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Le triomphe de la vérité

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Edito: Le style Talon


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Patrice Talon fait ce qu’il peut pour résoudre la crise sociale, mais sa méthode produit aujourd’hui un résultat que l’on voit : la radicalisation des positions. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, les travailleurs grévistes sont plus déterminés qu’au début de la fronde.
Il se passe que les ministres, émissaires du Chef de l’Etat n’ont pas vraiment un réel pouvoir de décision. Leurs marges de manœuvres sont plutôt étriquées, non seulement face à la réalité économique du Bénin, mais aussi face à la nécessité de laisser le Chef de l’Etat prendre lui-même l’initiative du dégel. La réalité économique du Bénin est celle d’un pays pauvre qui produit peu. Cela paraît plutôt trivial de l’affirmer aussi simplement, mais il s’agit de la pure vérité que chacun devrait internaliser. Ce qui signifie que dans ce pays, malgré tout ce que nous faisons depuis 1960, moins de la moitié des Béninois ont accès à l’électricité et que près d’un Béninois sur trois a accès à l’eau potable. Cela signifie aussi qu’environ un Béninois sur trois vit avec moins de deux dollars par jour, ce qui fait de notre pays l’un des plus pauvres de la terre. Le dire ainsi, c’est reconnaître ce que disent les chiffres sur la réalité de nos centres de santé où il y a moins de cinq agents de santé qualifiés pour 10.000 habitants alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande 25 agents pour 10.000 habitants. C’est reconnaître qu’une femme qui accouche à Ségbana doit nécessairement se rendre à Kandi, situé à 95 km de là, avant de trouver un pédiatre. Du reste, une enquête a révélé en juillet 2017 que tout le département de l’Alibori (Gogounou, Banikoara, Kandi, Ségbana, Karimama, et Malanville) compte un seul pédiatre.
Dire que le Bénin est pauvre, c’est reconnaître que malgré tous les efforts consentis dans l’enseignement secondaire par exemple, les enseignants vacataires sans formation professionnelle initiale forment environ 71% du personnel enseignant. Et que dans le même temps, une grande majorité de parents n’ont pas les moyens d’acheter de cahiers encore moins de livres suffisants à leurs enfants. Ceux-ci sont du reste massivement renvoyés pour non-paiement de frais de scolarité (au maximum 15000 F dans les écoles publiques). Résultat, les échecs sont massifs aussi bien au BEPC qu’au Bac, chaque année.
Face à ce tableau, les ministres qui négocient avec les syndicats n’ont pas grand-chose à offrir, en dehors de quelques concessions marginales qui révoltent d’ailleurs les enseignants. Et beaucoup se posent la question basique : peuvent-ils faire des promesses majeures sans s’attirer la foudre du Chef de l’Etat ? Concrètement, Patrice Talon n’est pas homme à se laisser voler son leadership sur ces questions majeures par ses ministres. Il doit être perçu comme celui qui apporte la solution. Conséquence : quelle que soit la qualité ou la capacité d’un ministre, il doit montrer qu’il ne peut rien sans le Président de la République. Celui-ci prend son temps, comme de juste. Jeudi dernier, il a fait avorter une négociation dite de la dernière chance, du fait de son absence du territoire national. Quand le Président n’est pas présent, rien ne se passe. C’est une technique connue.
Tout en faisant sentir son leadership, le Président de la République manie le bâton. Défalcation et confiscation des salaires, menaces de radiation, rencontres avec le bas-peuple et les leaders religieux pour conspuer les enseignants…Finalement, on se rendra compte qu’à aucun moment, Patrice Talon n’a rencontré lui-même les syndicats enseignants. Et qu’à l’université, la guéguerre entre les syndicats et la ministre s’est muée en guerre de personnes. Désormais, le calendrier académique largement perturbé fait craindre plus que jamais une année blanche.
Un seul mot désigne tout cela : l’impasse. D’autant d’ailleurs que les défalcations et la confiscation des salaires ont frappé même les agents non grévistes…
Le style Talon aurait pu prospérer dans un autre contexte. Dans une entreprise où le PDG est omniscient et omnipotent, il peut bien menacer les agents et faire de leurs salaires ce qu’il veut. Dans la fonction publique béninoise, radier 40 à 50.000 agents de l’Etat est une mission impossible. Le dire sans pouvoir le faire vous expose à la raillerie des travailleurs. Voilà ce que doivent subir les ministres qui avaient cru bon montrer des muscles.
En un mot, comme en mille, le Chef de l’Etat devrait changer de style de négociation, s’il ne tient pas à transformer son mandat en un enfer.

Par Olivier ALLOCHEME

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