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Le triomphe de la vérité

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Jean-Pierre A. Edon au sujet du coup d’Etat au Burkina-Faso: « Il s’agit du rejet de la politique française en Afrique »


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L’Ambassadeur, spécialiste des questions internationales, Jean-Pierre A. Edon a fait une analyse de la situation socio-politique dans la sous-région Ouest-africaine notamment sur le dernier coup d’Etat militaire au Burkina-Faso. Selon lui, il s’agit en réalité du rejet de la politique africaine de la France et non du sentiment anti-français. « Constante, cette politique a toujours été la même quel que soit le régime politique en place, au point qu’il n’y a pas de différence notable entre la Droite et la Gauche, s’agissant de l’Afrique », fait-il savoir. Le  diplomate a évoqué plusieurs raisons qui militent en faveur de ce sentiment souvent provoqué par les comportements des autorités de Paris. D’après ses explications, rien n’est encore perdu pour la France en Afrique. « Il lui suffit de se défaire des conceptions surannées datant de la période coloniale, s’adapter à l’évolution des esprits et du monde, rendre plus souples les  conditions d’entrée en France et accompagner les Africains dans leur vision de développement avec des appuis plus fiables, plus adaptés, durables, et leur faire confiance dans le cadre d’une coopération avec des avantages réellement réciproques et relativement équilibrés » propose-t-il. Lisez plutôt.

COUP D’ETAT MILITAIRE AU BURKINA FASO : EXPRESSION DU REJET

DE LA POLITIQUE FRANCAISE EN AFRIQUE FRANCOPHONE

Le 30 septembre 2022, le colonel Sandiago Paul Henri Damiba, l’homme fort du Burkina, a été victime d’un coup de force perpétré par un groupe de militaires comprenant le nouvel homme fort Ibrahim Traoré, un jeune capitaine de 34 ans. La signification réelle de la remise en cause du nouvel ordre de gouvernance en place depuis janvier dernier, permet d’en dégager les causes et de la situer dans son contexte.

A son accession au pouvoir en janvier 2022, le colonel Damiba qui reprochait à son prédécesseur Roch Marc Kaboré renversé le 24 janvier 2022, son incapacité à sécuriser le pays, avait annoncé un délai relativement court pour venir à bout du terrorisme. Au terme de 8 mois de gestion du pouvoir, le bilan sans être entièrement négatif, demeure alarmant et décevant. Les terroristes continuent de dicter leur loi avec de nombreux morts tant civils que militaires. Des zones entières sont isolées, les terroristes ayant détruit les ponts et miné les routes qui s’y mènent. L’armée est amenée à ravitailler en vivres par hélicoptères les populations.

De Janvier à septembre, les djihadistes ont progressé en gagnant davantage de territoire. Selon le récit du nouvel homme fort, le spectacle est désolant, triste et énervant dans certains villages où n’ayant plus de quoi manger, les populations se nourrissent de feuilles d’arbres et d’herbes. A ce jour on compte plus de 2000 morts et 10% de la population déplacés. Pendant ce temps les Autorités de Ouagadougou préfèrent se fier aux partenaires qui durant 9 ans n’ont pas pu combattre le terrorisme djihadiste dans le Sahel, en dépit de leurs équipements lourds, l’importance numérique de leurs hommes et la qualité de leurs services de renseignements.

Les tentatives des jeunes officiers comme le capitaine Ibrahim Traoré pour convaincre le colonel Damiba à avoir recours aux Russes ont été vaines, celui-ci préférant l’assistance des forces Barkhane. Or ces jeunes officiers parlent en tant que témoins sur le front des horreurs causées par les envahisseurs criminels. C’est alors qu’intervient la deuxième raison du coup de force à savoir le rapprochement avec les Français.

Composée de nombreuses organisations, la société civile au Burkina est la plus active, la plus dense et la mieux structurée en Afrique francophone. En même temps qu’elle est le reflet des aspirations légitimes des populations à la base, elle contribue également à la formation de l’opinion publique, de loin mieux que les partis politiques. On lui impute en grande partie, la responsabilité du mouvement populaire qui a mis en déroute en 2014 l’ancien président Blaise Compaoré.

Cette société civile qui est devenue la source d’inspiration des couches sociales burkinabè, y compris l’armée nationale, n’a jamais caché son hostilité à la politique française en Afrique en général, au Sahel en particulier par rapport à la manière dont les forces Barkane mènent les opérations anti-djihadistes.

Or les propos et les comportements du colonel chef de l’Etat trahissaient sa volonté de compter sur les forces de l’ancienne puissance coloniale. L’une des preuves récentes est sa tendance ferme à protéger l’ancien président Blaise Compaoré, voire le soustraire des obligations et contraintes de la justice.

Son arrivée inattendue à Ouaga le 7 Juillet 2022 sans être inquiété, malgré sa condamnation à perpétuité, sous prétexte qu’il est venu assister à une concertation des anciens chefs d’Etat pour la réconciliation, a mis en courroux la population qui continue de regretter l’assassinat de Thomas Sankara. Face au mécontentement populaire l’hôte indésiré a dû raccourcir son séjour et est reparti précipitamment à Abidjan. Il en est de même de la visite d’Etat le 5 septembre 2022, du colonel chef d’Etat en Côte d’Ivoire au cours de laquelle il a eu un entretien avec son prédécesseur en exil.

A travers ces évènements, les Burkinabès stigmatisent la complicité du Président Ouattara et y voient en définitive, la main invisible de la France. Comme il fallait s’y attendre, tous ces faits n’ont fait que renforcer ce qui est qualifié de sentiment anti-français qui n’en est rien. Les francophones d’Afrique aiment bien le peuple français avec qui ils entretiennent des liens historiques et d’amitié séculaires.

Il s’agit en réalité du rejet de la politique africaine de la France et non du sentiment anti-français. Constante, cette politique a toujours été la même quel que soit le régime politique en place, au point qu’il n’y a pas de différence notable entre la Droite et la Gauche, s’agissant de l’Afrique. Plusieurs raisons dont quelques-unes seulement seront évoquées ici, militent en faveur de ce sentiment souvent provoqué par les comportements des Autorités de Paris.

Les causes de l’hostilité à la politique africaine de la France

Le passé colonial pèse encore lourdement en Afrique francophone, surtout au niveau des jeunes générations qui n’ont pourtant pas connu cette période, mais elles en savent beaucoup. Il est communément reconnu que la colonisation française est la mieux réussie, en ce sens qu’elle a entretenu l’aliénation culturelle des colonisés.

Pendant que le système colonial français sapait les bases de la culture autochtone, celui des britanniques au contraire encourageait et favorisait la promotion culturelle de ses colonisés, et s’en servait pour poursuivre aisément la colonisation. En conséquence les langues nationales et autres aspects culturels, sont de nos jours plus développés dans les pays anglophones que chez les francophones. Les actes les plus désolants sont les violences de la conquête, le despotisme de la gouvernance coloniale, et la chair à canon que les Africains ont constitué pendant les deux guerres mondiales etc…

Plus que la colonisation, les actes de la période d’après les indépendances sont assez éloquents. Dans ce cadre, on peut citer la Françafrique, les soutiens aux dictateurs africains qui servent bien les intérêts français, les interventions militaires au profit des protégés, la politique de deux poids deux mesures consistant à accepter pour les uns ce qui est refusé et condamné pour les autres (les cas du Mali et du Tchad), la main de la France que l’opinion publique trouve à tort ou à raison dans nombre de coups d’Etat et d’assassinats comme Sylvanus  Olympio au Togo, Hamani Diori au Niger, Modibo Keita au Mali, le chef de l’UPC Ruben Um NYOBE  et Roland-Félix Moumié au Cameroun, Sankara au Burkina Faso, Kadhafi en Libye etc…

Récents actes désapprouvés par les Africains

Mentionnons également les dernières interventions militaires en Côte d’Ivoire et en Libye, le franc CFA qui enrichit la France, alors que chaque pays anglophone a sa propre monnaie. L’institution du franc CFA rappelle le triste passé colonial. Il est difficile à un pays de se développer s’il n’a pas la maitrise entière et le contrôle total de sa monnaie.

Durant ces dernières trente années, des actes ci-après ont déçu les Africains : la décision unilatérale de la dévaluation du Franc CFA par le premier ministre Balladur en 1994, la déclaration de Chirac en 1990 selon laquelle l’Africain n’est pas mûr pour la démocratie, le discours de Sarkozy à Dakar sur une Afrique jamais entrée dans l’histoire, la décision unilatérale du président Macron de remplacer le CFA par l’ECO sans tenir compte du processus en cours au niveau de la CEDEAO, la déclaration que l’Algérie n’avait pas d’histoire avant la conquête française. Heureusement qu’il a néanmoins reconnu que la colonisation était un crime contre l’humanité.

Cette liste non exhaustive des faits peut être complétée par certaines manifestations que nombre d’observateurs critiquent sévèrement et qualifient de complot. C’est le cas dans la crise malienne, du refus des Français de laisser entrer l’armée malienne à Kidal, Gao et autres localités du Nord, ce qui a permis aux terroristes indépendantistes Touaregs d’occuper le terrain. Cela donne l’impression que les partenaires Barkhane seraient hostiles à l’unité et à la souveraineté du Mali.

Pour les maliens, les français s’entendraient alors avec les terroristes djihadistes pour créer une instabilité régionale qui justifierait leur intervention militaire. C’est dans ce cadre que s’inscrit la récente plainte malienne auprès du conseil de sécurité de l’ONU, relative aux preuves que détiendraient les Autorités de Bamako pour justifier la fourniture par les Français, des armes, des munitions et des renseignements aux djihadistes.

Autres considérations importantes

Une autre situation regrettable, est relative à la main mise sur les immenses ressources naturelles du Sahel et d’autres pays africains. A cela s’ajoute l’arrogance teintée de paternalisme, ainsi que les difficultés et les humiliations rencontrées par les ressortissants des ex- colonies françaises pour avoir des visas d’entrée dans le pays qui était considéré comme leur deuxième patrie. Ces difficultés sont très mal comprises par les étudiants désireux d’aller étudier en France. C’est la raison pour laquelle les jeunes africains vont de plus en plus au Canada, en Russie, en Turquie et ailleurs pour acquérir des connaissances et une bonne formation.

Mieux l’opinion publique africaine supporte mal et ne comprend pas une information persistante en circulation ces dernières années, selon laquelle depuis leur indépendance, les pays francophones ont l’obligation de reverser à l’ancienne puissance coloniale, 10% de leurs recettes d’exportations annuelles, à titre de remboursement des coûts des infrastructures construites par la France pendant la colonisation.

Voilà autant de faits qui traumatisent les jeunes générations et alimentent le sentiment anti-français. Tel est le sens des attaques des intérêts français à Bobo-Dioulasso, à Ouagadougou et le brandissement du drapeau russe par les manifestants soutenant le coup d’Etat du 30 septembre 2022.

Loin d’être naïfs, les Africains sont conscients de ce que la Russie n’est pas un pays philanthrope, n’a pas autant de moyens économiques et financiers que les occidentaux et qui plus est, défend ses intérêts comme toutes autres nations. Mais leurs initiatives actuelles visant la diversification des partenaires, sont orientées par la nécessité d’essayer de nouvelles expériences, celles faites avec les partenaires traditionnels, notamment la France, n’ayant pas donné les résultats escomptés. L’une des illustrations éloquentes est la situation sécuritaire dans le Sahel, et l’état de pauvreté de ses ex-colonies.

Approche de solution possible

La meilleure approche de solution à ce problème, passe par la révision du fond en comble de la politique africaine de la France. Il ne sert à rien d’en tenir responsables la Russie, la Chine, la Turquie qui ne font que profiter d’une situation favorable trouvée en Afrique. Il faudra dorénavant traiter d’égal à égal avec ces pays, remplacer les injonctions unilatérales par l’écoute, mettre fin au paternalisme et tenir compte de ce que la nouvelle génération est éveillée, et n’est pas prête à endosser ce que leurs ainés ont accepté sous des contraintes.

 Dans cet ordre d’idées s’inscrit la nécessité pour la France de reconnaitre les crimes de la colonisation, d’en présenter les excuses comme l’a fait l’Allemagne tout récemment pour ses massacres des communautés herero et nama en Namibie avec promesse de compensation financière, et de rompre avec la Françafrique. Abondant dans le même sens, l’anthropologue français, professeur à l’EHESS de Marseille, Monsieur Olivier de Sardan pense aussi que le changement de la politique française en Afrique doit être profond et non cosmétique.

Dans l’immédiat la France devra rendre ces pays autonomes sur le plan monétaire, ne ménager aucun effort pour rétablir par tous les moyens la sécurité au Sahel et dans les pays côtiers du Golfe de Guinée. A défaut de ces dispositions, un coup de force comme celui de Ouagadougou peut se reproduire encore dans d’autres pays de la zone et contribuera à renforcer davantage ce sentiment anti-français qui, à moyen terme peut connaitre un développement inattendu. Il n’est plus limité aux seuls pays francophones, les anglophones tels que le Nigéria et l’Afrique du Sud, en font déjà un objet de combat en guise de lutte contre le neo-colonialisme et de soutien aux ex- colonies françaises.

L’occasion est propice pour poser la question de savoir pourquoi l’on ne parle pas aujourd’hui de sentiment anti-britannique, anti-portugais, anti-espagnol ? N’est-il pas dû à la grande marge de manœuvre, à la meilleure dépendance et au type de relations dont jouissent ces ex- colonies par rapport à leurs anciennes puissances coloniales ?

 Dans son éditorial du 3 Octobre 2022, consacré au discours du premier ministre malien par intérim, le colonel Abdoulaye Maiga aux Nations-Unies, prononcé le 24 septembre 2022, le Directeur de la rédaction de Jeune Afrique, François Soudan, malgré sa désapprobation des propos de Maiga à New-York, a répondu à la question en disant que si l’on ne parle pas de sentiment anti-portugais, ni anti-britannique « c’est parce que ces ex-puissances ont su gérer leur départ dans la discrétion et la non-intervention ».

Perspectives d’avenir pour un nouveau paradigme

Rien n’est encore perdu pour la France en Afrique. Il lui suffit de se défaire des conceptions surannées datant de la période coloniale, s’adapter à l’évolution des esprits et du monde, rendre plus souples les conditions d’entrée en France et accompagner les Africains dans leur vision de développement avec des appuis plus fiables, plus adaptés, durables, et leur faire confiance dans le cadre d’une coopération avec des avantages réellement réciproques et relativement équilibrés. Tout ceci n’étant possible qu’en période de paix, la France doit alors s’investir davantage et sincèrement dans la préservation de la paix et de la sécurité partout en Afrique et surtout dans ses ex- colonies où la paix est aujourd’hui perturbée. Ce changement de paradigme est simple et faisable pour peu qu’il y ait la volonté politique. En tout état de cause, telle est la voie à suivre si le pays des Gaulois ne veut pas voir l’Afrique lui échapper, comme ce fut le cas de ses ex-colonies en Asie.

Jean-Pierre A. EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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