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Le triomphe de la vérité

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Enquête: Le pain au bromate de potassium sévit toujours


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Malgré les sanctions, les boulangeries ont continué d’utiliser le bromate de potassium. Ils ont trouvé des méthodes pour continuer les directives officielles au nez et à la barbe des autorités qui ont du mal à contrôler ce secteur.

Les locaux d’une boulangerie industrielle aux normes au Bénin

Septembre 2017. Le ministère de l’industrie et du commerce suspend 21 boulangeries à la suite d’une mission d’inspection ayant révélé de graves disfonctionnements en leur sein. Le grief principal était l’utilisation d’un produit cancérigène, le bromate de potassium. Ce produit interdit au Bénin depuis 2005, fait gonfler la pâte et permet d’accroître la production. En effet, 100 kg de farine de blé permettent d’obtenir normalement entre 700 et 720 baguettes au maximum. Avec le bromate de potassium, on peut obtenir 1000 baguettes. Dans un article publié en 1990 dans la revue scientifique Environnemental Health Perspectives, et intitulé « Toxicity and carcinogenicity of potassium bromate-a new renal carcinogen », les chercheurs japonais Y. Kurokawa, A. Maekawa, M.Takahashi et Y. Hayashi ont montré que ce produit est un cancérogène complet. Sa consommation entraine en effet des tumeurs des cellules rénales, des mésothéliomes du péritoine et des tumeurs des cellules folliculaires de la thyroïde. D’autres études scientifiques révèlent la même chose. Dans les boulangeries, le bromate de potassium se présente dans des boîtes cylindriques vendues à 10.000 francs CFA environ. Le produit est écrasé ou dissout dans de l’eau avant d’être incorporé à la pâte de pain qu’il fait gonfler. A cause de ses effets nocifs scientifiquement démontrés, il est interdit dans plusieurs pays depuis de nombreuses années. Par arrêté interministériel en date du 06 janvier 2005, les ministres de l’industrie et des finances en ont interdit l’importation et la vente. Il en est de même pour le persulfate d’ammonium, le bromure de sodium et la salmonelle. L’arrêté prend également en compte tous autres produits contenant ces substances. Pourtant, jusqu’en septembre 2017, les sanctions prévues n’ont jamais été appliquées.

Aucune suite
« Depuis le départ du ministre Lazare Sèhouéto, il n’y a plus eu aucune action visant le pain », nous renseigne Robin Accrombessi, président de l’Association La Voix du Consommateur. L’action du ministère de l’industrie et du commerce visait justement à sanctionner les boulangeries qui continuaient à utiliser le bromate de potassium malgré les prescriptions officielles. Elles avaient écopé de trois mois de suspension. Mais depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. « C’était une action juste pour distraire un peu. Ce n’était pas organisé ni structuré », affirme aujourd’hui Ernest Gbaguidi, président de l’ONG Bénin Santé et Secours du Consommateur. Les mêmes pratiques ont continué d’après lui, de façon un peu plus sophistiquée. « Selon nos informations, indique Ernest Gbaguidi, les boulangers ne se gênent même plus pour mettre du bromate de potassium dans leur préparation. La farine importée contient désormais directement du bromate de potassium ». Pour sa part, Robin Accrombessi, président de l’ONG La Voix du Consommateur confirme que « les importateurs de farine de blé ont trouvé la formule en intégrant directement le bromate de potassium dans la farine. » Mais la raison fondamentale de ce comportement ingénieux et frauduleux des acteurs, est que le pain n’est plus rentable au Bénin. Les prix pratiqués ne permettent pas la survie des boulangeries qui tournent à vide. C’est ce que rapporte Gatien Adjagboni, président de l’Association Nationale des propriétaires et exploitants des boulangeries et pâtisseries du Bénin. « La recherche forcenée de rentabilité, pas forcément pour devenir millionnaire mais pour couvrir les charges de fonctionnement, fait que les acteurs qui s’installent sans contrôle et sans aucune autorisation, se rendent compte que ce n’est pas une activité aussi simple, que c’est une vraie activité industrielle », indique-t-il.

Le bromate n’est pas le seul problème
En dehors de l’utilisation du bromate, il y a aussi celle du formol dans la fabrication du pain sucré. Même si le formol n’est pas interdit dans l’alimentation, son utilisation doit être fortement encadrée, puisqu’il s’agit d’un produit hautement cancérigène. Les conditions d’hygiène dans les boulangeries laissent également à désirer. Sols jonchés de farine de blé, infrastructures désuètes, cafards se promenant de-ci de-là. Tel est l’état des lieux d’une bonne partie de ces industries de boulangerie. Les ouvriers sont torse nu et leur sueur ruisselante menace à tout moment de suinter dans la pâte en préparation. Mais en dehors de ces problèmes, il y a également la qualité du four utilisé qui compte pour beaucoup. Les fours modernes neufs coûtent environs 30 millions de FCFA. Alors que les fours d’occasion bourrés d’amiante, se vendent sur le marché à 5 millions de FCFA. Mais l’amiante est très cancérigène et est traquée à travers le monde. Et pendant ce temps, les autorités ont du mal à contrôler les boulangeries dont une bonne partie a été installée sans autorisation préalable.

Faut-il libéraliser le prix du pain ?

Au regard des manœuvres orchestrées par les boulangeries pour ne pas être contraintes à la fermeture, certains acteurs suggèrent désormais de libéraliser le prix du pain.

Des pains prêts à mettre sur le marché

Dans les boulangeries, le pain ordinaire dit pain bâtard, est livré à 90f, 100 f ou 115 f aux vendeuses de détail. Celles-ci les revendent à 125F selon une décision du gouvernement datant de 2008. Considéré comme un produit éminemment social, cet aliment est soumis à une réglementation stricte, notamment au niveau de son prix. Ainsi, depuis 2008, le prix plafond de la baguette de pain est fixé à 125 F pour 160 g et 150 F pour la baguette de 200 g. Mais les professionnels du secteur se plaignent de cette rigidité de l’Etat qui les oblige à faire des gymnastiques pour survivre. Selon Gatien Adjagboni, Président de l’Association nationale des propriétaires et exploitants de boulangeries et pâtisseries du Bénin (ANAPEB), l’Etat s’était engagé en 2008 à ajuster le prix du pain tous les six mois, compte tenu des fluctuations du marché de la farine de blé. Plus de dix ans plus tard, rien n’a bougé. Les prix pratiqués sont restés les mêmes, obligeant certaines boulangeries à user de méthodes peu orthodoxes pour survivre, face à la cherté des prix des matières premières nécessaires à la fabrication de cet aliment.

Les avis divergents
Et pourtant, le prix du pain a subi une hausse régulière, avant de stagner à partir de 2008. Il est passé de 60 f en 1996 à 75F puis à 125 F en 2008. Mais le problème se pose de savoir comment les boulangers font pour tenir le coup depuis lors, alors que les prix des matières premières, notamment ceux de la farine de blé, ont augmenté. « Les acteurs de ce secteur en sont à un niveau où ils n’arrivent plus à vivre de leur métier, déplore Gatien Adjagboni. C’est une réalité. Ils ne vivent plus de leur métier parce que les textes de la république ne sont pas respectés.» Il s’étonne en effet du silence de l’Etat face au fait que plus de 80% des boulangeries du Bénin n’aient pas d’autorisation régulière avant d’exercer. « Il y a à peine 10 à 15% des acteurs qui ont une autorisation pour exercer, dit-il. Vous vous installez légalement dans une corporation où 80% des acteurs exercent illégalement et vous font de la concurrence. » Ceux dont le président de l’ANAPEB se plaint, ce sont les petites boulangeries sans aucune autorisation mais qui parviennent par des mécanismes louches à vendre le pain en-dessous de son prix normal. Mais pour le faire, ils utilisent des produits chimiques prohibés et dont la toxicité est avérée. « Nous avons commencé à suggérer de permettre aux boulangers d’augmenter de 25F le prix de la baguette de pain, en respectant le grammage officiel », conseille Robin Accrombessi, président de l’ONG La Voix du Consommateur. Pour lui, en dehors des produits prohibés qui sont introduits, bon nombre de boulangeries préfèrent diminuer le poids du pain vendu. En jouant ainsi avec les normes officielles, ils arrivent à réaliser quelques marges bénéficiaires afin de continuer à exister. « Pour protéger la santé des consommateurs, il faut libéraliser le secteur », affirme Robin Accrombessi. Ce qui équivaudrait à libéraliser aussi les prix. Pour le moment, l’Etat tient à surveiller les politiques de prix dans le secteur. En juin 2017, lorsque le prix de la farine de blé a presque doublé, passant de 16.000 FCFA à 30.000 F par endroits, les boulangeries avaient été bien obligés de procéder à un réajustement conséquent. Mais le ministère de l’industrie et du commerce les a interpelés aux fins de trouver une solution qui soit au profit des consommateurs. Il n’est donc pas sûr que l’Etat béninois accepte une éventuelle augmentation des prix. Mais la véritable question est de savoir jusqu’à quand l’on continuera à tolérer l’empoisonnement collectif auquel les prix actuels exposent les citoyens consommateurs. Car les manipulations des boulangeries sont dangereuses pour la santé.

Olivier ALLOCHEME

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