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Le triomphe de la vérité

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Selon l’historien Moïse Mensah Mètodjo: « La fermeture des frontières renforce la contrebande»


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Moïse Mensah Mètodjo

Diplômé de l’université de Lille en France, Moïse Mensah Mètodjo est docteur en histoire contemporaine. Spécialiste des frontières, il pose ici son regard sur la fermeture des frontières, six mois après que cet événement continue de rythmer les relations entre le Bénin et le Nigeria. Il évoque aussi le problème du terrorisme qui profite de la porosité des frontières de notre pays.

L’Evénement Précis : Six mois déjà que le Nigeria a fermé ses frontières avec le Bénin. En a-t-il le droit ?

Moïse Mensah Mètodjo : Le Nigeria a le droit de fermer ses frontières. C’est un pays souverain, et il peut se le permettre. Vous savez, dans les accords de Schengen, pour prendre l’exemple de la France, il existe une clause qui permet à un pays membre de l’Union Européenne, en cas de circonstances exceptionnelles, de fermer ses frontières ou de renforcer les contrôles à ses frontières. Ce fut d’ailleurs le cas en 2015, lorsque la France a décidé, à cause du terrorisme de renforcer les contrôles à ses frontières. Je crois que c’est la même situation, même si les contextes sont différents. Pour ce qui est du Nigeria, je crois que les accords de la CEDEAO ont dû certainement prévoir des clauses du genre, sinon je ne vois pas comment le pays pourrait se permettre de le faire. Une mise en perspectives historiques nous permet de voir que le président Buhari n’est pas à son coup d’essai. En 1983, suite au coup d’Etat contre Shéhu Shagari, il avait déjà fermé les frontières. A cette époque, la situation était beaucoup plus compliquée qu’aujourd’hui, puisque non seulement les frontières ont été fermées, mais il y avait aussi le rapatriement des Béninois vivant au Nigeria. Ils étaient plus de 100.000 à l’époque. Je me souviens comme si c’était hier, du cortège incessant des véhicules quittant le Nigeria pour le Bénin. C’était une situation dramatique et j’espère qu’on ne la revivra plus. D’autant qu’entre les présidents Talon et Buhari les relations semblent bonnes. Je crois que le Bénin ne dispose d’aucun autre moyen de pression que la concertation bilatérale et multilatérale, puisque le président ghanéen a plaidé en faveur de l’ouverture des frontières. Et la mission confiée par la CEDEAO au président du Burkina-Faso va dans le même sens. J’espère que ces efforts seront couronnés de succès très bientôt. Rappelons que le Nigeria est le premier partenaire commercial du Bénin.

Lorsqu’on sait que nos frontières sont artificielles, est-ce que cette décision ne va pas agir sur des communautés qui ont les mêmes cultures des deux côtés de la frontière ?

Non, les pays africains en général ne sont pas victimes de leurs frontières. Le concept de frontières artificielles est issu d’une représentation idéologique, tout simplement parce que toutes les frontières sont au moins à 90%, des frontières artificielles. C’est dans l’ADN même d’une frontière d’être artificielle. Que ce soit en Europe, en Amérique ou en Asie, elles sont toutes pareilles. Prenez par exemple les frontières entre la France et l’Espagne. Vous verrez que les Catalans se retrouvent aussi bien en France qu’en Espagne. C’est des peuples d’une même communauté linguistique. C’est la même situation entre la Belgique et la France. Il y a des Flamands du côté belge et des Flamands du côté français. Quand vous allez dans la Haute Savoie entre la Suisse et la France, c’est le même problème. Il y a des Savoyards de part et d’autre des frontières entre les deux pays. En Amérique, entre les Etats-Unis et le Canada, sur le segment québécois, il y a même des maisons qui se trouvent de part et d’autre sur la ligne de séparation. De sorte que lorsqu’un contrôle survient et n’arrange pas quelqu’un de cette ligne, il se met de l’autre côté de la frontière et échappe ainsi au contrôle venant par exemple du Canada ou des Etats-Unis. Et donc, l’Afrique n’est pas une exception en matière de frontière. Il est très difficile de concevoir des frontières qui prennent en compte ce genre de détail. Ou bien on met en place des micro-Etats ou on met en place des ensembles difficilement gérables. C’est vrai que nos frontières ont séparé par exemple, les Yorouba entre le Nigeria et le Bénin. La même situation se voit entre les Bariba du Bénin et du Nigeria, pareil pour les Ewé qui se trouvent entre le Bénin et le Togo. Je sais que c’est une situation un petit peu compliquée, mais ce qu’il faudra faire c’est de dynamiser les liens entre les peuples vivant autour de ces frontières. C’est de cette façon qu’on peut éviter des conflits.
De ce point de vue, est-ce que l’action du Nigeria n’apparait pas comme un coup d’épée dans l’eau ?

Une frontière est une institution juridique et sociale. Elle crée en quelque sorte une discontinuité spatiale dans le paysage. Mais elle reste une institution humaine et les populations peuvent choisir de respecter ou de contrevenir à cette institution humaine. C’est ce que beaucoup de peuples font. La fermeture des frontières entre le Nigeria et le Bénin n’empêche pas le contournement des points de contrôle. Elle va plutôt renforcer la contrebande. Les populations se passent tranquillement de cette ligne. Elles arrivent à s’approprier cette ligne à leur guise. Et donc le problème ne se pose guère. Les frontières, évidemment pour les institutions et les Etats, doivent exister. C’est un marqueur de territoire.

Depuis quelques semaines, le gouvernement a interdit la transhumance transfrontalière qui est source de beaucoup d’insécurité. Est-ce que cette mesure ne risque pas de créer d’autres sources de mésentente entre le Bénin et le Nigeria ?

Vous savez, les peuhls sont une catégorie de population qui ont toujours vécu depuis des siècles avec une totale liberté, se jouant des frontières, passant les frontières comme elles l’entendent, parce que justement leurs activités ne leur permettent pas d’être sédentaires. Mais avec le marquage des frontières, elles sont bien obligées de les respecter. L’interdiction qui les frappe sera très compliquée pour elles. Mais elles sont bien obligées de la respecter, même si c’est incompatible avec leur mode de vie. Mais on devrait pouvoir trouver une solution pour leur permettre d continuer leur mode de vie.

Depuis quelques semaines, on soupçonne des activités terroristes de part et d’autres des frontières entre le Bénin et le Burkina-Faso, notamment au niveau du parc de la Pendjari qui forme la frontière naturelle entre les deux Etats. Selon vous, est-ce qu’il y a un risque que cette zone devienne bientôt une zone de bataille djihadiste ?

Vous posez là un problème très important voire inquiétant. Quand on voit l’avancée des djihadistes depuis quelque temps, non seulement le Sahel est menacé, mas aussi en descendant plus bas au Bénin ou au Togo, nous sommes tous concernés par cette situation. C’est vrai que nos frontières sont poreuses. La possibilité de contrôler la frontière dans toute sa longueur n’est possible nulle part, à moins de mettre des barbelés. Mais vous savez que ces terroristes savent trouvent des moyens d’infiltration.

La solution trouvée par Trump aux Etats-Unis, c’est de mettre un mur pour séparer son pays avec le Mexique. Est-ce qu’il n’arrivera pas un moment où une telle solution finira par s’imposer au Bénin ?

Vous semblez oublier que ces terroristes savent prendre les couleurs locales. Il n’est écrit sur aucun visage qu’il est terroriste. Il peut donc se faire prendre pour un Béninois ou quelqu’un qui vaque à ses occupations habituelles. Regardez la situation en France par exemple. A un moment donné, il y avait des contrôles, des écoutes partout. Ça n’a pas empêché les terroristes de semer la panique dans le pays. Le terrorisme n’est pas une guerre conventionnelle, si bien qu’il est très difficile de le combattre. Je crois que c’est les services de renseignement et la vigilance des uns et des autres qui permettront de venir à bout de ces gens.

Avec la porosité des frontières et les problèmes politiques, certains rêvent de créer des Etats formant leur seule ethnie, profitant des interconnexions culturelles. Est-ce que ces risques existent au Bénin, comme c’est déjà le cas actuellement au Nord Mali où certains acteurs politico-militaires veulent créer un Etat touareg ?

Le problème touareg date de l’époque coloniale. Les touaregs sont répartis dans six pays différents, alors qu’ils avaient l’habitude de vivre ensemble. C’est pour cela qu’ils rêvent de créer un Etat dénommé l’Azawad pouvant réunir les Touaregs de tous les pays. Mais ce genre de rêve ne risque pas d’être satisfait parce que si les Chefs d’Etat africains ont décidé en 1963 de l’intangibilité des frontières, c’est parce qu’ils savent que s’ils ouvrent cette porte, ce sera la pagaille généralisée. Qu’il vous souvienne que les Ewés ont aussi soulevé ce genre de revendication pour créer un Etat en leur nom. D’autres ethnies voudront évidemment leur emboiter le pas. Et donc en aucun cas, on ne peut accéder à ce genre de revendication.

Propos recueillis par Olivier ALLOCHEME

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