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Le triomphe de la vérité

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Financement : La méfiance des banques contre l’agriculture ne faiblit pas


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Une ferme agricole

Les banques sont toujours réticentes à financer le secteur agricole, malgré les efforts de l’Etat béninois. Certains experts demandent carrément de nouvelles politiques pour rompre avec cette méfiance structurelle qui paralyse les petits producteurs.

« Je n’ai pas bénéficié d’un accompagnement bancaire pour m’installer ». Dans sa ferme située à Pahou (35km de Cotonou), Sessi Hyppolite Yobodo reste dubitatif quant à la volonté des institutions financières béninoises à intervenir dans le secteur agricole. « Je connais un peu le secteur agricole depuis mon enfance et je sais que c’est un secteur à haut risque…», ajoute ce jeune agriculteur. Résultats, il a démarré sa ferme de deux hectares sur fonds propre et ne le regrette pas.  Idem pour Gandaho Pie Savin, docteur en agronomie, enseignant à l’université d’Agriculture de Kétou. Dans sa ferme situé dans l’arrondissement de Zinvié, dans la commune d’Abomey-Calavi, il fait non seulement de l’agriculture mais aussi de l’élevage et de la transformation agricole. Mais il rectifie : « J’ai pu recourir à la banque parce que j’avais un marché dans un projet de l’Etat et le capital me manquait pour libérer les articles qu’ils ont demandés. » Un concours d’environ 8 millions de FCFA lui a été accordé, lui permettant de livrer les produits commandés, avec une certaine marge bénéficiaire. Ce succès l’a alors encouragé à solliciter un nouveau crédit qui lui a été accordé. « Mais les taux d’intérêt sont un peu élevés, ce qui fait que l’agriculteur qui n’a pas une certaine assise, doit être bien organisé pour pouvoir solder dans les délais », reconnait-il.   Ce taux d’environ 22%  l’an, n’est pas bien différent de celui des crédits commerciaux.

Des banques réticentes

Au Bénin, les banques ne font pas une situation particulière au secteur agricole. En l’absence d’une banque spécialisée, les producteurs sont obligés de  se tourner vers celles existantes qui sont orientées prioritairement vers  l’import-export. Dans ce cadre, les négociants de produits tropicaux ainsi que les importateurs d’engrais, bénéficient régulièrement du concours des banques pour financer contrats qu’ils signent avec leurs partenaires étrangers. Mais là encore, les décisions politiques sur les prix des produits agricoles ont un impact régulier sur les remboursements. Par exemple, début février 2022, le gouvernement béninois a interdit l’exportation des produits alimentaires, en vue de lutter contre l’inflation galopante. Cette mesure a bouleversé les prévisions de vente des producteurs et créé des difficultés de remboursement. « Il y a des coopératives agricoles qui prennent le crédit, détournent son objet de départ en se partageant l’argent », révèle un chef d’agence bancaire qui a requis l’anonymat. A tout cela s’ajoutent les aléas climatiques et l’adoption de mauvaises pratiques culturales. Or, pour disposer du matériel végétal, des engrais, des ouvriers ou des équipements techniques nécessaires, il faut beaucoup de moyens dont la plupart des producteurs ont de la peine  à se procurer à temps. Il en est ainsi de la production de l’ananas, une des spéculations dont le Bénin s’est fait  le champion depuis quelques années. Seulement, le cycle de l’ananas est de 18 mois. « Mais dans la réalité, c’est plus que18 mois, parce que c’est fondamentalement de la production pluviale que nous faisons au Bénin », rappelle Bernard S. Gbèlidji, président de la   Fédération Nationale des Coopératives de Producteurs d’Ananas Villageois du Bénin (FENACOPAB).  « Quand vous avez des pluies qui deviennent irrégulières, ça vient allonger le cycle de production de l’ananas. Quand le producteur n’a pas les moyens à temps pour se donner les intrants à temps, le cycle se rallonge», dit-il.

Il faut des bases solides

Les banques classiques exigent des garanties solides, sans compter le fait que les taux d’intérêt sont jugés prohibitifs par les producteurs. C’est pourquoi une bonne partie d’entre eux se tournent vers les institutions de microfinance qui leur offrent des conditions de remboursement flexibles.  Celles-ci tiennent compte des cycles de production pour établir l’échéancier de remboursement.  « Mais il faut toujours sous-estimer ses prévisions de vente avant de solliciter un crédit et  surtout disposer d’un peu d’économie personnelle, parce que la mise en marché de nos produits est une grande problématique, surtout par rapport à l’ananas », assure Bernard S. Gbèlidji. « Généralement, les banques béninoises n’accompagnent pas les producteurs», se plaint un fermier installé à Sakété, dans le département du Plateau. Ayant sollicité un concours bancaire, le crédit n’a pas été débloqué à temps, les bâtiments inachevés qu’il a érigés avec le financement partiel octroyé, sont devenus des éléphants blancs.  « Ils n’ont pas débloqué tout ce qui est prévu, c’est resté là et les échéances nous ont rattrapés », avoue-t-il, espérant que la situation se décante après plusieurs mois d’attente. « Les producteurs agricoles ne sont pas très bien structurés, alors que la banque veut être sûre de maîtriser le risque avant de remettre l’argent d’autrui comme crédit », tempère Assani Nouroudine, cadre de banque exerçant à Cotonou. Lorsque la banque est en face d’un plan d’affaires bien précis assorti d’une clientèle bien maitrisée et bien connue, elle débloque facilement les crédits, indique-t-il. En réalité, les entreprises agricoles ne remboursent pas moins bien que les autres débiteurs des banques, assure Dieudonné Tognissè, chef service exploitation et développement à la Coopérative d’épargne et de crédit des Assemblées de Dieu du Bénin, une institution de microfinance de type confessionnel. Il note au contraire que les impayés commerciaux sont même plus élevés que les impayés agricoles.

Le gouvernement tente d’agir

Depuis l’année dernière, le gouvernement béninois a mis en place le Fonds national pour le développement agricole (FNDA) doté de 100 milliards de FCFA.  Il s’agit en réalité d’une garantie qu’offre l’Etat aux entreprises désireuses d’emprunter jusqu’à 500 millions de FCFA auprès d’une dizaine de banques, à un taux annuel de 9%.  Pour beaucoup d’acteurs, même s’il s’agit d’un effort appréciable, l’Etat se doit d’aller plus loin pour accompagner les producteurs. « Nos gouvernants n’ont même pas conscience que c’est de leur devoir d’agir sur les banques, de contrôler leurs activités de crédit et de leur imposer des résultats et ratios à atteindre dans le financement de nos économies et des ménages », s’insurge Jaurès James Sogbossi, responsable d’une entreprise de promotion industrielle. De fait, selon les chiffres de la Banque Mondiale, le ratio crédit intérieur/PIB au Bénin était de 15,5% en 2020, contre 21,1% en Côte-d’Ivoire, 26,5% au Togo et  124,1% au Canada. Ce qui fait dire à Idriss Linge, rédacteur en chef de l’Agence Ecofin, que les standards internationaux de gestion des risques doivent être questionnés. « Les banques de l’UEMOA ont aujourd’hui suffisamment de ressources pour soutenir l’agriculture », affirme-t-il. Pour lui, en limitant les crédits agricoles selon les normes de gestion actuelles, ce sont des milliers de producteurs agricoles, d’éleveurs de de pêcheurs qui sont privés de financement. Or, en période de crise, ce sont ces producteurs qui se révèlent être  les piliers de la résilience économique au sein des Etats.

Olivier Allotchémè

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