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Le triomphe de la vérité

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Transports en commun: Accidents de bus : A qui la faute ? Conducteurs, clients, syndicats et experts en parlent


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Le dimanche 29 janvier 2023, un accident d’un bus Baobab Express a déclenché un immense incendie. Résultat, une trentaine de morts et des blessés graves dont certains sont toujours à l’hôpital. Ces dix dernières années, le Bénin a enregistré des cas d’accidents de bus, certains plus meurtriers que d’autres. Mais qu’est-ce qui peut bien être à l’origine de ces cas d’accidents ? Nous avons posé la question aux conducteurs, aux experts et aux passagers eux-mêmes. Que faut-il faire face à ces accidents dont l’ampleur traumatise tout le monde ? Nous avons mené l’enquête pour vous.

  • Les conducteurs partagent les responsabilités

Les accidents de bus qui se multiplient depuis quelques années sur les axes routiers du Bénin relèvent-ils de la seule responsabilité des conducteurs ? Ils sont nombreux à se montrer catégoriques sur la question, en rétorquant : «non». A. Razaki conduit depuis une dizaine d’années des bus de transport en commun pour le compte de sociétés successives. Il a 35 ans aujourd’hui et a déjà fait le trajet  Cotonou-Parakou, des centaines de fois. « C’est Dieu qui me protège. Il est grand. A ce jour, je n’ai encore jamais connu d’accident, mais je vous le jure, j’en ai failli à plusieurs fois, et n’eût été ma vigilance, je ne serais plus peut-être en face de vous en ce moment ». ll poursuit plus amer : « Il y a des patrons de société qui se foutent de notre vie. Si tu meurs, il prendra un autre conducteur. Ils nous prennent souvent pour des robots. Il est arrivé des fois où j’ai fait Cotonou Parakou, 6 jours sur les 7 jours dans la semaine, parce que je me montrais solide ». Razaki, en tombera malade un jour et souffrira de douleurs musculaires et sciatiques qui lui ont coûté trois mois d’hospitalisation. Depuis lors, il se montre plus raisonnable. Quand il est fatigué, il n’hésite pas à se faire remplacer sur sa ligne. Youssouf Arouna, natif de Djougou ne conduit plus aujourd’hui à cause de son âge. Il a 63 ans. Mais il a pratiqué la route Cotonou-Malanville pendant une quinzaine d’années pour le compte de plusieurs sociétés dont la plupart n’existent plus. « J’ai d’abord commencé très jeune avec les camions-Titan et je faisais de très longs trajets au sein de l’hinterland. Ça payait bien. Mais on souffrait beaucoup aussi » affirme-t-il. Il raconte avoir toujours des douleurs au niveau des genoux et des crampes de dos à force de rester assis sur de longues distances, conduisant toute la journée et toute la nuit, avec des pauses légères et insignifiantes. Quand il a commencé avec les bus de transport public, le rythme a baissé quelque peu, non sans que les risques d’accidents ne soient totalement écartés. « Le souci des promoteurs, c’est l’argent qui rentre. Il arrive des fois que nous les supplions presque pour réparer certaines pannes qui n’empêchent pas le véhicule de rouler mais qui peuvent se révéler dramatiques à force de perdurer » dit-il. Il se souvient avoir passé toute une nuit une fois, au bord de la route avec les clients, craignant que son moteur prenne feu, si la panne qui se signalait n’était pas réglée à temps. C’était à une époque où le promoteur ne disposait que de ce seul bus, et qu’il n’y avait pas à cette heure aucun autre sur le trajet pour reprendre les passagers et les conduire à destination, comme c’est la pratique dans le milieu.

 Plomber les vitesses, une solution efficace

Firmin Tokin, Secrétaire Général du Syndicat national des conducteurs d’autocars et de bus du Bénin, fait aussi la part des choses quant à la question de savoir qui sont les vrais acteurs des accidents de bus qui surviennent sur les axes routiers béninois. «On doit cesser de porter le tort uniquement sur les conducteurs. On doit cesser de nous accuser de tout. Nous ne sommes pas les seuls responsables». Ainsi avait-il déjà réagi, une semaine après le drame survenu à Dassa le 29 janvier 2023 dans l’émission «90mn pour convaincre » de la radio nationale. Il est formel : « Ce ne sont pas tous les conducteurs qui s’adonnent à la consommation de stupéfiants, d’alcools et autres ». Pour le syndicaliste, « le grand problème que nous avons, est que le gars ne veut pas perdre son boulot, il a voyagé et fait des constats sur le bus et il vient et dit à son responsable que l’état du bus ne peut pas voyager. Il le dit, mais le responsable pense qu’il ment et appelle un autre conducteur et on le positionne sur le bus, parce qu’il veut des recettes. » Il rapporte qu’à une certaine époque, lorsqu’il conduisait des camions, quand il vient et annonce des problèmes techniques sur le véhicule, voici ce qui lui est servi comme réponse : « On va te faire des chargements que tu iras d’abord livrer et au retour, on va te changer les pièces. » Mais quand il y a dégâts, regrette Firmin Tokin, on oublie tout cela. « J’avais travaillé dans une société dont je tais le nom, mais quand tu fais 8 h de conduite, tu gares le véhicule, tu peux te reposer, 40 mn avant de reprendre le chemin, mais s’il y a dégât, on fait le constat que tu ne t’es pas reposé, la charge est sur toi », raconte-t-il. Mais le syndicaliste ne manque pas non plus d’exhorter ses collègues qui s’adonnent surtout à la consommation d’alcool avant de prendre la route de cesser cette pratique. « Tu veux conduire sur un trajet comme Cotonou- Parakou, tu te lèves à 4 h du matin et tu prends de l’alcool, tu vas te fatiguer plus. Nous devons nous comporter en responsables au volant » conseille-t-il. Il encourage, par ailleurs, les sociétés de transport à ne pas banaliser le plombage des vitesses des véhicules, comme c’est le cas dans la société où il exerce en ce moment, avec une vitesse limitée au maximum à 70km/h. Ailleurs, c’est souvent entre 80 ou 90 kmh, mais jamais au-delà de 100km/h. «Tu peux foncer n’importe comment, ça n’ira pas plus que ça. » assure-t-il

S’approprier les textes

Pour certains observateurs, les conducteurs des véhicules de transport en commun en général sont d’un niveau intellectuel très bas, ce qui fait qu’ils ne s’approprient pas les textes qui existent. Il y a un travail à faire là. En matière de texte de loi, il n’en existe pas réellement à ce jour. Selon une source interne au CNSR, seul un arrêté ministériel pris depuis 1966 fait office de code de route à ce jour au Bénin, mais reste totalement en déphasage par rapport aux réalités actuelles. Les nouvelles infrastructures en construction aujourd’hui au Bénin respectent des normes et standards internationaux qui ne s’enseignent pas pour la plupart dans les auto-écoles nationales. Les étapes d’élaboration d’un projet de loi en matière de transport au Bénin sont toutefois avancées en ce moment et l’introduction du texte au parlement pour son adoption ne devrait plus tarder pour longtemps. D’après le CNSR, en moyenne 700 personnes meurent chaque année au Bénin par accident, donc environ deux personnes par jour. Les facteurs humains de ces accidents tournent autour de 80%, ceux liés aux infrastructures routières autour de  20% et l’état des véhicules compte pour 10%.

A noter qu’à la suite du drame de Dassa, le gouvernement a pris les taureaux par les cormes en annonçant des mesures hardies qui seront mises en œuvre très bientôt. Entre autres, la professionnalisation du métier de transporteur au Bénin, une règlementation sur la qualité du parc automobile avec des véhicules répondant aux normes, la transmission à l’Assemblée nationale du projet du nouveau code de la route, l’adoption prochaine de la politique nationale de sécurité routière…

Vox populi

Les Béninois obligés de continuer à prendre les bus

Malgré l’accident meurtrier de Dassa, beaucoup de Béninois continuent de prendre les bus et les cars. Ils nous expliquent ici qu’ils se sentent contraint tout en faisant confiance aux autorités pour réguler le secteur.

Boris Nouagovi, voyage de Cotonou pour Bassila

« On est obligé de se déplacer»

 « C’est vrai que cet incident est arrivé, mais ça ne veut pas dire que ça fait monnaie courante. Donc, on est contraint de prendre les bus et nous allons croiser les doigts pour que cette situation n’arrive pas. On ne peut pas ne pas voyager parce qu’il y a des problèmes d’ordre administratif, familial et professionnel. On ne peut pas tout faire au téléphone. On est obligé de se déplacer et dans ce cas, on est contraint de prendre les bus puisque les voitures reviennent plus chères. Les bus sont moins chers et un peu plus sécurisants par rapport aux voitures de 5 places. Nous demandons à ceux qui ont ces bus de prendre des précautions pour nous sécuriser davantage. Que les mesures sécuritaires soient renforcées et qu’ils ne roulent pas à vive allure ».

David Akélé voyageur de Cotonou pour Djougou

« Si ça chauffe,  je saute »

« Quand j’ai vu l’accident de Dassa, je suis dans le choc. On ne souhaite pas, mais quand ça chauffe, je vais casser les vitres et sauter. Pour le moment, c’est ça que je vois comme précaution. Je veux rester à proximité et là en même temps je saute. C’est ça qui est mon idée. Comment on va faire si je ne prends pas un bus… Je propose que les autorités revoient l’état des bus et de donner des formations aux chauffeurs pour que nous soyons tout temps en assurance. »

Crespin Hounwanou,  éleveur

« Je n’ai pas le choix»

« Avec ce qui se passe dans le pays, je crois qu’il faut se méfier d’emprunter ces bus. Je devrais aller faire une formation le samedi dernier à Natitingou mais j’ai dû annuler le voyage après maintes réflexions. Aujourd’hui je veux prendre ce bus parce que je n’ai pas le choix. Je ne peux pas prendre zem, ni ma moto pour aller jusqu’à Parakou. Vous savez, les incidents peuvent subvenir à tout moment et n’importe où mais il faudrait prendre des précautions. Ces précautions commencent déjà par le fait de se méfier et surtout beaucoup prier. Moi particulièrement, je n’ai pas des parents assez loin. Donc je ferai désormais rarement des voyages en commun. J’ai confiance en la sécurité routière de notre pays et aussi en la responsabilité des agences de voyage. Après cet accident de Dassa, les responsables des agences de voyages et le gouvernement ont pris des mesures idoines pour la sécurité des voyageurs. Cela ne rassure pas complètement mais on n’a pas le choix. Quand l’heure de la mort sonne, personne ne peut l’échapper. »

Quelques accidents de bus marquant des 10 dernières années au Bénin

Ces dix dernières années, nous avons comptabilisé pas moins de douze cas d’accidents de bus ayant entrainé des morts et des blessés. Voici la liste de ces cas dramatiques sur les différentes routes du pays.

  • Dans la nuit du jeudi 23 au vendredi 24 février 2023 à Bembéréké à la hauteur de Borè. Un bus de la compagnie “2KTV” a été impliqué dans un accident qui a fait 1 mort, 4 blessés graves.
  • Dimanche 29 janvier 2023, à Dassa-Zoumè. Un bus de la Compagnie Baobab Express a consumé après avoir heurté un camion. Une trentaine de personnes sont mortes dont 22 complètement calcinées.  
  • Vendredi 4 octobre 2022, à Parakou. Un bus d’une compagnie nigérienne impliqué dans un accident qui a fait 9 morts et 25 blessés graves.
  • Vendredi 28 mai 2021, à Glazoué. Un bus de la compagnie de voyage STM a été impliqué dans un accident. Heureusement il n’y a pas eu de perte en vie humaine, mais des dégâts matériels.
  • Samedi 23 février 2019, à Tchaourou. Un bus de la compagnie Confort Lines a été impliqué dans un accident qui a fait plus de 20 morts et des blessés graves.
  • Vendredi 16 juin 2017, à Okounfo, Savè. Une collision entre un bus et un train a fait 4 morts.
  • Dimanche 14 mai 2017, sur l’axe Bohicon-Parakou. Une collision entre deux bus de transport en commun a fait 13 morts (calcinées) et plusieurs blessés.
  • Lundi 13 juillet 2015, à Bantè. Un bus de la Compagnie ‘’Ayina Transport & Tourisme’’ (ATT) a été impliqué dans un accident qui a fait de nombreux cas de blessures graves. Aucune perte en vie humaine.
  • Mercredi 3 décembre 2014, à hauteur de Soubroukou, commune de Djougou. Un bus de la compagnie de transport Amaga est impliqué dans un accident qui a fait au moins 40 morts
  • Mardi 27 août 2013, à Pénessoulou, Commune de Bassila. Un bus de la compagnie Fadel transport est impliqué dans un accident qui a fait 1 mort et une trentaine de blessés.
  • Dimanche 30 juin 2013, à Gouti, commune d’Adjohoun. Un bus de la compagnie Fadel Transport Lines a été impliqué dans un accident qui a fait au moins 6 morts et 44 blessés graves.
  • Dimanche 30 juin 2013, à l’entrée de la ville de Porto-Novo. Un Mini bus immatriculé AK 4337 RB, tombe dans la lagune. Bilan 0 survivant.

La rédaction

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