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Le triomphe de la vérité

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Edito: Le mal identitaire


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J’étais en reportage en 2013 à l’aéroport de Cotonou lors de la réception des Béninois vivant en Centrafrique et qui ont dû fuir le pays du fait de la guerre. L’un d’eux venait de faire 60 ans à Bangui et avouait les larmes aux yeux, avoir tout laissé derrière lui pour sauver sa vie et celle de sa famille. « De toute ma vie, je n’ai jamais vu autant de barbarie chez des êtres humains », me disait-il en rappelant les scènes macabres qui devenaient le quotidien de la capitale centrafricaine en guerre. C’était dix ans après le cycle de rébellion déclenché par le coup d’État de François Bozizé contre Ange-Félix Patassé. Bozizé lui-même finit par être chassé du pouvoir et le pays est désormais entre les mains d’une multitude de groupes rebelles, sombrant dans une absurde guerre de religions. Alors qu’au départ Bozizé et ses hommes en voulaient à la « dictature » de Patassé, ils ont fini par rendre le pays aux mains des démons de la division clanique et identitaire.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à cette actualité tragique, lorsqu’en fin de campagne électorale, des évocations ethniques ont fusé de part et d’autre. Et dans certains forums Watsapp désormais, le sujet de discussion favori reste les divisions Nord-Sud, Fon-Nago, etc. Ce qui a vraiment frappé mon attention, c’est la récupération manipulatrice qu’en ont fait les protagonistes, comme si ce sujet était déjà sous la cendre et n’attendait que d’être sorti. Oui, le feu ethnique est porteur de clivages et de passions mortifères. Il n’est donc pas étonnant que tous ceux qui veulent le départ coûte que coûte d’un Chef d’Etat s’en saisissent pour en faire un levier de mobilisation de la clientèle politique.
Dans notre Afrique, les identités ne s’affirment dans l’arène politique que sur le mode de la confrontation violente. Mais personne ne semble voir l’absurdité du cas centrafricain, comme celui de tant d’autres conflits qui ont fini par transformer les Etats en d’interminables champs de bataille. A savoir qu’allumer ces feux de la passion identitaire, sous le prétexte de la conservation du pouvoir ou de sa conquête, l’on n’aboutit à rien d’autre qu’au délitement total qui rend un pays ingouvernable pour des siècles.
Pendant longtemps, je me disais que les Etats africains étaient congénitalement impropres à une gouvernance moderne, tant que subsisteraient ces clivages profonds. Ceux-ci datent en majorité de l’esclavage et la colonisation, mais sont perpétués par nos élites politiques et intellectuelles. Mais il a fallu observer en profondeur les démocraties occidentales pour s’en rendre compte : chaque pays porte en lui ses divisions viscérales. Bien souvent, ce sont les stigmates douloureux des guerres anciennes qui empêchent les générations actuelles de s’entretuer à nouveau. Les élections dans l’Amérique de Trump et surtout les manifestations violentes de janvier dernier ont montré à la face du monde ce que je savais déjà : les Etats-Unis portent encore des séquelles incurables de la guerre de sécession (1861-1865) qui a dessiné dans ce pays des identités claires qui s’affrontent depuis lors dans l’arène politique. Le trumpisme a dégagé d’autres tendances de fond qui, selon beaucoup d’experts, pourraient aboutir à terme à une nouvelle guerre civile aux Etats-Unis.
Réveiller les « idéologies tribales », pour parler comme le diplomate Guy-Landry Hazoumè qui a écrit un ouvrage à ce sujet, c’est ramener à la surface les vieux démons qui détruisent tous les pays du monde. Ce qui est heureux dans le cas actuel, c’est que pour le moment, la manœuvre n’a pas prospéré sur le terrain des affrontements que l’on espère. On n’a pas vu dans nos villes ni dans nos campagnes la chasse aux sudistes ou de chasse aux nordistes, comme l’espèrent certains états-majors. Avec mon ami Docteur Ebénézer Korê Sèdégan, nous avons publié il y a deux mois chez L’Harmattan, un ouvrage qui met l’accent sur l’influence des facteurs identitaires dans le déclenchement des coups d’Etat chez nous au Bénin entre 1963 et 1972. Et je reste convaincu que les mêmes causes identitaires aujourd’hui encore en 2021, produiront des conflagrations que personne ne pourra rattraper ni résoudre.
Car en ces périodes difficiles, l’on se rend compte simplement que les peuples ne tirent leçon de l’histoire récente ou ancienne, que lorsqu’ils ont été touchés dans le tréfonds de leurs chairs et de leurs âmes par les effets néfastes de leurs propres aveuglements.

Par Olivier ALLOCHEME

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