans une vieille tradition d’ouverture spirituelle de l’Eglise catholique. On ne peut donc qu’être surpris que le dernier message des évêques du Bénin ait été lu par le ministre Arifari Bako comme ne devant s’adresser qu’aux seuls catholiques, parce que l’opinion des évêques ne serait pas représentative. Le caractère inédit d’une telle attitude manifestant une réelle étroitesse d’esprit indique à quel point le contenu du message gêne.
En tant que signataires de cet article, nous nous imposons de prendre position ici, tout en sachant que nous ne sommes qu’un écho de bien d’autres qui partagent la même opinion que nous et qui auraient aimé prendre position s’ils le pouvaient. Qu’ils nous permettent de les associer, sans prétention, à notre initiative.
Bien qu’il y ait eu déjà de nombreuses protestations dans la presse, nous avons senti le besoin urgent de répondre à la lettre du président de la République dont le contenu va au-delà des destinataires indiqués.
Instrumentalisation de Dieu
Dans sa réponse au message de la Conférence épiscopale, le président Boni Yayi, dans ce qu’il a appelé «mes commentaires d’ordre général», décline toute responsabilité personnelle face à la grave crise sociopolitique actuelle de notre pays. Il écrit ceci : « En fait, il s’agit d’une responsabilité collective dont les causes sont liées à l’absence de notre foi en Dieu, à l’amour du prochain, aux pesanteurs de nos structures culturelles et mentales, aux contingences de l’évolution historique de notre société et aux facteurs exogènes… » Cet argument est l’expression d’une analyse brouillée, délibérément brouillée, d’un fourre-tout. Comme le Bénin est un pays de croyants, un pays réputé pour sa foi en Dieu, le président prend l’habitude de mêler le registre religieux à tout par des artifices et des pratiques de manipulation qu’il faut se décider à critiquer sérieusement. Car, cela nuit à la religion et à la démocratie tout autant. Et ce faisant, personne n’est responsable de rien. La vie du puissant est dite sacrée comme si la vie des faibles, des prisonniers et des assassinés l’était moins.
Personne n’est trop puissant pour ne pas devoir respecter Dieu et la religion et prendre au sérieux l’espace où l’homme doit assumer ses responsabilités. Il faut bien reconnaître que le malaise actuel provient, entre autres, de toutes les atteintes aux libertés publiques et individuelles qui ont fragilisé et décrédibilisé notre démocratie.
Ce malaise est dans les mensonges répandus tous les jours par certains médias (singulièrement la télévision d’Etat mise au service d’une personne).
Ce malaise est l’expression du gaspillage des deniers publics dont l’illustration la plus significative est le volume du gouvernement qui impose la location de maisons privées à grands frais pour y loger les services d’Etat.
De la modernisation de la Constitution
Le commentaire du président Yayi concernant la question de son projet de révision constitutionnelle a procédé à des raccourcis qui sont plus que des inexactitudes.
La commission Ahanhanzo-Glèlè
La commission Maurice Ahanhanzo-Glèlè avait pour mission : « de mener une réflexion systématique et prospective sur le fonctionnement actuel de la Constitution » (Article 3 du décret n° 2008-052 du 18 février 2008, modifié et complété par le décret n° 2008-597 du 26 octobre 2008 du président de la République).
Il s’agissait d’une commission de relecture et non de révision de la Constitution.
S’appuyant sur les orientations données par le chef de l’Etat à l’occasion de l’installation officielle de la commission, les membres ont convenu de préserver, entre autres :
– les options fondamentales de la Conférence nationale de février 1990, à savoir la forme républicaine de l’Etat, la démocratie libérale pluraliste, l’Etat de droit ;
– la nature présidentielle du régime politique ;
– la limitation du nombre de mandats présidentiels ;
– et l’âge (40-70 ans) des candidats à l’élection présidentielle.
Par ailleurs, ils ont pris en compte les insuffisances observées dans la pratique de la Constitution du 11 décembre 1990 et fait des propositions en vue de les corriger.
A cet effet, ils ont estimé que l’existence d’institutions de contre pouvoir réel, jouissant d’une véritable autonomie était d’une nécessité absolue dans un Etat de droit.
« Dans le cadre de la lutte contre la corruption et l’impunité et en vue de promouvoir le développement, il est apparu important de rendre l’appareil judiciaire indépendant, impartial et crédible… » (Extraits du rapport provisoire de la commission Ahanhanzo-Glèlè remis au gouvernement le 6 juin 2008). Après avoir examiné le rapport provisoire, le gouvernement a fait part de ses observations et a demandé à la commission d’en tenir compte. L’article 2 du décret n° 2008-597 du 22 octobre 2008 a d’ailleurs précisé que la mission de la commission, au cours de la période de prorogation de deux mois (7 octobre 2008 – 7 décembre 2008) consiste essentiellement à :
– intégrer les observations du gouvernement dans le rapport provisoire,
– finaliser l’ensemble du dossier en prenant également en compte les autres amendements du groupe.
En conclusion du rapport provisoire de juin 2008, la commission affirmait qu’il importe que le gouvernement diffuse largement les conclusions actuelles des échanges et des réflexions, afin de recueillir les réactions des institutions de la République et des composantes de la société.
« En créant la commission, le gouvernement lui a demandé de relire la Constitution de 1990 et non d’en rédiger une nouvelle. Il n’empêche que les modifications suggérées ne pourront être intégrées au texte initial de décembre 1990 que si elles reçoivent un large consensus de l’opinion publique et des forces politiques et sociales ». Le gouvernement a changé de politique et écarté la commission Ahanhanzo-Glèlè.
La commission Gnonlonfoun
« Nous avons envisagé, écrit le président Boni Yayi, avec les autres institutions de la République, de soumettre au peuple le projet de modernisation de notre Constitution avec le concours de hauts cadres juristes de notre pays. Des réflexions, il en est sorti un document transmis à l’Assemblée nationale en 2009. Ce dernier a été amélioré par un autre groupe de travail de cadres compétents que compte notre pays ».
Mais le rapport Gnonlonfoun est resté secret ! On aimerait le lire.
Un bon et sain examen du projet de révision de la Constitution gagnerait à ce que le gouvernement, par respect, pour le peuple diffuse les rapports Ahanhanzo-Glèlè et Gnonlonfoun avec les amendements qu’il y a apportés en sa qualité de chef de l’Exécutif, initiateur du projet.
Calmer le jeu
Que le président Boni Yayi calme le jeu en retirant son projet qui est « né avec sa croix de mort sur le front » pour emprunter la belle expression de Montherlant.
Plusieurs recours sont déjà pendants devant les hautes juridictions compétentes. On s’amusera bien. Faut-il souligner les nombreuses irrégularités juridiques qui risquent de bloquer le processus référendaire ?
La loi référendaire, loi n° 2011-27 du 28 janvier 2012 portant conditions de recours au référendum a été promulguée hors délai ! Elle n’est pas encore à ce jour publiée au journal officiel.
Par ailleurs, le président Boni Yayi précise dans sa lettre à l’épiscopat : « Comme vous l’avez si bien dit, toute révision a besoin d’un consensus. Je n’ai point perdu ce point de vue. J’ai souhaité, en effet, que l’Assemblée nationale procède à une vulgarisation du contenu de cette modernisation en direction de toutes les institutions de la République, de l’administration publique, les collectivités locales, la classe politique et tous les autres groupes socioprofessionnels et culturels ». De qui se moque-t-on ? De Gaulle a traité le peuple français de peuple de veaux. Le président Boni Yayi prendrait-il les Béninois même analphabètes pour des demeurés ? Nous n’oserions lui prêter une telle idée ! Le peuple béninois même analphabète se souvient encore de décembre 1989, de la vulgarisation ou popularisation de l’avant-projet, et du référendum constituant du 2 décembre 1990 ! On n’entre pas dans le monde en marchant à reculons.
Du point de vue constitutionnel, le texte soumis à l’Assemblée nationale, est un projet donc d’initiative gouvernementale (article 154 de la Constitution). Il n’appartient pas à l’Assemblée nationale de procéder à sa vulgarisation. C’est au gouvernement qui a pris l’initiative de la révision d’assurer la popularisation de son projet. Il est trop facile de se dégager de sa responsabilité sur un autre. Nous ne sommes plus sous un régime de parti unique ou parti-Etat-majorité présidentielle-Etat mais dans un Etat de droit, de démocratie libérale pluraliste. Le président Boni Yayi s’est engagé devant la commission Ahanhanzo-Glèlè à assurer la divulgation du projet de révision que son gouvernement aura arrêté. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Et pour ne pas poursuivre, le gouvernement a-t-il donné à l’Assemblée nationale tous les moyens financiers et matériels, disons la logistique budgétaire ? Et pourquoi le chef du gouvernement a-t-il envoyé ses ministres en campagne d’explication de la Constitution à travers tout le pays ? N’est-ce pas du gaspillage d’argent et une manière de distraire les braves populations des travaux des champs alors que le pays crie la faim et se meurt à petit feu ? Il n’y a aucune urgence à réviser la Constitution. Prenons le temps, et préparons une révision dans la sérénité. Le président Boni Yayi a présenté un projet à l’Assemblée nationale en 2009 ; il l’a retiré en 2012. Quel diable le pousse à ressortir son projet en 2013 en faisant courir de grands risques au pays ? Non à la révision de la Constitution au forceps.
Demande d’explication
Malgré l’usage de plusieurs formules de politesse, tous les lecteurs de la lettre du chef de l’Etat qui ont l’expérience de l’administration ont compris qu’il s’est adressé à Mgr Antoine Ganyé dans les termes utilisés habituellement par un supérieur hiérarchique pour obtenir une information de son subordonné.
Dans un Etat laïc comme la République du Bénin, où l’Eglise et l’Etat sont séparés, peut-on accepter que le président de la République se comporte vis-à-vis de la hiérarchie de l’Eglise catholique comme si elle dépendait de lui ? En effet, commentant l’analyse des évêques sur les dossiers de tentative de son empoisonnement et de son renversement par coup d’Etat, le chef de l’Etat écrit ce qui suit : « (…) je me permets de vous prier avec beaucoup de respect et de considération en votre qualité de président de la Conférence épiscopale, une grande institution de foi, de bien vouloir me faire connaître les éléments en votre possession à partir desquels vous déclarez qu’il s’agit d’évènement douteux et contestés ».
La suite des propos du président de la République sur cette question précise est grave puisqu’il soupçonne les évêques d’être en lien avec celui qu’il appelle « le principal accusé » et surtout de « se substituer à la justice de notre pays, ou l’influencer dans l’instruction de ce dossier, ou semer le doute dans l’opinion nationale et internationale ».
Comment peut-on en vouloir à quelqu’un à la date du 20 août 2013 pour la simple raison qu’il a des doutes concernant cette affaire de tentative d’empoisonnement du président Boni Yayi après que le juge Angelo Houssou, juge d’instruction au tribunal de 1ère instance de 1ère classe de Cotonou, a prononcé le 17 mai 2013 une ordonnance de non-lieu général, et que la chambre d’accusation de la cour d’appel de Cotonou a confirmé le 1er juillet 2013 ?
Le président de la République informe Mgr Ganyé qu’au stade où se trouve l’instruction des dossiers de la tentative d’empoisonnement et de coup d’Etat, il s’en est dessaisi pour les confier à la justice divine. S’il en est vraiment ainsi, comment se fait-il que le parquet général de Cotonou, cette justice humaine, se soit pourvu en cassation dès le 1er juillet 2013 ?
Silence éloquent
Les évêques ont montré que l’une des facettes les plus critiques du malaise ambiant est le malaise politique. Ils ont affirmé, avec raison, que « notre démocratie se porterait mieux, si les règles d’une saine coopération consensuelle établies étaient cultivées et entretenues ».
Ils suggèrent, à la suite de plusieurs personnalités politiques non membres de la mouvance présidentielle actuelle, que le pouvoir accepte d’entrer en dialogue avec les représentants d’autres courants de pensée afin de parvenir « à une appréciation objective diversifiée et par conséquent plus juste des problèmes ».
Fort curieusement, cette proposition concrète n’a pas retenu l’attention du chef de l’Etat puisqu’il n’en a rien dit dans sa lettre à Mgr Ganyé.
Fortement préoccupés par la sauvegarde de la paix dans notre pays, nous invitons nous aussi, le pouvoir en place et ceux qui aspirent à prendre sa relève, à tout mettre en œuvre pour se rencontrer et se parler avec la franchise nécessaire, car ce qui est en jeu dépasse chacun d’entre nous.
Les intérêts égoïstes passeront, le pays, notre patrimoine commun, demeurera. Faisons en sorte que les générations montantes ne nous reprochent pas de le leur avoir légué dans un état lamentable.