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Le triomphe de la vérité

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Réflexion de l’Ambassadeur Jean-Pierre Adelui Edon sur l’Assassinat de George Floyd : « Aucun mouvement de foule de grande ampleur n’ait eu lieu en Afrique »


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Ambassadeur Jean-Pierre Adelui EDON

L’ampleur que prend le racisme dans le monde préoccupe l’ancien Ambassadeur, spécialiste des questions internationales, Jean-Pierre Adelui Edon. Dans sa nouvelle tribune intitulée « Actes de racisme aux Etats-Unis et désapprobation américaine et internationale », suite à l’assassinat le 25 mai dernier de l’Afro-américain George Floyd, l’Ambassadeur Edon est revenu sur les manifestations populaires qui ont eu lieu dans au moins 140 villes américaines pour dénoncer cette barbarie policière. Pour lui, ces mouvements rappellent les émeutes suscités par l’acquittement en 1992, des policiers blancs ayant battu Rodney King à Los Angeles, ou encore, celle ayant suivi la mort de Michael Brown en 2014 à Ferguson. Mais malgré l’annulation des lois ségrégationniste, le racisme demeure endémique et systémique aux États-Unis. Par ailleurs, il dénonce une inaction au niveau des Etats africains, avant de proposer quelques solutions pour éradiquer ce mal.

La mort tragique de George Floyd, Noir américain le 25 Mai 2020 à Minneapolis, a choqué l’opinion publique américaine et internationale. Ce n’est pas la première fois qu’un Afroaméricain est victime de la violence policière, mais cette fois-ci, les conditions de cet homicide sont atroces et inhumaines. Une description brève de cette tragédie et les émeutes qu’elle a suscitées partout dans le pays et à l’étranger, permettra de mieux l’apprécier à travers le contexte du drame, ses causes et les perspectives d’avenir.

Monsieur George Floyd a trouvé la mort suite aux violences policières exécutées par un policier blanc du nom de Derek Chauvin avec la complicité de trois autres agents de police. Fréquent et cyclique, ce genre de meurtre se produit un peu partout dans le pays dans l’indifférence condamnable des Autorités. Cette fois-ci, la violence des images est choquante et a servi de détonateur. On aperçoit un homme à terre qui demande à respirer, et un policier blanc l’en empêche en posant fortement son genou sur son cou jusqu’à rendre l’âme.

Aux Etats-Unis même, cet évènement triste et révoltant a suscité une profonde indignation et de façon spontanée, des manifestations de protestation véhémentes. Les sources dignes de foi indiquent que les protestations se sont propagées dans au moins 140 villes américaines y compris la Capitale Washington et à quelques mètres de la Maison Blanche. Les éléments de la garde nationale, d’après RFI, ont été déployés dans plus de 29 métropoles dans un climat de tension exceptionnelle. Très coléreux, les manifestants dénoncent le racisme, les violences policières et les inégalités sociales. Pacifique au départ, le mouvement s’est transformé en émeutes et pillage.

Ces mouvements rappellent les émeutes suscitées par l’acquittement en 1992, des policiers blancs ayant battu Rodney King à Los Angeles, ou encore, celle ayant suivi la mort de Michael Brown en 2014 à Ferguson. Selon certains analystes, c’est du jamais vu depuis les émeutes consécutives à l’assassinat de Martin Luther King en 1968. Mais par rapport à « la vitesse de diffusion du mouvement et son ampleur, avec la conjugaison de manifestations pacifiques et violentes dans autant de villes et de manière aussi forte, l’histoire qui s’écrit actuellement aux Etats-Unis est inédite » selon Romain Huret, historien spécialiste des Etats-Unis, Directeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Science Sociale en France.

Cet évènement malheureux a fissuré l’unité nationale et mis en exergue les profondes divisions raciales qui continuent de fracturer le pays. Pourtant les lois ségrégationnistes Jim CROW n’existent plus, elles sont abolies et un Noir américain a même exercé les plus hautes fonctions de la Nation de 2008 à 2016. Cela n’a pas suffi pour éradiquer le racisme qui demeure endémique et systémique dans ce pays se réclamant pourtant des droits de l’homme. Il y a donc lieu d’en savoir les causes.

Les causes du racisme qui se manifeste depuis des années à travers la discrimination économique, les violences policières perpétrées par des Blancs, peuvent se résumer en quelques points : le poids du passé esclavagiste et ségrégationniste, l’impunité policière, le long silence des Autorités et enfin les discours agressifs et racistes du Président Trump et de ses soutiens.

En effet, les nostalgiques du passé, notamment les suprématistes blancs ont du mal à s’adapter à la réalité d’aujourd’hui, à savoir que les Noirs sont libres et égaux en droit avec les Blancs. Ils ont gardé la mentalité désuète de la supériorité de la race blanche sur la race noire, d’où la haine qu’ils éprouvent à l’égard des Afro-américains. En leur sein sont apparues plusieurs organisations racistes comme le Ku Klux Klan dont les membres se réclament du nationalisme blanc.

En vertu de ce nationalisme étriqué, les Afro-américains n’auraient pas leur place aux Etats-

Unis, alors que les Noirs sont arrivés dans ce pays à la faveur du triste esclavage au 16e et 17e siècle, bien avant beaucoup de Blancs ayant foulé le sol Américain au 18e et 19e siècle, certains, à la recherche de l’eldorado, d’autres à cause des guerres religieuses sans fin en

Europe. Nombreux dans le corps de la police, les Blancs se servent de leur position pour opprimer les Noirs et exercer contre eux des violences de tout genre, sans en être punis.

L’impunité policière passe pour être la règle, ce qui encourage les agents de sécurité à perpétrer aisément leurs crimes. Par exemple, Derek Chauvin, le policier responsable de la mort de Floyd, avait fait l’objet de 17 plaintes pour faute professionnelle, sans qu’aucune de ces fautes n’ait donné lieu à la moindre sanction disciplinaire. Le département de police de

Minneapolis lui-même, a fait l’objet de nombreuses plaintes pour usage excessif de la force contre les résidents noirs, sans qu’à ce jour, aucune mesure répressive ou corrective ne soit prise.

Cette impunité est générale dans le pays et les Noirs continuent d’être victimes de la violence policière. Beaucoup de cas non connus du public se produisent tous les jours au point que les parents Noirs très inquiets, conseillent tout le temps à leurs enfants d’éviter la police. Cette situation a fait dire à Madame Tamika Malory, la jeune activiste des droits civiques et des femmes, le 29 Mai 2020 au cours d’un meeting à Minneapolis que la population noire aux Etats-Unis est dans « un état d’urgence » permanent, et tout le monde en garde silence.

En effet le long silence des Autorités à tous les niveaux face aux actes du racisme, est d’une grande préoccupation. Aucune mesure énergique n’est prise, ce qui a fait dire la semaine dernière à un parlementaire Noir américain que « les Etats-Unis ont livré la guerre à la pauvreté, ils ont livré la guerre à la drogue, ils ont livré la guerre au terrorisme. Pourquoi ne livrent-ils pas la guerre au racisme ? » Il est alors indiqué que le Congrès se saisisse de ce dossier important et prenne enfin les mesures appropriées. Dans ce cadre, le Black Caucus, groupe des parlementaires et sénateurs afro-américains doivent se réveiller et travailler comme par le passé.

Aussi espère-t-on que les Autorités adopteront désormais des comportements responsables et sages et surveilleront mieux leur langage par rapport au racisme. Ceci est d’autant plus important que beaucoup d’observateurs étrangers et de citoyens américains, s’accordent aujourd’hui pour reconnaitre que l’une des causes des actes du racisme ces dernières années aux Etats-Unis, est à rechercher dans les discours agressifs et racistes du Président Donald Trump.

L’activiste américaine des droits civiques, Mme Tamika Malory a rappelé le 29 mai dernier qu’en 2018, le président Trump aurait déclaré dans un discours qu’il est un nationaliste. Or l’histoire du nationalisme blanc dans ce pays est intimement liée au racisme. C’est en vertu de cette idéologie rétrograde qu’en Mai 1921, sous l’oeil complice des Autorités locales, un groupe de blancs bien armés ont massacré les Noirs à Tulsa dans l’Etat d’Oklahoma, faisant plus de 300 morts, mettant ainsi des milliers d’Afro-américains à la rue, leurs maisons étant saccagées et incendiées. Au nom de ce nationalisme, on tente même de redéfinir ce que signifie « être américain » à travers des discours d’exclusion nationale et d’appropriation des symboles patriotiques.

Depuis trois ans, a souligné New York Times, le gouvernement fédéral donne une carte blanche aux forces de l’ordre en assumant une inaction avérée dans les poursuites ou enquêtes en matière de droits civils liés aux accusations de mauvaise conduite de la police.

Mieux le président Trump a ouvertement encouragé la violence policière dans un discours prononcé devant une organisation des forces de l’ordre où il conseille aux policiers de ne pas protéger la tête des suspects quand ils les font rentrer dans leurs voitures. Il faut donc les molester, dira-t-on.

Enfin la semaine dernière, tout en évoquant la mémoire de George Floyd, il annonce qu’il veut envoyer les militaires dans le Minnesota pour arrêter les émeutes en faisant usage d’armes à feu. « When the looting starts, the shooting starts », c’est-à-dire « quand les pillages démarrent, les tirs commencent ». En réaction à cet ordre, Joe Biden, candidat démocrate aux prochaines élections présidentielles, abasourdi, a souligné dans un discours que le président veut déclarer la guerre contre ses propres citoyens. Monsieur Romain Huret, spécialiste des Etats-Unis, a été plus pointu dans son appréciation, en déclarant que « Trump symbolise l’absence d’humanité. Il a montré que pour lui toutes les vies humaines ne se valent pas ».

Subissant durement la discrimination économique et sociale, un autre volet du racisme, les

Afro-américains sont les plus pauvres (bas salaires, fort taux de chômage, soins médicaux médiocres faute de moyens financiers, ce qui explique le taux de mortalité élevé des Noirs avec le covid 19, accession difficile à la propriété immobilière dans certains Etats, faible pourcentage de formation qualifiée et du niveau d’instruction, peines d’emprisonnement fréquentes, etc…).

Cette situation d’injustice, de partialité, est incompréhensible au XXIe siècle de la part d’une grande Nation, la première puissance économique mondiale qui s’illustre sur la scène internationale dans la défense des droits de l’homme.

Certains politologues pensent que la tragédie de Minneapolis marque la fin des illusions nées avec l’élection de Barack Obama à la magistrature suprême. En fait l’accession d’un Noir à ces Hautes fonctions de l’Etat, ne suffit pas pour combattre avec succès le racisme. Le problème ici dépasse un président Noir dans la mesure où il ne peut rien faire qui ne soit conforme au système dont il fait partie désormais. Le président John Kennedy, bien qu’il soit Blanc, a été assassiné à cause de ses idées et actions, certes progressistes, mais non conformes au système en place. La réalité du pouvoir est toujours différente de ce à quoi on pouvait s’attendre.

La preuve en est que même sous la présidence Obama, il y a eu des cas d’Afro-américains

victimes de la violence policière. C’est donc le système qu’il faut revoir et combattre par une véritable volonté politique et la prise de conscience générale de ce fléau qui ronge la société américaine et la déshonore. Désormais les politiciens de ce grand pays doivent faire du racisme une préoccupation majeure, une question nationale. Il s’agira d’amener les citoyens américains, à ne pas se tromper de colère, car l’homme politique et grand écrivain africain, le président Senghor disait que «les racistes, ce sont ceux qui se trompent de colère.»

Pour une fois et mieux que par le passé, le monde entier a déploré et condamné cet acte horrible à travers les manifestations géantes organisées partout comme en Irlande, Royaume-Uni, France, Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Suisse, Espagne, Danemark, Japon,Thaïlande, Afrique du Sud etc…, brandissant des pancartes portant l’inscription « La vie desNoirs compte »( Black lives matter). Il s’ensuit que le monde entier rejoint et soutient le mouvement américain « Black lives matter ». Ceci complète le slogan des activistes afroaméricains libellé comme suit : « Pas de justice, pas de paix » Les Autorités américaines ont intérêt à écouter leurs populations. Les manifestants dans les différentes villes ne sont pas uniquement les Afro-américains. Il y a aussi beaucoup de Blancs non racistes, les américains d’origine asiatique et latino-américaine. C’est donc le peuple souverain qui s’exprimait et mérite d’être écouté par les Autorités. Ces dernières devront dorénavant tenir des propos de rassemblement et non de division, tout en traitant tous les citoyens de la même manière quelle que soit la couleur de leur peau.

L’Afrique a exprimé son indignation à travers le communiqué rendu public par l’Union Africaine et dans lequel elle condamne l’acte raciste et rappelle la résolution historique de l’OUA en 1964 relative à la condamnation de la discrimination raciale aux Etats-Unis. Emboitant le pas à l’UA, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dans une déclaration en date du 3 juin 2020, condamne le décès tragique du Noir américain non armé, des suites de violences policières.

Le président Ghanéen de son côté s’est prononcé contre cet acte horrible et condamnable, de même que le forum des anciens chefs d’Etat africains par l’entremise de l’ancien président béninois Dieudonné SOGLO. Il est toutefois anormal et incompréhensible que deux semaines après cet évènement dénoncé partout par des manifestations géantes de protestation, aucun mouvement de foule de cette ampleur, n’ait eu lieu dans aucun pays africain à ce jour, sauf de façon timide en Afrique du Sud, Nigéria, Kenya et Sénégal.

Ce genre d’attitude déshonore nos Chefs d’Etat et ne permet pas au reste du monde de reconnaitre à l’Afrique, le respect et la considération qu’elle mérite. Pendant l’affaire Charly hebdo en 2015, beaucoup de Présidents africains se sont rendus à Paris pour participer aux côtés de François Hollande à la marche de protestation contre le terrorisme. Ici comme à Minneapolis, il y a eu mort d’homme. Pourquoi pas la même réaction dans chacun de nos pays ?

Quant au célèbre écrivain nigérian Wole Soyinka, il invite à juste titre, les Afro- descendants à «être condamnés à l’excellence et à la conquête du pouvoir économique et politique partout où ils vivent». Il a parfaitement raison car si le peuple juif, autrefois victime du racisme ayant conduit à l’extermination de millions de Juifs, est aujourd’hui respecté et même craint partout y compris aux Etats-Unis, c’est parce qu’il excelle dans tous les domaines et détient le pouvoir économique et politique, ce qui lui permet de disposer d’un lobby mondial très fort. Les Afro américains doivent résolument s’engager dans cette voie et se servir de ce pouvoir conquis, comme un moyen de lutte contre le racisme.

La résonnance que la mort de George Floyd a connue dans le monde entier et la condamnation unanime de cet acte raciste affreux, est la preuve de la désapprobation mondiale de la discrimination raciale aux Etats-Unis. Il urge et importe alors que les racistes américains changent de mentalité. En fait, le message que véhiculent les manifestants à l’échelle mondiale, s’adressent aussi à tous les pays du monde où existe encore le racisme sous une forme ou une autre.

Il revient aux parlementaires américains (Chambre des Représentants et le Sénat), aux différents groupes d’intérêt et à la société civile de se saisir de ce dossier en prenant des mesures légales énergiques, draconiennes de nature à décourager définitivement les pratiques du racisme, conformément à la législation nationale et aux différentes conventions internationales dont ce pays est signataire.

Dans l’immédiat, il va falloir reformer la police de Minneapolis, définir une nouvelle politique nationale d’exercice des fonctions de la police, applicable dans tous les 50 Etats et métropoles du pays, et prendre des mesures légales et pratiques contre l’impunité liée aux actes racistes. Il est d’une importance capitale, de défendre et rétablir par tous les moyens, la justice sans laquelle il ne peut y avoir la paix. L’espoir est permis, car la résolution correcte de ce problème impliquant la volonté politique, est à la portée de la première puissance mondiale ayant la capacité d’envoyer des astronautes dans l’espace, progrès scientifique et technologique admirable auquel contribuent aussi les Afro-américains qui comptent en leur sein des savants et inventeurs de tout genre.

Jean-Pierre Adelui EDON

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales.

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