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Le triomphe de la vérité

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Ambassadeur, Jean-Pierre A. EDON sur le discours de Talon: L’Analyse de la réforme du droit de grève présentée aux entrepreneurs français


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Dans son intervention devant les entrepreneurs français le 30 août dernier, le chef de l’Etat, Patrice Talon s’est exprimé sur la restriction du droit de grève au Bénin. Pour l’Ambassadeur, Jean-Pierre A. EDON spécialiste des questions internationales, les propos du Chef de l’Etat, seront difficilement compris et peut-être inadmissibles. Dans sa réflexion sur ce sujet, il a précisé les raisons qui ont motivé le gouvernement à entreprendre cette réforme, ses effets et l’esprit de base de la grève, son application dans le contexte béninois et des réflexions sur le contexte africain. A en croire, le diplomate, les interlocuteurs de Patrice Talon évoluent dans un environnement, un pays où les mouvements populaires et syndicaux depuis 1789 notamment et à nos jours, ont permis de résoudre beaucoup de préoccupations politiques et sociales.

ANALYSE DE LA REFORME DU DROIT DE GREVE PRESENTEE AUX ENTREPRENEURS FRANÇAIS

L’évènement qui défraie la chronique ces derniers jours, est la rencontre du chef de l’Etat le 30 Août 2022 à Paris avec les entrepreneurs français. L’objectif était de susciter des investissements pour le développement du Benin. A cette fin, une brève description de l’assainissement du climat des affaires béninois a été faite, de même que des mesures légales en vigueur pour règlementer le droit de grève.

 Une bonne compréhension de la restriction de cette liberté syndicale voudrait que la question soit située dans son contexte. Autant des insuffisances et exagérations ont été relevées dans les pratiques du droit de grève au Benin, autant il est souhaitable que le pouvoir favorise à l’avenir la manifestation du mécontentement des travailleurs et examine d’un regard bienveillant leurs doléances.

Les raisons de la réforme du droit de grève

Durant la rencontre, le chef de l’Etat a notamment déclaré : « …Dans les autres secteurs, la grève est limitée à deux jours maximum par mois et à dix jours par an ». Evoquant les raisons qui justifient cette limitation, il s’est référé aux déclarations dangereuses faites par les partenaires sociaux au cours d’une séance de travail tenue avec eux en 2016.

A cette justification, on peut ajouter les actions syndicales remontant à un passé récent. Il s’agit des mouvements de grève fréquents de 24 à 72 heures qui deviennent illimités et quelquefois sans service minimum. Aussi a-t-on assisté à des cessations de travail de 1 à 4, voire 6 mois, à des grèves dites perlées.

 Restés sans travailler pendant des semaines ou des mois, les travailleurs revendiquaient les salaires non mérités. Les défalcations qui y sont faites au prorata des jours de cessation de travail, étaient inacceptables et devenaient objet de revendications. Or il est généralement convenu que celui qui n’a pas travaillé, n’a pas droit au salaire. Les émoluments ne tombent pas du ciel, ils proviennent des richesses produites par le travail.

Dans beaucoup de pays au monde, surtout les pays développés, les jours de grève sont automatiquement défalqués des salaires et le travailleur gréviste l’accepte très volontiers, sachant qu’il ne mérite pas sa totalité. Mais au Benin, on s’en faisait une autre compréhension. On est heureux d’être en cessation volontaire de travail, sachant que malgré tout, la perception de la totalité du salaire est garantie.

Le travailleur béninois oublie volontairement que son pays sans ressources du sous-sol, n’a que des moyens limités et son budget est essentiellement fiscal. Tout se passait dans ce pays comme si le syndicalisme était au-dessus du Gouvernement, une situation ressemblant à l’anarchie mais attribuée à tort à la démocratie.

Dans cette perspective, les restrictions au droit de grève évoquées à Paris par le Président de la République, restrictions à revoir plus tard en vue de son amélioration, étaient une réponse au dérapage grave constaté dans l’exercice de ce droit. Le Bureau International du Travail (BIT) à Genève reconnait et milite, certes, en faveur du droit de grève, mais ses documents fondamentaux précisent néanmoins qu’il revient à chaque pays d’en réglementer la jouissance. Il n’y a donc pas une règlementation universelle de la gestion de la grève.

Toute action entrainant une réaction, les limitations au droit de grève peuvent être considérées comme une réaction à l’action syndicale consistant à en abuser. Les raisons évoquées par le chef de l’Etat à la suite de cette rencontre avec les partenaires sociaux en 2016, en sont une preuve.

Effets de la réforme et l’esprit de base de la grève

Depuis ces dernières années, quel parent d’élèves n’est-il pas heureux de voir ses enfants suivre les cours sans interruption durant toute l’année scolaire ? Les enseignants eux- mêmes ne sont-ils pas fiers de terminer dans le temps les programmes d’enseignement et satisfaits des résultats aux examens ? La population qui était prise en otage par les grèves intempestives ne se sent-elle pas à l’aise aujourd’hui ? Quel citoyen n’est-il pas satisfait du fonctionnement sans entrave des régies financières qui alimentent le budget national ? Et quel Béninois n’apprécie-t-il pas la cessation des cas de morts dans les hôpitaux publics provoqués par le manque de service minimum etc… ? En fait le dialogue est plus indiqué pour trouver des solutions aux problèmes des travailleurs. La grève est une ultime arme lorsque tout est bloqué, mais elle perd sa valeur quand elle devient longue et fréquente avec quelquefois, une connotation politique.

Lorsque, pour des raisons de force majeure la grève s’impose, elle ne saurait être illimitée ni perlée. Au Japon par exemple comme dans certains pays asiatiques aujourd’hui développés, il est rare que des mouvements de grève durent plusieurs jours ; c’est souvent quelques heures de manifestations au cours de la journée. Et cela suffit pour que l’employeur reste sensible aux revendications des travailleurs.

La situation à laquelle le pays était confronté avant 2016, était un abus, une politisation du syndicalisme, une mal compréhension des libertés démocratiques. Malheureusement, toute la classe politique évoluait de cette manière. Il est même arrivé que le personnel d’un ministère de souveraineté ait déclenché un mouvement de grève le jour où arrivait en visite au Benin, le pape Benoit XVI.

On est passé d’un extrême à l’autre : de la privation des libertés pendant la période révolutionnaire, à leur ouverture totale et incontrôlée sans limite, à l’ère du renouveau démocratique. Face à cette situation qui affaiblissait l’Etat et son autorité (bien sûr, d’autres facteurs concouraient aussi à ce résultat), il s’avérait alors necessaire de prendre des mesures appropriées en vue de la consolidation de la force de l’Etat, tout en préservant les principes fondamentaux de la démocratie.

Un Etat faible est appelé à évoluer à terme vers l’échec. Pour son développement, un pays pauvre comme le nôtre a besoin d’être doté d’institutions fortes pendant une période de son évolution. Sinon comment comprendre que dans un passé récent, des citoyens se disant politiques se permettaient de proférer des injures en public contre la Haute Autorité, une institution de l’Etat. De ce point de vue, la loi sur le numérique, quoique très sévère et devant alors être assouplie à court terme, a permis de réglementer, dans une certaine mesure, les libertés d’opinion et de presse qui s’exerçaient d’une manière inquiétante et populiste.

L’occasion est propice pour évoquer ici l’opinion d’un chef d’Etat africain qui, à la fin de sa visite officielle au Benin en 2013, confiait à son homologue béninois ce qui suit : « Monsieur le président et cher frère, dans votre pays il y a excès de démocratie ». Cette appréciation découle disait-il de sa lecture de quelques journaux béninois et du suivi d’une émission publiée par une chaine de télévision privée.

La réaction de ce chef d’Etat fait réfléchir sur notre manière de concevoir la démocratie. De la conférence nationale à 2016, le Béninois développait des attitudes qui travestissaient le concept de la démocratie, ignorant à tort que toute chose a des limites. Par exemple, au lieu de faire des critiques, on prononce des injures contre les dirigeants, comme si les deux termes sont des synonymes. Ce dérapage qui n’est pas l’expression de la démocratie, mais plutôt celle de l’anarchie ou du populisme, devrait être rectifié.

La réforme dans le contexte béninois

Devant le parterre des entrepreneurs français, les propos du chef de l’Etat relatif au droit de grève seront difficilement compris et peut-être inadmissibles, en ce sens que ses interlocuteurs évoluent dans un environnement, un pays où les mouvements populaires et syndicaux depuis 1789 notamment et à nos jours, ont permis de résoudre beaucoup de préoccupations politiques et sociales.

 Mieux la France est le pays de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Cette déclaration définit des droits naturels et imprescriptibles que sont la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l’oppression. Elle reconnait l’égalité devant la loi et la justice et affirme le principe de la séparation des pouvoirs.

La compréhension qu’il convient de faire des propos du président à Paris, ne peut être saisie que si l’on situe la question dans le contexte béninois qui est différent de l’environnement français. Le chef de l’Etat l’a, du reste, souligné en disant qu’il est « sûr que son expérience ne peut pas prospérer en France ». Cette remarque permet d’émettre à cette occasion un avis sous forme d’interrogations à l’attention des intellectuels africains.

La matière à réflexion dans le contexte africain

Nos pays peuvent-ils gérer la démocratie de la même manière que le font les pays développés qui dans ce domaine ont plus d’expériences que les jeunes Etats de notre continent ? L’environnement et la culture africaine étant différents de ceux des pays avancés, est-il possible de réussir la gestion de la démocratie sans adapter ses principes fondamentaux aux réalités des milieux africains ? Est-il facile aux pays africains encore pauvres avec une population largement analphabète de pratiquer ce système politique de gouvernement dans les conditions que le font les vieilles démocraties occidentales ?

Les difficultés constatées dans la pratique de ce système politique, la récente résurgence des coups d’Etat militaire mettant en cause l’ordre constitutionnel, et la volonté de certains chefs d’Etat à s’éterniser au pouvoir, ne sont-elles pas des signes indicateurs de la nécessité de repenser ce système de gouvernement pour l’Afrique, comme l’a fait la Chine qui se réclame aussi de la démocratie avec son socialisme de marché ?

Mieux, nous vivons dans un continent où le choix du candidat aux élections ne dépend pas forcément du programme de société du compétiteur, ni du bilan de l’élu en fin de mandat qui cherche à être reconduit dans ses fonctions, mais plutôt, des considérations subjectives tels que le fils du terroir, l’appartenance ethnique et le pot de vin important, soit en nature, soit en espèces. Ces constats incroyables dans d’autres cieux, mais d’une réalité évidente en Afrique, interpellent tous les africains jeunes ou non, intellectuels comme les gardiens de nos coutumes et traditions. Il s’agira de convenir d’un système démocratique authentique, prenant en compte le niveau actuel de développement, la culture et l’histoire africaine.

A la rencontre avec les entrepreneurs français, le Président a reconnu la réalité du recul de la démocratie au Benin, mais il l’a justifié comme un sacrifice pour le développement. Cette appréciation de la situation rappelle le cas de certains pays de l’Asie du Sud-Est devenus aujourd’hui émergents. Dans leur processus de décollage économique, ils ont connu une période difficile caractérisée par l’autoritarisme orienté vers l’édification méthodique des bases d’une économie prospère, avec toutefois une attention soutenue aux questions sociales. Mais au fur et à mesure que se réalisaient les progrès dans différents domaines, les normes démocratiques avaient été progressivement rétablies. C’est peut-être le cheminement qui sera aussi celui du Benin dans son processus de reconstruction nationale.

L’analyse synthétisée en guise de conclusion

Pour revenir à la restriction portée à l’exercice du droit de grève, il faut honnêtement reconnaitre que cela relève des comportements déplorables connus par le passé, à savoir l’adoption des positions extrémistes quelquefois irréalistes, l’organisation des mouvements subversifs et déstabilisateurs, le manque de flexibilité tactique et de concessions stratégiques nécessaires pour le succès de toute négociation.

Dans ces conditions, un régime politique soucieux de l’ordre, de la discipline, du respect des lois, et déterminé à conduire son pays vers le développement, n’a d’autre choix que de prendre des mesures légales pour s’assurer un climat de gouvernance paisible. Sinon le pays serait ingouvernable. La loi sur la grève, située dans son contexte béninois, peut être ainsi interprétée. Il est évident et certain qu’avec le temps, elle sera révisée dans le sens de son amélioration pour mieux la conformer aux normes démocratiques, de même que celle relative à l’embauche qui, dans sa version actuelle, consacre la précarité de l’emploi et accorde beaucoup d’avantages et de pouvoir à l’employeur, au détriment de l’employé.

Pendant plusieurs années, on s’est mal servi de l’arme qu’est la grève comme l’ultime moyen de lutte à la disposition du travailleur. Son utilisation a été abusive, démesurée, et quelquefois détournée à d’autres fins inavouables, en complicité avec une certaine classe politique. Il faut espérer que des enseignements utiles seront tirés des expériences du passé, pour un meilleur usage du droit de grève à l’avenir. Du côté gouvernemental, il est attendu un effort pour la relecture des textes légaux querellés, dans le sens d’une bonne libération des actions syndicales, et de la garantie de la sécurité de l’emploi.

Jean-Pierre A. EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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