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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec Anna Baï Dangnivo, auteure du conte Toula: «Le fâ est vraiment une science fascinante»


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Anna Baï Dangnivo

Lauréat du Grand Prix littéraire du Bénin 2019 dans la catégorie « Conte », Anna Baï Dangnivo Koty est aussi auteure d’un autre conte intitulé « Toula, l’amour interdit ». Il s’agit d’une œuvre littéraire dans laquelle, la conteuse parle de l’inceste et de détournement de mineures. A travers cet entretien accordé à notre rédaction, elle livre quelques secrets sur ce conte qu’elle a hérité de sa grand-mère depuis son enfance.

L’Evénement Précis : De quoi il est question dans l’ouvrage Toula ?

Anna Baï Dangnivo : Dans la société très ancienne où la scène se passe, l’inceste était proscrit. On n’a pas le droit d’épouser son père ou sa mère, ses tantes, disons, les proches parents. Nos ancêtres étaient de grands observateurs. Ils avaient certainement constaté que les enfants qui naissaient de ces unions portaient des tares et souffraient de certaines maladies comme la drépanocytose. Ce n’est donc pas par caprice qu’ils avaient interdit ces mariages entre personnes de même sang, entre des parents très proches etc. Et quand cela se passe, on chasse les gens du village. Le fondement scientifique, c’est que les gens du même sang qui se marient en réalité font du tort aux enfants qui naissent avec des malformations de tous genres, qui souffrent parfois de tares héréditaires, parce que les tares sont multipliées par deux chez les enfants. Et c’est ce que les blancs appellent le génotype qui permet de savoir si les sangs sont compatibles pour un mariage et l’électrophorèse aide à définir le génotype.

Les enfants des parents drépanocytaires souffrent aussi de la drépanocytose la plupart du temps. Ce qui entraîne des souffrances indicibles, une mortalité infantile élevée dans ces couples. Souvent par ignorance, ces gens accusent les sorciers. Donc quand en langue fongbé, on dit « é blo hwé do » là, il faut faire très attention. C’est ce que les ancêtres ont essayé de dire à travers Toula pour interdire inceste.

Les blancs ont-ils tort de penser que les ancêtres africains manquent d’intelligence ?

Toute connaissance est d’abord empirique. L’observation, les expériences plusieurs fois vécues, et même le hasard peuvent et servent à concevoir une hypothèse qu’il faille infirmer ou confirmer pour rendre le travail scientifique. Les anciens savaient tout ça à mon avis même s’ils procèdent  différemment. Ils étaient plus pragmatiques. Autrement, les Boo dont nous parlons aujourd’hui n’existeraient pas. Je me demande si ce n’est pas ce que la science appelle chimie avec des instruments et des supports papier, l’écriture. Je crois que tout ça se complète, mais nos ancêtres étaient trop peu matérialistes parce que très soucieux de l’harmonie entre les différents règnes et trop à l’écoute des dieux. Quand on prend les grands savants, ils peuvent chercher des vaccins pendant des décennies, et un beau jour, ils disent : j’ai trouvé. La réponse est là, mais ils n’ont pas vu et c’est intuitivement après qu’ils découvrent la vérité et ils remontent à la démonstration après. Je me dis alors que la science a toujours existé même si on ne l’aborde pas de la même manière. Nos ancêtres n’ont jamais été des bêtes, puisque si nous prenons le cas de la santé, nos ancêtres n’ont pas attendu la colonisation pour se soigner ou trouver des remèdes à leurs petits problèmes. Même si pour certaines maladies, la science nous permet aujourd’hui d’aller plus vite, l’Organisation mondiale de la santé même reconnait qu’il y a des maladies qui se traitent mieux à la traditionnelle que dans le système moderne qui est plutôt chimique. Donc je pense que tout se complète, mais tout a toujours existé. Lavoisier l’a dit : « Tout se transforme, rien ne se crée ». La vie est donc un perpétuel recommencement. Tout a toujours existé et quand vous ne savez pas cela, vous dites que vous découvrez. Les méthodes utilisées peuvent changer, mais la vérité a toujours existé. Ceux qui disent que nos ancêtres ne sont pas intelligents, ils savent eux-mêmes qu’ils mentent. Ils ont d’autres façons d’aborder la vie. C’est tout. Et nous devons tirer leçon d’eux. Nous aujourd’hui, on peut s’enrichir encore de la civilisation des autres, de faire en sorte que cette civilisation ne nous domine pas, mais qu’on s’en serve pour enrichir la nôtre, parce que toute civilisation qui n’évolue pas, meurt.

Quel est le sens du signe Toula dont vous avez fait cas dans l’ouvrage ?

Le conte Toula n’a rien à avoir avec le christianisme ou le monde actuel en ce qui concerne le choix des noms. Un nom qu’on donne à quelqu’un dans le passé a un sens. Il indique une situation, il rappelle un événement, il met en garde et donne des conseils. Toula Médji est un signe du fa. C’est un fa dou qui a un sens. Il parle de la beauté, de la propreté morale et physique, mais aussi de quelqu’une qui aime relever des défis. Ce signe n’aime pas faire comme tout le monde. Il aime défier le sort et souvent rire des obstacles pour le peu que j’en connais. Toula en fait résume déjà toute l’histoire pour les connaisseurs du fa. Le fa est vraiment une science fascinante. Un signe, un dou raconte toute une histoire et cache bien des réalités. Toula n’est pas un nom choisi au hasard.

Pourquoi vous n’avez pas choisi un mot français comme titre ?

J’ai insisté sur ce titre, parce que dans le conte, le mot Toula revient sans cesse. On a Toula Médji, on a Gbétoumila, on a encore Toula. La sonorité me plaît bien et je crois avoir déjà vu un film qui était aussi intitulé Toula où on devrait sacrifier une fille vierge au Vodoun Dan. Je crois que c’est dans le Sahel et la fille aussi s’appelait Toula. Toula prône également la solidarité, le respect des règles qui régissent la société, la tolérance sinon, le couple aurait été exécuté. Je trouve Toula, féminin et Toula Médji est un « Dou féminin ». Parce qu’il y a les « Dou mâles » et les « Dou femelles ». Toula est une femme et  quand on vous parle de ce signe, ça exprime toujours la beauté. Et dans le conte, il était question de beauté aussi.

D’où est-ce que vous avez eu ce conte ?

C’est une grand-mère qui me l’a conté et je l’ai romancé. C’est un conte à la base, parce qu’on a parlé des signes du fa et tout (moi je ne maîtrise pas trop). Les signes du fa ont été textuellement cités dans l’ouvrage. Maintenant, c’est moi-même qui ai édulcoré le nom Toula et autres, parce qu’il y a Toula Médji et d’autres fa de Toula. Donc Toula, c’est quelque chose qui m’a été conté depuis mon enfance par ma grand-mère et j’y ai mis l’habillement littéraire tout simplement.

Propos recueillis par Laurent D. KOSSOUHO    

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