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Le triomphe de la vérité

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Edito: Some black lives don’t matter


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L’électrochoc créé par la mort de Georges Floyd aux Etats-Unis n’a reçu en Afrique qu’un écho mitigé. Les violentes manifestations qui s’en ont suivi aussi bien aux Etats-Unis qu’ailleurs dans le monde, sont vues avec un certain étonnement en Afrique même, par nous autres Africains vivant sur le continent.
Oui, on comprend très bien, on est révolté même par le racisme structurel implacable qui oblige ces foules de toutes races à demander un meilleur sort aux Africains. Mais à la limite toute la démonstration qui est faite et qui a abouti à la résurgence du mouvement Black Lives Matter (la vie des Noirs compte) parait un peu exagérée. Dans le subconscient construit ici au Bénin, le Blanc est bien supérieur au Noir et possède pour cela des droits au-dessus de la moyenne chez nous. Observez bien nos monuments, nos stades, nos rues. Ils sont baptisés des noms de ceux qui furent nos bourreaux, les colonisateurs français : Charles de Gaulle, René Pléven, père Aupiais. Autant il est impensable en France qu’on baptise même une ruelle du nom de l’occupant allemand de la deuxième guerre mondiale, autant au Bénin du XXIème personne ne semble comprendre que célébrer son occupant est une pure hérésie. Un jour, nos enfants et nos petits-enfants, se demanderont comment nous avons pu nous réduire à cette ignominie.
De fait, le système institutionnel mis en place depuis la période coloniale, nous a formatés à la négation de nous-mêmes. Si nous avons cette propension à rejeter ce qui nous identifie, si le Béninois est allergique par définition aux produits de consommation qui viennent de son terroir, c’est parce que le complexe d’infériorité construit vient de loin. Il est dans nos imaginaires, subtilement installé depuis l’enfance grâce à l’école et aux religions importées.
La semaine écoulée (et probablement pour quelques semaines encore), une image a été abondamment partagée sur les réseaux sociaux. Elle représente l’ange St Michel (naturellement blanc) tenant sous son pied Satan ou le démon (naturellement noir). Dans la tête des Béninois qui ont produit, installé et qui vénèrent ces représentations dans les églises de Cotonou et d’ailleurs, l’ange bienfaisant est forcément blanc et le démon malfaisant est noir. Ceux qui ont vécu dans d’autres parties du monde, peuvent témoigner que la couleur du démon dépend du peuple que l’on veut dominer et anéantir. Dans une partie du Canada par exemple, Satan n’est pas noir ; il a une couleur rouge. Pourquoi ? Chacun doit chercher à le savoir. Ce qui me préoccupe le plus c’est ceci : pourquoi les millions de Noirs qui fréquentent ces églises n’ont jamais pu détecter ces manifestations de racisme rampant jusque dans leur imaginaire religieux ?
Ce racisme date déjà de la bulle papale du 18 janvier 1454 intitulée « Dum diversas », par laquelle le pape Nicolas V autorise les rois d’Espagne et du Portugal « d’envahir, de rechercher, de capturer et de soumettre les Sarrasins (Noirs) et les païens et tous les autres incroyants et ennemis du Christ où qu’ils puissent être, ainsi que leurs royaumes, duchés, comtés, principautés et autres biens […] et de réduire leurs personnes en servitude perpétuelle.» « Servitude perpétuelle » ici désigne l’esclavage. Les historiens savent que ce fut le point de départ de l’esclavage et de ce qui fut abusivement appelé la traite négrière. Ils savent que l’implantation du christianisme sur le continent ne fut d’abord qu’une stratégie pour vaincre la résistance farouche des Africains face aux guerres esclavagistes qu’on leur livrait. Même si cela prend des siècles, nos enfants et nos petits-enfants finiront par apprendre que ce ne fut pas une traite (un commerce), mais une guerre pour arracher de force les Africains et les réduire en esclavage aux Amériques, conformément à ce que recommandait l’église. On a toujours joué sur les mots et sur les symboles pour soumettre et dominer l’Africain.
Ainsi, la négation de nous-mêmes constitue l’une des plus grandes réussites de l’Europe : d’avoir réussi à nous faire regarder nous-mêmes comme des sous-hommes bons pour servir les Blancs. C’est ce fait consubstantiel à notre imaginaire d’Africain que le philosophe Achille M’Bembé a pu appeler « le devenir nègre » de l’Africain, c’est-à-dire sa capacité à se regarder comme sous-homme.
Non, la vie de tous les Africains ne compte pas. Elle comptera et les autres peuples nous respecteront pour cela, le jour où nous nous valoriserons en élimineront farouchement et définitivement les instruments qui ont servi et servent encore à nous dominer.

Olivier ALLOCHEME

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