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Le triomphe de la vérité

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Edito: Les intouchables de la République


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En écoutant les commentaires ce mardi à propos des réquisitions du procureur spécial Gilbert Togbonon, c’est la seule conclusion que l’on peut tirer : pour beaucoup, la paix passe par l’immunité de Yayi Boni et de ses hommes, sinon le pays sera à feu et à sang. Une certaine association opérant dans le Zou a même eu la grande intelligence de publier un communiqué demandant à Patrice Talon « en tant que premier magistrat, de bien vouloir appeler au respect des textes en vigueur dans notre pays, vu que le président Boni Yayi est un homme d’État, ancien président de la République et que les faits se sont déroulés pendant qu’il était dans l’exercice de ses fonctions. » Le communiqué ne s’est pas arrêté en si bon chemin, les responsables de l’association menaçant ouvertement le chef de l’Etat. « Nous mettons donc en garde les autorités à divers niveaux contre toutes conséquences qui adviendraient, vu la période très sensible que traverse notre pays », indique le communiqué. Vous avez bien compris : c’est dangereux de poursuivre Yayi Boni puisqu’il a été président de la République.

Ce qu’a dit le procureur était effectivement révoltant. Gilbert Togbonon avait en effet déclaré que « les dispositions seront prises pour que le sieur Boni Yayi et autres responsables centraux ayant participé ou favorisé l’implantation de ICC-Services soient poursuivis devant les juridictions compétentes ». C’est une hérésie dans un Etat de droit. On ne poursuit pas un ancien Président, ni ses anciens collaborateurs. Ils sont intouchables parce qu’ils ont exercé le pouvoir d’Etat…

Tous ceux qui réfléchissent ainsi sont probablement très sérieux. Et pour la plupart des Béninois, avoir eu le privilège de gérer les affaires publiques au plus haut niveau, constitue un droit pour être traité autrement que le commun des citoyens. Aux termes de l’article 136 de la Constitution, seul la Haute Cour de Justice a le droit de poursuivre ces citoyens, lorsque leurs infractions sont commises  «dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions». Et depuis une quinzaine d’années que cette juridiction existe, elle n’a poursuivi personne, les acteurs politiques ayant trouvé les moyens d’empêcher toute poursuite à leur encontre. Les députés, magistrats et autres personnalités qui y siègent, sont heureux d’être payés pour précisément ne rien faire.  Nous sommes dans un pays où l’impunité a été érigée au rang des vertus démocratiques. C’est inscrit dans nos gênes, depuis la conférence nationale qui a consacré l’impunité de Mathieu Kérékou, après lui avoir octroyé une immunité grasse et douce, après dix-sept années de dictature et de gabegies.

Pourquoi donc poursuivrait-on Yayi Boni, Kogui N’Douro ou Grégoire Akoffodji ? Le seul fait même d’évoquer cette éventualité est vécu par la plupart des démocrates béninois comme une preuve de règlement de comptes. On a le droit de poursuivre les Guy Akplogan, les Emile Tégbénou Michel Agbonon ou autres Dohou Pamphile. On peut jeter en prison pour cent ans, tous les cadres et autres petits commis impliqués dans l’affaire PPEA II, ou dans les marchés frauduleux passés dans le cadre de la construction du siège de l’Assemblée nationale. On peut même affamer des familles, oublier en prison les cadres de l’ex-ONASA pour de prétendues infractions qui ne sont pas encore prouvées des années plus tard. Mais personne n’a le droit de penser qu’un ministre ou un ancien président doit répondre, lui aussi, de ses actes devant un tribunal. On ne doit pas penser que la justice est faite pour tout le monde. Non, elle est faite pour les citoyens faibles. Un procureur est bon tant qu’il n’osera pas toucher un seul cheveu d’un ancien chef d’Etat ou d’un ancien ministre. Sitôt qu’il décide de penser que ceux-ci doivent être écoutés, parce qu’abondamment cités dans le crime économique le plus odieux de notre pays depuis 1990, ce juge est forcément un vendu, un traitre, un cadre à la solde du pouvoir.

Voilà le genre de démocratie que nous avons érigée. Or, devant nos yeux, des présidents de puissances économiques ont été jugés par des juridictions de leurs pays : Jacob Zuma, Nicolas Sarkozy, Lula au Brésil, Park en Corée du Sud…

Chez nous, l’amour de la démocratie se confond avec l’amour d’une justice qui n’existerait que pour les plus faibles.

 

Par Olivier ALLOCHEME

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