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Le triomphe de la vérité

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Diplomatie : Jean-Pierre Edon décortique  la nouvelle politique africaine de la France


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Ambassadeur, spécialiste des questions internationales, Jean-Pierre A. Edonest revenu sur la nouvelle politique africaine de la France présentée à l’Elysée par le président Macron le 27 février dernier. Pour lui, on peut interpréter la nouvelle politique africaine de la France comme la réponse appropriée aux préoccupations africaines exprimées surtout par la jeunesse. Il était necessaire et impérieux, selon son analyse, de changer ces pratiques vieilles de 63 ans et qui sont en inadéquation avec l’évolution du monde actuel ainsi qu’avec les besoins politico-économiques et sociaux des populations. ‘’L’Afrique rejette désormais la domination étrangère, les échanges déséquilibrés en optant pour le partenariat, la complémentarité, la coopération sur de nouvelles bases saines avec des intérêts mutuellement avantageux. Elle est devenue réfractaire aux injonctions, au paternalisme relevant du passé colonial et qui continue de se manifester encore aujourd’hui”, fait-il savoir.

OPINION SUR LA REFORME DE LA POLITIQUE FRANCAISE EN AFRIQUE

Le 27 Février 2023 s’est produit un évènement inhabituel mais souhaité depuis longtemps. Il s’agit de la nouvelle politique africaine de la France présentée à l’Elysée par le président Macron. Il est la suite de l’annonce faite par l’Elysée en Août 2022 à l’occasion du départ des troupes Barkhane du Mali, annonce selon laquelle une réforme de la présence militaire de la France en Afrique sera rendue publique au printemps 2023.L’analyse des éléments constitutifs de cette nouvelle diplomatie suscite des réflexions et permet de faire des appréciations qui en découlent.

De façon sommaire les composants saillants de cette nouvelle stratégie peuvent se résumer globalement comme suit :

La France prône désormais une autre voie qui consiste à ne pas réduire l’Afrique à un terrain de compétition ou de rente, et à considérer les pays africains comme des partenaires avec qui elle a des intérêts et des responsabilités partagées. Il est plutôt question de « bâtir une nouvelle relation équilibrée, réciproque et responsable ».

A cette occasion, le président français a rappelé les engagements de son pays qui vont se poursuivre, notamment avec la réforme du franc CFA et d’autres initiatives comme « chooseAfrica », un projet qui soutient l’entreprenariat dans la culture, le sport et le digital avec un financement de 3 milliards d’Euros déboursé entre 2019 et 2022.

En ce qui concerne les investissements français, le président a déclaré que la France n’a plus des pré-carrés en Afrique. Les investisseurs français doivent accepter la compétition économique.« Nous avons aujourd’hui encore trop de nos entreprises qui ne produisent pas les travaux de meilleure qualité parce que c’est l’Afrique. Ça ne marchera plus. Et je vous le dis en toute sincérité, je ne défendrai plus les entreprises qui ne seront pas prêtes à se battre » a encore déclaré le chef de l’Elysée.

 Dans le même ordre d’idées, le 2 Mars 2023, il a fait savoir au Gabon que « l’âge de la Françafrique est révolu, la France est désormais un interlocuteur neutre sur le continent ». Il en sera certainement de même des relations dans le domaine militaire.

Coopération militaire

Quant au nouveau partenariat militaire, la nouvelle configuration que la France voudrait instaurer est la co-construction. Cela suppose que les partenaires africains formulent clairement leurs besoins militaires et sécuritaires. Sur cette base la France va accroitre son offre de formation, d’accompagnement, d’équipement au meilleur niveau. « La logique étant que le modèle ne doit plus être celui des bases militaires telles qu’elles existent aujourd’hui ».

La priorité est maintenant donnée à la présence au sein des bases, des écoles, des académies qui seront cogérées, fonctionnant avec des effectifs français mais à des niveaux moindres et aussi avec des militaires africains qui pourront aussi accueillir, s’ils le souhaitent et à leurs conditions, d’autres partenaires.

En outre le président Macron reconnait que « ce n’était pas le rôle de la France d’apporter seule des réponses politiques qui devraient prendre le relais de la réponse militaire. Nous avons pourtant malgré nous, assumé une responsabilité exorbitante ». C’est justement ce genre de responsabilité qu’elle ne devait pas assumer qui est l’une des causes de sa perte d’influence en Afrique.

En ce qui concerne la montée de cesentiment en Afrique francophone, surtout dans la partie ouest-africaine, le président Macron pense qu’il est né d’un amalgame qui fait de la France le bouc émissaire idéal de l’échec des dirigeants locaux à relever les défis auxquels leurs pays font face. On en déduit que la mauvaise gouvernance des dirigeants est l’une des raisons de ce ressentiment.

En somme, les idées de la nouvelle politique africaine, viennent compléter celle que le président Macron a exprimée à Ouagadougou en Novembre 2017. Il s’agit d’une politique qui a vocation à ne pas être seulementde gouvernement à gouvernement, mais qui doit pleinement traiter avec la société civile africaine. Cela traduit une volonté de se distancier des habitudes du passé.

C’est dans ce cadre que s’inscrit le sommet Afrique-France réunissant à Montpellier le 8 Octobre 2021, quelques 3000 entrepreneurs, artistes, activistes et personnalités sportives du continent. Le premier français est dans sa logique que le récent évènement de l’Elysée et sa tournée africaine, sont venus clarifier ; ce qui appellent quelques réflexions.

Des réflexions et appréciations

On peut interpréter la nouvelle politique africaine de la France comme la réponse appropriée aux préoccupations africaines exprimées surtout par la jeunesse. Il était necessaire et impérieux de changer ces pratiques vieilles de 63 ans et qui sont en inadéquation avec l’évolution du monde actuel ainsi qu’avec les besoins politico-économiques et sociaux des populations.

L’Afrique rejette désormais la domination étrangère, les échanges déséquilibrés en optant pour le partenariat, la complémentarité, la coopération sur de nouvelles bases saines avec des intérêts mutuellement avantageux. Elle est devenue réfractaire aux injonctions, au paternalisme relevant du passé colonial et qui continue de se manifester encore aujourd’hui. Les comportements et propos irrespectueux dénués du moindre langage diplomatique de l’ancien Ministre françaisdes Affaires Etrangères, en sont les preuves.

Les populations africaines n’acceptent plus le manque de respect, de considération, la condescendance ainsi que le complexe de supériorité qui ont toujours caractérisé ses rapports avec la France et l’Occident. C’est donc à juste titre que le 4 mars 2023 au cours de la conférence de presse avec le président français à Kinshasa, le chef d’Etat congolais, Monsieur Tshisekedi a courageusement déploré et condamné les maux et attitudessus-cités qui empoisonnent les relations d’Afrique avec la France. Il est désormais souhaitable que les rapports se déroulent dans un contexte d’égalité et de respect mutuel.

Abondant dans le même sens au cours de l’interview accordéeà latélévision française LCI le 5 Mars dernier, le présidentbéninois, Monsieur Patrice Talon, disaiten substance que « Il est necessaire que la France affiche davantage son sentiment d’égalité avec les pays africains, que ce sentiment passé de paternalisme soit totalement effacé ».

Toutefois on est en droit de se féliciter de la bonne réaction de la partie française et surtout du courage de son président qui a reconnu certaines vérités que les officiels français taisaient autrefois. Monsieur Macron a été franc, direct en disant que « nous sommes en effet comptables du passé sans avoir encore totalement convaincu sur les contours de notre avenir en commun ».

 C’est une auto-critique courageuse et sincère qui tranche avec les comportements conservateurs séculaires et les pesanteurs nostalgiques du passé colonial. Cela relève certainement de l’esprit jeune de Macron qui préfère voir en face la vérité, et projeter sur l’avenir au lieu de continuer à vivre dans le passé.

En fait, sa récente tournée en Afrique centrale, intervenue au lendemain de la présentationde sa nouvelle vision des rapports avec le continent, est une manière de vulgariser la nouvelle politique. L’objectif de ce périple est de convaincre les Africains de ce que la page de la Françafrique est définitivement tournée avec ses réseaux d’influence hérités du colonialisme. Désormais il sera mis en place un nouveau logiciel empreint de partenariat pragmatique.

Ce changement de paradigme serait venu plus tôt qu’on aurait peut-être évité la manifestation du sentiment anti-français. Mais comme le dit un adage populaire, « il vaut mieux tard que jamais ». La clairvoyance du président français et son analyse prospective des faits,sont à saluer, car si rien du genre ne se faisait pas maintenant, la situation en Afrique risquerait d’échapper complètement à la France à court terme.

En réalité la nouvelle stratégie de la politique étrangèrefrançaise est insuffisante pour donner une entière satisfaction aux Africains. Les manifestations de mécontentement organisées pendant la visite du président Macron à Libreville par le biais du concert des casseroles et une journée ville morte, à Kinshasa par des pancartes portant des slogans hostiles à Paris, en sont des témoignages éloquents. Il en ressort que dorénavant la France doit être à l’écoute attentive des africains et prendre en compte leurs aspirations légitimes.

Maisl’évènement du 27 Février 2023 à l’Elysée, est déjà un pas important et un acte inédit. L’espoir est permis pour que d’autres initiatives complémentaires suivent surtout par rapport aux bases militaires dont les Africains doutent de la mission officielle qu’est la protection des Français. Des évènements passés leur donnent l’occasion de se faire une idée de leurs missions officieuses malheureuses et non avouables.

L’histoire retiendra néanmoins que ce premier pas est à l’actif du président Emmanuel Macron. Il reste que les actes soient joints à la parole. L’avenir immédiat et à moyen terme permettra d’en juger.Il en sera de même de la gestion que les dirigeants africains feront de cette nouvelle stratégie.La vérité est que Paris n’est pas seul responsable des problèmes de gouvernance et de développement en Afrique. Nos dirigeants en portent la grande responsabilité.

En effet, la mauvaise gouvernance, la protection des intérêts personnels, l’enrichissement illicite au détriment des populationsvivant dans la pauvreté sans le minimum social commun, les élections frauduleuses, les troisièmes et énièmes mandats présidentiels, la privations des libertés démocratiques, la détentionen prison des citoyens à cause de leurs opinions politiques, l’échec de la classe politique, la corruption ainsi que la violation des droits de l’hommeen Afrique etc…ne relèvent pas de la France, mais plutôt de la responsabilité des dirigeants africains. C’est certainement la raison pour laquelle, en réponse à la critique du président Félix Tshisekedi du paternalisme des Français et de leur manque de respect aux Africains, son homologue français déclarait un peu vexé que « Vous n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté militaire, sécuritaire et administrative de votre pays…Il ne faut pas chercher de coupables ailleurs ».

En réalité,les actions de la France dans nos pays, se résument à la défense de ses intérêts, ce qui est de bonne guerre.Rienn’empêche les chefs d’Etat africain de suivre cet exemple enprivilégiant les intérêts nationaux, au lieu de faire à leurdétriment, la part belle à l’ancienne puissance coloniale. L’occasion est aujourd’hui propice pour une auto-critique conséquente africaine avec la ferme détermination d’adopter un nouveau paradigme, de la même manière que la France vient de se tracer une nouvelle voie dans ses rapports avec le continent.

Il est à espérer que l’avenir des relations franco-africaines sera meilleur et que le sentiment anti-français actuel se convertira en amitié profonde, en fraternité réelle basée sur le respect, la considération, l’égalité et l’humilité. Ceci suppose la pose des actes conséquents que les années à venir permettra d’apprécier.

Jean-Pierre A. EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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