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Le triomphe de la vérité

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Jean-Pierre Edon sur la disparition tragique de Patrice Lumumba: « La vérité est têtue, elle finit toujours par se révéler »


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L’Ambassadeur Jean-Pierre A. Edon,

Le diplomate Jean-Pierre A. Edon, Spécialiste des questions internationales a fait une analyse des attitudes des autorités belges d’aujourd’hui par rapport à la disparition tragique du héros de l’indépendance congolaise. Dans son analyse, l’Ambassadeur est revenu sur les circonstances obscures de l’assassinat du père de l’indépendance congolaise et les enseignements à tirer sur les attitudes des uns et des autres. pour lui, quel qu’en soit les manouvres orchestrées, la vérité finira pas sortir.

APPRECIATION DES ATTITUDES DES AUTORITES BELGES D’AUJOURD’HUI PAR RAPPORT A LA DISPARITION TRAGIQUE DU HEROS DE L’INDEPENDANCE CONGOLAISE

Au cours de la cérémonie officielle de remise de la relique de l’héros national Patrice Lumumba à sa famille et aux Autorités congolaises le 20 Juin 2022 à Bruxelles, en dehors de l’intervention douloureuse de la fille de Lumumba, le discours du premier ministre belge, Monsieur Alexander De Croo, a particulièrement retenu l’attention.

Autant les mots prononcés par la représentante de la famille Lumumba étaient émouvants, profonds, tristes et attendus, autant le discours du premier ministre belge était empreint de vérité, de regrets, d’humanisme, surtout surprenant et inattendu de par sa profondeur, son caractère engagé et progressiste. Ses propos dont ci-dessous cité un passage, mérite une analyse attentive. Il déclarait en substance que :

« Enfin, ce mot est sur toutes les lèvres ce matin, et par enfin, nous entendons trop tard, en réalité beaucoup trop tard. Car il n’est pas normal que la dépouille de l’un des pères fondateurs de la nation congolaise ait été conservée six décennies durant par les Belges. Il n’est pas normal que la dépouille de l’un des pères fondateurs de la nation congolaise ait été conservée pendant six décennies dans des circonstances obscures, jamais vraiment élucidées, mais qui est la lumière de ce qui est connu, ne fait pas notre fierté. Plusieurs ministres du gouvernement belge de l’époque portent en conséquence une responsabilité morale quant aux circonstances qui ont conduit à ce meurtre. C’est une vérité douloureuse et désagréable, mais elle doit être dite.

Un homme a été assassiné pour ses convictions politiques, ses propos, son idéal. Pour le démocrate que je suis, c’est indéfendable. Pour le libéral que je suis, c’est inacceptable. Pour l’humain que je suis, c’est odieux… ».

Ce discours qui ne dit pas tout, est néanmoins courageux et honnête. Courageux en ce sens que le premier ministre a été direct dans son désaccord avec les Autorités de son pays à l’époque des faits. Il n’a pas hésité à leur attribuer la responsabilité morale des conditions de ce meurtre. Il s’est, en fait désolidarisé d’elles, du fait que leur politique a favorisé l’assassinat de l’homme d’Etat congolais pour ses convictions politiques, ce qui pour lui est indéfendable, inacceptable et odieux.

Honnête, le premier ministre l’a été par le fait qu’il a dit tout haut, ce que beaucoup de régimes démocratiques occidentaux pensent tout bas. Ils ne l’expriment pas clairement, ni à haute voix, de crainte de compromettre la Belgique qui en réalité n’est ni différente, ni pire qu’eux-mêmes. La solidarité au sein du groupe, recommande le silence coupable. C’est à cela que le monde, et l’Afrique en particulier ont assisté depuis 61 ans.

 Voilà pourquoi cette déclaration du chef du gouvernement belge ne saurait laisser indifférent tout africain épris de paix et de justice, désireux de conduire vers le progrès économique et social, son pays libéré du joug colonial et néo-colonial. De cet évènement marquant des relations internationales contemporaines, se dégagent quelques enseignements qu’il convient d’évoquer sommairement à cette occasion.

Les enseignements

La vérité est têtue, elle finit toujours par se révéler et s’imposer, quelles que soient les mesures drastiques prises pour l’étouffer. Elle est patiente, résistante, durable et peut mettre des décennies pour se manifester.

La preuve en est que l’assassinat qui a été caché, enrôlé d’une discrétion totale avec des montages mensongers de nature à tromper la vigilance des citoyens congolais et du monde, a fini par se révéler et se confirmer six décennies plus tard. Aujourd’hui tout le monde est convaincu des conditions atroces, macabres et inhumaines de ce meurtre, et de la dissolution de la dépouille, à l’exception d’une dent, dans un tonneau rempli d’acide sulfurique.

De cette analyse découle une autre idée, à savoir que, tout ce que l’homme fait de mauvais en cachette, n’est peut- être pas su de tous les êtres humains, mais il est parfaitement connu de Dieu, notre créateur, le juge qui a le dernier mot. Il est alors conseillé à l’homme d’avoir la crainte de dieu qui permet d’éviter l’exécution  des actes atroces, inhumains, égoïstes, contraires à la morale et à l’éthique.

C’est la raison pour laquelle l’orateur considère que les autorités de son pays au moment de cet acte mortel en portent la responsabilité morale. Dans cet ordre d’idées s’inscrivent également les regrets exprimés par le roi belge au peuple congolais, du fait des sévices, maltraitance, traitements inhumains et dégradants qui étaient le lot des congolais pendant cette longue période de colonisation.

Une autre considération instructive est relative à l’humilité, la tolérance et l’esprit du pardon qu’il convient d’avoir dans la société. Tout pouvoir corrompt, aveugle, rend facilement autocrate si l’on n’y prend garde. Cette dérive peut être évitée pour peu que l’on soit humble et adepte de l’amnistie. L’humilité précédant la gloire, on y gagne beaucoup. Par le meurtre de Lumumba, les autorités belges de l’époque ont manqué d’humilité en faisant prévaloir l’orgueil et les intérêts égoïstes.

Priver la vie à un citoyen à cause de sa conviction politique et de ses idées, n’empêche pas la propagation et la défense de ses idées après sa mort. La preuve en est qu’aujourd’hui encore, nombreux sont les politiciens congolais et africains qui s’inspirent des œuvres et idéaux de ce grand personnage. Certes, l’être humain est mortel, mais ses idées et la cause juste qu’il défend, sont immortelles et se transmettent de génération en génération.

 A la réécriture de l’histoire du Congo, les œuvres, les idées et la lutte militante de Lumumba occuperont une place de choix. Cela est inévitable dans la mesure où l’histoire a déjà commencé par acquitter ce héros national. L’une des illustrations en est le mausolée gigantesque et digne où depuis le 30 juin 2022, repose à Kinshasa la relique de sa dépouille. Il en est de même des regrets exprimés par le roi belge, ainsi que la déclaration du premier ministre. Par ces attitudes admirables, ces deux autorités belges ont, à juste titre, choisi d’aller avec humilité dans le sens de l’histoire.

Une autre leçon découlant de cette malheureuse situation, nous enseigne que la domination, l’assujettissement et l’exploitation de l’homme par l’homme, ont toujours une fin ; c’est la loi de la nature. Le réveil des opprimés est inévitable et devient irréversible dès qu’il se produit. Un regard rétrospectif de l’histoire du monde durant ces deux derniers siècles, permet de s’en convaincre.

Une opinion et perspectives d’avenir

En dépit de tout ce qu’on pouvait reprocher à l’ancien empire colonial, la sagesse recommande que les actes et propos du roi belge Philippe et du premier ministre de la Belgique au sujet la République Démocratique du Congo, durant le mois de juin 2022, soient salués. Ces initiatives sont louables mais insuffisantes, eu égard aux dégâts et préjudices causés par la domination belge et l’interruption brutale, criminelle de la vie du père de l’indépendance.

 Il serait souhaitable qu’il soit envisagé une formule de consolation symbolique en faveur tant de l’Etat congolais que de la famille de Lumumba. On espère que la sincérité et les excuses que l’homme d’Etat Alexander De Croo a exprimées dans son discours, seront traduits dans les faits, à travers l’établissement des relations de coopération de type nouveau entre Kinshasa et Bruxelles.

L’assistance annoncée par le roi belge pour la stabilisation de la situation sécuritaire dans l’Est du pays, est vivement attendue. Du côté de la classe politique congolaise, en cette période de guerre déclenchée par les rebelles de M23 et de l’ADF, il est attendu une union sacrée pour faire efficacement face à ce conflit. Bien que les élections présidentielles soient proches, ce n’est pas le moment de chercher à tirer un profit politique de cette crise, en imputant l’insécurité actuelle à la responsabilité du président Tshisekedi qui ne fait que gérer une situation ancienne remontant à plusieurs années.

Le patriotisme et l’amour du pays voudraient que toutes les sensibilités politiques de la mouvance présidentielle et de l’opposition, se dressent comme un seul homme derrière le Chef de l’Etat pour repousser avec succès les assaillants et leurs alliés étrangers. Il est temps que le Congo démocratique connaisse la paix et puisse jouir de ses richesses pour son développement qui aura des retombées dans d’autres pays africains.

C’est le moment de poser la question de savoir pourquoi d’autres nations naturellement riches et ayant aussi connu la colonisation, comme les pays pétroliers du Moyen-Orient et certains Etats de l’Asie du Sud-Est, se développent mieux dans la paix, sur la base de leurs ressources naturelles, que les pays riches de l’Afrique noire, à l’exception de l’Afrique du Sud ? C’est une matière à réflexion qui nécessite la contribution de tout le monde.

Mais d’ores et déjà, on peut dire que cette situation met malheureusement en exergue les travers, les cruautés et le jeu d’intérêt des grandes puissances, au mépris des populations locales, avec naturellement la complicité des leaders africains corrompus et égoïstes. Ces derniers, sans  vision et désireux de garder coûte que coûte le pouvoir pendant longtemps, en portent la responsabilité. En effet, l’histoire nous apprend que l’assassinat du regretté Patrice Lumumba et le pillage des ressources naturelles du Congo, ne seraient pas possibles, ni méthodiquement organisés, sans la complicité de la classe politique et des leaders congolais.

Jean-Pierre A. EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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