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Le triomphe de la vérité

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Série de décisions discutables et démission: La Cour constitutionnelle ou le géant aux pieds d’argile ?


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Président de la Cour, Théodore Holo

La Cour constitutionnelle est à la croisée des chemins. Le pilier de la démocratie béninoise tremble, menaçant de faire vaciller le système. La haute juridiction tant respectée n’est-elle pas devenue un géant aux pieds d’argile, 27 ans après la Conférence nationale ?

Les dernières nouvelles à la Cour se résument à une série de décisions controversées, couronnée par la démission de l’un de ses membres et pas des moindres : Simplice Dato, un juriste de haut niveau. Au-delà de toute flamme politique ou des contestations d’ordre corporatiste, cette actualité fait réfléchir et suscite des interrogations. Que se passe-t-il à la l’instance de régulation constitutionnelle ? Comment délibère-t-elle ? Ses membres sont-ils sous pression ? Qui a intérêt à influencer les décisions de la Cour ? La Cour constitutionnelle n’est-elle pas réellement la ‘’Haute’’ instance qui incarne le ‘’super-pouvoir’’ de régulation et ‘’d’arbitre’’ qu’on lui prête ? Une chose est évidente : la Cour constitutionnelle du Bénin s’est affaiblie par les derniers évènements en son sein. Décisions à polémique ou démission, la joie et les craintes changent de camp selon le moment et selon la tribu politique à laquelle on appartient ou encore les intérêts corporatistes. Et quand on parcourt, dans un jeu de décryptage sans passion, les dernières décisions de la Cour, on en vient à se demander « Que choir ? ». Pour le cas de l’injonction de la Cour d’installer le Cos Lépi, faut-il violer la loi ou la respecter ? A propos du rejet du retrait du droit de grève, quoi retenir dans les errements de la Cour dans sept différentes décisions depuis 2002 à ce jour ? Mis à part tout parti pris politique et les affrontements juridico-techniques sur la base de doctrines sur le droit constitutionnel, il convient ici de s’attarder sur des questions de cohérence et de logique.

De la décision de l’injonction pour la désignation des députés au Cos Lépi.
L’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle sont complices de la non-installation du Cos Lépi. Le code électoral prévoit en son article 219 alinéa 3 que « Le Cos Lépi se met en place se met en place le 1er juillet de chaque année et cesse ses travaux le 31 janvier de l’année suivante ». N’ayant pas désigné ses représentants au sein du Cos Lépi avant le 1er juillet 2017, l’Assemblée nationale a, en toute évidente, violé le code électoral. Mais l’article 220 encadre bien la période de désignation des députés représentant l’Assemblée nationale au Cos Lépi et aussi la période de déroulement de la mise à jour de la Lépi. Cet article stipule en son alinéa 2 que « Les députés sont désignés chaque année pendant la période de mise à jour à savoir du 1er au 31 janvier ». Le faire à la fin de cette période ou en dehors de celle-ci est une violation du code électoral. Or dans sa décision du 12 décembre 2017, la Cour fait obligation à l’Assemblée nationale de désigner ses représentants le 21 décembre 2017 au plus tard afin de lui permettre d’installer le Cos Lépi le 29 décembre 2017. Installer le Cos Lépi près de six mois avant la date prévue pour le faire et à 34 jours de la fin de la période prévue par la loi pour la mise à jour de la Lépi ? Que fera le Cos Lépi en si peu de jours ? En voulant trouver la solution à l’imbroglio, la Cour s’offre l’opportunité de violer la loi dont elle est garante en fixant une période d’exercice pour le Cos Lépi. Une période qui court du 29 décembre 2017 au 30 juin 2018. Une période qui ne se retrouve nulle part dans le code électoral que le législateur a conçu en tenant compte des réalités socio-culturelles et climatiques. La décision de la Cour apparaît même en contradiction avec sa propre analyse des recours dont le 5ème considérant se réfère, entre autres, à cet article 219 qu’elle cite de surcroît. La décision du régulateur constitutionnel met ainsi l’Assemblée dans une situation délicate. Satisfaire à l’injonction de la Cour dont les décisions sont sans recours ou participer à mettre en place un Cos Lépi qui n’a aucune base légale et qui est le produit d’une violation de la loi, une deuxième violation donc du code électoral par l’Assemblée ? La délicatesse de cette situation prend aussi de court la minorité parlementaire à l’Assemblée nationale qui n’a pas pu mettre en branle son droit de demande d’étude en procédure d’urgence. La timidité de sa réaction – justequelques mots pour se dédouaner d’être complices – cachela conviction qu’il est impossibilité de mettre en exécution la décision de la Cour.La perfection est dans l’erreur. Répéter l’erreur est source de médiocrité ou de mauvaise foi. A ce fatras juridico-constitutionnel et politique qu’étale la Cour vient s’ajouter une autre décision à polémique rejetant le retrait du droit de grève à certains corps d’agents de l’Etat.

Sept dates clés d’errements décisionnels
« Le droit social notamment le droit du travail est un droit mouvant, un peu difficile et contingent. C’est un sujet à interprétation », disait la semaine dernière l’avocat Abraham Zinzindohoué, ancien président de la Cour suprême et ancien ministre de la justice. Lorsqu à cette complexité s’ajoutent des décisions de la Cour qui désorientent, la crédibilité de celle-ci prend un coup de gourdin. Sept (7) dates clés de la Cour constitutionnelle se référant à sept décisions de la Cour constitutionnelle alimentent cette désorientation : 08 janvier 2002, 12 juin 2002, 4 avril 2006, 30 septembre 2011, 15 juin 2015, 18 janvier 2018 et 23 Janvier 2018. Les décisions du 08 janvier et du 12 juin 2002 approuvent les dispositions de la loi sur l’exercice du droit de grève du 21 juin 2002. Cette loi reconnaît le droit de grève à tous les corps d’agents de l’Etat. Elle précise ce droit le 4 avril 2006. Par décision DCC 06-034 du 4 avril 2006, la Cour a dit et jugé que « la Constitution ne prévoit aucune exception au droit de grève pour telle ou telle catégorie ; que le législateur ordinaire ne pourra porte atteinte à ce droit ».Pas même en défaveur des membres des Forces armées, de la Police et autres. Mais la Cour prend le 30 septembre 2011 une décision pour restreindre ce droit en argumentant comme suit : « Considérant que la liberté syndicale permet au travailleur de défendre ses intérêts professionnels ; que le droit de grève constitue le moyen ultime du travailleur dans l’exercice de ses droits syndicaux ; que ce droit, bien que fondamental et consacré par l’article 31 précité, n’est pas absolu ; qu’en effet, est absolu ce qui est sans réserve, total, complet, sans nuance ni concession, qui tient de soi-même sa propre justification et est donc sans limitation ; qu’est aussi absolu, ce qui existe indépendamment de toute condition, de toute représentation, qui échappe à toute limitation et à toute contrainte ; qu’en disposant que le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi, le constituant veut affirmer que le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et habilite le législateur à tracer lesdites limites en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la préservation de l’intérêt général auquel la grève est de nature à porter atteinte ; qu’en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève par le constituant ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public, qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle ; qu’en raison de ce principe, les limitations apportées au droit de grève peuvent aller jusqu’à l’interdiction dudit droit aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ; qu’ainsi, l’Etat, par le pouvoir législatif, peut, aux fins de l’intérêt général et des objectifs à valeur constitutionnelle, interdire à des agents déterminés, le droit de grève ». Pour se justifier, la Cour se réfère à la charte africaine des peuples et des droits de l’Homme et écrit : « Considérant que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui fait partie intégrante de la Constitution du 11 décembre 1990 énonce en son article 11 : « Toute personne a le droit de se réunir librement avec d’autres. Ce droit s’exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes » ; qu’en outre, si la grève constitue un moyen légitime du travailleur pour défendre ses intérêts, le législateur et le gouvernement sont tout aussi légitimement habilités à y apporter des restrictions voire à l’interdire aux personnels d’autorité ou ceux ayant des responsabilités importantes dans des services et entreprises chargés de missions de service public ; qu’en outre, l’article 8 alinéa 2 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels précise que la garantie constitutionnelle du droit de grève « n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ces droits par les membres des Forces armées, de la Police ou de la Fonction publique. » Mieux, la Cour renforce en recourant aux conventions et décisions de l’Organisation internationale du travail (OIT) : « Considérant que l’Organisation Internationale du Travail dans son Recueil de décisions sur la liberté syndicale indique dans son 304ème rapport, cas 1719 : « L’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale » ; qu’en outre, dans son 336ème rapport, cas n° 2383, la même Organisation affirme : « Les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. » ; qu’ainsi, l’Organisation Internationale du Travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des populations ; que, dès lors, la reconnaissance de la liberté syndicale au profit d’une catégorie d’agents n’exclut pas l’interdiction de l’exercice du droit de grève ; que l’article 8 de la Loi n° 93-010 du 4 août 1993 portant statut spécial des personnels de la police nationale, mise en conformité le 11 août 1997 et promulguée le 20 août 1997 dispose : « Les personnels de la police nationale sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance. Ils ne peuvent exercer le droit de grève. Toutefois, ils peuvent faire partie des groupements constitués pour soutenir des revendications d’ordre professionnel. » ; que dès lors, il y a lieu de dire et juger que l’article 9 de la loi sous examen ne viole ni la Constitution ni les principes fondamentaux de l’Organisation Internationale du Travail ». On pourrait considérer cette décision comme une avancée puisque que par une autre décision du 15 juin 2015 la Cour valide le statut spécial des personnels des forces de sécurité publique et assimilées qui ne reconnaît pas le droit de grève à ces corps paramilitaires. Mais le 18 janvier 2018, la Cour fait volte-face en déclarant contraire à la constitution l’alinéa 5ajouté à l’article 50 de la loi sur le statut de la fonction publique.
De l’argumentaire évoqué pour justifier ce rejet, la Cour se passe du 13ème considérant de son analyse des recours de 2011 et qui est relatif au Recueil de décisions de l’OIT sur la liberté syndicale dans son 304ème rapport, cas 1719 et 336ème rapport, cas n° 2383. N’est-ce pas une subtile stratégie pour se dédier en sortant un nouvel argument. Si on peut comprendre que c’est l’allongement de liste des agents interdits de droit de grève à d’autres catégories d’agents de l’Etat autre que les personnels militaires et paramilitaires qui gêne, on ne peut comprendre que cette même Cour qui a reconnu par deux fois déjà le caractère constitutionnelle du retrait du droit de grève au militaires et agents des forces de sécurité publique (30 septembre 2011 et 15 juin 2015) tourne casaque et rejette cette fois-ci cette interdiction aux agents de la police républicaine qui sont des agents de sécurité. C’est à ce niveau que se trouvent tous les errements de la Cour qui déboussolent les citoyens et compliquent la tâche au législateur. Un nid de contradictions qui peut conduire celui-ci à se retrouver désormais sous stress pour voter les lois avec la hantise que le régulateur peut surgir de nulle part pour tout faire reprendre à zéro. La confiance en la Cour s’érode ainsi. La Cour s’affaiblit elle-même. Ses décisions semble manquer de crédibilité.

La démission comme point d’achèvement de cette faiblesse
A la décision qui viole le code électoral et des décisions contradictoires sur l’interdiction du droit de grève vient s’ajouter une démission inattendue. Il s’agit ici de celui de SimpliceDato, un juriste de haut niveau (équivalent de la catégorie de Théodore Holo). Pour l’instant, les raisons de la démission ne sont pas annoncées. Néanmoins, la Cour s’empresse – ce qui n’est pas son habitude – de publier un communiqué pour informer de la démission et pour faire savoir que le processus de son remplacement est enclenché. Un choix de communication qui vise à calmer et à rassurer. Cette attitude cache un malaise renforcée par les premières informations qui répandent un besoin de soins à l’extérieur du concerné. Un argument vite démonté. Pourquoi autant de mouvements à la Cour constitutionnelle ? Qu’un membre de cette institution et de surcroît un juriste de haut niveau démissionne aux lendemains d’une série de décisions à polémique (12 décembre 2017, 18 janvier 2018 et 23 janvier 2018), cela interpelle.
Qui démissionne ? Il s’agit d’une personne désignée par le Président de la République (le prédécesseur de celui qui est en exercice) en tant qu’institution. Quand est-ce qu’il démissionne ? A moins de cinq mois de la fin du mandat en cours. Est-ce simplement un conflit entre juristes de haut niveau qui ne s’entendent pas sur le contenu des décisions rendues publiques ? « Une démission a toujours un sens…Tous les sens d’analyse sont à prendre en compte. Une démission en fin de mandat peut nous amener à réfléchir », dénote le juriste Serge Prince Agbodjan. Il est renforcé par Abraham Zinzindohoué qui s’interroge sur l’explication que la Cour et Simplice Dato peuvent donner de la démission. Il insiste sur le moment de la démission qui interpelle. Qui est-ce que cette démission arrange ? Selon qu’on soit d’un camp ou d’un autre – ceuxque les dernières décisions de la Cour arrangent (l’opposition politique surtout) ou ceux que les déplorent notamment les gouvernants (la majorité présidentielle, le gouvernement et ses soutiens) –cettedémission peut être stratégique pour des visées politiques. Notons que le démissionnaire est désigné par l’institution Président de la République. Garde-t-il des liens avec l’ancien titulaire et son camp aujourd’hui dans l’opposition ? Serait-il aujourd’hui plus proche du pouvoir actuel ? Le motif de son acte serait-il attaché à une conscience professionnelle ? Dans le premier cas, le pouvoir actuel et ses supporters voient dans les décisions de la Cour une main invisible qui agit et qui les oriente à ses dépens. Cette démission intervient-elle pour décliner toute responsabilité ou pour protester contre le non-respect de ces décisions notamment par l’Assemblée ? Tout est possible en politique. Dans le second cas, c’est-à-dire une défection pour marquer la Cour, le but serait de faire indirectement pression sur elle en la présentant comme un obstacle au régime actuel. Dans ces conditions une démission signifierait qu’il y a mésentente au sein de la Cour et que quelqu’un impose ses opinions aux autres qui subissent et que celui-là a des objectifs inavoués. Il est donc question de la fragiliser. Dans les trois cas, il n’y a pas de matière pour justifier l’acte de démission. Cette démission est un moyen de contourner le droit de réserve. C’est en toute évidence une communication non verbale pour signifier qu’il y a un problème à la Cour. Mais quel problème et qui est visé ? C’est la présidence de l’institution qui incarne la neutralité. S’en prendre à cette neutralité, c’est s’en prendre à son président. Douter de son président, c’est douter de la Cour elle-même et de sa crédibilité.
Cette démission renforce les risques de méfiance à son égard et met en suspension son statut de géant et d’arbitre impartial, d’autorégulateur neutre. C’est une démission qui vient en ajouter à l’opération d’auto-fragilisation que la Cour s’assène elle-même. Les hommes politiques l’aide à s’affaiblir pour mieux l’achever, cet obstacle aux dérives qui empêche depuis 25 ans de plonger dans le gouffre comme c’est le cas dans plusieurs pays de la sous-région. « Nous n’avons aucun intérêt à fragiliser les fondamentaux de notre Etat. Soyons humbles sinon en son temps nous regretterons, mais ce serait trop tard », écrit Serge Prince Agbodjan. Pour l’instant, la renommée de la Cour tangue. Le pilier du système démocratique et de solidité des institutions constitutionnelles montre des signes d’écroulement. La menace que tout vacille et ensevelisse tous les Béninois n’est pas à éviter. Pour l’instant, la Cour constitutionnelle se perd, tiraillée de toutes parts. Elle ne sait où aller comme un âne de Buridan. Elle ne peut d’ailleurs aller nulle part. Le géant n’est pas aussi solide qu’on peut le penser. Est-il toutefois si fragile avec des supports en argile ? Il appartient à la Cour elle-même de renforcer ses socles et éviter le piège afin que ne se réalise point le rêve caché des politiques. Aux Sages d’être plus sages.

A. P. Virgil HOUESSOU

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