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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec Hermas Gbaguidi: «La mort du Fitheb était déjà programmée depuis 2013»


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Si la dissolution du Festival international du théâtre du Bénin (Fitheb) actée par le Gouvernement le mercredi 12 mai 2021 paraît comme une surprise pour certains acteurs culturels, ce n’est pas le cas pour le Poète-Dramaturge, Hermas Gbaguidi. Dans une interview qu’il a accordée à notre rédaction, cet acteur majeur du secteur culturel béninois révèle que le Fitheb a amorcé sa descente aux enfers depuis 2013. Dans son intervention, il a aussi levé un coin de voile sur les avantages liés à l’inscription de la culture dans les dispositions de l’article 98 de la Constitution, qui est un combat qu’il mène avec d’autres acteurs culturels depuis plusieurs années. Lire l’intégralité de l’entretien

L’Evénement Précis : Quelle est votre appréciation par rapport à la dissolution du Fitheb au profit du Centre national du théâtre ?

Hermas Gbaguidi : Ça peut paraître bizarre que je ne me suis pas prononcé depuis que la guéguerre a commencé sur le Fitheb, pour deux raisons. La première raison, en 2013, je me suis retrouvé seul face au ministre de la culture d’alors en défendant les mêmes causes qui ont tué le Fitheb aujourd’hui. Mais je n’étais pas compris. C’était un affrontement direct entre moi et le ministre. On nous a amenés aux réformes des statuts du Fitheb dans un atelier à Grand Popo. J’y avais participé, mais tout le monde connaissait mes positions qui n’ont pas changé jusqu’à présent. La mort du Fitheb était déjà programmée depuis 2013, et moi je l’ai dit. Le reste, on a essayé de préserver les acquis de ce qu’on ne pouvait pas préserver parce que les directeurs qui se sont succédés, non seulement, n’ont pas compris la vision première de la manifestation. Quand la Francophonie faisait du Bénin une terre de théâtre, c’est compte tenu d’une histoire et cette histoire date de longtemps. C’est depuis l’Ecole William Ponti et dans toutes les histoires de la présence du théâtre, le Dahomey d’alors était cité. Même ici à Bingerville, ceux qui ont œuvré dans ces mêmes périodes reconnaissent que les Béninois ont été des précurseurs dans l’évolution du théâtre professionnel en Afrique. C’est pour cela que notre terre a été une terre désignée d’office pour valoriser le théâtre et devient un carrefour du théâtre. Les gens ne connaissent pas l’histoire. C’est pour cela qu’ils se sont fourvoyés en voulant changer les choses. Mais ça n’a pas marché. Je suis heureux aujourd’hui, parce que c’est sous le même ministre d’alors qui est revenu encore que l’échec a été consommé jusqu’à la dissolution. Connaissant ça, quand les amis menaient l’initiative « Sauvons le Fitheb », j’ai dit que je ne m’engage pas, parce que pour moi, le Fitheb était déjà mort. ‘’Médecin après la mort’’, moi je ne m’engage pas dans ça. Et j’ai refusé de participer sincèrement. Je ne parlerai pas de désapprobation parce que c’est l’autorité qui a pris sa décision. On ne peut pas désapprouver ce que l’autorité dit. Mais c’est dommage qu’on est arrivé à cette limite-là. On va voir ce que le Centre national du théâtre va faire, parce qu’on a dit dans les alinéas du relevé du Conseil des Ministres que la biennale est préservée. C’est la direction qui est dissoute. Il est toujours mieux d’essayer. Ce n’est pas que je suis pessimiste, mais je n’y crois, parce qu’on ne va pas mettre en place les dispositions nécessaires puisqu’il y a beaucoup d’écueils, de verrous à faire sauter, beaucoup de dispositions à prendre à l’interne comme à l’externe pour redorer le blason du Fitheb.

Que pensez-vous de la dotation de ce centre d’un conseil artistique ?
Hermas Gbaguidi : Cette disposition se retrouve depuis la création du Fitheb. Le Fitheb devait avoir un conseil artistique. C’est écrit noir sur blanc. Mais la complicité des directeurs et du ministère a fait qu’on n’a jamais doté la manifestation d’un conseil artistique. Le Fitheb devrait avoir une direction de production. La complicité des directeurs avec les cadres du ministère a fait qu’on n’a pas pu, malgré nos efforts, malgré tout ce que le conseil d’administration a fait pour qu’on dote en fin cette manifestation d’une direction de production, on n’a jamais respecté les résolutions du conseil d’administration. Sinon, c’est parce que les gens n’ont pas lu les textes du Fitheb qu’ils sont étonnés qu’on parle aujourd’hui de conseil artistique. Ce conseil est dans les textes depuis l’origine du Fitheb.

Depuis quelques années, vous luttez pour l’inscription de la culture dans les dispositions de l’article 98 de la Constitution. Quels sont les avantages d’une telle disposition pour le secteur ?
Hermas Gbaguidi : J’avais deux chevaux de bataille depuis 2017. C’est-à-dire ma lutte pour la réhabilitation de la tombe de notre icône nationale de la boxe, Sowéto, mais aussi, il y avait ce combat avec mon ami Hector Houégban de tout faire pour que la culture qui est omise avec le sport et la jeunesse depuis la promulgation de notre Constitution, soit aujourd’hui réintégrée dans la Constitution. Ce que les gens n’ont pas compris, et je vais faire simple : l’article 98 de la Constitution béninoise est l’article qui fait la liste de toutes les préoccupations et obligations du Gouvernement. C’est sur la base de cet article que la loi des finances du Bénin est votée. Mais quand on veut voter cette loi, on constate que ces trois secteurs ne sont pas intégrés. Donc il y a une difficulté pour les gens du ministère du plan, et ceux du ministère des finances pour pouvoir donner les moyens pour l’éclosion de la culture, du sport et de la jeunesse. On est obligé, parce qu’il faut saupoudrer, il faut contenter les acteurs de ces trois secteurs de partir sur les règles, les principes réglementaires du budget pour sortir de l’argent pour la culture, le sport et la jeunesse. Nous avons traîné ça depuis 30 ans. Et ça a toujours été le blocage, parce que la culture, le sport et la jeunesse ne sont pas du domaine de la loi. Or il faut que ces trois matières soient du domaine de la loi pour être considérées par le ministère des finances. Il faut que ces trois domaines soient considérés dans la loi pour qu’on puisse légiférer au niveau de l’Assemblée nationale, pour qu’on arrive à sortir les différents codes : sur le sponsoring, sur la cinématographie, sur le sport etc. Même le Centre national du théâtre qu’on est en train de créer est déjà frappé par cet article, parce qu’il sera une coquille vide. Ce n’est pas que je suis pessimiste, pas du tout. Le centre n’aura pas les moyens parce qu’on ne peut pas doter le centre sans qu’il n’y est pas une loi qui formalise. On a vu le centre national du cinéma et de l’image animée, ça fait 5 ans que le directeur a été nommé, mais jusqu’ici il n’y a rien qui est poussé et qui ne pouvait pousser car sans la loi, on ne peut pas faire quelque chose dans notre secteur. Donc, on a plus l’avantage aujourd’hui avec l’actuel Président de la République qui est un féru de loi, d’inscrire facilement la culture, le sport et la jeunesse dans cet article pour qu’on règle définitivement tous les problèmes. Même les problèmes au niveau de la coopération ont été des handicaps pour l’éclosion. Avant, même si tu ne trouves pas de l’argent au niveau de ton ministère, au moins au niveau de la coopération, on peut en trouver. Mais depuis que les ambassades ont relu la Constitution et ont vu que le Bénin ne taille pas d’importance à la culture, qu’elle est facultative, les financements au niveau de la culture se sont raréfiés. Je peux vous donner un exemple : Béo Aguiar et moi, tous les ans, nous allons à Orléans. On jouait là-bas d’abord avant de venir jouer notre spectacle ici, mais ce même handicap est allé sur la loi sur la décentralisation. Aujourd’hui, les communes ne peuvent pas financer la culture, parce que les articles 18, 19 et 20 de la Loi organique portant financement des communes et municipalités du Bénin l’ont interdit. Le maire aujourd’hui n’est pas obligé de répondre à une demande que tu lui envoies, parce que l’article 19 lui donne le droit de jeter à la poubelle une telle requête. C’est pour cela que dans les communes, les services qui se chargent de la culture, c’est des services socioculturels, et ceux qu’on met là, c’est des gens qui s’occupent plus des démunis et des indigents, point. Donc on a fait des artistes béninois des indigents et les artistes ne veulent pas reconnaître qu’ils sont des indigents et ça crée encore de problèmes, parce qu’on a dit, le temps qu’on vous inscrive là-bas vous pouvez continuer à bénéficier du fonds puisque le fonds sur l’indigence c’est 40 milliards. Si on peut donner 5 milliards de ce fonds-là aux artistes, en attendant de les inscrire, ça peut leur servir à quelque chose. Mais eux-mêmes ils refusent qu’ils sont des indigents, or voilà qu’ils ont besoin d’argent pour évoluer.

Entretien réalisé par Laurent D. KOSSOUHO

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