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Le triomphe de la vérité

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Réflexion de l’Ambassadeur Jean-Pierre A. EDON, spécialiste des questions internationales: Les éclairages d’un diplomate sur la crise entre la Cedeao et le Mali


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Ambassadeur Jean-Pierre Adelui EDON

‘’Une transition qui dure cinq ans n’en n’est plus une, elle devient un mandat présidentiel régulier, or ce genre de mandature doit, en principe, être issue des urnes’’. C’est l’une des désapprobations de l’Ambassadeur Jean-Pierre Edon, sur la politique mise en place par la junte malienne depuis sa prise de pouvoir. Le spécialiste des questions internationales fustige l’état des relations qui ne cesse de se dégrader entre le Mali et la CEDEAO. Mieux, il pense que le statut militaire d’un Chef d’Etat n’est pas synonyme de la victoire à une guerre déclarée contre des terroristes. Le spécialiste des questions internationales déplore les conséquences qui découlent des rapports entre le Mali et l’organisation régionale ainsi que l’enclavement de la gouvernance locale. De ses réflexions, la solution à cette crise ne se trouve pas dans la confrontation, ni dans le nationalisme, mais plutôt dans le dialogue franc et sincère permettant d’aboutir à des alternatives consensuelles.

LA CRISE ENTRE LA CEDEAO ET UN PAYS MEMBRE, LE MALI
Réuni en session extraordinaire à Accra le 9 janvier 2022, le sommet de la CEDEAO a pris des sanctions contre le Mali du fait de la prolongation de la période de transition. Cet acte a suscité un tollé général tant au Mali qu’en Afrique et au sein de la diaspora africaine à l’extérieur. Comment en est-on arrivé à cet extrême et quelles sont les perspectives d’avenir ?
Depuis le premier coup d’Etat militaire en Août 2020, l’organisation régionale suit attentivement la situation. Pour des questions de principe, elle a demandé avec insistance le retour à l’ordre constitutionnel dans les meilleurs délais. La charte de la transition adoptée le 12 septembre 2020 par les forces vives de la Nation, à l’issue de trois jours de concertation, a fixé à 18 mois la durée de la transition. Il est alors prévu la tenue des élections en Février 2022. L’organisation régionale, pourtant hostile à la prise du pouvoir par la force, s’est, tant bien que mal, accommodée à cette décision.
Les travaux des assises nationales de refondation dont les conclusions ont été rendus publics le 30 décembre 2021, recommandent une transition de cinq ans. Il fallait donc s’attendre à une réaction vive de la CEDEAO issue de sa réunion dans la capitale ghanéenne.
Par ses mesures répressives, l’organisation a voulu être conforme à ses principes, ses textes fondamentaux dont la charte sur la gouvernance et la démocratie. Il était donc normal qu’elle désapprouve la prolongation unilatérale de la durée de transition, qui contredit la charte malienne de transition elle-même, et est en porte-à-faux avec les engagements ultérieurement pris par les Autorités de Bamako.
Une analyse à froid et sans préjugé, ni passion de la décision malienne, permet de reconnaitre qu’elle est exagérée, inacceptable, bien qu’elle soit issue des assises nationales. On peut même penser qu’elle cache une intention, un programme non avoué. Une transition qui dure cinq ans n’en n’est plus une, elle devient un mandat présidentiel régulier, or ce genre de mandature doit, en principe, être issue des urnes.
Un Gouvernement de transition n’a pas pour vocation de prendre de grandes décisions politiques comme l’organisation des assises nationales. Sa mission principale est la liquidation des affaires courantes et surtout l’organisation des élections dans les meilleurs délais. C’est pour cette raison qu’une transition de 12 à 18 mois, est largement suffisante.
L’argument selon lequel, il faut résoudre d’abord le problème de sécurité avant la tenue des élections est logique mais non valable dans le cas d’espèce, car personne ne peut prétendre connaitre la fin du terrorisme djihadiste dans ce pays. Au contraire ce fléau s’étend maintenant vers les pays côtiers du Golfe de Guinée. Il ne suffit pas d’avoir à la tête de l’Etat un militaire pour conclure que les terroristes seront immédiatement vaincus. Que le chef d’Etat soit un homme en uniforme ou un civil, c’est toujours les militaires qui vont au front pour combattre les envahisseurs et défendre la patrie.
On se souvient que les attaques djihadistes au Mali ont commencé sous le régime de l’ancien Président de la République, Amadou Toumani Touré qui n’y pouvait rien bien qu’il soit militaire. Sa déchéance du pouvoir à l’époque serait due à son incapacité à contrer par la force ces envahisseurs.
Il découle de cet exemple pratique que la sécurité d’un pays ne dépend pas du statut du chef de l’Etat. Ce n’est pas son rôle de se rendre au front, mais plutôt celui des hommes en uniforme guidés par les stratégies de combat élaborées par l’Etat-major de l’Armée. Dans la conduite de ces actions de défense nationale, il y a d’autres paramètres qu’il faut prendre en compte et dont sont conscients les spécialistes en la matière.
En prenant des sanctions contre un pays membre en faute, la CEDEAO n’a rien fait de mauvais. Elle est parfaitement en phase avec ses textes réglementaires et sa jurisprudence. Ne pas sanctionner Bamako, serait une complaisance qui créerait un précèdent dangereux, et serait une violation des textes. Dès lors, d’autres pays pourraient copier le mauvais exemple malien.
Par contre, ce qui est regrettable, c’est leur caractère disproportionné, contre-productif et excessivement sévère, de même que le peu d’analyse profonde de leurs conséquences dans les rapports du Mali avec l’organisation régionale, et aussi sur la gouvernance locale de ce pays enclavé.
L’analyse des réactions violentes et hostiles des Autorités maliennes aux dites sanctions qui apparaissent comme un couteau à double tranchant, permet d’envisager des scénarii pessimistes pour l’avenir, si rien n’est fait pour vite endiguer sans délai la crise.
Dans le communiqué rendu public par le Gouvernement de transition au lendemain des sanctions, il est mentionné que le Mali se réserve le droit de se retirer de cette organisation à l’avenir. Cette position radicale s’explique par le fait, qu’étant suspendu de tous les organes de cette structure, et isolé des autres pays de la sous-région par la fermeture de leurs frontières terrestres et aériennes , le Mali n’a plus sa raison d’être membre.
Avec le gel des avoirs maliens à la BCEAO par l’entremise de l’UEMOA, et la suspension des transactions financières et économiques, on pousse ce pays à se retirer de la zone du franc CFA. Il a alors la possibilité de retrouver son ancienne monnaie ou de frapper une nouvelle, car la nature a horreur du vide. Sa production cotonnière et aurifère suffit pour garantir une nouvelle monnaie qui assurera son indépendance monétaire et économique, et le conduira vers un développement réel.
La réalisation de ces scénarii serait une révolution qui fera certainement tâche d’huile en Afrique francophone, la seule région au monde où soixante ans après l’indépendance, ces Etats restent encore dépendants de l’ancienne puissance coloniale sur le plan monétaire, économique, voire politique. Ce paradigme que dénoncent certains pays occidentaux comme l’Allemagne, est à revoir si l’on est vraiment soucieux du vrai décollage économique des pays concernés.
Par exemple, l’Allemagne est la première puissance économique de l’Union Européenne, sans pour autant continuer à exploiter et dominer ses anciennes colonies africaines. Au contraire elle est prête à dédommager aujourd’hui la Namibie pour les massacres génocidaires d’une ethnie namibienne commis pendant la colonisation, et dont elle reconnait la responsabilité.
Le fait que la CEDEAO décide d’amasser des contingents militaires aux frontières maliennes, ressemble à une déclaration de guerre. Dès lors, l’instinct de conservation poussera les Maliens à chercher des alliés ailleurs pour leur défense, comme les instructeurs Russes que les pays européens ne veulent pas voir sur ce territoire, alors qu’en tant que pays souverain, il a le droit de coopérer avec tout Etat de son choix.
Par ces mesures de sanctions sévères, on force le Mali à ouvrir à la fois plusieurs fronts, ce qui est difficile, onéreux et affaiblit du coup ce pays déjà en proie aux attaques terroristes. Sans s’en rendre compte, la CEDEAO fait ainsi la part belle aux djihadistes que les forces Barkhane et celles du Minusma n’ont pas pu vaincre depuis huit ans.
La dispersion des efforts militaires et financiers de Bamako pour être à tous les fronts ainsi ouverts, sera une tâche difficile, qui pourrait entrainer sa déstabilisation. Dans ces conditions, il n’est pas exclu que le Mali envisage la révision des accords avec certains pays comme la France, accusée à tort ou à raison par la junte, d’avoir influencé les dites sanctions.
Une autre considération qui explique la condamnation quasi unanime de ces sanctions et leur rejet, est le fait que la plupart des Hautes Autorités ayant participé à la prise de ces mesures répressives, et qui donnent des leçons à Bamako, ne sont pas exemplaires dans la gouvernance de leurs pays respectifs.
Aussi beaucoup d’observateurs, d’ activistes politiques et de simples citoyens, estiment-ils moins grave, la durée de cinq ans de transition à Bamako que le recul de la démocratie et la prolongation du mandat présidentiel au- delà des limites constitutionnelles dans nombre de pays de la sous-région ouest africaine. Les comportements démocratiques exemplaires des Autorités s’avèrent nécessaires. Il est donc important et souhaitable que tout citoyen qui détient et gère un brin du pouvoir, prêche d’exemples pour être pris au sérieux et considéré par ses administrés.
La solution à cette crise ne se trouve pas dans la confrontation, ni dans le nationalisme, mais plutôt dans le dialogue franc et sincère permettant d’aboutir à des alternatives consensuelles. Par la diplomatie qui doit se mettre en branle sans délai, un terrain d’entente est possible.
La junte militaire malienne doit comprendre que quelles que soient la situation et ses raisons essentiellement liées aux réalités du terrain, chose que la CEDEAO ne maitrise pas complètement, le pays ne saurait s’isoler des autres membres de l’organisation. On apprend déjà que la Guinée, la Mauritanie, l’Algérie, la Russie, la Turquie, seraient disponibles à lui venir en aide. Ce sont de belles promesses dont la mise en œuvre ne se fera pas sans difficultés.
Faire passer par les ports d’Alger, de Nouakchott et de Conakry, les marchandises destinées à Bamako, est une activité possible, mais n’oublions pas que les terroristes agissant aux frontières de ces pays, pourraient perturber ce trafic. Mieux, ces Etats ne sont pas des philanthropes, leurs prestations pourraient avoir des incidences financières énormes pour le Mali.
A notre avis, il vaudrait mieux enterrer la hache de guerre et trouver un compromis par le dialogue, dans les meilleurs délais. Il urge que le Mali se rapproche de la CEDEAO pour négocier, sans oublier que le succès de toute négociation, implique des concessions de la part des deux parties en présence.
La concession que le Mali aura à faire, sera de réduire à 2 ou 3 ans au maximum, la durée de la transition. L’organisation régionale ne sera pas insensible à cet effort louable de l’évolution de sa position. La junte aura ainsi tenu compte de l’avis de certains partis politiques maliens qui estiment trop longue la durée de cinq ans.
Pour faciliter les négociations entre les deux parties, on pourrait solliciter la médiation de l’Algérie qui en est, du reste, disponible. Il est vivement souhaitable que les deux camps évitent des positions statiques, mais plutôt dynamiques, c’est-à-dire, évolutives grâce aux concessions.
Dans ses difficultés actuelles, le pays de Modibo Keita mérite d’être soutenu. Hormis la volonté manifeste de la junte militaire à garder le pouvoir pendant un bon moment, pour des raisons de sécurité, les Autorités de la transition, ont l’intention bienveillante de libérer leur pays du joug du néo-colonialisme et la paupérisation continue de la population après six décennies d’indépendance.
Le drame qui se déroule au Mali, est mal interprété en parlant du sentiment anti-français. Si c’était vrai, les Maliens n’auraient pas accueilli en grande pompe, le président François Hollande au cours de sa visite dans ce pays en 2013 au début de l’intervention française qui a permis d’arrêter l’avancement des djihadistes vers Bamako, la capitale. A l’époque le président français était considéré comme un sauveur par les Maliens qui se sont baptisés, en signe de gratitude et d’amitié, du nom du premier soldat français qui venait de trouver la mort sur le front.
Aujourd’hui, huit ans après l’arrivée des militaires français dans ce pays, environ 5000 hommes lourdement équipés d’armes conventionnelles, modernes, sophistiquées, voire électroniques et aériennes, les Maliens ne comprennent pas que les djihadistes continuent de prospérer, de tuer et de perturber la paix. C’est cette incompréhension du rôle réel des forces Barkhane qui est traduite à tort à un sentiment anti-français. Mais si la situation n’évolue pas dans le sens souhaité, ce sentiment peut connaitre une mutation et devenir réellement anti-français, ce qui ne sera pas à l’avantage de la France.
Il y a de fortes chances que ce qui se passe aujourd’hui chez le panafricaniste Modibo Kéita, ouvre une nouvelle page de l’histoire des anciennes colonies françaises au sud du Sahara. Ce serait tant mieux si ce mouvement peut contribuer effectivement à la libération de ces pays pauvres, dont la domination étrangère ainsi que les accords de coopération paternalistes, léonins, monopolistiques, notamment dans les domaines monétaire, de la défense, du commerce et des ressources naturelles, freinent le développement.
De ce point de vue, la situation au Mali est digne d’intérêt et mérite un suivi actif. Il est temps de mettre fin à l’indépendance nominale que la chanteuse malienne Rokia Traoré interprète à juste titre comme suit : « Tu es libre, mais tu fais ce que je veux ». Espérons qu’avec les mutations en cours à travers le monde, en particulier en Afrique, cette philosophie change dans un avenir proche.

Jean-Pierre A. EDON
Ambassadeur, spécialiste des
questions internationales.

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