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Le triomphe de la vérité

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Résurgence des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest: Un diplomate béninois évoque les raisons


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Dans une nouvelle tribune,  Jean-Pierre A. Edon Ambassadeur béninois, spécialiste des questions internationales réagit à propos des coups d’Etat enregistrés ces derniers temps dans la sous-région Africaine. Il en conclura ceci : « La résurgence des coups d’état militaires à l’ère du processus démocratique, est à la fois la conséquence de la gestion maladroite et opportuniste de la démocratie, et l’expression de l’échec de la classe politique. Mais l’espoir est encore permis pour l’avenir. » Lisez plutôt.

Une opinion de Jean-Pierre A. EDON Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

                 « LA RESURGENCE DES COUPS D’ETAT MILITAIRE EN AFRIQUE DE L’OUEST »

En quelques mois est réapparu un temps que l’on croyait révolu, une répétition de l’histoire. Il s’agit de l’intervention des forces armées dans la gestion des affaires publiques, rompant ainsi l’ordre constitutionnel en cours. Peut-on l’interpréter par leur penchant pour le pouvoir politique ? Si non que peuvent en être les explications et l’analyse prospective de cette situation ?

A la faveur des conférences nationales de 1990 qui ont inauguré l’ère du processus  démocratique, les militaires ont pris l’engagement de retourner à la caserne pour se consacrer à leur mission traditionnelle, ce qui a été  bien apprécié et favorablement accueilli par la population et la classe politique.

Trente ans après ce repli volontaire, les hommes en uniforme ont fait l’amer constat de l’échec de la bonne gouvernance par les Autorités civiles qui se sont succédé au pouvoir depuis un peu plus de trois décennies. Ils ont senti la nécessité d’apporter leur contribution à la sécurité,  à la sauvegarde des populations  dont les conditions de vie n’ont pas connu d’amélioration significative. Il s’agit donc d’un acte patriotique et de restauration des attentes des citoyens.

 Si autrefois de 196O à 1990, les renversements par la force des régimes civils, étaient télécommandés de l’extérieur, ou suscités par les politiciens locaux, les ruptures de l’ordre constitutionnel d’aujourd’hui semblent, jusqu’à preuve du contraire, inspirés du devoir national et patriotique.

Car elles sont dirigées contre les valets locaux des forces déstabilisatrices de l’extérieur, contre l’ingérence dans les affaires intérieures des Etats, la domination étrangère,  et l’insécurité provoquée et savamment entretenue , toutes choses qui sont les facteurs de freinage, voire de blocage du développement. Cette volonté de changement radical du paradigme avec une nouvelle vision de l’avenir, ressort largement des discours et actes des nouvelles Autorités.

Le dernier acte significatif  datant du 31 janvier 2022, a été l’expulsion de l’Ambassadeur de France  au Mali, en réaction aux propos injurieux, irrespectueux et non diplomatiques du ministre français des Affaires étrangères, Monsieur Le Drian. Il en est de même du refus d’accepter les militaires danois, pour avoir  débarqué dans le pays sans l’accord des dirigeants de Bamako, ainsi que la demande de révision des accords de défense avec la France.

En fait, il y a eu dans le cas d’espèce, une convergence de vues de nombreuses voix autorisées, des spécialistes en relations internationales et sciences politiques, sur l’appréciation et l’analyse des  récents coups de force en Guinée, Mali et Burkina Faso. La conclusion communément admise est que cette situation résulte de la mal gouvernance  dans ces pays. Selon le professeur Kwesi Aning basé à Accra, elle  est la conséquence du fait que les dirigeants civils «  s’activent dans la manipulation égoïste de la démocratie à des fins politiques ».

Les militaires n’entreprennent  pas par plaisir le renversement des gouvernements légitimes. A priori, ils n’ont pas non plus un penchant particulier pour le pouvoir. Le problème qui ne dépend pas d’eux, réside dans la façon maladroite et autoritaire avec laquelle la démocratie est gérée.

En effet, dans la plupart des pays africains et particulièrement en Afrique de l’Ouest, la démocratie est prise en otage, les élections, quelquefois exclusives, sont dénaturées et truffées de fraudes. En dépit de ces irrégularités criardes, les institutions électorales ne se gênent pas pour valider les résultats. De façon générale, des actes anti-démocratiques et de violation des droits de l’homme, sont posés sous l’ombre de la loi et aux couleurs de la justice, une autre façon de tromper le peuple.

Les soldats qui sont utilisés pour commettre l’injustice, violer les droits de la personne et massacrer la population qui manifeste pacifiquement pour exprimer son mécontentement et désaccord, finissent par se rendre compte du dérapage  grave du pouvoir. C’est ainsi que progressivement nait le sentiment de venir au secours du peuple.

Par exemple, au Mali les causes lointaines sont nombreuses et  liées à la mauvaise gestion du pouvoir politique, la mal gouvernance. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, était les élections législatives de Mars 2020. Elles étaient émaillées de fraudes en faveur de l’élection massive des députés de la mouvance présidentielle.

Frustrée et révoltée, la population a énergiquement manifesté son mécontentement par des marches pendant près d’un mois. Au lieu du dialogue et des actes d’apaisement comme la dissolution de la cour constitutionnelle et l’annulation de ces élections, le pouvoir a fait l’option de la répression en faisant tirer à bout portant sur les manifestants, faisant des morts et de nombreux blessés.

En Guinée Conakry, la cause immédiate du renversement du président Alpha Conde, était le troisième mandat anti- constitutionnel, obtenu de force en réprimant sévèrement tous les citoyens hostiles, ce qui a fait un grand nombre de morts. La cible principale était l’opposition dont beaucoup de membres sont emprisonnés à cause de leurs opinions politiques.

 Pourtant c’est la pluralité des opinions, fussent-elles antagonistes, qui fait la vitalité de la démocratie. A cela s’ajoutent la dérive dictatoriale du président, la corruption, la signature des contrats suspects pour l’exploitation des ressources minières etc…

Au Burkina Faso, le problème était la mauvaise gestion de la situation sécuritaire. Un million  de déplacés ont quitté leurs villages en proie aux attaques djihadistes et le nombre de morts s’élèvent à plus d’un millier. Le dernier évènement en date qui a motivé l’action des militaires, a été le massacre par les terroristes de 53 gendarmes mal équipés et manquant de nourriture sur le champ de bataille.

Cette triste et tragique situation  a provoqué le soulèvement de la population qui a réclamé, le 27 Novembre 2021 la démission du Président Kaboré. En réponse, les manifestants n’ont reçu  que des gaz lacrymogènes faisant de nombreux blessés.

Il ressort de cette brève présentation que les militaires, par la force des choses, étaient amenés à agir pour sauver la population. La preuve en est l’accueil  populaire qui leur a été  réservé dans les trois pays concernés. C’est aussi la raison pour laquelle les sanctions sévères de la CEDEAO contre le Mali, ont connu une désapprobation générale.

 Le rétablissement de l’ordre constitutionnel passe par les élections qui doivent être organisées dans  des  conditions de transparence, d’équité et de sécurité. Pour que la transition soit couronnée de succès, rien ne saurait être fait dans la précipitation ou sous pression. Mieux les élections à tout prix ne sauraient être une panacée, ni le retour précipité à l’ordre constitutionnel, une solution durable.

L’exigence d’une bonne gouvernance démocratique dans un Etat de droit réel, devrait être la préoccupation majeure de la communauté internationale, car c’est de ce contexte que découlera le respect scrupuleux de la constitution par toutes les forces de la Nation, en l’occurrence l’armée nationale.

Il est juste et normal de condamner les coups d’état militaires, mais il est  injuste et anormal de garder un silence  coupable autour des coups d’état civilo- constitutionnels qu’aucune organisation régionale ou continentale, et aucun pays occidental ou africain ne condamnent. Que faire alors pour mettre fin à ces deux types d’actes anti-démocratiques ?

A notre avis, l’intervention des militaires ne peut cesser  que si les dirigeants civils, par leur gouvernance, évitent de créer les conditions favorables à la remise en cause de l’ordre constitutionnel. Quant aux coups d’état civilo-constitutionnels, la CEDEAO et l’UA pourraient, par des résolutions appropriées, amener les pays désireux de réviser leurs constitutions, à mettre dans les dispositions transitoires des nouvelles lois fondamentales, un article qui stipule que la présente constitution ne s’applique pas, en ce qui concerne les élections présidentielles, au chef d’état en exercice au moment de  son adoption.

Par ailleurs, la question sécuritaire étant l’une des raisons principales des récents changements violents, on peut  se poser la question de savoir, pourquoi depuis huit ans, les forces Barkhane lourdement équipées en armes et hommes, et rompues aux techniques des renseignements, n’ont pas pu neutraliser les djihadistes. Qu’a-t-il été  fait à ce jour par les forces Barkhane, Takuba et Minusma en direction des pays, organisations non gouvernementales et certaines personnalités  dans le monde qui constituent les sources de financement du terrorisme au Sahel ?

Pourquoi en vertu de la coopération russo-malienne très ancienne, la présence des Russes dans ce pays est unanimement désapprouvée, condamnée par les Occidentaux ? N’est-ce pas une manière d’empêcher la Russie  d’étendre sa zone d’influence au Mali, considéré comme leur chasse gardée ?

En effet, il est  aujourd’hui notoire, mais on en parle très peu, qu’en dehors des gisements aurifères déjà connus, ainsi que d’autres ressources minières, la zone septentrionale du Mali regorge d’importantes ressources de pétrole et de gaz. De son vivant le colonel Mouammar Kadhafi l’avait reconnu et disait que : « le Nord du Mali est très riche en ressources minières. Si vous n’y prenez pas garde, un jour les occidentaux vont venir s’installer définitivement pour exploiter vos richesses ».

Cette pensée « prophétique » du guide libyen confirme les récents propos d’un officier des forces Barkhane que le premier ministre malien Choguel Maiga a récemment cité au cours de sa conférence de presse. Ce militaire français  disait  sans vergogne ce qui suit : «  Il y a cent ans, nous étions ici, il y a soixante ans, nous sommes partis, nous y reviendrons encore pour cent ans ». Il s’agit donc de la reconquête  programmée des pays africains par d’autres méthodes plus raffinées.

Bien que la remise en cause de l’ordre constitutionnel soit un acte condamnable et anti-démocratique, la probabilité est forte pour que ce courant  gagne d’autres pays dans un avenir proche, les mêmes causes produisant les mêmes effets si :

  • rien n’est fait par la CEDEAO à travers des actions proactives, préventives et la condamnation couplée de sanctions, des coups d’état constitutionnel pour se maintenir au pouvoir par les révisions opportunistes des lois fondamentales.
  • au niveau des Etats membres, aucun effort n’est déployé pour l’unité nationale, la libération des libertés, l’abandon des dérives autoritaires, la manipulation des lois à des fins politiques personnelles et l’amélioration sensible des conditions de vie des citoyens.

En effet, selon les analyses du professeur ghanéen Kwesi Aning, directeur du centre International de formation au maintien de la paix, deux autres coups d’Etat militaire pourraient avoir lieu dans l’espace  ouest-africain d’ici à Juin 2023, si les marées ne sont pas endiguées dans les meilleurs délais. Le diplomate français Laurent Bigot partage cet avis, et est allé plus loin en citant nommément  deux autres pays susceptibles d’être bientôt victimes de la remise en cause de l’ordre constitutionnel.

Apparemment, les deux premières décennies après les conférences nationales avaient connu une gestion du pouvoir globalement acceptable. Mais depuis ces dix dernières années, on  assiste dans beaucoup de pays de la sous-région et ailleurs dans le continent, à une sorte de hold-up politique, résultant, entre autres considérations, de l’amour excessif du pouvoir, de la défense des intérêts égoïstes, et du fait que les recommandations des assises nationales  des années 90, ont été progressivement abandonnées ou mal exploitées, alors qu’elles constituaient une source d’inspiration pour la bonne gouvernance.

 La résurgence des coups d’état militaires à l’ère du processus démocratique, est à la fois la conséquence de la gestion maladroite et opportuniste de la démocratie, et l’expression de l’échec de la classe politique. Mais l’espoir est encore permis pour l’avenir.

Jean-Pierre A. EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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