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Le triomphe de la vérité

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Edito: Le tournant


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Les Chefs d’Etats de l’UEMOA n’ont pas seulement tenu à sortir du CFA. Ils ont tenu à le faire sans provoquer un affrontement avec la France. Le timing de cette révolution n’a pas commencé le 21 décembre 2019. C’est le 7 novembre dernier que Patrice Talon a surpris tout le monde en annonçant que « très rapidement » les réserves de change du franc CFA seraient retirées de France pour être reversées dans « des banques centrales partenaires dans le monde ». Comme on s’y attendait, les médias occidentaux se sont rapidement rués sur lui. RFI a donné la parole à l’ancien premier ministre sénégalais Abdoul Mbaye, ancien haut fonctionnaire à la BCEAO, qui a rétorqué que le Chef de l’Etat béninois était allé trop loin. Et effectivement, en dehors d’Idriss Déby Itno du Tchad qui rue régulièrement dans les brancards à ce sujet, ce fut la première fois qu’un président africain ose aller si loin sur le Franc CFA. Et là, contrairement à une certaine opinion publique africaine devenue progressivement mais fortement anti-française, Patrice Talon est resté dans la mesure.
Même alors, le risque de s’opposer à Alassane Ouattara était visible. Le président ivoirien en visite à l’Elysée en juillet dernier avait laissé entendre qu’ « à terme, le franc CFA s’appellera l’Eco ». Il n’en fallait pas plus pour déchainer l’ire des activistes panafricains désormais acquis à l’idée d’une indépendance monétaire réelle vis-à-vis de Paris. C’est là où le rôle de Ouattara, président en exercice de l’UEMOA, va s’avérer décisif dans la droite ligne de la volonté des Chefs d’Etats de ne rien faire pour mécontenter l’Elysée. L’accueil dithyrambique réservé à Macron vendredi a servi à cela. Toilettage de la ville d’Abidjan, pagnes à l’effigie des deux présidents (au risque de rappeler les pratiques du temps d’Houphouët-Boigny), grands gestes de familiarité…Ouattara a fini par récolter un surnom : le préfet de la France en Afrique.
Il y a tout lieu de penser que toute cette prévenance fut une manœuvre pour soustraire la monnaie ouest-africaine à la tutelle de l’ancienne métropole, sans attirer ses foudres. J’inscris dans ce même registre l’arrestation samedi nuit de l’activiste Kèmi Séba à Ouagadougou. Il faut noter qu’année après année, de rodomontade en opérations coups de poing, Kèmi Séba avait fini par apparaître comme l’égérie de la lutte anti-FCFA. Avec l’ancien ministre togolais Kako Nubukpo et d’autres intellectuels du continent, ils ont réussi à créer une opinion publique panafricaine opposée à ce qui est apparu comme une tutelle insoutenable de la France, près de 60 ans après les indépendances. Mais la méthode employée par les Chefs d’Etats de l’UEMOA a consisté à tout faire pour ne pas porter flanc à ce mécontentement grandissant.
A vrai dire, l’Elysée ne pouvait plus rester indifférent à cette contestation qui s’est internationalisée. Début 2019, le vice-premier ministre italien, Luigi Di Maio a provoqué la colère de Paris en indiquant que « la France est l’un de ces pays qui, en émettant une monnaie pour 14 pays africains, empêche leur développement économique et contribue au fait que les réfugiés partent de leurs pays et meurent ensuite en mer ou arrivent sur nos côtes ». Désormais , c’est chose faite. L’Eco qui avait été initialement prévu pour entrer en circulation en décembre 2009, verra le jour en 2020.
Bien entendu, des questions cruciales restent encore en suspens. Où donc sera fabriqué l’Eco ? Pourquoi ne pas arrimer la nouvelle monnaie à un panier de devises, au lieu de son arrimage à la seule monnaie européenne ?
En tout cas, je reste convaincu que cet arrimage au seul Euro est une mesure provisoire. D’autant qu’en maintenant un taux de change fixe, la nouvelle monnaie ne peut que desservir nos économies. Oui, les connaisseurs savent que toute autre décision provoquerait immédiatement une dévaluation de la monnaie, plongeant les économies non préparées à des chocs inutiles. L’arrivée du Nigeria, du Ghana et des autres pays membres de la CEDEAO au sein de l’Eco, changera peut-être cette perspective, quand il sera question de couper les ponts définitivement.
Pour ma part, j’estime que la véritable question est de savoir si l’industrie béninoise est préparée pour affronter les évolutions qui arrivent à grands pas. La force d’une monnaie, c’est d’abord la force de son industrie. En l’occurrence, voici la question centrale : à qui appartiennent et à qui appartiendront les capitaux qui fondent et qui fonderont les industries de notre pays ?

Par Olivier ALLOCHEME

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