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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec Olivier Sossa, spécialiste en organisation et financement des systèmes de santé: « Il faut revoir la façon de gérer notre système de santé»


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Spécialiste en organisation et financement des systèmes de santé, Olivier Sossa passe au scanner le système de santé du Bénin.  Précédemment président du Conseil d’Administration de la Société Québécoise d’Évaluation de Programme, l’homme d’origine béninoise donne aussi son point de vue sur les réformes engagées par le président Talon pour améliorer les performances du secteur de la santé. Avec une quinzaine d’années d’expérience comme Conseiller en évaluation dans le domaine de la santé, Docteur Sossa revient également sur les dernières actualités au sujet du droit de grève dans le domaine de la santé, et de la traque du régime en place contre les faux médicaments.

L’Evénement Précis : Quel regard portez-vous sur le système sanitaire béninois?

Olivier Sossa : Le système de santé béninois évolue dans un environnement global de sous-financement, de manque de ressources humaines, financières et matérielles et, plus fondamentalement d’une absence d’orientation claire pour encadrer son fonctionnement. Mais, avant de déplorer le manque de ressources, il faut dénoncer les carences en matière de gestion, la faible mobilisation des ordres professionnels dans la recherche d’approches novatrices pour renforcer le système de santé et dans l’encadrement de leurs membres, la corruption, les détournements parfois même d’équipements ou de médicaments. C’est malheureusement l’importance de ces constats qui fait en sorte que les efforts de la minorité restent peu perceptibles.

Le système de santé béninois n’est pas bien encadré. On se demande parfois si les principaux acteurs de ce système sont sensibles à leur rôle et responsabilité pour un meilleur fonctionnement du système. Et, quand je parle d’acteurs, je pointe du doigt  aussi bien les patients et leurs proches, les professionnels incluant les médecins, les gestionnaires, les autorités politico-administratives, les PTF qui accompagnent, le secteur privé tels que le secteur des assurances, les compagnies pharmaceutiques, etc. Ces différents acteurs devraient s’unir pour renforcer le système de santé et définir ensemble les orientations futures. Le système, pour être cohérent avec les besoins de la population, doit réunir ces différents acteurs pour conjuguer les efforts. Pour réussir cela, il faut une volonté politique de transparence et un leadership capable de créer un espace de dialogue franc où chacun ne cherche pas à tirer la couverture de son côté.

 

Vous partagez donc l’avis du président Talon qui en décembre 2017, a parlé d’un système de santé ‘’défaillant’’ ?

Oui, on n’a pas besoin d’être Président de la République ou analyste des systèmes de santé pour affirmer que le système de santé du Bénin est défaillant. Mais, la teneur des propos du Président laisse croire que des réformes seront désormais mises en place. Toutefois, il faut trouver les bonnes compétences pour proposer les bonnes réformes et les mettre en œuvre convenablement. Au Bénin, comme dans plusieurs pays d’Afrique, on a tendance à penser que les « maux » du système de santé doivent être « traités » par des médecins. J’ai lu le rapport de la commission technique mise en place par le Président. Les propositions contenues dans ce rapport me semblent très déconnectées des besoins en matière de santé de la population. À mon avis, et en tenant compte des motifs de consultations et de décès au Bénin, le système de santé a besoin de propositions de réformes qui renforcent les soins de santé primaires et de proximité. Ces éléments sont quasi absents du rapport de la commission.


Quelle thérapie préconiseriez-vous pour relever le système?

Un système de santé, c’est une coexistence de quatre logiques de régulation : 1) la logique professionnelle au niveau micro (gouvernance des processus cliniques) ; 2) la logique managériale, 3) la logique marchande au niveau méso pour la structuration des organisations et des relations qu’elles entretiennent ; et 4) la logique démocratique / participative au niveau macro (élaboration des grands principes structurants le système de santé).

Il faut reconnaître que chacune de ces logiques a un espace potentiel d’action dans lequel elle est supérieure aux autres ; et que, toute réforme « mono-logique » est vouée à l’échec. Il y a donc une nécessité pour les autorités politico-administratives de penser à un nouvel espace de régulation collective. La gouvernance du système de santé doit être orientée vers la coordination d’acteurs avec des logiques de régulation qui leur sont propres. Le temps de la prise de décisions en position d’autorité pour prétendre réformer durablement le système est révolu ; malgré la bonne volonté exprimée.

Le principal défi à relever est celui de la performance. Il est possible de faire plus et mieux avec les ressources existantes en transformant les structures, les modalités d’organisation du système de santé et les pratiques des acteurs du système et des organisations de santé. Fort de ce raisonnement, ma proposition serait de mettre en place un mécanisme d’évaluation de la performance du système de santé qui produirait de l’information neutre sur la performance du système à tous les paliers d’action. Cette évaluation de la performance se fera sur une base annuelle et visera à apporter un éclairage pertinent au débat public et à la prise de décision gouvernementale. Cette évaluation du système devrait porter sur les départements de santé, avec comme unité d’analyse les zones sanitaires. L’évaluation devra être conçue de façon à permettre la comparaison des départements de santé entre eux ; à identifier les bonnes pratiques et les leçons à apprendre de chacun des départements. C’est seulement de cette façon qu’on peut capitaliser sur nos façons de faire et améliorer durablement le système.

 

Les réformes engagées par le président Talon entrent-elles dans cette thérapie?

D’abord, il faut remettre à César, ce qui est à César. Le Chef de l’État a, manifestement, de l’ambition pour une amélioration significative des conditions de vie de la population. Toutefois, dans le secteur de la santé, les propositions mises en avant sont assez éloignées des besoins de base encore non comblés de la population. La commission technique qui a soumis ses réformes a fait un assez bon diagnostic des maux qui minent le système de santé béninois (malversation, corruption, manque de ressources, etc.). J’ajouterai même le manque de leadership du ministère de la santé. Mais l’adéquation entre ce diagnostic et les solutions proposées est difficile à faire.

Pouvez-vous donner quelques exemples ?

Par exemple, dans les réformes, on propose la création d’une agence pour assurer l’encadrement de la qualité des soins. Il me semble que cela relève de la compétence des ordres professionnels et des mécanismes de suivi à mettre en place par les autorités ministérielles. Il ne faudrait pas perdre de vue que les ressources humaines dans le domaine de la santé (médecins généralistes, spécialistes, pharmaciens, infirmiers, etc.) sont des ressources spécialisées avec des compétences spécifiques et leur encadrement technique ne pourrait être fait que par des spécialistes. Il ne revient donc pas à n’importe qui de s’immiscer dans la définition de leurs standards et guides de pratique. Ceci dit, le soutien et le suivi des autorités politico-administratives sont essentiels.

D’un autre côté, et c’est là ma surprise, lorsqu’on regarde les causes de décès au Bénin, le paludisme, la diarrhée, les infections respiratoires aigües viennent en tête de liste. La prise en charge de ces causes nécessite un accès à des soins de proximité pour tous. Au lieu d’investir prioritairement dans les soins spécialisés et ultra-spécialisés en investissant massivement dans l’appareillage et la construction d’hôpitaux de zone, il faudrait asseoir un socle solide, c’est-à-dire une organisation des soins de santé primaire proche des communautés et orientée vers les réels besoins que sont le suivi et le soutien à la femme enceinte, le suivi des enfants de 0-5ans (vaccination, pesée, dormir sous moustiquaire, allaitement), le développement mental et psychologique), etc. C’est l’orientation à privilégier si on veut réellement réduire la mortalité au Bénin, promouvoir l’équité et réduire les inégalités en santé.

Vous comprenez donc que ma vision d’une réforme du système de santé béninois est différente de l’option proposée par la commission technique. Toutefois, puisque c’est cette orientation qui est approuvée par le Gouvernement, il me semble que l’ensemble des acteurs du système de santé béninois devrait s’aligner pour assurer sa réussite. À l’heure du bilan, nous tirerons les conclusions et leçons à apprendre.

Que pensez-vous de la lutte contre les faux médicaments au Bénin?

C’est fondamental de faire la lutte contre les faux médicaments. Selon les chiffres qui circulent, 60% des médicaments sur le continent africain sont des faux, et sont à l’origine du décès de plus de 800 000 personnes. Si on veut que les efforts du système de santé portent des fruits, on doit éradiquer la vente de ces médicaments. On peut se défendre en disant que ces médicaments ne sont pas faux. Le débat n’est pas là. Ce qui est inquiétant, c’est la facilité avec laquelle on a accès à certains médicaments au Bénin. L’usage de faux médicaments est un véritable danger de santé publique. En général, les faux médicaments ne contiennent pas la quantité attendue de substance active. Du coup, il se pose la question de l’efficacité. Dans certains cas, ces médicaments causent des complications graves pouvant causer la mort des patients. Par exemple, l’OMS et plusieurs experts n’ont pas arrêté de tirer la sonnette d’alerte sur l’impact de l’utilisation sans contrôle des antibiotiques. Mais, là où il devient difficile de supporter le gouvernement, c’est le fait que la lutte soit sélective. La lutte contre les faux médicaments est une urgence de santé publique. Elle devrait être menée dans une approche plus globale, systémique et plus structurée. Cette lutte ne devrait pas se limiter aux « bonnes dames » et Monsieur Atao. Même si le Gouvernement a décidé de commencer sa lutte par ceux-là, il reste que l’absence de plan global laisse une suspicion de règlement politique. Mais, comme je le mentionne, cette lutte devient une urgence de santé publique et les autorités du ministère de la santé et l’Ordre des pharmaciens devraient assumer leur responsabilité. Oui, les ordres professionnels ont un grand rôle à jouer dans l’assainissement du secteur de la santé au Bénin.

Justement la justice vient de condamner des grossistes à de la prison ferme et à des amendes pour les délits « d’exercice illégal de pharmacie et de vente de médicaments falsifiés ». Ce jugement vous satisfait-il?

Ce jugement est à saluer. J’interprète cette sanction par la reconnaissance explicite d’un non-respect des lois en vigueur. Mais comment évalue-t-on le préjudice pour arriver à une sentence de 4 ans de prison et 100 millions de FCFA comme amende ? À mon avis, le coût social de la consommation de faux médicaments que doivent assumer l’État et le peuple béninois est largement supérieur à cette sentence. Comprenez-moi bien, cette sentence est déjà un gain. Mais on ne peut s’arrêter en si bon chemin. Il faut maintenant amorcer une vaste enquête qui permettra d’aboutir à des accusations et des sentences à la hauteur des préjudices sur la santé des populations et ses conséquences sur l’économie béninoise.

Franchement, pensez-vous que cette lutte contre les faux médicaments aboutira un jour?

Le problème des faux médicaments n’est pas propre au Bénin, ni à l’Afrique. C’est un problème mondial et il est impossible de dire qu’il peut être éradiqué. Par contre, ce qui est inquiétant, c’est la proportion que cela prend au Bénin où la commercialisation se fait au vu et au su des autorités et parfois même dans les structures formelles. Vous comprendrez que, aussi longtemps que les grands revendeurs de faux médicaments auront une couverture politique, il devient impossible de mener cette lutte. Il y a un effort additionnel à faire au niveau des frontières. Par exemple, la plupart des faux médicaments introduits au Togo proviennent du Nigéria. Et, c’est le Bénin qui sert de passerelle à ce flux. Il doit donc y avoir un resserrement douanier au niveau des frontières. La lutte contre les faux médicaments, c’est aussi ça.

Vous savez, au Bénin, l’opposition et la mouvance  s’accordent rarement pour identifier un enjeu sur lequel elles doivent unir leurs forces et agir pour le bien-être des populations. Certaines orientations, malgré leur bien-fondé, du moment où elles ne sont pas populaires, sont récupérées par l’un ou l’autre pour faire de la politique au détriment de la population. Je crois que le dossier de la lutte contre les faux médicaments en est un.

Un mot sur la question du retrait du droit de grève dans le domaine de la santé qui a causé des remous avant l’intervention de la cour constitutionnelle ?

Je me réjouis de la décision de la cour constitutionnelle qui rejette la suppression du droit de grève dans le secteur de la santé. Mais, dans un domaine aussi sensible que la santé, il faut absolument utiliser tous les moyens, sauf la grève. Et, pour éviter la grève, il faut une volonté de la part syndicale, mais aussi du côté patronal. Comme j’ai l’habitude de le dire, on ne peut pas gérer les organisations de santé comme on gère une boutique ou une usine. Les conséquences de la grève dans le domaine de la santé peuvent être des pertes en vies humaines. Et, une vie humaine n’a pas de prix ! La grève est un acquis pour les professionnels de la santé. Il revient à l’État et aux décideurs de s’entendre sur l’offre d’un service minimum en période de grève. Par exemple, il peut être prévu un effectif de base dans chaque unité de soins, une simple réduction des heures de travail en cas de grève. Il peut également s’agir d’une grève qui couvre 45mn/jour et renouvelable, etc. Il existe un éventail de possibilités dans l’encadrement de la grève.

Dans la réalité, il faut revoir la façon de gérer notre système de santé. La gestion actuelle du système se fait de façon trop centralisée avec une forte bureaucratisation. Les gestionnaires et les décideurs politiques sont dans leur tour d’ivoire au ministère avec très peu de contact avec les intervenants qui prodiguent les soins à la population. Dans ces conditions, les intervenants ont tendance à perdre leur sentiment d’appartenance et deviennent moins réceptifs au moment des négociations sur leurs conditions de travail. J’en appelle donc à une nouvelle forme de gestion dans le secteur de la santé et à repenser les équilibres entre centralisation et décentralisation.

En décembre dernier, le chef de l’Etat a pointé la politisation du secteur. Sera-t-il possible d’y remédier?

On ne peut pas remédier à la politique dans le domaine de la santé. C’est naïf de le penser. Pour moi, la santé et la politique sont intimement liées,  même si la politique et la santé ne font pas bon ménage. Si on revient sur la définition de la santé que propose l’OMS, la santé fait référence à un état de bien-être. Les conditions de ce bien-être relèvent forcément des choix et des orientations politiques du Gouvernement.

A quand votre retour au Bénin pour mettre vos compétences au service de votre pays ?

Modestement, je crois que c’est ce que je fais déjà. Devrais-je en faire plus? Je ne sais pas encore. De toute façon, j’y contribue à ma manière. Comme vous le savez, ce n’est pas la première fois que j’interviens dans votre journal pour analyser des enjeux du système de santé béninois. Quand le Président mettait en place la Commission sur la santé, j’ai publiquement approuvé cette décision et même énoncé quelques enjeux préalables que cette commission devrait aussi examiner. En octobre dernier, j’étais au bureau de l’OMS-Dakar où je prononçais une conférence sur l’évaluation de la performance des systèmes de santé en Afrique de l’Ouest. Cette rencontre a permis de faire le tour des solutions novatrices pour faire face aux défis croissants des systèmes de santé en Afrique de l’Ouest particulièrement (le développement des technologies et des connaissances sur les déterminants de la santé, l’évolution démographique, l’apparition de nouvelles maladies, les contraintes budgétaires, etc.). C’est donc dire que je suis préoccupé par l’évolution de nos systèmes de santé et je continue, peu importe où je suis, à contribuer à la recherche de solution.

Réalisé par Flore S. NOBIME

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