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(Discours de réception du
Prix LAREFA de la gratitude
le 23 septembre 2021
à l’Université d’Abomey-Calavi)
Je voudrais
d’abord exprimer ma profonde reconnaissance au Laboratoire d’Études Africaines
et de Recherche sur le Fa (LAREFA) pour l’honneur renouvelé qu’il me fait
aujourd’hui en me désignant comme le premier lauréat du « Prix LAREFA de
la Gratitude » attribué aux « personnalités ayant marqué notre époque
par leur PENSÉE ET LEUR ACTION ».
Je me souviens encore, avec grande émotion, de la cérémonie d’hommage que ce
Laboratoire, attaché à la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines de
l’Université d’Abomey-Calavi avait organisée, ici même, le 07 novembre 2017,
pour marquer mon départ à la retraite.
Dans le discours que j’avais délivré à cette occasion, je parlais de
« complot », parce que j’étais soigneusement tenu dans l’ignorance de
ce qui se préparait, jusqu’à seulement quelques jours de l’événement. Ce qui
m’avait mis la puce à l’oreille, c’étaient les appels téléphoniques compulsifs
des « comploteurs » pour s’assurer que je serais présent sur le
territoire national à la date retenue. Même mon épouse, le Professeur Thècla
Midiohouan, qu’ils avaient réussi à mettre de leur côté, ne me laissa rien
deviner. Vous imaginez « la trahison » !
Cette fois aussi, l’effet de surprise a été total. L’annonce de l’attribution
de ce Prix m’a été faite au téléphone, il y a huit jours, par le Professeur
Mahougnon Kakpo, Directeur du LAREFA. « La lettre de confirmation suivra
très vite », avait-il ajouté.
Je mentirais si je déclarais devant vous que je ne suis pas fier de cette
reconnaissance de ma toute petite contribution à leur formation par mes anciens
étudiants ; une reconnaissance que mon départ à la retraite depuis quatre
ans ne semble pas avoir entamé. Je suis d’autant plus heureux de cet acte
solennel qu’il vient à point apporter un démenti cinglant à ceux qui pensent
que, dans nos universités nationales, les étudiants n’évaluent pas leurs
professeurs ; à ceux qui se targuent de réformes en vue d’ouvrir des voies
prétendument nouvelles de la pédagogie universitaire, des voies qui nous sont
pourtant assez coutumières.
* * *
C’est dans
la lettre, datée du 15 septembre 2021, du Directeur de LAREFA, que je lis ce
qui suit :
« Au nombre des modalités régissant l’attribution dudit Prix, il est prévu que
vous délivriez un discours de réception du Prix dont une copie du texte doit
être remise, sitôt la manifestation finie, au responsable du Comité technique
ad ’hoc, pour les archives du LAREFA ».
Je disposais donc de huit jours – huit jours au demeurant fort chargés
d’activités diverses longtemps programmées – pour trouver un sujet et écrire un
discours de réception qui ne soit pas trop ennuyeux pour votre sollicitude que
je sais bienveillante.
L’interrogation ne mit pas beaucoup de temps à poindre dans mon esprit :
« Les facultés de lettres et sciences humaines sont-elles utiles au
développement en Afrique ? »
Je sais que, pour beaucoup d’entre vous ici, la réponse à cette question est si
évidente qu’il est presque incongru de la poser.
Mais voilà : nous vivons, depuis quelque temps, dans un pays où le pouvoir
politique se donne comme orientation stratégique un dénigrement systématique
des études en lettres et sciences humaines ravalées au rang de
« blabla » sans intérêt pour le développement, au profit de
l’enseignement et de la formation techniques considérés comme plus
structurants.
L’université a l’impérieux devoir de contrer ces idées pernicieuses et
délétères dont nos médias portent complaisamment les échos jusque dans les
franges les plus fragiles du corps social.
Il est louable de nourrir de grands rêves pour notre pays et de mettre tout en
œuvre, contre vents et marées, pour les réaliser.
Il est louable de réformer l’éducation nationale pour donner à l’enseignement
technique et à la formation professionnelle toutes leurs places dans le progrès
et la transformation de notre société.
Mais le faire au détriment des humanités est une option qui porte le risque de
fragiliser l’homme dans ce qu’il a d’essentiel, dans ce qui le caractérise en
tant qu’homme, la pensée et l’esprit, et par conséquent de ruiner à terme le
concept même de développement.
Les facultés de lettres et sciences humaines sont-elles utiles au développement
en Afrique ?
Je voudrais répondre à cette question, non par une argumentation savante étayée
de références, notes et statistiques irrécusables, mais en me fondant sur ce
qu’a été ma carrière de professeur de littérature et civilisation africaine à
l’Université Nationale du Bénin devenue Université d’Abomey-Calavi, et en
mettant en lumière les liens constants entre les besoins existentiels des
sociétés africaines, particulièrement béninoise, et les axes principaux de mon
humble travail d’enseignant et de chercheur à la Faculté des Lettres, Arts et
Sciences Humaines de cette université.
* * *
Le problème
essentiel auquel les sociétés africaines étaient confrontées, au moment où ma
génération abordait les études universitaires dans les années 1970,
c’était : comment réformer l’éducation coloniale qui détournait l’Africain
de lui-même, niait sa culture et sapait son identité ? Nous ne
connaissions vraiment pas grand’chose de l’Afrique au sortir de l’enseignement
secondaire. En littérature, nous avions été gavés, année après année,
particulièrement depuis la classe de seconde, par André Lagarde et Laurent Michard
dont les manuels étaient incontournables, parce que exclusifs. À l’oral du Bac,
j’eus à disserter sur un texte de Blaise Pascal (1623-1662), « L’homme
esclave du divertissement », extrait de ses Pensées. La note que j’obtins
alors dénotait sans équivoque l’excellence de ma prestation. J’étais précédé à
cet examen par la réputation du collège privé confessionnel d’où je venais, et
j’étais, sans aucun doute, remarquablement bien entraîné. Ce n’était que plus
tard, bien plus tard, que j’ai pu établir, mutatis mutandis, un lien entre ce
texte de Blaise Pascal et ma condition de rejeton d’une société colonisée, ce
qui m’échappait totalement à l’époque.
Comment peut-on être brillant en manquant si gravement de conscience de
soi ? J’en conçus une amertume qui confinait au désespoir. J’en voulais
furieusement à cette éducation qui s’apparentait à une castration.
D’où la passion qui me portait tout au long de mes études universitaires en
Afrique et en Europe. J’avais réellement le sentiment que ma génération était
en mission de reconquête de notre identité perdue, de recouvrement de
nous-mêmes, avec la conviction inébranlable que la conscience de notre dignité
d’hommes et de femmes, bafouée en raison de notre origine et de notre race,
doit se situer à sa juste place, c’est-à-dire au cœur du développement de nos
pays.
Je n’hésitai pas longtemps à opter pour la littérature africaine dont on
reconnaissait à peine l’existence, et qui était encore absente des programmes
scolaires en Afrique. Et là encore, la plupart de mes enseignants dans cette
discipline étaient des Blancs.
Lorsque, dans ce contexte, nous recevions par exemple, en mission
d’enseignement sur la poésie africaine et le mouvement de la négritude, le
célèbre et truculent universitaire camerounais Thomas Méloné, avec ses boubous
blancs trois pièces, ses jeux de manches, sa voix éraillée mais puissante, son
éloquence redoutable nourrie de la vigoureuse sève de sa formation classique et
rythmée par une kinésique toute bantou, sa manière, jamais égalée, de nous
tenir en haleine pendant deux heures d’horloge sans aucun papier, citant par
cœur, et bien à propos, de larges extraits des œuvres en étude, nos cours
prenaient alors une dimension à la fois théâtrale et solennelle qui fascinait
nos jeunes esprits. Personnellement, je dois ma vocation d’universitaire à mon
admiration sans bornes pour cet Aîné brillant que, plus tard, j’avais retrouvé
à la Sorbonne à Paris et qui était devenu, par la suite, un ami.
Un mémoire de maîtrise sur Aimé Césaire : l’avers et le revers d’un théâtre
politique négro-africain, suivi d’un doctorat de troisième cycle avec une thèse
intitulée Contribution à l’étude de l’accueil et la réception critique de la
littérature négro-africaine en France. Entre les deux, Mongo Béti, que mes
recherches m’avaient fait opportunément rencontrer, me mit le pied à l’étrier
en me faisant chroniqueur littéraire de sa revue Peuples Noirs-Peuples
Africains. Et me voilà déjà pliant bagages pour rentrer à la maison. À
l’époque, nombreux étions-nous pour qui rester en France était un non-sens, une
absurdité, tellement il y avait de choses à faire en Afrique pour construire
l’avenir de notre continent. Sur l’avion qui me ramenait par un beau temps
ensoleillé à la faveur duquel le Sahara offrait à mes yeux la fantastique variété
de ses couleurs superbes, je m’enivrais encore et encore, jusqu’à plus soif, de
« Afrika obota », la chanson du poète et musicien gabonais Pierre
Akendengué (que vous pourrez écouter ou réécouter sur YouTube).
* * *
Mon épouse et moi, tous deux spécialistes de la littérature africaine, elle de
littérature orale, moi de littérature écrite d’expression française, nous
n’eûmes aucune difficulté à nous faire recruter par la Faculté des Lettres,
Arts et Sciences Humaines de l’Université Nationale du Bénin. C’était un peu
comme si l’institution nous attendait. Le besoin d’enseignants dans la
discipline était réel, tant à la FLASH d’Abomey-Calavi qu’à l’Ecole Normale
Supérieure de Porto-Novo qui recourait à nos enseignements pour la formation
des futurs professeurs des lycées et collèges.
En ce qui me concerne, je me vis confier quatre enseignements qui devaient me
permettre, par mes recherches, de développer mon autonomie de pensée et de
trouver divers champs d’expression de ma passion identitaire : un cours d’introduction
générale à la littérature négro-africaine d’expression française en première
année ; un cours sur le roman africain en deuxième année ; un cours
sur la poésie négro-africaine en année de licence et, en année de maîtrise, un
cours sur la réception critique de la littérature négro-africaine.
Il n’était surtout pas question pour moi de resservir à mes étudiants des cours
que j’avais moi-même reçus à l’université. Mon deuxième ouvrage, L’idéologie
dans la littérature négro-africaine d’expression française était
l’aboutissement de mon cours d’introduction générale à la littérature
négro-africaine d’expression. Il m’avait fallu quatre années de travail intense
et assidu pour le mener à bout. Dans l’avant-propos de ce livre,
j’écrivais :
« Le but de cet ouvrage est de présenter l’histoire de la littérature
négro-africaine d’expression française sous un angle méconnu parce que
différent de celui de la plupart des ouvrages qui aujourd’hui font autorité en
la matière.
Ces derniers sont d’ailleurs dûs à des critiques européens qui, quoi qu’on
dise, perçoivent l’Afrique et la littérature africaine de leur point de vue, de
l’extérieur. Cette primauté du discours européen, jusque dans les écoles et les
universités africaines, n’est pas sans danger et il est souhaitable que les
Africains soient de plus en plus nombreux à affirmer leur présence en ce
domaine.
Si l’Africain n’est pas a priori plus qualifié que l’Européen ou le Russe pour
parler de littérature africaine, il est néanmoins temps que l’enseignant africain
cesse d’être le répétiteur des thèses élaborées par d’autres, pour devenir un
penseur, un créateur capable de peser de tout son poids d’intellectuel dans la
vie culturelle de son pays.
Notre devoir est donc de nous jeter dans la mêlée avec le droit de commettre
nos propres erreurs. »
Ce texte, en
forme de manifeste, définissait, de façon très claire, l’orientation
stratégique que le jeune universitaire de 30 ans que j’étais entendait donner à
sa carrière dans l’enseignement et la recherche en littérature africaine. Ceux
qui un jour se pencheront sur ma contribution au développement de cette
discipline, comme Roger Koudoadinou dans son ouvrage intitulé Guy Ossito
Midiohouan : Pour une archéologie afrocentriste de la littérature
négro-africaine , s’apercevront de ma fidélité constante à cette ligne de
conduite d’un bout à l’autre de ma carrière.
Mon premier livre (1984), L’Utopie négative d’Alioum Fantouré : Essai sur
Le cercle des tropiques, répondait à une urgence pédagogique qui m’avait fait
interrompre un temps mon travail sur L’idéologie dans la littérature
négro-africaine pour l’écrire et le publier. Le roman d’Alioum Fantouré venait
d’être mis au programme des classes terminales des lycées et collèges du Bénin
sans aucun outil pédagogique pour l’aborder. C’était pour suppléer cette
carence fort embarrassante pour nos collègues du secondaire que je me mis à la
tâche, sans désemparer, de jour et de nuit… pour être utile.
Je ne faisais pas qu’écrire des livres, des articles scientifiques et aussi des
articles de vulgarisation pour la presse locale, je parlais beaucoup. Mes
conférences publiques remplissaient les 700 places du théâtre de verdure de
l’Institut Français. J’étais heureux de voir les jeunes grouiller autour de
moi, frétillants d’impatience et de curiosité, toujours à l’affût d’une
fulgurance de l’esprit. Aujourd’hui, avec le recul, je me dis qu’ils étaient
sacrément concentrés, ces jeunes-là, sur leurs études. C’est vrai qu’à
l’époque, il n’y avait pas de téléphones portables et que les capsules
pornographiques accessibles sur un simple clic ne ramollissaient pas encore
leurs cerveaux en pleine croissance. Ils étaient épargnés du « nouvel
esclavage par le divertissement ».
En réalité, mon travail était loin d’être solitaire. Je faisais partie d’un
large réseau de critiques universitaires africains animés par la même ambition
scientifique, culturelle et sociale. Nous étions attentifs aux résultats des
recherches des uns et des autres, avec le souci pour chacun de s’en inspirer
pour faire évoluer notre discipline du point de vue méthodologique, heuristique
et herméneutique. Ce réseau – il faut le reconnaître- devait beaucoup à
l’apport appréciable des africanistes européens : Lilyan Kesteloot,
Jacques Chevrier, Bernard Mouralis, Alain Ricard, Janós Riesz…
Ainsi, mon livre L’idéologie dans la littérature négro-africaine d’expression
française s’était donné pour objectif d’aller un peu plus loin dans les
nouvelles voies de l’histoire littéraire africaine ouverte notamment par mon
collègue congolais Pius Ngandu Nkashama dans Comprendre la littérature
africaine écrite. Il s’agissait pour moi de poursuivre le travail
d’éclaircissement et de rétablissement qu’il avait commencé.
Les faiblesses et lacunes de mon livre – car un livre n’est jamais parfait, jamais
indépassable du point de vue scientifique – devaient m’amener à publier par la
suite de nombreux articles complémentaires mais aussi deux autres
ouvrages : Aimé Césaire pour aujourd’hui et pour demain , une anthologie
critique ; et Écrire en pays colonisé. Plaidoyer pour une nouvelle
approche des rapports entre la littérature négro-africaine d’expression
française et le pouvoir colonial . Je peux également signaler ici ma
collaboration au Dictionnaire des œuvres littéraires de langue française en
Afrique au Sud du Sahara sous la direction de mon collègue camerounais Ambroise
Kom et à l’Encyclopédie mondiale du théâtre contemporain, dans laquelle j’avais
rédigé le chapitre sur le Bénin.
L’enseignement sur le roman africain en deuxième année visait, après les
généralités de la première année, à faire mieux comprendre aux étudiants le
fonctionnement du genre et des textes. Chemin faisant, les professeurs
d’université étant les premiers étudiants, des étudiants à vie, et après avoir
lu les travaux de Jean-Pierre Makouta M’Boukou dans Introduction à l’étude du
roman négro-africain de langue française (problèmes culturels et littéraires),
ma vision du genre romanesque changea significativement et je fus amené à
revoir la structure de mon cours dont l’intitulé devint « Le roman et la
nouvelle en Afrique d’expression française ».
L’exigence scientifique de distinguer le roman de la nouvelle m’imposa la
recherche de nouveaux outils d’approche, particulièrement pour la nouvelle dont
la spécificité n’était pas encore attestée dans la production critique
africaine, et sur laquelle il n’y avait alors aucun ouvrage de référence.
J’avais alors sous ma responsabilité scientifique, un assistant stagiaire,
Monsieur Mathias Dossou, que je convainquis de la nécessité de nous engager à
deux sur cet immense chantier. Au bout de nombreuses années de travail, nous
avions publié La nouvelle d’expression française : Formes courtes , le
premier ouvrage de référence sur le genre de la nouvelle en Afrique
d’expression française. Ces recherches avaient bénéficié d’un financement du
Conseil Scientifique de l’UNB, le Pr Jean-Pierre Ézin étant recteur.
Quant à mon enseignement sur la poésie africaine, il m’offrait le bonheur non
seulement de dissiper chez mes étudiants la peur du texte poétique hélas réputé
difficile et impénétrable, mais aussi de leur faire prendre conscience de ce
qu’est la poésie dans leur milieu, dans leur vie quotidienne, dans leurs
langues ; ce qui, pour beaucoup, était une découverte qui illuminait leurs
yeux.
Mes recherches, dans ce domaine, s’attachaient à montrer que la poésie
négro-africaine ne se limite pas à la production en langue française, que la
« poésie de la négritude » ne rend pas compte de la grande diversité
de la création poétique des Africains pendant la période coloniale ;
diversité qui était, au demeurant, en lien avec la diversité des idées nées des
pulsations de leurs sociétés en crise.
Mes travaux sur ce dernier aspect avaient alimenté mon cours de DEA sur
« Les poètes africains méconnus de la période coloniale ». Il en a
également résulté une anthologie qui attend encore d’être publiée.
Enfin, l’enseignement, en année de maîtrise, sur la réception critique de la
littérature négro-africaine, se nourrissait des recherches ayant abouti à ma
thèse de troisième cycle. Mes préoccupations scientifiques évoluant, j’avais dû
abandonner ce cours pour en concevoir un autre sur « Écritures et
identités en Afrique et dans le monde noir francophone », où nous
abordions des questions fondamentales : Comment peut-on être Africain en
français ? La littérature africaine en langues européennes peut-elle être
considérée comme une littérature africaine ? En quoi consistent la
spécificité et l’identité de la création littéraire africaine en langues
étrangères ?
Ces interrogations m’avaient conduit à la publication de deux ouvrages :
Du bon usage de la francophonie. Essai sur l’idéologie francophone dans lequel
j’écrivais notamment :
« L’usage du français ne nous impose aucune allégeance à la culture
française qui risque de nous cacher à nous-mêmes, aucune allégeance à la France
qui s’emploie à nous cacher le monde, aucune allégeance au Blanc qui ne cesse
de nous cacher depuis trop longtemps l’Homme. Le francotropisme est un
appauvrissement incommensurable. La nouvelle pédagogie du français doit être
fondée sur un nouvel humanisme élargi ayant sa source et son aboutissement en
Afrique. »
Cet ouvrage, aujourd’hui épuisé, est au programme de nombreux centres d’études
africaines en Europe et aux Etats-Unis. Le second ouvrage est intitulé :
Élites africaines et nationalisme : les précurseurs. Il nous fait remonter
au XIXe siècle pour retracer la genèse de la pensée nationaliste chez les
premiers écrivains africain d’expression française…
La bouche qui parle devant avoir pitié des oreilles qui écoutent, je vais
arrêter là ce panorama qui ne prend pas en compte d’autres ouvrages et de
nombreux articles.
* * *
Je crois que
l’exposé rapide que je viens de faire de mon travail d’enseignant-chercheur à
la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines de l’Université
d’Abomey-Calavi suffit à vous donner une idée de l’importance et du rôle de
cette institution dans le développement de notre pays, dans l’affirmation de la
présence de l’Afrique dans le monde. Des centaines d’enseignants-chercheurs ont
eu, comme moi, cette faculté comme cadre de l’exercice de leurs activités
professionnelles. Ils y ont consacré leurs vies. On les trouve en lettres
modernes, en sciences du langage et de la communication, en histoire et
archéologie, en sociologie et anthropologie, en psychologie et sciences de
l’éducation, en géographie et aménagement du territoire, en études anglaises,
allemandes et espagnoles. Ils ont noms : Nouréini Tidjani-Serpos, Adrien
Huannou, Toussaint Tchitchi, Hounkpati Capo, Bienvenu Akoha, Raymond Oké, Félix
Iroko, Bellarmin Codo, Honorat Aguessy, Jean-Marie Akpovo, Paulin Hountondji,
Albert Nouhouayi, Jean Pliya, Michel Boko, John Igué, Augustin Aïnamon… Ceux,
nombreux, que le temps ne me permet pas de citer ici, ne sont pourtant pas les
moindres. Leurs efforts respectifs contribuent à former des enseignants, des
chercheurs, des journalistes, des cadres de l’administration et de diverses
ONG, des écrivains, des inspecteurs de l’enseignement secondaire, des doyens de
facultés, des recteurs, des ministres… Certains parmi eux nous ont déjà quittés
dont la mémoire demeure vivante parmi nous. Tous méritent notre respect et
notre reconnaissance.
À aucun moment de ma carrière d’universitaire, je n’ai eu le sentiment
d’exercer dans un « gros lycée de banlieue », encore moins d’être
inutile. Il est vrai que les conditions de travail dans nos universités,
confrontées à toutes sortes de pénuries, laissent beaucoup à désirer. Mais il y
est toujours possible de donner le meilleur de soi, à moins que l’on n’ait rien
à apporter, rien dans le ventre, rien dans la tête ; à moins qu’on soit
vide d’ambition pour soi-même et pour les siens.
Le développement, c’est bien sur la construction de routes, de bâtiments et de
marchés, d’écoles, de centres de santé modernes ; c’est l’assainissement,
l’aménagement et l’embellissement de l’espace, l’extension de l’accès à
l’électricité et à l’eau potable, l’accroissement des potentialités agricoles
et économiques en vue d’assurer le bien-être des populations.
Mais le développement, le développement durable, c’est aussi – et cela est
essentiel – construire les routes immatérielles de l’intelligence et de la
pensée, faire jaillir la lumière de la conscience, créer les conditions
favorables à l’épanouissement de l’esprit critique qui tonifie le cerveau,
pousser cet organe à atteindre le sommet de ses potentialités, travailler par
nous-mêmes à combler nos frustrations, à nourrir nos rêves, à porter nos
utopies d’espérance.
En cela, les facultés de lettres et sciences humaines ne sont pas seulement
utiles, elles sont nécessaires, je veux dire irremplaçables.
Je terminerai en rendant hommage au Professeur Mahougnon Kakpo qui, à la tête
du Laboratoire d’Études africaines et de Recherche sur le Fa (LAREFA), mène un
travail extraordinaire de recentrage de l’Homme africain sur lui-même, de
redécouverte et de réappropriation de la culture africaine, de promotion de
l’autoréférentialité. L’université a pour vocation de nous ouvrir au monde dans
sa globalité. Mais comment aller à la découverte du monde quand on ignore d’où
l’on vient et qui l’on est ? De nouvelles méthodologies s’élaborent, de
nouveaux champs heuristiques sont défrichés. La passion identitaire qui
irriguait notre ardeur au travail se révèle contagieuse. Le feu de brousse s’étend,
préparant la terre pour de nouvelles semences. Le flambeau se trouve en de
bonnes mains et la devise de l’Université d’Abomey-Calavi prend tout son
sens : « Mens molem agitat » (l’esprit fait mouvoir la matière).
En avant donc pour de nouvelles aventures, pour des conquêtes toujours plus
grandes de l’esprit !
Merci pour votre aimable attention
Septembre 2021
Guy Ossito MIDIOHOUAN